Le texte d'éternité

Chapitre 5 : Chapitre 4

1926 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 02:01

L’homme aux yeux glacés me fixa durement pendant un moment. Il s’accroupit devant moi, et sans même se formaliser avec la politesse, cracha :

- Où est ton père, gamine ?

Je déglutis. Mon père. Oh, j’aurais voulu le savoir. Pour le secouer comme un prunier et le rouer de coup. Abandonné. Il m’avait abandonné.

- Je n’en sais rien.

Une gifle me fit percuter le poteau de bois.

- Aïe, lâchais-je platement.

Même si mon ton était neutre, ma joue me lançait, et je sentais déjà la bosse grandir là où j’avais percuté le piquet. Ajoutant à ça ma clavicule cassée et mon mal de tête, je n’étais pas en grande forme. Et je mourrais de soif.

- Où est ton père ?

Il avait articulé chaque mot, comme si je ne pouvais rien comprendre.

- Si je le savais, je me ferais un plaisir de vous le dire, sifflais-je. Pour que vous me rameniez sa tête sur un plateau.

Il me lança un regard surpris, et se releva.

- Aztlan, lança-t-il, veille à ce qu’elle ne boive, ni ne mange rien jusqu’à ce qu’elle ait des réponses à nous donner.

Ce dernier hocha la tête, et ses cheveux blancs caressèrent son visage. Je ramenais mes jambes sous moi en tachant de trouver une position moins douloureuse. Apparemment, j’allais rester ici un bout de temps. Aztlan m’observa étrangement, comme un insecte venant d’être découvert. Je serrais les mâchoires tandis qu’il s’éloignait, les mains croisées dans le dos, bombant le torse dans son armure luisante. Je posais ma tête contre le bois, et fermais les yeux, attendant que le soleil me grille.

Je ne sais pas combien d’heures passèrent alors que je cuisais sous le soleil brûlant, mais lorsque j’ouvris de nouveau les yeux, il était toujours haut dans le ciel, toujours si vivace. Le vieillard à côté de moi récitait une prière, peu être l’ultime. Il regardait le ciel dégagé, ses grands yeux bleus ne semblaient ne rien voir.

- Pourquoi êtes-vous ici ? murmurais-je.

Ma bouche était aussi sèche que la terre devant nous.

- Et toi, mon enfant ? me répondit le vieillard.

Je me redressais, faisant cliqueter mes chaînes.

- Mon père est un mauvais pharaon, lançais-je. Il ne se soucie que de sa ville, pas de ce qui se passe dehors. C’est là son plus grand défaut. La lâcheté.

L’homme tourna ses yeux aveugles vers moi. Un autre, plus jeune, à la carrure d’un combattant, se pencha, pour mieux me voir.

- Alors, c’est vrai, à ce qu’on dit ? Tu es la fille du pharaon ?

Je baissais la tête.

- J’aurai aimé ne pas l’être.

Il y eu un silence.

- Ils nous emmènent ici, murmura le vieillard en réponse à ma question, et ils nous interrogent. Je ne sais pas ce qu’ils cherchent, mais ils pensent que nous le savons. Une bande de fous.

Je hochais la tête.

- Je n’aurai jamais pensé qu’ils s’en prendraient à une enfant.

C’était l’homme plus jeune qui avait parlé. Sous la crasse qui maculait son visage, je distinguais son regard brûlant de haine.

- Ils veulent mon père. Je ne sais pourquoi. Pour se venger, certainement. Mon frère aurait fait un bien meilleur roi.

- Il est passé ? demanda le vieillard.

- Oui. La Douât l’a emporté.

Je serrais les mâchoires.  Moi aussi, j’allais certainement mourir ici. Pitoyable. Pas digne d’une princesse. Je tirais sur les chaînes de toutes mes forces ; pas moyens de les faire céder.

Je jurais, et réitérais l’expérience, sans succès.

- Tu te fatigues pour rien, me lança le jeune. J’ai essayé, moi aussi, et à ce rythme, nous ne tiendront pas la nuit.

En effet, je sentais mon corps se déshydrater de seconde en seconde.

- Ils nous tueront avant, murmurais-je.

Le soleil me brûlait, mon épaule me lançait. Tout doucement, je me sentis glisser dans la fraîcheur de l’inconscience. J’eus juste le temps d’entendre l’aveugle recommencer à prier.- Debout.

Un coup de pied dans la cheville me réveilla en sursaut. Je me mordis les lèvres sous l’effet de la douleur. Celles-ci, déjà très abîmées par le soleil, se craquelèrent et laissèrent échapper un filet de sang.

L’homme de glace se tenait devant moi, dans la pénombre de la nuit –enfin. Je sentais déjà la fraîcheur arriver, et je savais que, même si elle me soulageait, ce n’était pas une bonne chose. Les nuits dans le désert étaient glaciales, et, vêtue comme je l’étais, je n’étais pas en bonne posture.

Aztlan était aux côté de son chef, et Thoth me souriait de toutes ses dents. Il voulait me frapper, il en mourrait d’envie.

- Tu as prit le temps de réfléchir, fille du démon ?

Je hochais la tête.

- Bien, alors dis nous où est ton père.

Je levais mon visage vers lui.

- Même si je le savais, je ne vous le dirais pas. C’est un lâche, mais il ne l’est pas assez pour se battre contre des faibles tels que vous.

Un coup de poing s’abattit sur ma cuisse. Thoth. Je hurlais en entendant l’os se briser.

De rage, les yeux pleins de larmes, je crachais à la figure de la brute.

- Tu te crois supérieur car tu portes le nom d’un Dieu ? Le Prince de l’Eternité te punira d’avoir bafoué son nom en violence et en massacres. Tu brûleras dans l’enfer de la Région des Morts, Osiris te condamnera à la mort éternelle, ton cœur étant emplit de tant de sang et de cauchemar !

J’avais hurlé le dernier mot. Thoth me regardait avec des yeux brûlants de haine. Il leva la main pour me frapper, mais l’Homme de glace le retint.

- Suffit, Thoth. Bientôt, elle sera à toi.

Ce dernier sourit, et essuya la salive.

- Ton père est un monstre. Nous avons été dirigé par un monstre. N’as-tu jamais vu ses dents ? N’as-tu jamais remarqué qu’il ne vieillissait pas ? Tu es la fille de se démon. Tu tuer devant lui sera la plus délicieuse des choses auxquelles je n’ai jamais assisté.

Il se pencha vers moi.

- Dis nous où il est. Tu es sa fille. Tu es comme lui. Redoutable, magique. Tu ne le sais pas encore.

Il me transperçait de ses yeux glacés. Je soupirais.

- Pourquoi avoir tué ma famille, et me laisser en vie ?

Les sanglots faillirent franchir mes lèvres ; je les retins.

Une main caressa ma nuque ; non, plutôt, ma tache de naissance.

- Tu es la seule qui porte la marque. La seule, avec Mankaourê. Ton frère ne servait à rien.

Ma gorge se rétrécit. Je donnais un violent coup de tête au chef, qui recula en grognant. Il m’ascéna une gifle retentissante, et me sourit.

- Bien, je suppose que nous n’en tireront rien. Elle est à vous.

Il s’en alla, sa cape volant dans la nuit. Thoth claqua des doigts ; aussitôt, deux hommes aux yeux ravagés par la violence me firent face. Le visage d’Aztlan se figea, puis il tourna les talons. J’allais mourir. Cette nuit. Je tournais la tête. L’homme attaché au poteau me fixait. Je lui adressais un sourire. Mes yeux se posèrent sur l’aveugle. Il avait la tête baissé. Il priait.

Encore. Peut-être était-il temps que je m’y mette, moi aussi.

Thoth m’attrapa par les cheveux. Je grognais. De son poing colossal, il m’explosa l’abdomen. Je gémis, me mordais les lèvres jusqu’au sang.

L’enfer se déchaîna.

Entraînés par une haine et une soif de sang sans limites, ils me ruèrent de coups, et moi, toujours attachée au poteau, je souffrais.Ils me brisaient.

J’entendais vaguement quelqu’un crier. Peut-être l’homme au regard flamboyant. Je n’en savais rien. J’avais mal. J’obligeais mon esprit à se détacher de mon corps, pour ne plus ressentir cette affreuse brûlure. J’attendais avec impatience que vienne la béatitude de la mort. La prière destinée aux morts me revint dans la brume de mon esprit. Je m’y accrochais, trop heureuse de pouvoir penser à autre chose. De ne plus rien ressentir.« Salut, ô Seigneur de l’Au-delà,Osiris, Maître de Re-stau,Dieu-Bon du sanctuaire d’Abydos !Voici que j’arrive devant toi.Mon cœur a toujours été fidèle à la Voie du Bien.Le Mal n’a jamais habité mes… »Le froid. Enfin. Plus de douleur. Plus rien. Je baignais dans le néant de la mort, et je m’y plaisais. Je m’y plaisais, mais une lueur verte vint perturber les ténèbres.« Survis jusqu’à la nuit tombée, princesse ».La nuit ? La nuit ?

J’y étais déjà…

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