La véritable histoire derrière la légende du Nouvel An Chinois

Chapitre 1 : La "mort" du Nian

Chapitre final

8862 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 31/03/2019 14:18

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture de Fanfictions.fr 1 Nouvel An Chinois (mars 2019).


La "mort" du Nian



Résumé du précédent O.S sur Narnia.


Narnia est un monde parallèle à la planète Terre où les enfants en dessous d’un certain âge peuvent aller sans en être prévenu. C’est ce qui s’est passé pour Lucy et son cousin pendant l’été 1946, mais cette fois, Narnia avait changé. Es monstres y étaient apparus, Aslan n’était plus là, et une abomination en forme de vautour l’avait remplacé : Tash. Plongé dans l’incompréhension totale, Lucy l’affronte et retourne sur Terre au dénouement d’un combat éprouvant. Mais à son retour, son cousin est mort, et en se regardant dans le miroir, elle a l’impression que Tash fait maintenant partie d’elle...



Était-ce son imagination, ou le ciel s’était-il vraiment assombrie en une poignée de secondes ?


Ethan Bennet, professeur d’Histoires dans une des nombreuses Universités de Londres regardait ses collègues d’un air effaré, avant de fixer de nouveau à travers la vitre longiligne. Les passants accéléraient le pas pour éviter la pluie qui menaçait de tomber, pluie qui serait sûrement accompagnées d’éclairs au vu des nuages noires qui envahissait chaque parcelle de ciel bleu en bombant le torse. Le vent s’était brusquement levé et frappait contre la mince fenêtre en provoquant des tintement inquiétants. Une de ses collègues, petite femme rondelette aux lunettes rectangulaires, se leva de sa chaise et s’empressa de fermer les stores, tandis qu’Ethan allumait les lumières.

Le bureau pris tout de suite une ambiance cosy et chaleureuse, accentué par les couleurs chaudes qu’apportaient les tables et le parquet d’un brun foncé ou le papier peint aux murs d’un beige prononcé.


— Et moi qui suis venu sans veste ! se plaint un autre collègue, assis à la table d’Ethan.


Ce dernier se moqua gentiment, espérant tout de même que c’était une fausse alerte, et non une réelle tempête qui était sur le point d’éclater. Lui, prévoyant qu’il était, gardait toujours un gros imperméable dans son casier au cas où. C’était un homme dans la cinquantaine, avec un début de calvitie, une moustache et une barbe noire. Son embonpoint tendait légèrement son habituel gilet bleu. C’était un professeur aimable, et patient, apprécié et respecté de ses élèves de par son éthique de travail, et de par sa capacité d’écoute et d’apprentissage, qui en disait long sur sa passion pour son métier. Contrairement à beaucoup de ses collègues, il n’avait pas pris la grosse tête en devenant professeur chercheur dans l’une des plus grandes universités de la capitale, et cela le rendait plus accessible. Cela lui évitait même les moqueries sur ses sujets d’études extravagants, même si il savait que quel qu’uns de ses confrères n’hésitaient pas à en rire pendant les pauses, profitant de son absence.


— Ne faudrait-il pas partir maintenant ? Avant que ça n’empire ? demanda l’un d’eux, incertain.


Ils décidèrent finalement de rester. Ethan avait notamment une revue passionnante sur les leprechauns d’Irlande qu’il voulait finir avant de rentrer. Ils avaient bientôt fini de préparer la rentrée, et il attendait juste que les élèves reprennent place dans les classes pour se libérer du stress pré-rentrée que subissaient les enseignants. Il préférait se trouver devant un amphithéâtre de deux cents personnes que seul à son bureau, à constituer son cours. Une heure plus tard, une série de bâillement lui fit comprendre que son cerveau commençait à fatiguer. Tous ses collègues étaient déjà partis, et il ne devait rester que quelques femmes de ménage dans ses grands bâtiments austères. Il ouvrit les volets pour voir la rue en contrebas. Comme il s’y attendait, elle était inondée. Pas suffisamment pour que ça l’empêche de marcher, mais suffisamment pour ne plus voir une seule parcelle de macadam. On était en fin d’après-midi, et on aurait dit que la ville avait plongé dans les ténèbres de minuit. Les lampadaires n’étaient pas allumé et des déchets volaient dans les airs. Ethan regarda sa montre ; en trottinant, peut-être qu’il pourrait arriver avant de se retrouver seul et coincé ici ?


En sortant du bureau, il attrapa son imperméable, son écharpe, mais n’alla s’embêter à prendre son chapeau, sachant que ce dernier chercherait à prendre son envol dès qu’il sortirait. Il descendit avec hâte les escaliers, ses pas résonnait de manière sourde dans les corridors déserts de l’université. Y était-il vraiment seul ?

Alors qu’il trottinait dans un couloir, avec d’un côté les salles de classe, et de l’autre les longues et minces fenêtres du château, un éclair capta l’attention de sa vue périphérique, avant qu’il entende un gros boom faisant tinter les vitres. C’était un gros roulement effrayant qui pénétrait dans les entrailles, comme si plusieurs lions rugissaient en même temps, mais qu’on enlevait toute vie de ce cri pour n’en laisser que l’aspect rauque, froid, et violent.


Avant de s’arrêter devant la porte, il s’arrêta devant une dernière fenêtre, perplexe. Il était sûr, alors qu’un éclair éclatait et que la lumière blanche s’étalait sur le corridor, d’avoir vu l’ombre d’un oiseau aux longues ailes. En effet, il ne fallut pas longtemps malgré l’obscurité pour voir un oiseau de plus de deux mètres au-dessus d’une grande tour de bureau. Il n’en voyait pas clairement les contours, mais cela ne faisait aucun doute, ce ne pouvait être une hallucination. L’oiseau sauta alors de son perchoir et fila vers lui toutes ailes déployés. Il se frisa et écarquilla les yeux de stupeur, en regardant le volatile au plumes obscures s’approcher de lui à grande vitesse, alors qu’il semblait en même temps grandir de plus en plus.


C’est lorsqu’il ouvrit son grand bec noir et brillant que le professeur hurla de peur en se cachant le visage, retrouvant le contrôle de ses mouvements. Ce n’était pas un oiseau banale ; c’était un vautour, un animal qu’il n’existait pas à Londres et avec qui il avait une histoire particulière. Mais en plus de cela, il était sûr d’avoir subrepticement vu quatre bras s’échapper de son tronc musculeux. Il y avait vu une lueur rouge dans son bec d’où s’échappaient de petits bras minces et ensanglantés, dans les poings s’ouvraient et se refermaient dans le vide comme s’ils cherchaient une accroche. Des bras d’enfants qui semblaient vouloir s’échapper de l’enfer qu’étaient les entrailles. L’ouverture de son antre démoniaque coïncida avec le grondement de la foudre alors qu’Ethan fermait les yeux, attendant Dieu sait quoi.


Toc toc toc


Ethan leva lentement mais sûrement son bras de son visage. La vitre devant lui était intacte. Pas de vautour gigantesque avec des bras d’enfants débordants de son bec.

Mais ce bruit…


Toc toc toc


C’était la porte !


— Quel est le fou qui peut bien toquer à une université fermée par ce temps pareil et à cette heure-ci… murmura Ethan en caressant nerveusement sa barbe.


Tenant sa sac en bandoulière d’un côté, il fit coulisser vers lui le grand battant en ébène et son cœur bondit une seconde fois dans sa poitrine. Là, au milieu du même déluge qu’avait dû affronter Noé, soumise à une rafale de vents qui fit reculer de deux pas le professeur mais qui n’avait aucune emprise sur elle, une jeune fille se tenait stoïque. Ses grands yeux verts et curieux s’étaient plantés dans ceux d’Ethan, et toute la tension qu’il y avait sur son visage juvénile avait disparue d’un coup. Elle avait de longs cheveux de feux, petit foyer dans l’atmosphère humide, collé à un visage à la peau pâle et aux bombardés de tâches de rousseurs. Elle portait un cache-poussière noire qui était trop grand pour elle.


— Mais enfin… ! commença Ethan, effaré.


Il s’interrompit. La petite parlait, il voyait ses lèvres bouger, mais rien n’en sortait. Ses paupières, lourdes de fatigue, firent bouger son regard vers ses chaussures. Elle semblait sur le point de s’évanouir. D’instinct, il lui attrapa les épaules, et il la sentit s’affaisser sur elle-même. Il la blottit contre son corps pour lui éviter de tomber et tenta de l’appeler en vain.


— C’était pas prévu, ça… !


Il jeta un coup d’œil à la rue : Ce serait du suicide de sortir maintenant. Tant pis pour les invités qu’ils étaient censés recevoir le soir même. Sa femme serait compréhensive, mais croirait-elle l’excuse de la mystérieuse fille rousse qui tombe dans ses bras pile au moment où il voulait partir. Après avoir claqué la porte du pied, porta la jeune fille en évitant de laisser sa tête pencher dans le vide, et la ramena à son bureau.


Là, il l’allongea sur un long fauteuil et alluma un feu pour la réchauffer, avant d’enlever son imperméable. S’il l’avait aperçu grelottante plus tôt, il savait maintenant pourquoi. Un simple gilet noir sur un t-shirt avec une jupe qui cachait ses genoux. Par ce temps, c’était un coup à tomber assurément malade, mais Ethan croyait deviner que c’était le cadet de ses soucis. Dépité, il s’assit à son bureau et continua la lecture de sa revue sur les leprechauns maintenant qu’il était réveillé. Il ne se levait que pour vérifiait de temps à autres le pouls de la fille.

Cette dernière se réveilla une poignée de minutes plus tard avec une quinte de toux. Elle se redressa rapidement, la main contre le front.


— Vous êtes revenu à vos esprits à ce que je vois… ! entama doucement le professeur.


Elle le regarda confusément, puis croisa les bras autour d’elle, comme si elle se sentait dénudée.


— Votre imperméable est au sol, anticipa-t-il. Je suis désolé, mais c’était l’emplacement le plus proche du feu et je voulais le sécher. Comment vous sentez-vous ?

— Je… Je vais bien, merci, marmonna-t-elle, encore perplexe. Je suis… ? Je suis à l’université ?

— C’est cela. Je vous ai ouvert et vous vous êtes évanouie dans mes bras.

— Je cherche M.Bennet, le professeur d’histoire…

— Ah… ! Eh bien, me voici.


Décidément, cette soirée devenait de plus en plus étrange… Le visage de la jeune fille s’éclaira.


— Mais dites-moi, reprit Ethan avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit. Qui êtes-vous ?

— Je m’appelle Lucy ! s’exclama-t-elle alors avec une vitalité retrouvé et un grand sourire. Lucy Pevensie.

— Quel âge avez-vous ?

— Dix sept ans, monsieur.

— Une jeune fille de dix sept ans traînant seule dans les rues de Londres à cette heure et par ce temps ? s’enquit Ethan d’un air éloquent. Où sont tes parents ?

— Heu…

— Tu as des parents, n’est-ce-pas ?


Elle acquiesça timidement, mais ne dit rien.


— Tu te rends compte à quel point ils doivent être inquiet en ce moment ?! Ça fait des décennies qu’on a pas vu un temps comme ça à Londres !


Lucy s’était mué dans un silence timide, les lèvres pincés, comme si elle craignait d’en dire plus. L’avait-il fermée pour de bon ? Il sentait qu’il pouvait arrêter avec les remontrances.


— Bon, que me veux-tu ?

— Je voulais savoir d’où viennent les légendes…


Le regard d’Ethan s’agrandit, en même temps qu’il s’adoucit apparemment, étant donné que Lucy sembla moins tendue. Pendant une seconde, il crut à la curiosité insatiable des enfants, prêt à braver les plus grands dangers pour répondre à ces questions innocentes à l’allure bénigne, mais qui cachait des réponses si profondes. Il n’arrivait cependant pas à croire qu’elle soit motivée par le pur désir de savoir.


— C’est une question bien vaste.

— Oui, mais je m’étais intéresse plus particulièrement à la légende du Nian qui mange les nouveaux-nés au Nouvel An, lâcha-t-elle d’un coup.


Le professeur resta bouche bée, proprement stupéfait par sa demande.


— Eh bien… Oui, pourquoi pas…


A cet instant, le professeur avait déjà oublié la vision qui l’avait poussé à hurler de peur une demi-heure plus tôt.


— Le Nian, comme tu dois le savoir, est un dragon qui sévissait chaque année dans les villages de Chine et mangeait les petits enfants. Mais une dizaine d’années après que ce malheur commence, une femme , au réveil d’un rêve, trouva la solution pour le repousser…

— Oui oui, je connais cette histoire, mais était-ce vraiment un dragon ?

— Eh bien, oui, dans la légende officielle chinois. C’est un animal très plébiscite dans leur histoires ?

— Pas un vautour ? demanda-t-elle encore d’une voix fluette.


L’hallucination d’il y a quelques minutes revint dans son esprit aussi brusquement que s’il s’était fait percuté par un train. Une idée absurde lui vint à l’esprit, et il se mit à penser que le vautour qu’il avait vu était peut-être cette jeune fille, qui semblait vraiment être apparu de nulle part… !


— Je… heu, écoute, je suis un peu fatigué, dit-il en se frottant les yeux. Je… Je n’ai pas entendu parler d’une version avec des vautours, voila. Bon, allez, dors un peu et je te ramènerai demain chez toi. Tu m’indiquera ton adresse. La tempête ne devrait pas baisser d’ici demain.


********


Cela faisait une semaine qu’Ethan Bennet avait rencontré Lucy Pevensie. Il l’avait déposé chez elle avant de rentrer chez sa femme en omettant de parler de sa rencontre surprise, mais il y avait pensé tout le temps. Quelque chose ne tournait pas rond avec elle et sa présence. Plus il avait marché à côté d’elle dans les rues de Londres, plus il s’était senti mal à l’aise. Il avait donc décidé de retourner à son appartement en soirée.

Il ne tomba pas sur une jeune fille, mais un jeune homme plus grand qu’elle d’une tête, qui devait avoir la vingtaine, en témoignait ses timides mais visibles poils aux joues et au menton. Il avait de longs cheveux blonds et lisses comme un rideau de soie, et un visage qui avait l’air bienveillant, sentiment mis en exergue par son regard clair et malicieux.


— Bonjour... Excusez-moi, j'ai dû me tromper... Je suis venu voir une certaine Lucy Pevensie ? 


Le jeune homme écarquilla les yeux de surprise avec un léger sourire.  


— Vous avez toqué à la bonne porte ! lança-t-il d'un ton jovial. Entrez donc ! ajouta-t-il en lui tendant la main. Je suis Peter Pevensie, son grand-frère. C’est vous qui l’avait ramené il y a une semaine je pense.


Soulagé, le professeur lui serra la main et pénétra dans le sombre et petit vestibule avant de s’engager dans le couloir. Son hôte lui indiqua le fauteuil du salon, avant de lui proposer d’enlever son manteau et son chapeau. Ethan aurait bien refusé en répondant qu’il ne comptait pas rester longtemps, mais il faisait une atmosphère étouffante à l’intérieur, et il ne sentait pas qu’il pourrait le supporter bien longtemps après sa longue journée de travail. Alors que Peter rangeait ses affaires, il jeta un coup d’œil autour de lui.


La pièce lui rappelait un peu ce logement qu’il avait loué avec des amis au début de ses études. Pas de tableau, un papier peint détaché par endroits, mais un endroit dont l’âme transpirait à travers les objets laissés ici et là, signe de la vie active que vivait ses résidents : Il pouvait par exemple voir trois cahiers simultanés ouverts sur la table basse devant le fauteuil, avec une multitude de feuilles et de stylos tout autour, un bouteille de jus ouverte et à moitié vide, quelques miettes ici et là. Apparemment, il avait interrompu le dénommé Peter en pleine séance de révision. Était-il un étudiant de son université ? Il ne se rappelait pas de l’avoir vu quelque part.


— Sale temps, hein ? s’enquit celui-ci en revenant.

— Je ne vous le fais pas dire. J’aurais aimé que l’été se finisse sur une note plus douce… ! Lucy est là ?

— Elle est là, en effet, concéda-t-il après un moment d’hésitation. Mais je crains qu’elle soit indisponible pour le moment… Cependant, cela ne change pas grand-chose. Je sais pourquoi vous êtes là ?

— Ah ?

— En effet. Elle m’a raconté votre rencontre.

— J’espère qu’elle vous as parfaitement retranscrit ma surprise lorsque je l’ai vu apparaître au milieu de la tempête, seule comme un épouvantail au soleil ! s’exclama Ethan avec un sourire narquois.

— Figurez-vous qu’elle m’a fait le même coup il y a quelques jours ! rebondit Peter. J’ai failli faire une crise en la voyant devant ma porte.

— C’est une habitude, chez elle ? s’enquit le professeur sur le ton de la plaisanterie.

— J’ai bien peur que non, c’est tout là le problème, répondit Peter avec un triste sourire.


Tiens donc… Son grand-frère semblait aussi dépourvu devant son attitude, et peut-être même ses requêtes qu’il l’était. Cela ne le rassurait pas. Il était venu aussi pour trouver des réponses, pas pour épaissir un mystère dont il n’avait absolument pas besoin dans sa vie.


—Vous ne vous asseyez pas ? l’interrogea Ethan, essayant de relancer la discussion.

— Eh bien, je comptais le faire, mais à table ! J’ai préparé quelque chose à manger, car j’ai le ventre vide depuis ce matin. SI vous voulez bien m’accompagner… !


Ethan se mit à refuser poliment d’un léger geste de la main, mais bientôt, il se rappela qu’il était sortit du travail directement pour se retrouver ici, et que lui aussi avait un petit creux.


— Bon, mais rien qu’un tout petit peu, pour vous faire plaisir, finit par accepter Ethan devant les demandes répétés de son hôte.


En se levant pour se diriger vers la cuisine, il y eut soudain des effluves de poisson fumée qui lui chatouillèrent les narines. Finalement, le « rien qu’un tout petit peu», il allait l’oublier aussi vite qu’il allait déboutonner les boutons de sa chemise les plus tirés pendant un copieux repas anglais comme il les aimait. Il s’était promis de se mettre au régime, mais c’est sans scrupules qu’il se servit. De toute façon, ces heures de travail infernales jouait le rôle du régime miracle dont sa femme et son amie parlaient en permanence. Avec du bon riz, un peu de sauce et du poisson agrémenté d’un peu de citron et d’herbes, mais aussi et surtout une bouteille de vins, les langues se délièrent bien vite.


Peter lui expliqua qu’il était là depuis un an dans une université voisine et poursuivait des études qui l’amènerait à devenir professeur-chercheur à l’avenir. Sa petite sœur, qui était normalement la plus calme d’une fratrie de quatre dont il était l’aîné, avait un comportement inquiétant depuis quelques semaines, et sa brusque venue ici n’arrangeait rien. Elle n’était pas du genre à fuguer.


— Finalement, j'avais tellement faim que j'aurai pu manger un chameau... concéda Ethan alors que son hôte éclatait de rire. Mais dites-moi, vous ne savez donc pas d’où vient cet intérêt prononcé pour l’histoire de la part de votre sœur ?

— Absolument pas, si ce n’est que c’est très important. Elle s’intéresse particulièrement à la légende du Nouvel An chinois.

— Elle est venue me dire dans mon bureau que ce que je disais était faux ! ricana Ethan sur le ton de la plaisanterie.

— Un professeur que nous connaissons tout les deux m’a informé qu’il y avait en effet un professeur à Londres, considéré comme un cynique pour ses travaux originaux et surtout surnaturels, notamment sur les évènements inexplicables de l’histoire.


Ethan se gratta légèrement le front en faisant la grimace. C’est la deuxième fois en deux jour que quelqu’un mentionnait Digory Kirke[1], son vieil ami, et à chaque fois, il avait un battement de cœur plus brutale que les autres, comme un violent coup de gong.


— C’est vrai, finit-il par dire.


Ils ne dirent rien pendant un moment, avant que Bennet ne demande.


— Et vous, cette histoire du Nian vous intéresse ?

— Oui, bien sûr. Tout comme ma sœur, j'aimerai beaucoup en savoir plus.

— Eh bien, soit ! Cette histoire, ou devrais-je dire, ces faits rapportés, se passent dans le sud de la Chine, proche de l’actuelle Yangjiang… Avant, la forêt était abondante en Chine, notamment dans cette zone. Il s’y trouvait énormément de Madhuca Pasquieri, des cerisiers de Mandchurie, des Saules tortueux de douze mètres, Thuya de Chine, qui sont aujourd’hui particulièrement aimés des bouddhistes. C’était pendant la période des Trois Royaumes, en environ l’an 220 et l’an 280. Trois empereurs se partagent le pays : Shu, Wu et Wei. L’histoire se passe dans le territoire de Wu, le plus grand. Mais les problèmes ont en réalité commencé à l’est, dans le territoire de Shu.

— Ces Trois royaumes, étaient-ils alliés ou… ?

— Non, en guerre, bien entendu ! sourit amèrement le professeur. Pour la domination totale de la Chine. L’histoire de l’unification de la Chine qui a suivi est absolument passionnante, mais un peu longue et pleins de noms asiatiques compliqués à se rappeler. Donc, pour faire court, c’est au royaume de Shu que les problèmes ont commencés à apparaître. D’abord, ça a été les malades. Au Nouvel An, les malades, les estropiés. Ils ont mystérieusement disparus. L’empereur Shu a redouté une attaque d’espions de l’empereur Wei, dirigeant du dernier territoire. Et ces rumeurs d’attaques d’espions ont atterris jusqu’aux oreilles d’un petit village, celui que je disais proche de l’actuelle Yangjiang… Il y vivait une femme du nom de...

********

Akira était la femme d’un pêcheur. Elle était en couple avec lui depuis quelque mois, et c’était l’amour fou, même si il devait s’absenter sur de longues périodes pour aller pêcher dans la mer plusieurs dizaines de kilomètres plus loin, la rivière n’apportant plus les ressources nécessaires. Elle était encore jeune, dans la vingtaine, et répondait à tous les standards de beauté de l’époque pour le plus grand bonheur de sa grand-mère qui avait regarder les prétendants faire la queue avec des yeux brillants de malice et de joie : Une peau pâle, qu’on pouvait voir au compte-gouttes lorsque son kimono se levait légèrement sous l’effet du vent, montrant ses fines chevilles, ou lorsqu’elle cousait frénétiquement sous la lueur d’un feu, entouré par l’obscurité de la nuit. Son visage était entouré de longs cheveux noirs et brillants comme un rideau de soie, qu’elle attachait souvent, et que seul son homme avait le plaisir de voir détacher lorsqu’à la tombée de la nuit, ses tâches ménagères étaient finies.


En ce moment, elle et son fils de cinq ans finissaient de faire leurs affaires. Le village s’apprêtaient à déménager plus loin dans le champs de collines. Quelques guerriers auraient rapporté la présence d’une armée espionne piégée par l’hiver et qui cherchait un village à soumettre afin de refaire leurs ressources.

Cependant, sa grand-mère avait eu quelques sueurs froides durant son adolescence, pensant qu’aucun homme ne voudrait jamais de cette femme aux désirs étranges : En effet, les tâches ménagères qu’elle était obligé de faire ne la gênaient pas particulièrement, mais elle s’était mis dans la tête de manier le sabre ou l’arc pour protéger le village des animaux sauvages. Son côté aventureux n’avait cependant pas rebuté Song, son mari


— Akira, dépêche-toi, la nuit est déjà tombée depuis longtemps.


L’intéressée se redressa et détourna le regard vers l’entrée de sa case. C’était sa voisine, une femme forte, pas beaucoup plus âgée qu’elle, mais qui possédait déjà quatre enfants. Akira finit de plier bagage et le déménagement de nuit put commencer. Mais le malheur n’oublia pas pour autant de toquer à leur porte quelques semaines plus tard, quand un monstre plus haut que le château de l’empereur, au pelage noir, leur demanda de leur donner le plus jeune enfant… !


********


— Akira n’avait pas dû le donner, continua Ethan en posant momentanément ses couverts. Son enfant, précisa-t-il devant le regard perplexe du jeune blond. Mais c’était un événement terrible et traumatisants pour elle et tout le village. D’autant plus que cela recommencera chaque année, et que son mari s’absentera de plus en plus. Cependant, elle ne perd pas de sa joie de vivre, et la transmet à son fils, qui 10 ans plus tard, partira en expédition avec son père et d’autre hommes du village, à la recherche d’un tigre au pelage roux sous les coups de novembre, si mon estimation est bonne. Cependant, ils ne seront jamais de retour à temps pour le Nouvel An. Or, Akira avait eu un enfant en début d’année, malgré toutes les précautions prises par les deux amants.

— Ça faisait du bambin une cible future. D’autant plus qu’il était un garçon, j’imagine ?

— Exactement, il est dit que le Nian ne mangeait que les bébés de sexe masculin. Au fur et à mesure que les jours passent, la bavarde Akira se fait de plus en plus froide et distante. Elle fait des cauchemars, et en vient à toquer à la porte de ses amies et voisines, en panique. Lorsque cela arrivent, toutes dorment ensembles pour lui donner du courage dans cette période difficile, sachant parfaitement à quoi la jeune femme doit se préparer. D’autant que le prêtre du village ne cesse de rappeler à la jeune maman que la date approche. C’est au réveil d’un songe, le jour même du macabre sacrifice, qu’Akira va avoir la solution.

— Qu’elle était donc ce songe ? [2]

— Dans ce songe, elle dit voir son mari et son fils qui lui parlent avec bonheur de leurs aventures. Elle se trouve dans une immense clairière, assise tranquillement dans l’herbe, et l’ambiance lui font oublier tous ces soucis. Dans ses bras, elle tient l’enfant qu’elle est censée sacrifier. Il est aussi fait mention d’un lion qui viendra pendant le rêve parler à Akira du Nian, le monstre qui l’effraie tant.

— Un lion ! s’exclama Peter la bouche pleine. Qui lui a parlé ?

— Oui, c’est bien ce que j’ai dit, répliqua Ethan, un peu surpris. Elle ne savait pas ce qu’était qu’un lion, car il n’y en a pas en Chine, mais les descriptions très détaillés du récit que j’ai traduit sont formelles. Et ce que lui as dit ce lion va aider le village à se débarrasser une fois pour toutes du Nian

********

Toc toc toc


Akira fut arrachée de ses songes. Sa peau était trempée de sueur comme s’il elle avait enchaîné les corvées d’eaux. Elle était toujours agenouillée au milieu du salon, dans l’obscurité la plus totale, lorsqu’elle entendit de nouveau toquer à sa porte.


— Il est l’heure, Akira. Je dois être là-haut à minuit.


Le cœur de la jeune femme se mit à battre frénétiquement, mais un léger sourire vint tordre ses lèvres : S’il elle était sûre d’une chose, c’est qu’elle se réveillerait aux côtés de son fils le lendemain ! Elle se leva, lissa son kimono et trottina vers la porte. En ouvrant, elle vit qu’il y avait encore quelques feux de camps allumés, avec des couples qui restait dehors afin d’accompagner spirituellement l’enfant endormi vers son destin macabre.


— Bonsoir prêtre.

— Bonsoir Akira, fit-il doucement, rassuré de voir qu’il n’aurait pas à défoncer lui-même la porte. Le petit dort.

— Oui, et il n’est pas prêt de se réveiller… ! Lui sourit-elle, l’air confiant.


Le visage du prêtre s’affaissa.


— Akira, enfin… !


Elle le dépassa sans plus l’écouter et se retourna vers le village, où plusieurs têtes s’étaient tournées vers elles.


— Mes amis, j’ai trouvé comment affronter le Nian et mettre fin à son règne terrible !


Tout le monde se regarda, gênée que les choses ne se passent pas comme prévu. Elle allait se mettre à délirer, comme toutes les autres femmes, et il faudrait lui arracher son bambin des mains… Un spectacle non souhaitable, d’autant plus que la mère sombrait souvent dans la folie après coup.


— Akira, sois raisonnable ! s’exclama un homme derrière elle, campé devant sa case.

— Ce n’est pas un mensonge ! J’ai prié toute l’après-midi, et la solution m’est venue en songe !

— Si la solution devait venir à quelqu’un, c’est au prêtre !

— Ne fais pas perdre de temps au prêtre, Akira, si ton enfant n’est pas là-bas à minuit… !

— Je refuse, répondit-elle.


Son ton calme et posé déstabilisait l’audience. On ne pouvait pas invoquer l’excuse de la folie et la forcer. Elle semblait sûre d’elle, il émanait de son regard de l’assurance et de l’espoir, malgré que tout le village la toise avec scepticisme. De plus, personne n’osait lui forcer la main, sachant qu’elle maniait le sabre et l’arc à la perfection. Plus d’un mort serait une perte inutile dans cette nuit d’hiver.


— Mais enfin, Akira ! tenta sa voisine. Que dirais ta grand-mère !

— Elle dit vrai ! s’éleva alors une voix au loin.


Akira se retourna de nouveau, et vit sa grand-mère, justement, marcher vers elle, avec sa silhouette de jeune femme, une canne aidant sa jambe endolorie. Leurs regards se croisèrent, Akira comprit alors qu’elles avaient eu le même songe. Meiko avait toujours été quelqu’un de strict, mais de la même façon que lorsqu’Akira avait dû choisir son homme, elle semblait accepter la forte volonté de sa petite fille et s’en remettre à son bon sens. Le prêtre, dépité et désespérée, balançait son regard entre la case et la jeune femme.


— Il nous faut du feu, beaucoup de feu, et du bruit ! déclara-t-elle à la cantonade.

— Comment le sais-tu ? interrogea le prêtre.

— Le Nian est un monstre des ténèbres, l’apôtre de la lune, l’ennemi du soleil ! C’est pourquoi il vient lorsque le temps se refroidit, lorsque la chaleur du Soleil n’atteint plus le Royaume de Wu !


Sa déclaration faisait place à un grand silence. Tout à coup, Akira s’était mis à parler avec l’assurance et le vocabulaire d’un prêtre, et elle sentait qu’elle avait instillé le doute dans leurs conscience. Elle, savait que son songe n’était pas qu’un songe.


— Ça fait sens… marmonna une femme, traduisant les pensées de la moitié du village.


Les habitants s’étaient désormais tous rassemblés autour de l’entrée de la case d’Akira. Sa grand-mère était à côté d’elle et la toisait avec un de ses rares sourires, confiant et fier.


— Ceux qui l’ont déjà vu me comprendront ! Ajouta-t-elle en jetant un coup d’oeil éloquent au prêtre.


Tout le monde se retourna vers lui avec une curiosité avide, se demandant comment il allait interpréter les paroles de l’espiègle jeune mère.


— Je… Certes… balbutia-t-il. Mais vous, vous ne l’avez pas vu ! D’une seule déflagration, c’est l’entièreté du royaume qu’il pourrait balayer !

— Oh, je ne parlais pas de vous ! rétorqua Akira. Vous n’avez jamais vu le Nian ! Par contre, vous ressentez sa noirceur s’emparer de votre âme, s’asseoir sur vous et vous coupez la respiration alors qu’il s’emploie à manger nos enfants… ! Mais moi, je l’ai vu en songe ! Et je peux vous dire, mes amis, ajouta-t-elle en se retournant vers les autres, que le Nian n’est pas un dragon !


L’audience eut le souffle coupé. Désormais, Akira défiait l’autorité et la crédibilité du prêtre lui-même. Ce n’était pas la première fois qu’une mère, dans une tentative désespérée, déstabilise le prêtre, s’attaque à sa légitimité. Mais encore une fois, son calme imposait le respect. Les rares femmes encore saines d’esprit et vivantes qui avaient vu leur petit dernier envolé, ou leur seul enfant quelques fois, la regardait avec un sourire admiratif et fier. C’est aussi pour elle qu’Akira se lever et se rebeller contre l’autorité religieuse, basée sur la peur alors que le combat était possible.


— C’est une sorte de grand oiseau noire aux longues plumes vibrantes, commença-t-elle à décrire. Il a quatre bras humains placés sur son tronc, et de son bec largement ouvert s’échappe une lumière rouge comme le sang et aveuglante, ainsi qu’une odeur rance de moisi. Je crois même y avoir aperçu des bras d’enfants sortir de sa gorge et balayer désespéramment l’air en quête de soutien.


Akira déglutit, encore gênée de se rappeler cette apparition qui l’avait littéralement terrorisée. Imaginer qu’elle allait affronter cette abomination dans les heures qui suivait rendait ses jambes flageolantes, mais elle regagnait confiance en pensant à la voix de son mari ; elle n’était pas seule… !


— Plus il y a de la peur, et plus nos cœurs sont remplis de ténèbres, plus il devient puissant.

— Qu’entends-tu par ténèbres ?

— Le fait d’accepter ces horreur noircit notre cœur ! répondit-elle. Nous devenons plus sombres de l’intérieur. En acceptant de sacrifier la nouvelle génération sur la base de la peur, nous le rendons plus fort, lui donnant plus d’importance ! Cette peur nous incite à nous taire, à rester silencieux, à fermer les yeux sur ce qu’il se passe, et cela lui donne un sentiment d’impunité ! Vos parents ne vous ont-ils donc jamais appris que contre quelqu’un qui vous embête, la solution la plus rapide pour en finir est d’en parler

autour de vous !


Silence éloquent dans la foule, qui ne trouvait plus à rien à redire dans son discours. Akira voyait clair au fur et à mesure qu’elle parlait. Les explications de son mari lui revenaient pas vagues et trouvaient racines dans leur réalité. c’est pour ça qu’elle était aussi confiante : les explications étaient logiques et déjà connus des habitants depuis longtemps. Cette fois-ci, il suffisait juste de les appliquer contre un ennemi plus grand !


— C’est pourquoi il faut du bruit, pour parer le silence ! Quant à la lumière… que faites-vous quand un animal sauvage s’approche trop proche du village ?

— On allume un feu… ! répondit une jeune fille d’une petite voix dans l’assemblée.

— Exactement, rebondit Akira avec un sourire. Quelque monstre qu’il soit, il n’en reste pas moins un animal, qui craint le feu ! De plus, cela illumine nos cœur et enlève les ténèbres qui les gangrènent.

— Donc tu es en train de nous dire, commença un homme, que pour arrêter le Nian, il faudrait… allumer beaucoup de torches, frapper dans nos mains, et ne pas avoir peur ?

Akira acquiesça avec un sourire, même si elle avait perçu le ton sceptique.

— C’est du délire… souffla une autre femme en hochant la tête, désespérée.

— On ne perd rien à essayer ! Le Nian ne vise que les enfants, il ne nous tuera pas. Mais je savais que certains d’entre vous seraient rebutés, et c’est pour cela que j’ai décidé d’aller quand même déposer mon enfant en haut de la colline… !


Plus de la moitié de l’assistance releva la tête en écarquillant les yeux de joie : Enfin, l’enfant aventureuse du village retrouvait ses esprits. Heureusement, étant donne que sa grand-mère, qui normalement la régulait, semblait avoir plongé dans le même délire… Une autre partie du village semblait choquée et surprise aussi.


— Mais enfin, Akira, s’exclama une femme dont l’enfant avait été enlevée il y de cela trois ans. Tu ne vas quand même pas donner ton enfant, alors que tu sais qu’il y a une chance, même infime…

— Non, Mari, répondit doucement l’intéressée. Contrairement à vous autres, j’ai la chance d’avoir eu la solution en songe, et je me battrai pour mon fils. Mais pour cela, je n’amènerai pas le Nian à nous en nous mettant tous en danger. J’irai sur son terrain.

— Et j’irai avec toi !

— Je souhaiterai venir aussi ! s’exclama une autre.

— J’accepte tous les volontaires ! cria Akira à la cantonade. Il nous faudra beaucoup de torches, du bois, et des assiettes de bronzes !


Une partie de l’assemblée alla immédiatement chercher de quoi faire. Sûrement en avait -il marre de vivre dans la peur, avec un sursis d’un an et un impôt à payer inhumain. Certains couples ou voisins se mettaient à discuter entre eux, en chuchotant ou à vives voix. D’autres encore, restait seul, le regard dans le vide tantôt dépassé, tantôt déterminé, à rester ou à partir. Akira se tourna vers sa grand-mère.


— Pourquoi as-tu décidé de me faire confiance ?

Meiko soupira en tapotant sa canne contre le sol, le regard perdu dans la foule.

— Eh bien, premièrement, tu ne m’aurais pas écouté ! ricana-t-elle en provoquant le rire d’Akira. Deuxièmement, tes décisions ne m’ont jamais déçues. Et troisièmement… je ne laisserai personne poser la main sur le fils de ma petite fille, pas même Dieu lui-même.


Elles se regardèrent d’un air déterminé. Elles n’avaient peut-être jamais pris les armes pour entrer dans l’armée de l’empereur, mais c’est du sang de guerrière qui coulaient dans leurs veines. Tout d’un coup, Akira se dit qu’elle devait tenir son côté hyperactif d’elle et de sa mère, et que c’est pour cette raison précise que Meiko était tellement sur son dos : elle savait parfaitement les bêtises qu’elle pouvait faire si elle la laissait en roue libre.

Quelques minutes plus tard, elle avait constitué un groupe d’une quarantaine de personnes, dont une quinzaine d’hommes, tous sans enfants, mais avec une femme.

D’autres hommes avec des enfants refusaient de laisser ces derniers derrière. D’autres, sans femme ni enfants, refusaient catégoriquement de prendre sous leurs bras un stocks de bouts de bois pour affronter une entité maléfique. Un vieil homme dans le groupe des partants se mit à les haranguer en piquant leurs fierté, mais Akira interrompit : Elle ne voulait pas que des hommes viennent parce qu’ils s’y sentaient obligés. Leur peur rendrait le Nian plus fort. Il fallait garder le groupe de départ, ceux qui avaient choisi d’eux même de l’affronter : les femmes qui avaient perdus leurs enfants, qui ne voulaient pas les perdre, ou ne voulaient pas voir leurs amies les perdre, mais aussi les hommes qui refusaient de voir leurs futurs enfants mangés.


********


— Et en parlant de ça, continua Ethan, c’est pour ça que la venue de votre petite sœur m’a tant perturbé… !

— C’est-à-dire ?

— Eh bien, j’ai eu une vision avant de lui ouvrir la porte, justement. La vision d’un vautour qui fonçait vers moi et l’entrée de l’Université. Il répondait parfaitement à la description que j’ai traduite dans le récit. Et puis… je sentais une présence bizarre en elle, maléfique.


Peter ne releva pas, mais se frotta le menton, pensif.


— Sûrement une hallucination… ? s’enquit-il.

— Oui, sûrement…


Ethan sentait que quelque chose lui taraudait l'esprit, mais il n’insista pas.


— Tout s’est passé comme prévu, du coup ? interrogea Peter. Le Nian a été effrayé par les flammes et a fui.

— Pas exactement, fit le professeur après avoir pris une gorgée d’eau. Ça aurait marché avec des animaux sauvages classiques, mais il s’agissait ici d’une abomination irréelle, d’un monstre qui avait à leurs yeux le même statut qu’un Dieu. Ils ont allongé le petit dans le temple, et planté une vingtaine de torche dans la neige tout autour avant d’attendre une poignée de minutes. Le prêtre leur avait donné quelques conseils en route, notamment sur les choses à ne pas faire pour éviter le blasphème lors de l’entrée dans le temple. Akira avait apporté une épée attachée à sa ceinture, malgré les protestations d’énormément d’hommes qui n’étaient pas venus.

— C’était une honte pour eux qu’une femme touche une arme ?

— Il la considérait comme un être trop pur pour faire des choses si basses et meurtrières. A mon avis, une histoire d’ego était aussi en jeu, mais le fait qu’elle ait insisté, et qu’elle ait reçu le soutien d’homme qui, eux, l’accompagnait, et déterminant, car cette arme servira grandement par la suite. Il faut savoir qu’à part les hommes, toutes les autres femmes n’avaient pour se défendre que des assiettes de bronze, destinés à faire du bruit.

Minuit était passé, il faisait de plus en plus froid, tout le monde avait de plus en plus sommeil, mais quelques vaillantes femmes étaient toujours solidement réveillée, prête à en découdre. Après tout, cette histoire les touchaient directement. Mais au final, même Akira s’est mise à s’endormir. Le point commun entre tous, c’est qu’au moment de s’assoupir, ils assurent tous avoir entendu une flûte au loin, dans la forêt.


— Une mélodie qui les poussait à s’endormir ?

— Exactement. Lorsque Akira est revenue à ses esprits, elle a hurlé, de surprise mais aussi de rage. La neige avait considérablement noirci, et une fumée obscure s’en échappait qui rendait lourd et nauséabond. C’est alors qu’ils ont entendu une voix. A la voix grave et aiguë, qui faisait vibrer leur êtres de peur et de dégoût. Une voix cruelle, qui leur as dit quelque chose sur un ton cruellement léger...


********


— … Bien joué.


Le vent se leva alors, puissant, glaciale, et éteignit toutes les torches ! Il y eu une explosion de cris surpris et apeurés alors que le monde tout entier semblait tomber dans un obscurité profonde et abyssale, aveuglante presque. Cela ne dura que quelques secondes. Lorsqu’ils rouvrirent les yeux, avec dans leurs mains les assiettes de bronze prévues pour faire le bruit, ils virent un oiseau d’un peu plus de trois mètres au milieu de leur groupe. Il sortait de son tronc quatre bras velus et musclé. Ses plumes longues et noirs semblaient voltiger, toutes soumises à des vents contraires alors que toute brise avait disparu et que le silence était revenu. Il avait un gros bec énorme, et des sortes de disques noirs et brillants à la place des yeux.


— Alors comme ça, vous avez décidé de m’affronter… !


Il n’avait pas ouvert la bouche, mais il n’y avait aucune confusion possible sur l’auteur de cette phrase. Akira serra les assiettes des bronze.


— Les filles, c’est parti !


Un concert assourdissant de tintement aiguë éclata en haut de la colline, s’ajoutant aux cris des femmes. Le Nian eut un petit cri grave et sembla se rapetisser au point de ne devenir qu’une masse informe et sombre. Ses ailes ou sa tête n’était plus visible, il n’était plus qu’un vortex qui essayait d’échapper aux ondes sonores, mais qui en était emprisonné. Il était là, immobile, à leur merci… ! Akira lâcha les assiettes sous le regard effaré des autres, sortit son épée de son fourreau et couru vers la bête pour la trancher en deux. Cependant, avant qu’elle ne touche la masse difforme qu’il était devenu l’épée s’arrêta comme en proie à une énergie contraire. Un cri gutturale s’échappa de la silhouette du Nian, suivie d’une bourrasque de vent tellement puissante que tout le monde fut propulsé plus loin.


— Vous n’avez plus peur de moi… ? s’enquit la voix mi grave mi aiguë, plus menaçante que jamais.


Il n’était plus là, la faible lueur de la clair de lune montrait une clairière vide autour d’eau. Mais tous pouvait sentir le Nian voler au niveau de la cime des arbres tout autour d’eux. Il revint à la charge, et tout le monde se remit à taper à nouveau. L’oiseau venait et s’en aller avec une puissance qui les faisait vaciller.


— Que quelqu’un rallume du feu !


Le Nian se mit alors un crier, d’un cri strident si puissant que tout le monde dut se boucher les oreilles. La plupart des villageois tombèrent à terre. Akira avait l’impression que son cerveau vibrait dans sa boîte crânienne. Le volatile se posa à terre et marcha lentement vers le temple en continuant de hurler. Il rapetissa jusqu’à faire environ un mètre et s’approcha lentement du lit sur lequel était couché l’enfant. Mais avec horreur, il se rendit compte que du bois brûlait tout autour de lui qui le protégeait.


Je ne pourrais pas le manger tant que le feu sera là... pensa-t-il, alors qu’il continuait de crier pour affaiblir les villageois. Il faut que j’attende.


Soudain, le vautour entendit un tintamarre aiguë éclater derrière lui, et rapetissa encore : Un vieil homme, celui qui avait harangué les guerriers à venir un peu plus tôt, était rentré et taper entre elles les assiettes de nouveau.


— Ça a du bon d’être à moitié sourd, on dirait… s’exclama-t-il.


Le cri de la bête s’arrêta et tous les villageois se concentrèrent de nouveau.


— Venez m’aider, cria le vieil homme.


Tandis que les femmes rentraient dans le temple pour emprisonner la bête entre les flammes et le bruit, les hommes rallumaient des torches. La crainte qu’ils avaient ressentis à un moment et qui avait rendu le Nian plus fort s’était transformer en sentiment de confiance et de supériorité : La bête était coincée ! Une fois les torches, faites, ils entrèrent dans le temple et s’approchèrent petit à petit du volatile qui se déformait de nouveau, comme en proie à une mutation. Il devenait de plus en plus petit.

C’est alors qu’Akira rentra, l’épée à la main. Le Nian semblait crier, mais il était trop petit maintenant, et sa voix ne lui parvenait plus. Entourés de ses amis et compagnons de combat, elle se sentait à même de pouvoir définitivement enterrer cette histoire macabre qui avait duré plus de dix ans. Elle planta son épée dans l’espace de masse informe et noir qu’était devenu le vautour, et dans un gros boucan qui dut se répercuter dans toute la colline, le Nian disparu.


********


— Le problème, c’est qu’énormément de récits venant de cette zone du monde, ou d’ailleurs, parle d’un vautour qui vient manger les enfants, grands ou petits. Aujourd’hui, le vautour est un animal détesté, connu tourner autour des cadavres qui a donc une connotation négative aux yeux de la population. Le fait que ce soit un vautour fait donc plus sens à mes yeux qu’un dragon, créature imaginaire au possible.

— Mais, vous ne croyez quand même pas à cette histoire, n’est-ce-pas ? s’enquit Peter, perplexe.


Ethan pensa alors à sa vision d’il y a une semaine, lorsque Lucy était venue lui demander qu’elle était la véritable histoire derrière la légende du Nouvel an Chinois.


— Non, bien sûr, mentit-il doucement en finissant son verre d’eau.


Sa réponse laissa place à un malaise palpable. Peter semblait ailleurs depuis un moment maintenant, comme si cette histoire le ramenait à une autre histoire, plus

personnelle.


— Je peux aller aux toilettes ?

— Oui bien sûr, c’est au bout du couloir, tout droit.

— Merci


Le professeur s’assura prestement la bouche, et se leva en rentrant son ventre : trop de riz avait rendu sa ceinture plus serrée qu’a l’accoutumée. En s’engageant dans le couloir, il passa devant une porte entrouverte et faiblement éclairée où il crut voir une chevelure rousse. Il revint sur ses pas et, frappé d’horreur, resta immobile devant le spectacle qui lui était donné de voir.

Une jeune fille, Lucy, en l’occurrence, flottait à l’horizontale au dessus de son lit. Ses cheveux bougeaient autour de sa tête comme un soleil rouge, et l’ombre de la lampe posé sur son bureau projetait sur le mur d’en face une grande ombre. L’ombre d’un oiseau au long bec et aux ailes gigantesques, avec quatre bras à son tronc, les plumes de son corps semblant soumises à des vents contraires… !


Il faut que je m’en aille d’ici… pensa immédiatement le professeur.



[1] Diggory Kirke est un professeur qui a accueilli les enfants Pevensie pendant la deuxième guerre mondiale. C'est dans une de ses armoires, pendant une après-midi ennuyante que Peter, Susan, Edmund et Lucy ont découvert pour la première fois le pays de Narnia.

[2] Je ne détaillerai pas trop le conte ici. Ce n'est pas le cœur du défi, et il faudrait être un die hard fan de Narnia pour comprendre qu'en fait, Akira à rêvée qu'elle était à Narnia justement, et que les gens de là-bas avaient décidés de la contacter à travers son sommeil pour lui venir en aide. Malgré ces détails omis, ça n'a aucun impact avec la lecture par la suite.










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