La défaite des Valar

Chapitre 2

2102 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/11/2020 15:46

Ses pieds la faisaient souffrir. La marche dura bien des minutes. De longues minutes. De trop longues minutes. Exténuée, Léhonora trébucha à de nombreuses reprises. Ses jambes étaient lourdes et les soulever relevait du miracle. Malgré le climat étouffant du Mordor, elle avait une terrible sensation de froid. Céder. Elle aimerait céder et ne pas se redresser. Son regard fixait le sol comme pour échapper à l’environnement hostile qui serait probablement sa demeure pendant un moment. Le vent chaud balaya des mèches de cheveux encrassés de son visage poussiéreux. Elle sentait le sang séché sur ses lèvres. Elle avait l’odeur de ce liquide dans sa gorge.

Léhonora toussa avant qu’un filet rougeâtre coulât de son nez. Ses mains tremblaient en essayant vainement se cesser cet écoulement. Elle baissa la tête pour faciliter le saignement et pour lui éviter la vision de cette terre stérile et putride. Ses murmures s’élevaient à ses côtés. Des souffles, des moqueries et un plaisir indescriptible envahissaient l’atmosphère. Tous l’observaient avec la sensation d’achever une humiliation cuisante. Une héritière royale en échec, voilà ce qu’était Léhonora au milieu de cette horde d’ennemis. Courber l’échine et se soumettre. La jeune femme ne voyait aucune issue. Sa force fuyait. Son courage s’évaporait. Elle était terrorisée par l’avenir devant elle. Un destin aussi sombre qu’une nuit sans étoile.

Les étoiles. Elles n’étaient pas visibles sur le territoire du Mordor. Les nuages du volcan les dissimulaient à ceux qui recherchaient de l’espoir. La Lumière d’Eärendil, l’étoile bien-aimée des Elfes, ne guidait pas les pas de Léhonora. Elle avançait à l’aveugle sans soutien. En silence, elle pria les Valar de leur venir en aide. Elle les supplia d’agir pour le bien de la Terre du Milieu et de l’ensemble des peuples. Peu importait les conséquences. Peu importait les séquelles si cela permettait d’éliminer Sauron définitivement, car l’intervention des Valar n’était jamais sans impact. L’histoire se souvenait de la destruction du Beleriand lors de la Guerre de la Grande Colère, ou bien de l’anéantissement de Númenor.

Discrètement, Léhonora leva les yeux vers le ciel. Selon elle, il était impossible qu’ils les abandonnassent. Ils n’avaient aucun droit de les abandonner. Elle avait confiance en eux.

Après une longue marche, la troupe arriva aux portes de la Tour Sombre. Elle se dressait fière et imposante. Un marbre noir et gris recouvrait le sol de la salle du trône. Des piliers de fer et de roches soutenaient la structure. Des sculptures représentaient le conflit avec les Valar et honoraient Morgoth le Noir Vala. Le trône, à l’inverse du reste, était la finesse incarnée en toute simplicité. Les tons allaient du blanc au gris clair et cela tranchait avec la noirceur des lieux.

Léhonora ne prit pas le temps d’observer les lieux. Trois Númenóréens Noirs la pressèrent sur la gauche afin d’emprunter un escalier. De là, ils montèrent, encore et encore jusqu’à s’arrêter à un étage et à une porte déjà ouverte. Léhonora ne bougea pas et elle refusa de pénétrer dans cette pièce.

— Avance, fit l’un d’eux en la poussant en avant.

Prise de rage, Léhonora se retourna et le frappa en plein visage. Elle ignorait ce qui l’avait fait réagir. L’ordre ? Être touchée ? La haine et le besoin de se protéger avaient été plus forts que son angoisse. À l’écart de l’armée, des sbires de Sauron et seule face à trois hommes qu’elle pouvait duper, Léhonora avait répliqué. Elle tenta alors une fuite avant d’être attrapée et plaquée contre le mur. Son adversaire maintenait le bras de Léhonora dans son dos. Il le tordit jusqu’à entendre un hurlement de douleur.

— Vous imaginiez vraiment pouvoir nous quitter ?

— Eh, fais gaffe ! Il a dit que personne ne devait porter la main sur elle. Je ne tenterai pas d’attirer sa colère, conseilla l’un des compagnons d’armes.

Il grogna de mécontentement. Il appréciait le doux son de ces cris. C’était jouissif.

— Vous avez de la chance, murmura-t-il au creux de son oreille.

Son emprise se desserra et il jeta Léhonora dans la chambre tel un vulgaire chiffon. Elle chuta. Épuisée par le combat et la marche, la jeune femme peina à se relever pour faire face aux hommes. Ils s’esclaffaient du spectacle.

— Et en vous un bon séjour, rirent-ils en claquant la porte.

Porte désormais verrouillée, Léhonora était piégée. Elle pourrait crier et taper contre la porte, mais ses forces l’avaient abandonnée et personne ne viendrait à son secours. Vidée, Léhonora resta au sol avec son bras meurtri contre son corps. Ses yeux gris basculèrent vers le plafond. Un souffle chaud pénétra dans la chambre par la porte-fenêtre entrouverte. Elle n’avait même plus l’énergie pour pleurer. Elle demeura là à terre, immobile, avant de sombrer dans un sommeil agité.

Elle se réveilla plusieurs heures plus tard dans la même position et au même endroit. Le retour à la réalité la frappa et de nouvelles larmes coulèrent sur ses joues. Bien que son repos n’eût pas été réparateur, il lui donnait à nouveau la force de pleurer. Après un énième reniflement, Léhonora se redressa et se leva, vacillante. Elle s’approcha lentement de l’unique meuble de la pièce sur lequel était posée une bassine d’eau. Malgré la froideur de l’eau, elle se rinça le visage.

Un bleu apparaissait là où sa lèvre s’était coupée. Quelques égratignures se trouvaient ci-et-là, éparpillées sur le corps de la jeune femme. Un hématome prouvait la force exercée par le Númenóréen Noir sur son bras. Douloureux, Léhonora avait des difficultés à le déplier et à utiliser pleinement sa main. Le moindre mouvement lui arrachait un gémissement de souffrance. Aucune serviette n’était à sa disposition pour s’essuyer, ou même pour s’en servir comme écharpe pour son bras. Elle utilisa donc sa cape pour se sécher.

Léhonora s’apprêtait à détacher ses cheveux emmêlés quand deux individus armés ouvrirent la porte de la chambre.

— Notre Seigneur souhaite votre présence, annoncèrent-ils sans ménagement.

— Et si je refuse ?

L’héritière s’était tournée vers eux. Elle leur faisait face. Jamais elle n’avait eu peur de ces traîtres et cela ne changerait pas aujourd’hui. Elle et les siens avaient perdu une bataille, mais pas la guerre. Le combat continuait, il devait continuer. Léhonora ne broncha pas à l’approche d’un des hommes.

— Ce n’est pas une requête.

Ils la menèrent dans la salle du trône sans résistance, car elle savait que le face-à-face viendrait tôt ou tard.

L’atmosphère était pesante et froide. Les Seigneurs d’Harad se tenaient là, ainsi que les Capitaines des Númenóréens Noirs et tous les chefs alliés de Sauron. Devant eux, les Seigneurs des Peuples Libres de la Terre du Milieu, enchaînés comme de vulgaires animaux. Assis sur le trône, Sauron admirait la scène face à lui. Il se délectait de sa victoire et de la chute de ses ennemis. Son regard balayait l’assemblée. Sa carrure imposante exigeait l’obéissance. En revanche, aucune émotion ne s’échappait de lui. Il avait abandonné la froideur et la cruauté. Impassible, personne ne savait sur quel pied danser. Il faisait preuve d’un grand sang-froid et d’une belle maîtrise de lui. Léhonora en était étonnée, bien que cela la terrorisait davantage.

— Mes armées s’avancent sur les terres du Gondor à l’heure où nous parlons, déclara Sauron.

Personne ne pouvait stopper les armées du Mordor. Les Hommes avaient subi de lourdes pertes avant même de venir sur les plaines de Morannon. Ceux qui étaient restés pour défendre les cités ne tiendraient guère longtemps et les Seigneurs demeurés sur leurs terres seraient amenés devant le Seigneur du Mordor. Quant aux Dúnedain, il les traquerait un par un afin d’éviter qu’ils parvinssent à faire renaître le courage chez les Hommes, afin d’éviter qu’un Capitaine eût la force et la volonté de tous les mener de nouveau au combat. Ils étaient ses pires ennemis et il les éliminerait tous.

Léhonora ferma les yeux en entendant ces paroles. Les siens seraient exterminés jusqu’au dernier et aucun endroit n’était sûr désormais. La magie des Elfes de Lórien et d’Imladris s’estomperait lentement face à la noire puissance du Seigneur des Ténèbres. Elle savait qu’ils accueilleraient les réfugiés, mais combien de temps tiendraient-ils ?

— J’offre une porte de sortie pour tous les Seigneurs. Soumettez-vous et vos terres seront épargnés, votre peuple aura la vie sauve.

— Aucun fils de Gondor ne se soumettra, déclara Aragorn et Eomer le suivi dans son discours.

La guerre était loin d’être achevée. Sauron avait su dès le début qu’il faudrait plus que cette victoire pour les faire plier. Ce n’était qu’une question de temps et il était patient. Il joua un instant avec son anneau à son doigt. Il le fit tourner plusieurs fois. Les écritures flamboyaient et surpassaient l’éclat des étoiles. Au bout de quelques minutes d’un silence interminable, Sauron se leva, descendit de son trône et s’avança vers Léhonora. Elle chercha son père du regard pour trouver du soutien ; or Sauron se positionna entre elle et lui.

Que pensait-il ? Que voulait-il ? Insondable, Léhonora ignorait comment réagir. Elle le craignait, mais elle refusait de le montrer. Elle ne le défia pas pour autant. Ses yeux le fuyaient tandis que ceux du Seigneur des Ténèbres désiraient capter ceux de la jeune femme. Il était le prédateur et il s’amusait avec sa proie. Souhaitait-il qu’elle se soumît ?

La main de Sauron saisit le menton de sa captive. Derrière lui, Aragorn tenta une manœuvre avant d’être frappé et maintenu au sol. Il se débattait vainement. Une lueur de rage traversa son regard.

— Que les Valar m’en soient témoins, je vous tuerai si vous lui faites le moindre mal.

Paroles futiles. Sauron ne lui prêta aucune attention.

— Ramenez-les dans les cachots. J’ai besoin de silence, ordonna-t-il.

Était-ce tout ? Ils les avaient fait venir pour ensuite repartir aussitôt ? Sauron était le maître du jeu. Eux, ils n’étaient que des pions sur l’échiquier et il le faisait savoir. Ses prisonniers étaient des marionnettes à son service. Il les articulerait à sa façon. Il romprait la corde selon ses désirs ou les désarticulerait pour son plaisir.

Après une certaine résistance de la part des prisonniers, Sauron et Léhonora se retrouvèrent seuls dans la salle du trône. Toujours sous son emprise, il força le contact visuel. Ce bout de femme lui rappelait une reine. Une reine de toute beauté, généreuse et dont le destin fut tragique. Léhonora avait cette peur mêlée à la fougue et la passion. La détermination mélangée à la soumission. Une reine brisée par son époque. Brisée par la vie. Elle aurait pu être tellement plus. Elle aurait pu s’élever au-dessus des siens. Sa vie s’était arrêtée en même temps que Númenor. Elle avait péri avec son peuple et son royaume. Tar-Míriel. Sauron avait été ébloui par cette femme qu’il n’avait pas eu le temps d’acquérir.

— Que voulez-vous de moi ? tenta Léhonora.

Seul le silence répondit à sa question.


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