Shadow Of Mordor

Chapitre 3 : Un bref répit.

8330 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 19/10/2025 20:09

Chapitre 3 : Un bref répit.



Je franchis enfin les grandes arches de pierre, là où commence le dernier bastion des Hommes dans Minas Ithil. Le château, cœur de la cité haute, se dresse fièrement au sommet de la colline, encerclé de hauts remparts hérissés de fer et de feu. Au loin, les bannières Gondoriennes claquent encore au vent, brûlées, arrachées, mais toujours debout. Sur chaque mur, des archers épuisés tiennent leur poste, les yeux cernés par la peur et le manque de sommeil. Les balistes grincent doucement, armées mais immobiles, comme des bêtes trop fatiguées pour rugir. Les hommes vont et viennent, en silence, évitant mon regard. Certains s’arrêtent. Me reconnaissent. Mais aucun ne parle… Je passe les portes du bastion intérieur. Des gardes en armure se raidissent à mon approche. Mais aucun ne me barre la route. 

  • « Tu sens ça ? » La voix de Celebrimbor gronde à l’arrière de mon esprit, froide et toujours présente. « L’odeur du désespoir… Voilà ce que donne ta précieuse humanité. »

Je l’ignore. Je suis venu ici pour parler à Castamir, pas pour me perdre encore dans une joute avec un spectre… Un soldat me désigne une volée de marches menant à la salle où se trouve le commandement. Je grimpe en silence. Les marches résonnent sous mes bottes, chaque pas me rappelant que ce château n’est pas un refuge… c’est un cercueil en sursis…

Une lourde porte battante de bois et de fer, tirée à deux mains par un jeune soldat à l'épaule bandée. J’entre et le silence se fait. La grande salle, autrefois réservée aux banquets ou aux conseils de guerre, a été transformée en refuge de fortune. Partout, des corps allongés, blessés, enveloppés dans des couvertures trop fines pour le froid Mordorien. Des soldats s’affairent à porter de l’eau, à serrer des bandages, à murmurer des mots de réconfort, parfois des prières à une lumière que tous sentent s’éteindre. Des enfants dorment contre leurs mères. D'autres, les yeux écarquillés, me regardent. Et bientôt… ils me regardent tous. Leurs têtes se tournent. Un murmure court dans la salle, comme une onde.

  • C’est lui… 
  • Le rôdeur…
  • L’Immortel…
  • Celui qui ne meurt pas… 

Je reste figé quelques secondes puis j’avance d'un pas assuré tandis que les chuchotements deviennent plus forts. De l’admiration. De la peur. De l’espoir…. Certains s’écartent avec respect, comme si je traînais une aura invisible. D’autres m’approchent, posant des mains tremblantes sur mes bras, mes épaules, mon plastron couvert de suie et de sang séché.

  • Vous allez nous sauver… pas vrai ? 
  • Vous… vous pouvez les repousser…?
  • Idril a dit que vous étiez un don des Valar… 
  • Vous avez tué cent orcs seuls…!

Je reste silencieux face à toutes ses questions… Je n'ai pas tué que cent orcs… Mais bien plus même si ça reste une goutte d’eau dans un océan de noirceurs. Je ne les corrige pas car dans leurs yeux… j’ai déjà gagné la guerre. Et je suis bien placé pour savoir que la foi des Hommes est parfois plus précieuse qu’une épée. Mais je ne suis pas un héros. Je suis un homme hanté. Un cadavre debout… Et tous ces regards brûlent plus fort que les flammes du Mordor. Puis, je les vois, Idril et Baranor. Debout, non loin du trône vide, penchés sur une carte couverte de notes et de sang séché. Leur tension est palpable. Baranor lève les yeux le premier et son regard croise le mien. Méfiant, il me jauge… Idril suit son regard. Elle se retourne… et un sourire discret naît au coin de ses lèvres. Elle vient à ma rencontre tandis que Baranor reste en arrière et ne dit rien. Il me fixe comme on fixe un arc bandé : utile, mais dangereux. Je m’arrête à quelques pas d’eux et personne ne parle encore. Le murmure dans la salle se calme. Tous retiennent leur souffle. Je brise alors le silence :

  • Je suis venu voir Castamir.
  • Talion…! Idril me rejoint à pas vifs, balayant d’une main les pans de sa cape en lambeaux.

Son visage est marqué par la fatigue, par les cernes, par le sang sec sur la tempe… mais elle me sourit. Sincèrement.

  • Vous êtes revenu… dit-elle dans un souffle presque surpris. Puis, sans attendre, elle ajoute : Mon père vous attendait justement. Venez.

Sans plus de cérémonie, elle me prend la main. Sa poigne est ferme. Guerrière. Mais il y a dans son geste une forme de chaleur humaine à laquelle je ne suis plus habitué mais je la laisse me guider. Derrière nous, j’entends les bottes de Baranor qui nous suit sans un mot. Toujours aussi droit, toujours aussi méfiant. Il ne me fait pas confiance. Pas encore. Nous traversons les couloirs du château et je constate que la pierre est ancienne, gravée de motifs elfiques par endroits, vestiges d’un âge plus noble, aujourd’hui étouffé sous la crasse, la suie, et le sang. Des soldats y circulent à pas lourds, échangeant des rapports ou portant des brancards vers les étages inférieurs. Certains me reconnaissent. Le murmure revient, plus discret cette fois…. Mais même dans leurs regards éteints, je vois la lueur d’une possible victoire. Ils veulent croire… Alors je les laisse faire. Les murs suintent l’humidité et des torches vacillent. Un tambour de guerre lointain résonne quelque part, rappel constant que la paix ici n’est qu’un leurre temporaire… Nous arrivons enfin devant deux grandes portes de bois massif, gardées par deux soldats en armure d'argent, les épaules marquées par les éclats d’anciennes batailles. Ils s’écartent à la vue d’Idril, puis s’inclinent sans mot dire quand leurs yeux croisent les miens. Elle pousse la porte et à l’intérieur, une salle plus étroite, mais tout aussi imposante. Des cartes sont étalées sur de longues tables, clouées par des dagues ou des poids de fer. Des hommes en armure, couverts de cicatrices et de fatigue, commandants du Gondor, se penchent sur les plans, discutent à voix basse. Et au centre, se dresse Castamir. Le Général de Minas Ithil et aussi le père d’Idril.

Il est grand, drapé d’un manteau de velours bleu nuit, marqué du symbole du Gondor. Ses cheveux sont gris, tirés en arrière avec une rigueur militaire. Son regard est perçant, vif, et intelligent. Pas celui d’un rêveur ou d’un roi… mais d’un homme qui a enduré la guerre toute sa vie. Un commandant. Un survivant…

  • Alors c’est vous, dit-il en me fixant, les bras croisés. Le rôdeur… l’Immortel comme on vous appelle.

Sa voix n’a ni moquerie, ni révérence. Juste de la curiosité. Une froide curiosité stratégique. Je m’avance d’un pas.

  • Oui. Je suis Talion, rôdeur de la Porte Noire. 

Il hoche la tête lentement, puis fait signe aux autres officiers de quitter la pièce. Idril reste. Baranor aussi et je ne perds pas de temps.

  • Je suis ici pour le Palantír. 

Un silence tombe. Même Idril cesse de bouger. Baranor me regarde du coin de l’œil… Castamir, lui, ne bronche pas mais semble surpris. 

  • Vous allez devoir être bien plus précis que ça, Talion de la Porte Noire…
  • Le Palantír doit être mis en sécurité, dis-je. Il ne doit pas tomber entre les mains de Sauron. Si l’Ennemi s’en empare… la guerre sera perdue avant même d’avoir commencé.

Castamir ne semble ni surpris, ni impressionné. Il se lève lentement de derrière la grande table de stratégie, ses doigts gantés s’attardant brièvement sur une figurine noire marquant une armée en approche. Puis, il avance vers moi, le regard sévère.

  • Le Palantír est en sécurité, rôdeur. Plus qu’il ne l’a jamais été. Il s’arrête à quelques pas de moi.

Ses yeux s’attardent sur mon armure noircie, sur mes plaies cicatrisées, sur les reflets spectraux qui ondulent parfois autour de moi, imperceptibles à ceux qui ne savent pas les voir.

  • Mais cela n’explique pas pourquoi vos blessures se referment d’elles-mêmes… Il incline légèrement la tête. Ni pourquoi vous maniez des pouvoirs… elfiques. Alors que manifestement, vous n’en êtes pas un. 

Il plisse les yeux, se penchant comme s’il cherchait une vérité entre mes sourcils froncés et mes lèvres scellées.

  • Qui êtes-vous… vraiment ? 

Le silence se pose un instant. Puis, doucement, Idril s’avance, la voix pleine d’un espoir presque enfantin.

  • Un envoyé des Valar… ? souffle-t-elle.

Je baisse les yeux non pas par honte. Mais parce que je sais ce qu’elle espère… et que je ne suis pas ça…

  • Dites-nous en plus, Talion, ajoute Baranor.

Pas un ordre, pas une accusation. Juste… une attente. Je garde le silence une seconde de plus… Puis je parle : 

  • Je suis mort. Les mots résonnent dans la salle. Durs. Sans détour… Je suis tombé à la Porte Noire. Moi, ma femme… mon fils. Tous massacrés. Par les sbires de Sauron. 

Idril, choqué, pose une main devant sa bouche et baisse les yeux tandis que Baranor reste figé.

  • J’ai été exécuté. Sacrifié. Mais au lieu de sombrer dans les ombres… quelque chose m’a ramené… 

Je serre les poings… Je sens sa présence. Celebrimbor, silencieux, dans un coin de mon esprit, comme une flamme froide.

  • Un esprit m’a lié à lui. Un Elfe… un ancien seigneur de lumière. Celebrimbor. Baranor fronce les sourcils abasourdi : 
  • Le Celebrimbor ? Le forgeron des Anneaux ?
  • Oui, il cherche sa propre vengeance. Contre Sauron. Contre l’histoire. Et moi… je suis son hôte ou son arme… Je relève les yeux. Ma voix se fait plus grave. Je ne suis pas un héros. Je ne suis pas un envoyé des dieux. Je suis un mort… debout. Un homme traqué par l’ombre, et tenu en vie par la haine. 

Le silence s’épaissit dans la pièce. Personne ne parle. Même les murs semblent retenir leur souffle. Puis Castamir souffle, lentement.

  • Vous êtes une abomination… dit-il des mots dur à entendre. Mais votre aide est la bienvenue…

Idril, elle, garde ce regard brillant. Pas de peur. Pas de jugement. De la foi. Baranor croise les bras, encore méfiant.

  • Et qu’est-ce que cet… Elfe, Celebrimbor, veut faire du Palantír ? M’interroge le commandant Baranor. 
  • Celebrimbor ne veut qu’une chose : empêcher Sauron de récupérer le Palantír. Je réponds d’un ton ferme, sans détour. Pas besoin d’entrer dans les détails. Pas maintenant. Pas ici. Si l’œil de l’Ennemi met la main dessus, Minas Ithil tombera. Et ensuite… Tout sera cendre, les mets en garde. 

Je vois le doute dans leurs yeux. Surtout dans ceux de Baranor. Je décide de ne pas insister. Je passe à ce qui compte vraiment.

  • Mais pour l’instant, j’ai une autre priorité. 

Je fais un pas vers la carte au centre de la pièce, où des pions noirs marquent l’avancée de l’armée d’Ushak. J’en désigne plusieurs du doigt.

  • Trois chefs de guerre Uruks. Tous sous les ordres du chef suprême qui dirige l’assaut contre la ville basse. Éliminez-les, et l’armée perdra sa cohésion. L’Ennemi se bat comme une meute : coupez les têtes, et les bêtes se déchirent entre elles. 

Castamir penche la tête, intrigué malgré lui.

  • Comment comptez-vous les trouver ? M’interroge le Général de guerre. 

Je le fixe droit dans les yeux, expliquant mes plans un peu bancale : 

  • Je les fais traquer par deux Uruks… infiltrés dans leur propre camp.

Un silence lourd tombe dans la pièce. Baranor fronce immédiatement les sourcils.

  • Des orcs ? Vous comptez sur la parole de créatures qui trahiraient leur mère pour une hache plus tranchante ?

Idril paraît tout aussi sceptique, bien que plus mesurée.

  • Même si vous les avez "recrutés", rien ne garantit leur loyauté, dit-elle. 
  • Ils sont liés à moi. L’un par l’anneau… l’autre par la peur. Et le besoin de survivre. J’ai rendez-vous avec eux demain soir. S’ils réussissent, je connaîtrai l’emplacement exact des capitaines… leurs faiblesses, leur stratégie, peut-être même celle du chef de guerre.
  • C’est risqué, doute Baranor qui croise les bras. 
  • Ça l’est, confirme-je. Mais nous n’avons rien d’autre. Vous êtes enfermés ici. Coincés derrière vos murailles. La ville basse est perdue. Vous n’avez plus que deux choix : tenir… ou tenter quelque chose. Moi, je vais frapper.  Je les regarde tous les trois, un à un. Je n’ai pas besoin de votre approbation. Je vous informe. Demain soir, j’aurai des réponses. Et je me chargerai moi-même d’éliminer les trois chefs de guerre. 

Idril s’avance, visiblement ému. Sa voix est douce, mais ferme.

  • Vous ne devriez pas le faire seul. Je peux venir avec vous. Je sais me battre. Baranor approuve d’un grognement.
  • Moi aussi. On connaît la ville. Et on peut couvrir vos arrières. 
  • Non, refuse-je connaissant le danger. Les deux restent figés. Votre place est ici. À défendre ce château. Les murs tiennent à peine. Si l'ennemi frappe avant que je revienne, vous serez leur dernier rempart. Moi, je peux me glisser dans leurs rangs. Frapper là où ils ne m’attendent pas. Mais si vous tombez… alors Minas Ithil tombera. 

Un silence, lourd de sens. Puis Idril acquiesce à contrecœur. Baranor aussi, bien que je vois qu’il enrage de rester en arrière.

  • Soit, dit enfin Castamir. Vous aurez jusqu’au lever du second soleil après demain. Ensuite, nous agirons, avec ou sans vos informations. 
  • C’est tout ce que je demande.

La conversation se termine sur un silence pesant. Pas d’accord formel, pas de serment. Juste… un constat. Et une horloge invisible qui commence déjà à battre dans mon crâne. Alors que je me tourne vers la sortie, Idril s’approche de moi et pince légèrement le nez avec un petit sourire.

  • Vous devriez venir dans mes quartiers, rôdeur. Vous reposer un peu. Vous changer aussi. Avec tout le respect que je vous dois… vous sentez aussi mauvais qu’un Uruk. 

Je grimace malgré moi. Elle n’a pas tort. L’odeur de fumée, de sang séché, de terre et de mort colle à ma peau comme un manteau maudit.

  • J’imagine que je me suis… fondu dans le paysage, dis-je avec un demi-sourire.

Elle m’adresse un regard complice et me fait signe de la suivre. Je la suis donc, sans un mot, laissant derrière moi la salle de guerre et les regards encore braqués sur moi. Mais surtout un. Baranor, qui me fixe en silence, les mâchoires serrées.

Les couloirs du château sont plus calmes dans cette aile. Plus… vivants, en vérité. On entend les murmures de femmes réfugiées, les pleurs d’un enfant quelque part, le cliquetis d’une lame qu’on aiguise lentement. La guerre est toujours là, mais elle semble retenue derrière les murs. Pour quelques heures au moins. Idril marche devant moi d’un pas souple, droit, même dans la fatigue. Puis, sans se retourner, elle parle.

  • Merci… pour ce que vous faites. Même si je ne vous connais pas vraiment… j’ai vu ce que vous êtes capable de faire. Vous vous battez pour nous. Et c’est plus que ce que beaucoup feraient. 

Je reste silencieux car je n’ai pas besoin de reconnaissance. Je n’en veux pas… Mais elle continue, plus doucement.

  • Je suis désolée pour votre famille. Pour ce que vous avez perdu… Je n’imagine même pas ce que ça doit être… de survivre à ça…

Je ferme les yeux une seconde. Les images reviennent. Ma femme. Mon fils. Leurs cris. La dague. Le sang… Je les ai perdus… puis j’ai été condamné à ne jamais les rejoindre. Je ne réponds pas. Je ne peux pas… Je me contente de hocher la tête… presque imperceptiblement.

Nous arrivons devant une porte en bois clair, renforcée de fer.

  • Voici ma chambre, dit-elle simplement, avant d’ouvrir.

L’intérieur est modeste, mais propre. Soigneusement rangé. Un lit étroit, mais impeccablement fait, orné d’un drap bleu brodé d’un motif en forme de fleur de lune. Une petite table, une étagère de livres, quelques cartes de la ville soigneusement empilées, et une fenêtre barrée donnant sur la cour intérieure. Malgré la sobriété militaire, il y a ici des touches féminines :

Une broche elfique posée sur la commode. Un vase contenant trois fleurs encore fraîches. Une étoffe blanche repliée soigneusement sur le bord du lit.

  • Asseyez-vous. Ou allongez-vous. Vous en avez besoin, dit-elle en me jetant un regard en coin. Je vais chercher de l’eau chaude. Pour que vous puissiez au moins vous rincer le visage. Et les bras. Et peut-être brûler vos vêtements, dit-elle avec un petit rire discret.

Elle sort, refermant doucement la porte derrière elle et le silence tombe. Je respire enfin. L’odeur ici est différente. Du bois sec. De la lavande. Et de la paix. Une paix que je ne mérite pas. Je laisse mon regard errer autour de la pièce. Puis, instinctivement, je m’approche du miroir accroché à côté de l’étagère. Cela fait longtemps que je ne me suis pas vu… Mes cheveux noirs, emmêlés, tombent en mèches épaisses sur mon front. Mon visage, durci par les batailles, porte encore les traces de coupures récentes, déjà refermées. Mes yeux, d’un bleu perçant… ne sont plus les miens.

Je les fixe. Et je ne me reconnais pas. Et derrière moi… Je le vois… Celebrimbor. Ou plutôt son reflet… Spectral. Droit comme un roi maudit. Son regard elfique posé sur moi avec cette distance… et ce jugement froid que je connais trop bien. Je ne me retourne pas. Je murmure :

  • Je ne sais plus qui je suis vraiment…

Je m’écarte lentement du miroir, laissant derrière moi le spectre qui m’observe. Celebrimbor ne dit rien… mais je sens son regard me suivre, comme une lame froide le long de l’échine. Je laisse échapper un soupir, fatigué de porter cette carcasse faite de cuir déchiré, d’acier cabossé et de sang séché. Alors, sans réfléchir, je commence à retirer mes vêtements. La tunique tombe au sol, lourdement, imbibée de suie et d’humidité. Les sangles de cuir suivent, puis les protections brisées. Mon corps est couvert de cicatrices, anciennes, profondes, mais aucune blessure récente. L’anneau veille. Chaque muscle tendu, sculpté par la guerre. Une statue vivante forgée dans la douleur. Je suis en train de dénouer les derniers liens de ma manche lorsqu’un bruit me fait me retourner. La porte s’ouvre doucement et Idril revient. Elle entre, les bras chargés : un grand vase en cuivre, encore fumant, un pain de savon, un linge blanc propre. Mais dès que ses yeux se posent sur moi, elle s’immobilise net. Ses joues prennent instantanément une teinte rosée, presque rouge, et elle détourne les yeux avec une précipitation maladroite.

  • Oh… ! Je ne savais pas que vous… enfin… 

Je reste immobile, surpris un instant, puis je détourne les yeux à mon tour, par pudeur. Mais elle esquisse, malgré tout, un petit sourire, gêné, sincère.

  • Eh bien… au moins on comprend mieux pourquoi les Uruks ont du mal à vous abattre. Vous êtes taillé comme un troll…

Je laisse échapper un souffle amusé, rare, presque léger. Elle avance rapidement, évitant soigneusement de croiser mon regard à nouveau, et dépose le vase sur la table.

  • Voilà de l’eau chaude, du savon… et un linge. Vous devriez pouvoir… retrouver figure humaine. 

Elle se détourne déjà, mais ajoute en posant la main sur la porte :

  • Un soldat va vous apporter une armure gondorienne à votre taille. Propre. Renforcée. Vous en aurez besoin demain.
  •  Merci, dis-je avec le sourire.

Elle acquiesce, presque timidement cette fois. Puis, avant de sortir :

  • Je… je repasserai plus tard. Quand vous serez… présentable.

La porte se referme derrière elle et le silence revient. Mais il est plus doux. Presque… normal. Je m’approche du vase, laissant la vapeur réchauffer mes mains, puis mon visage. Pour un instant… un court instant… je redeviens juste un homme. Fatigué. Brisé. Mais vivant.



L’eau chaude glisse sur ma peau, emportant avec elle la crasse, la suie, et peut-être un peu du poids des jours passés. Je lave mon visage, mes bras, mon torse, mais certaines salissures ne partiront jamais. Pas celles gravées dans la chair… ni celles ancrées dans mon âme. Je prends une tunique propre, laissée sur le bord du lit, mais je ne l’enfile pas tout de suite. Mon corps respire. Mes muscles, pour une fois, ne sont pas couverts de sang ou d’armure. Je m’allonge sur le lit, encore torse nu, et laisse tomber ma tête sur le drap frais. La chambre est silencieuse… Paisible. Je ferme les yeux histoire de reposer un peu mon esprit. Mais une fois mes paupières closes, le sommeil me fuit. Chaque respiration devrait être un soulagement, un instant de répit… et pourtant, je repense à elle… Son visage revient… Ses yeux sombres. Son sourire insaisissable. Ses lèvres contre les miennes. Le frisson que j’ai ressenti quand elle m’a touchée. Je serre les poings sur la couverture, comme si cela pouvait contenir le tumulte dans ma poitrine. Je ne veux pas y penser. Elle n’est pas humaine. Elle n’est pas… quoi que ce soit que je puisse comprendre. Un piège. Une illusion. Une arme. Et pourtant… je veux la revoir. Je refuse de me l’avouer, mais le désir me tord de l’intérieur, un feu que je croyais éteint depuis longtemps. Celebrimbor est silencieux cette fois, mais je sens sa présence, glaciale et critique. Je l’imagine fronçant les sourcils, prêt à surgir pour me rappeler la vérité. Mais même sa voix ne suffit pas à chasser cette image. Je tourne la tête vers la fenêtre. La nuit s’est installée, le ciel est noir et lourd. Les ombres des tours de Minas Ithil s’étirent dans la cour, et je me sens étrangement seul malgré la ville entière autour de moi. Son souffle, sa peau… l’odeur presque humaine mais pas tout à fait. Chaque détail me hante, et je sens une partie de moi que je croyais morte se réveiller. Je ferme les yeux encore une fois, essayant de repousser les souvenirs. Je ne peux pas. Je ne veux pas. Et pourtant, une voix glaciale, presque taquine, résonne dans mon esprit :

  • « Tu la veux… » murmure Celebrimbor. Je serre les dents. 
  • Non… Mais même en murmurant ce mot, je sais qu’il est faux.

Alors je me redresse, le dos contre la tête du lit, les jambes pendantes sur le sol. Je serre mes bras autour de moi, comme pour contenir ce vertige, cette envie, cette curiosité dangereuse. Arachne… la perfide, la belle, la mort incarnée sous une forme humaine. Et moi… moi, incapable de détourner les yeux, incapable de l’oublier. Je ne dois pas. Je ne peux pas. Mais je la veux. Et le pire… c’est que je sais que, tôt ou tard, je devrai lui faire face à nouveau…

Le silence de la chambre est soudain brisé par un coup léger à la porte. Je relève les yeux. Baranor entre, un soldat à ses côtés portant une armure légère et discrète aux couleurs du Gondor. Le soldat s’incline et dépose l’armure devant moi. L’acier est poli, souple et conçu pour la mobilité, parfaite pour l’infiltration.

  • Merci, rôdeur, dit Baranor, d’une voix grave mais calme. Merci d’être revenu… et de te battre à nos côtés. 

Je hoche simplement la tête. Je n’ai pas besoin de reconnaissance, mais son sérieux et la sincérité de ses mots me touchent. Il s’avance, les mains derrière le dos, le regard qui se durcit légèrement. 

  • Mais je ne resterai pas ici à regarder. Ces capitaines et ces chefs de guerre… ce sont mes ennemis autant que les vôtres. C’est ma ville. J’y ai grandi depuis mes dix ans. Chaque pierre, chaque ruelle, chaque balcon que l’on aperçoit depuis les remparts… je les connais. Et je ne peux pas rester immobile pendant que ces monstres la ravagent. 

Je le fixe, silencieux. Je sens dans ses mots la même rage que celle qui me brûle depuis ma résurrection. Mais là où ma haine est froide et solitaire, la sienne est ancrée dans la loyauté et l’amour de ce qu’il protège. Je comprends. Je comprends son besoin de tenir sa ville, sa fierté, sa peur… et son courage. 

  • Je respecte ça, Baranor. Ton attachement à cette ville… à ces gens… c’est ce qui te rend vivant. Ce n’est pas de la folie, c’est… juste humain. 

Un éclair de soulagement traverse ses traits. Il incline légèrement la tête, respectueux. Puis il reprend : 

  • Alors… je veux t’accompagner. Quand tu iras voir ces Uruks. Je veux savoir quelles informations ils ont obtenues, et je veux être sûr qu’on ne se laisse pas avoir par leur perfidie. 

Je l’observe un long moment. Je sens le poids de la décision. L’envoyer serait un risque. Le laisser rester ici serait une peur constante. Mais son courage… sa détermination… me rappelle que je ne suis pas seul, et que parfois, le courage humain a sa place aux côtés d’un mort… debout.

  • Très bien, dis-je enfin, d’une voix grave, mais avec une pointe de respect que je ne masque pas. Tu viendras. Mais sois vigilant. Ces Uruks… et leurs chefs… ne connaissent ni pitié ni honneur. Et si nous devons frapper, ça sera… rapide et précis. Il hoche la tête, la mâchoire serrée, prêt.
  • Je comprends. Et je ne te ferai pas défaut, Talion.  

Je sens alors un léger poids se relâcher dans mon esprit, la solitude de la mission s’allégeant un peu. Mais je sais aussi que demain soir, lorsque je me retrouverai parmi les ombres et les monstres, chaque décision, chaque geste, sera une question de vie ou de mort… pour nous deux, et pour Minas Ithil.

Baranor s’apprête à sortir, puis se retourne vers moi, le regard sérieux mais non dénué d’un brin d’attention. 

  • Venez dîner dans la grande salle. Vous avez besoin de forces… même si je sais que ce n’est pas exactement nécessaire pour vous. Mais un homme doit parfois… partager un repas pour se sentir vivant. 

Je reste silencieux un instant, hésitant. Le mot dîner sonne étrangement dans mes oreilles, presque banal… presque humain. Je pourrais refuser, me contenter de l’eau et de l’ombre, mais je sens le poids de son regard et la sincérité de son invitation. Je hoche la tête. 

  • Très bien. Je viendrai. 

Baranor esquisse un léger sourire, puis s’incline avant de sortir de la chambre, me laissant seul avec l’armure qu’on m’a apportée. La lumière du soir filtre à travers la fenêtre, jetant un éclat doré sur le métal poli. Je m’approche, la prends en main. L’armure est légère, flexible, mais solide, adaptée pour quelqu’un qui doit frapper vite, disparaître plus vite encore. Je m’y glisse, chaque sangle se refermant avec un clic rassurant. La sensation du métal contre ma peau, la rigidité qui épouse mes muscles… Devant le miroir, je fixe mon reflet. Les cicatrices sur mon torse et mes bras apparaissent dans la lueur vacillante de la pièce. Je passe mes doigts dans mes cheveux, les plaçant en arrière, cherchant un semblant de normalité. Même pour un mort debout, un peu d’ordre dans l’apparence peut rassurer… les autres autant que soi-même. Je respire profondément, sentant le poids de la journée et de la mission qui m’attend. Puis, je quitte la chambre d’Idril. La porte se ferme doucement derrière moi, et le couloir me mène vers la grande salle. Chaque pas résonne sur la pierre froide, mais cette fois, ce n’est pas un pas de rôdeur furtif ou de spectre de vengeance. C’est un pas d’homme, prêt à s’asseoir à une table, à manger… et à rester vivant, ne serait-ce que pour un instant.

Je franchis l’embrasure de la grande salle et aperçois Baranor et Idril déjà attablés. La pièce est animée, remplie d’odeurs de pain chaud, de viande rôtie et de bois brûlé. Les soldats discutent à voix haute, rient par moments, et pour un instant, le poids de la guerre semble suspendu. À mon arrivée, plusieurs hommes se figent un instant, puis un murmure parcourt la salle : 

  • Le rôdeur est là…

Ils m’observent avec une admiration palpable, certains me saluant d’un geste, d’autres inclinant légèrement la tête. On raconte déjà mes exploits dans les rues de la ville basse, comme si les flammes et le sang n’étaient que des histoires héroïques. Idril se tourne vers moi, un sourire sur les lèvres, et fait tinter son verre contre le mien qu'elle vient de me servir.

  • À ta santé… dit-elle, et je sens dans ce simple geste toute la chaleur de l’espoir et de la foi que ces murs ont réussi à préserver.

Je m’installe enfin à la table, conscient de chaque regard posé sur moi. Les soldats parlent avec fierté de la résistance, de chaque barricade tenue, de chaque Uruk repoussé. Et chacun y va de son commentaire sur mes actions, certains me posant des questions, d’autres me suppliant presque de continuer à les protéger. L’air est chargé de joie et de respect, un mélange rare et précieux dans un monde de ténèbres. Je réponds à leurs questions, échange quelques mots avec les enfants qui m’approchent timidement. « Êtes-vous un Valar ? » me demande l’un d’eux, les yeux brillants. Je souris doucement, incapable de mentir, et simplement hoche la tête : 

  • Non. Mais je suis vivant, et je me bats avec vous.

La conversation s’enchaîne naturellement. Je parle peu de moi, mais je ris avec eux, partageant des anecdotes sur les rues de Minas Ithil, les pièges tendus aux Uruks, et l’art de se fondre dans l’ombre. Avec Baranor, un lien discret se tisse, fait de respect mutuel et d’une compréhension tacite de ce que signifie protéger sa ville, son foyer. Et puis il y a Idril. Elle ne me quitte pas des yeux, riant à mes rares plaisanteries, s’inquiétant subtilement quand je parle des dangers à venir, posant des questions pour m’inclure dans les plans qu’elle discute avec son père. Chaque geste, chaque regard qu’elle pose sur moi est chargé d’une attention douce, et je sens quelque chose naître… un souvenir de ce que cela fait d’être simplement vivant, entouré, désiré. Pour un instant, au milieu des rires, des toasts et des éclats de voix, je me sens… humain. Je ne suis pas seulement un rôdeur ou un mort debout. Je suis Talion, debout ici, parmi des hommes et des femmes qui espèrent, qui croient, et qui vivent encore. Et dans ce petit instant volé à la guerre, je retrouve un souffle de joie que je croyais perdu à jamais.


… 


Plus tard dans la nuit.



Le château est plongé dans un silence presque irréel. La plupart des soldats sont endormis, tandis que d'autres assurant leur rondes veillant que la ville basse ne surprenne pas les défenseurs. Les torches des remparts jettent une lumière vacillante sur les pierres humides, et au loin, les flammes des camps Uruks brûlent comme autant de spectres annonciateurs d’un assaut prochain. Je marche lentement le long des remparts, observant l’horizon, les silhouettes en feu, les ruines de la ville basse. La brise nocturne me porte l’odeur âcre de la fumée et de la guerre, mais aussi un étrange calme que je n’avais pas connu depuis longtemps. Un léger bruit derrière moi me fit me retourner. Idril se tenait là, seule, ses cheveux légèrement désordonnés par le vent, vêtue d’une chemise de nuit blanche et d’un léger déshabillé qui tombe avec grâce. La lune éclaire sa silhouette, la rendant à la fois fragile et fascinante. Je restai figé un instant, surpris par sa présence, conscient de sa beauté et de cette aura délicate mais déterminée.

  • Idril… que faites-vous ici à une heure pareille ? demande-je, ma voix plus basse que je ne le voulais.

Elle avança vers le rebord des remparts, posant doucement ses mains sur la pierre froide, les yeux perdus dans la lueur des feux au loin.

  • Je… je ne trouve pas le sommeil, murmura-t-elle, presque pour elle-même. La nuit est trop lourde… la ville, la guerre… tout cela… m’empêche de fermer les yeux.

Je me rapproche, mes pas silencieux sur la pierre. Elle semble si petite, si humaine, et pourtant, il y a dans son regard une force indomptable que je ne peux ignorer.

  • Vous devriez être dans votre lit, insiste-je, cherchant à la protéger, mais aussi incapable de détourner mes yeux de sa silhouette.

Elle secoue légèrement la tête, et pour la première fois, elle me regarde, ses yeux exprimant une inquiétude sincère, presque douloureuse.

  • Je… je devais venir voir les remparts, Talion. Je voulais… voir la ville, voir si vous étiez en sécurité. Même pour un instant… Je… je me sens mieux ici que dans mon lit, seul avec mes pensées.

Je la laisse s’approcher encore, respectant l’espace entre nous, tout en sentant une chaleur étrange monter en moi. Elle semble fragile, mais ce simple geste de venir me rejoindre, à cette heure, révèle une confiance que peu auraient osé accorder.

  • Minas Ithil est silencieuse… pour l’instant, dis-je, la voix grave. Mais les feux là-bas… désigne-je la ville basse, ils annoncent ce qui nous attend…

Elle tourne légèrement la tête vers les flammes, puis de nouveau vers moi, comme si elle cherchait un point d’ancrage dans le chaos qui nous entoure.

  • Je sais… murmure-t-elle, sa voix tremblante à peine perceptible. Et… vous êtes là. Vous veillez. Vous nous protéger… même nous, les faibles.

Son regard croise le mien, et dans ce silence suspendu, je compris que ce moment n’était pas simplement un passage de la journée, mais un rare instant d’humanité partagé. Le vent caresse nos visages, les feux brûlent au loin, et pour quelques secondes, nous étions seuls, comme si tout le reste du monde avait disparu… Idril me fixe intensément, ses yeux brillants dans la pénombre des remparts, et ses lèvres s’entrouvrent légèrement. Elle avance la main et la pose doucement sur ma joue, la caressant avec une délicatesse qui me prend au dépourvu.

  • J’ai du mal à imaginer que… vous n’êtes pas vraiment vivant… murmure-t-elle, la voix douce, presque fascinée. En fait… à mes yeux… vous l’êtes.

Sa main sur ma peau m’électrise, et un frisson court le long de mon échine. Je reste figé, incapable de détourner mon regard, sentant un désir inattendu et brûlant naître dans ma poitrine. Instinctivement, je pose ma main sur la sienne, la couvrant de la mienne. Sa peau est chaude, douce, et fragile comme je ne l’aurais jamais imaginé.

  • Vous êtes douce… et gentille, dis-je d’une voix basse, un peu rauque. Mais vous devez… vous reposer. Demain sera un jour bien trop dangereux pour vous si vous êtes fatiguée.

Idril ne bouge pas. Elle reste là, immobile, ses yeux ancrés dans les miens, comme si elle cherchait à lire quelque chose au plus profond de moi. Le silence s’étire entre nous, lourd de promesses et d’attente, et je sens le souffle de la nuit se mêler à celui de nos cœurs. Je serre légèrement sa main, presque pour la retenir, presque pour ne pas la laisser s’éloigner, conscient que cet instant est fragile et précieux. Elle ne cligne pas des yeux, ne rompt pas le contact. Ses lèvres s’entrouvrent de nouveau, mais aucun mot ne sort, et je comprends que tout ce qui reste à faire, pour l’instant, est de rester là, en silence, face à elle. Le vent de la nuit fait danser ses cheveux autour de son visage, et pour un instant, je cesse de penser à la guerre, aux Uruks, au Palantír… tout ce qui existe, c’est elle. Mais Idril finit par détourner le regard, visiblement gênée par l’intensité de mes yeux bleus qui ne quittent pas son visage. Sa main glisse de ma joue, et elle croise les bras contre sa poitrine, tremblante de froid.

  • Je… je vais écouter vos conseils, dit-elle d’une voix douce, presque hésitante. J’essaierai d’aller dormir…

Elle se détourne, avançant vers la tour où se trouve sa chambre. Avant de disparaître dans l’ombre des remparts, elle s’arrête un instant, ses yeux posés sur moi.

  • Si… si vous cherchez un endroit pour dormir, vous pouvez utiliser ma chambre, souffle-t-elle, un léger sourire sur les lèvres.

Je hoche timidement la tête, comprenant le sous-entendu. Une chaleur nouvelle me traverse, mêlée à la surprise et à l’appréhension. Elle s’éloigne, et je reste seul sur les remparts, le souffle coupé. Mon cœur bat plus vite, mes pensées vacillent… et je me surprends à hésiter, à me demander si je devrais la suivre. Le silence de la nuit m’entoure, mais il est chargé de tension, d’attente. Chaque pas d’Idril résonne encore dans mon esprit. Je ferme les yeux une seconde, essayant de maîtriser ce désir naissant, cette curiosité brûlante… puis je les rouvre, le souffle court, incapable de chasser l’idée de la rejoindre. Mais alors que je lutte,  Celebrimbor apparaît, son visage elfique éclairé d’un léger sourire cruel.

  • “Les femmes humaines… murmure-t-il, sa voix sifflante dans mon esprit. Elles sont vite fascinées, admiratives… quand un homme manie la guerre avec autant de puissance. Observe… Idril te désire, rôdeur. Parce que tu es… le mâle le plus fort qu’elle ait jamais vu.” Un frisson me parcourt, mêlé de gêne et de colère. Je détourne légèrement le regard. “Concentration, Talion, continue Celebrimbor, sur un ton glacial. Tu n’as pas le temps de succomber à la chair d’une jeune femme. Tu ne lui offrirais aucun avenir. Aucun.” Je serre les poings, la mâchoire crispée.
  • Je… je n’y songe pas, dis-je d’une voix ferme, coupant court à son discours. Je n’ai pas besoin de tes leçons, Celebrimbor.
  • “Très bien…” Son sourire s’élargit, presque amusé. “Mais garde ton esprit sur le Palantír, rôdeur. Tout le reste est un piège.”

Je ferme les yeux un instant, laissant la brise froide balayer mes pensées, mais le souvenir de ses paroles me reste en tête, mêlé au désir et à la frustration… 




L’aube se glisse à peine entre les créneaux des remparts, et pourtant, je sens déjà la fatigue de la nuit me ronger. J’ai veillé, seul, écoutant le vent siffler à travers les tours et le murmure des flammes des feux Uruk dans la ville basse. Les images d’Arachne me hantent encore, sa beauté dangereuse et ce baiser qui a laissé un goût de feu et de désir dans ma gorge. Et puis, Idril… son visage revient sans cesse, ses yeux lumineux, ses gestes délicats… Je sens mes muscles se tendre à ce souvenir, mais je chasse ces pensées. La guerre, le Palantír, la vie de ces soldats… tout doit passer avant la chair.

Je descends dans la cour du château. Baranor est déjà debout, la poitrine haute, les bras tendus vers ses hommes. Les archers s’alignent, les brancards sont prêts, les échos métalliques de l’armure résonnent dans le silence matinal. Dès que nos regards se croisent, il me salue d’un signe de tête, cette chaleur discrète qu’on ne montre qu’aux alliés en qui l’on a confiance.

  • Talion… enfin, dit-il, sa voix grave et ferme, mais teintée d’un sourire. La ville a besoin de toi.

Je hoche la tête. Nous parlons de stratégie, de mouvements de troupes, d’éventuelles embuscades. Mais le calme est brutalement rompu par un éclaireur qui déboule dans la cour. Ses bottes frappent le sol dans un rythme désordonné, ses yeux sont écarquillés, la peur visible dans chaque geste.

  • Capitaine ! halète-t-il. Capitaine… Idril… elle est partie… seule !
  • Seule ? Que fait-elle ? Demande Baranor.

Le soldat lutte pour reprendre son souffle, ses mains tremblent tandis qu’il désigne la direction des feux dans la ville basse.

  • Les très jeunes soldats… elle a voulu les sauver… ils ont été capturés par les Uruks… Elle… elle voulait que vous veniez. Qu’on l’aide… vite !

La rage et l’inquiétude me submergent. Idril… seule, face à ces monstres. Une partie de moi hurle de courir, mais je me contrôle. Baranor me regarde, ses yeux noir perçants comme des lames. Il sait que tout geste précipité pourrait être fatal.

  • Préparez vous, dis-je, le ton tranchant, chaque mot pesé, chaque respiration contrôlée. Nous partons immédiatement.

Baranor acquiesce, et je le vois parcourir la cour, donner des ordres précis à ses hommes. Les éclaireurs s’élancent, l’air du matin s’emplit d’un mélange de tension et de poussière soulevé par les bottes qui claquent le sol. Je m’avance, ma main effleurant mon épée. Chaque fibre de mon corps hurle que je dois arriver avant qu’il ne soit trop tard. Mais au fond de moi… un autre feu brûle, plus intime, plus dangereux. Et je sens mon désir, ma protection, se mêler à la rage de la guerre.


Je cours aux côtés de Baranor, chaque pas résonnant sur les pavés humides. Les hommes de la garnison le suivent, armés et prêts à l’assaut. La ville basse se dessine devant nous, entre ruines fumantes et éclats de feu. Chaque silhouette dans l’ombre pourrait être un Uruk prêt à fondre sur nous. Mon souffle se mêle au bruit métallique des armures, au cliquetis des épées, au tumulte des soldats nerveux.

  • “Reste sur tes gardes,” me souffle Celebrimbor, sa voix glaciale vibrante dans mon esprit. “Ce… « sauvetage » sent le piège. Les captifs sont rarement ramenés ici… Ils finissent dans les cages, à l’extérieur, sous surveillance stricte des Uruks.”

Je fronce les sourcils, mes yeux balayant les ruines fumantes. Tout mon instinct me hurle que c’est une embuscade. Mais je ne peux pas reculer. Pas maintenant. 

  • Peu importe, murmuré-je pour moi-même, et je fonce avec Baranor, ignorant les avertissements du spectre.

Nous débouchons sur le champ de bataille. La vue me fige quelques secondes : Idril se bat à mort contre deux colossaux Uruks, son épée fendant l’air, les mouvements précis malgré la fatigue et la peur. À ses côtés, deux ou trois hommes courageux tiennent bon, mais leur résistance semble sur le point de céder.

  • Talion ! crie Baranor, et je me jette dans la mêlée à ses côtés.

Les Uruks hurlent, des sons gutturaux qui font vibrer la pierre sous nos pieds. Chaque coup que je porte est net, précis, une danse de mort orchestrée par la haine et la survie. Je frappe, bloque, écrase, et derrière moi, Celebrimbor reste silencieux, à la fois spectateur et juge. Mais soudain, un cri me glace le sang :

  • Droit dans la gueule du loup !

Un capitaine Uruk surgit de l’ombre, mince, chétif à première vue, mais son corps est tendu comme un arc, sa puissance concentrée dans chaque geste. Son visage est couvert de cicatrices, ses yeux rouges flamboyants. Il m’insulte avec une rage bestiale et me menace de mort avant même de lancer l’assaut. Je me redresse instantanément, mes muscles prêts à réagir, mes sens en alerte maximale. Ce petit chef peut sembler insignifiant… mais je sais que le danger ne se mesure pas à la taille. Son attaque est rapide, tranchante, et je dois anticiper chaque mouvement.

  • Sale immortel ! hurle-t-il, et il bondit sur moi.

Je bloque de justesse son premier coup, le fer de sa lame émettant un son strident en heurtant mon armure légère. La bataille se déchaîne autour de moi, mais tout mon esprit se focalise sur ce petit monstre et sur Idril. Chaque seconde compte, chaque erreur pourrait être fatale. Et au fond de moi, une rage froide s’allume… La bataille fait rage autour de nous. Baranor et Idril se battent côte à côte, leurs mouvements synchronisés. Ils repoussent les Uruks et réussissent enfin à extraire les jeunes soldats blessés, les poussant vers la sécurité. Je me concentre sur mon adversaire, le petit capitaine rapide et rusé. Ses coups sont imprévisibles, mais je parviens à le contrer, à le frapper, à le faire reculer. Chaque geste est précis, calculé. Le sang et la suie collent à ma peau, mais je continue, implacable. Soudain, un rugissement massif me fait lever les yeux. Un Olog apparaît, gigantesque, sa massue balayant l’air. Il me fonce dessus, me plaquant au sol, la poitrine écrasée sous son poids colossal.

  • Immortel ?! Voyons ça !!! hurle-t-il, sa voix résonnant comme un tonnerre.

Je sens chaque os protester sous la pression, mais je réussis à rouler sur le côté à temps, esquivant la massue qui aurait fendu mon crâne. Je me redresse immédiatement, mes muscles en feu, affrontant maintenant les deux capitaines en même temps. L’un petit et rusé, l’autre énorme et brutal. Chaque frappe doit être calculée, chaque esquive vitale. Je frappe, bloque, recule, frappe encore. La fureur de la bataille me consume, et malgré l’épuisement, je me bats avec une rage glaciale. Finalement, le capitaine chétif vacille sous mes coups et s’effondre. Je crache du sang, le souffle court, et je hurle à Idril :

  • Partez ! Maintenant !

Mais avant qu’elle n’ait le temps de répondre, un nouveau capitaine surgit de l’ombre. Sa lame me transperce le thorax. La douleur me coupe le souffle. Même mort, je ressens chaque fibre brûler. Je tombe à genoux, le goût de la douleur métallique sur ma langue, mon corps refusant de se plier à la volonté de l’ennemi. L’Olog se penche sur moi, un sourire cruel fendant sa face monstrueuse :

  • Un dernier mot, rôdeur ?!

Il lève sa massue. Je vois Idril hurler au loin, sa voix résonnant à travers les décombres de la ville basse. Le monde se réduit à un instant, le métal de la massue, la douleur brûlante dans ma poitrine, le cri d’Idril, et l’ombre de Celebrimbor flottant à mes côtés, silencieuse, glaciale, témoin de ma chute. Puis tout s’abat sur moi. La massue frappe. Mon corps s’effondre, lourd, fracassé, tandis que le hurlement d’Idril s’éteint lentement dans un écho assourdissant.


A suivre...



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