Shadow Of Mordor

Chapitre 5 : Les ombres du désir.

7622 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 25/10/2025 09:47

Chapitre 5 : Les ombres du désir.



La nuit m’engloutit comme un linceul. Le vent mord, chargé des relents de cendres et de peur. La lune trône, blafarde et haute dans le ciel, pareille à un œil impitoyable qui veille sur les morts. Ses lueurs blanches glissent sur les ruines de Minas Ithil, sur les pierres souillées, sur les cadavres oubliés qui jonchent encore les faubourgs. Le silence de la ville est déchiré par des clameurs lointaines… Un grondement animal, guttural, né des gorges des Uruks. Je marche sans un bruit, l’ombre à mes côtés, celle de Celebrimbor, pâle écho d’un temps révolu. Chacun de mes pas s’enfonce dans la poussière froide, et je sens la terre frémir sous les rugissements des bêtes. Ils acclament leur maître. Ils acclament Gorgor. L’air vibre. Devant moi, entre les colonnes brisées et les murs effondrés, s’étend une arène de fortune. Un cercle de ferraille et d’os, tordu, couvert de sang séché. Des torches enflammées brûlent autour, projetant sur les pierres les ombres difformes de la foule. Des Uruks par centaines se pressent, s’épaulent, se bousculent dans une frénésie de hurlements et de coups. Leurs cris montent comme une marée sauvage, haineuse, exaltée. Et au centre, il est là. Gorgor. L’Uruk colossal. Sa peau noircie par la guerre semble forgée dans la suie et la rage. Des chaînes pendent de ses épaules, comme des trophées, et chaque pas qu’il fait fait trembler la terre. Ses yeux brûlent d’une lumière jaune et malade. Il agite ses bras massifs, exulte, rugit. La foule répond, ivre de cruauté. Je reste en retrait, à l’abri d’un pan de mur. Le froid me ronge jusqu’aux os. Et pourtant, au fond de cette nuit, je sens la chaleur monter… celle du sang, celle de la colère.

  • “Il t’attend,” murmure Celebrimbor, sa voix résonnant dans mon esprit comme un souffle glacé. “Il croit affronter un homme… Mais il va rencontrer un spectre.”

Je baisse les yeux vers ma lame. Le reflet de la lune y danse, pâle et tremblant. Un combat pour semer la peur. Une exécution pour rappeler aux Uruks que les ténèbres ne leur appartiennent pas. Je respire lentement, profondément. Mon cœur bat avec la régularité d’un tambour de guerre. Je suis le rôdeur. Je suis la mort qui marche dans les ruines. Et ce soir… C’est Gorgor qui va tomber. 

Je reste un instant tapi dans l’ombre, à scruter la scène. Les torches claquent dans le vent, leur flamme dansant sur des visages difformes. Les Uruks s’entassent autour de l’arène, grondant comme des bêtes affamées. Gorgor, lui, tourne lentement, exhibant ses cicatrices comme des trophées. Il goûte à leur adoration.

  • « Par en haut. » La voix de Celebrimbor glisse dans mon crâne, fine comme une lame. « Prends-le par surprise. Un seul coup, une frappe de l’ombre, et il tombera avant même de comprendre. »

Je ferme les yeux un instant. La tentation est là, rapide, efficace, silencieuse. Mais je sens autre chose remuer en moi. Une colère froide, viscérale. Non pas celle d’un assassin, mais d’un homme qu’on croit déjà mort.

  • Non. Ma voix est à peine un souffle. Ils doivent me voir venir.

Celebrimbor se tait un instant, puis j’entends son rire, sec, sans joie.

  • « Ainsi soit-il, rôdeur. Qu’ils contemplent leur terreur. »

Je sors de l’ombre. La poussière crisse sous mes bottes. Des têtes se tournent, des cris éclatent. L’odeur de sueur et de sang me saisit. Les Uruks reculent d’abord, surpris, puis leurs hurlements redoublent, hurlant mon nom comme une injure.

  • « Le rôdeur ! Le spectre ! »

Les torches vacillent. Les tambours martèlent. Gorgor s’est figé. Son visage se fend d’un rictus mauvais. Il lève son épée démesurée, large comme une porte de fer.

  • Tu viens mourir ici, p’tit homme ? sa voix grondant comme un orage. Il pointe la lame vers moi. J’vais t’ouvrir d’un trait et nourrir mes wargs de ton cœur ! 

Ses mots déclenchent une marée de rires et de clameurs. Des Uruks tapent du poing contre les grilles, cognent leurs armes, hurlent à la mort. L’arène tout entière tremble de leurs cris. Je ne réponds pas. Je continue d’avancer, lentement, chaque pas résonnant sur la pierre. La foule gronde, des pierres volent, mais je ne m’arrête pas. Je sens leurs regards, leur haine, leur peur. Un bref éclat attire mon œil, à la lisière de la foule. Ratbag, dissimulé sous un casque trop grand, observe la scène, les yeux écarquillés. À ses côtés, Azutra, massif, immobile, la mâchoire serrée. Ils ne bougent pas, et moi non plus. Je détourne aussitôt le regard. Pas un geste de trop. Pas un signe. Gorgor avance d’un pas, ses chaînes s’entrechoquant dans un bruit de ferraille. Sa peau suinte, son souffle est une vapeur brûlante. Chaque muscle de son corps semble prêt à éclater.

Je sors ma lame. L’acier chante en quittant son fourreau. Les reflets lunaires courent le long du fil, jusqu’à la garde. Le silence se fait, un battement, suspendu entre deux hurlements. Je fixe Gorgor dans les yeux.

  • Tu veux nourrir tes bêtes ? Je lève mon épée, droite, prête. Alors viens chercher leur repas !

Le tonnerre de la foule éclate, sauvage et démentiel. Et moi, je marche vers lui. Les torches crachent leur lumière sur la pierre gorgée de sang. Gorgor avance, chaque pas un coup de tonnerre, chaque souffle un ouragan de rage. L’air lui-même semble fuir son passage. Autour, les Uruks hurlent, frappent les grilles, ivres de violence. Le monde s’efface. Il ne reste plus que lui… et moi. Il frappe le premier. Une lame d’acier noir fend l’air dans un sifflement bestial. Je pare, mais le choc me secoue jusqu’aux os. Son épée est une masse, une extension de sa haine. Je glisse de côté, roule dans la poussière, me redresse à temps pour éviter le second coup qui s’abat comme un marteau. Des étincelles jaillissent, brûlant mes yeux. Il rit. Un rire grondant, animal.

  • Tu faiblis déjà, rôdeur ! 

Je réponds par un mouvement sec, précis. Ma lame s’enfonce entre ses côtes, arrachant un rugissement à la foule. Gorgor chancelle, recule d’un pas, surpris. Du sang noir jaillit, épais comme de la poix. Mais sa riposte est fulgurante. Son épée fend l’air une seconde fois et cette fois, je suis trop lent. La pointe déchire ma joue, une douleur brûlante éclate sur ma peau. Le sang coule, chaud, jusque sur mes lèvres. Je gronde. Il rit encore… Puis vient le coup fatal ou ce qui aurait dû l’être. Je sens le fer transpercer mon ventre, traverser ma chair morte. Une brûlure atroce me déchire de l’intérieur. Mes genoux ploient. Je sens la morsure du métal, l’écho du souvenir de la vie. La douleur. Oui, je la ressens encore. Même après la mort. Je saisis la lame de Gorgor à mains nues, la tire vers moi. Son regard s’écarquille.

  • Tu ne peux pas tuer ce qui n’a plus de vie.

Celebrimbor surgit derrière mes paupières closes, un éclair bleu, un cri silencieux. L’énergie spectrale m’envahit, me soulève, me consume. Le monde se fige. Je disparais… Un souffle d’ombre, un éclat spectral, et je réapparais derrière lui. Avant qu’il ne puisse se retourner, ma lame fend la nuit. L’acier pénètre sa chair, s’enfonce dans sa colonne, remonte jusqu’à sa gorge. Un cri guttural se bloque dans sa bouche. Je tire d’un coup sec. Son corps se brise. L’Uruk s’effondre, fendu en deux du bassin jusqu’à la mâchoire. Un silence de tombe s’abat sur l’arène. Les torches vacillent, les flammes hésitent. Des centaines d’yeux me fixent, incrédules. Le sang goutte encore de ma lame, lentement, rythmé comme une pluie sur la pierre. Je reste là, debout, haletant, la brume spectrale dansant autour de moi. Gorgor n’est plus qu’une carcasse tordue, son sang se mêlant à la poussière. Je lève la tête vers la foule. 

  • Qu’ils sachent, dis-je d’une voix glacée. Qu’ils sachent que la mort n’est pas leur alliée…. Car je suis la mort ! 

Le vent souffle. Les torches s’éteignent une à une. Et Minas Ithil retombe dans le silence des ruines… 



Le silence dure un instant, suspendu comme le dernier battement d’un cœur. Puis les murmures naissent, rampent dans la foule. Des yeux luisent dans l’ombre, pleins d’effroi. Les Uruks reculent, lentement d’abord, puis plus vite, comme si ma seule présence les brûlait. Je plante ma lame dans le sol, essuie le sang de Gorgor sur la poussière noire. Le souffle me revient, rauque, haché. Autour de moi, nul ne bouge. Leurs cris se sont tus, étouffés par la peur. Je relève la tête, et ma voix résonne, grave, métallique :

  • Dites à Naskra le Véreux… qu’il est le prochain.

Un frisson parcourt la foule. Des têtes se baissent. Aucun ne rit. Aucun ne répond. Ils savent. Ils sentent que le rôdeur marche à nouveau parmi les morts. Je ramasse mon épée, la rengaine dans un cliquetis d’acier. Les Uruks s’écartent sur mon passage, ouvrant devant moi un couloir de silence. Certains reculent d’un pas, d’autres détournent le regard. Même les plus hardis baissent la tête. Je traverse l’arène lentement, sans hâte. Le vent emporte les dernières cendres. Ratbag m’observe, tremblant, caché derrière un pilier. Azutra, lui, reste immobile, les poings serrés, la tête basse. Il n’y a pas de mot entre nous. Pas besoin. Le message est clair. Je franchis la grille, grimpe les marches fendues qui mènent vers les hauteurs de la ville. Derrière moi, les cris reprennent, faibles, lointains, étouffés comme un écho qui s’éteint. Celebrimbor apparaît à mes côtés, son visage d’ombre teinté d’un éclat bleu.

  • « Ta décision était la bonne, » dit-il d’une voix presque calme. Je tourne la tête vers lui, surpris.
  • Je n’entends pas souvent ces mots dans ta bouche, elfe. Il esquisse un sourire, pâle et sans chaleur.
  • « Même un roi doit parfois admettre la valeur de son soldat. » Je hoche la tête, sans répondre. « Mais, » reprend Celebrimbor, son ton redevenu tranchant, « nous avons perdu assez de temps. Castamir connaît l’emplacement du Palantír. Nous devons le retrouver avant que l’ennemi ne le force à parler. » Je serre la garde de mon épée.
  • Oui. Cette fois, il n’aura plus le luxe de tergiverser.

Je me remets en marche. Le vent froid gifle mon visage encore marqué par la plaie. Le goût du sang m’accompagne, âcre et familier. Je traverse les ruines, la tête haute, la lune sur mes pas. Vers le château. Vers la suite de cette guerre qui n’en finit pas de renaître des cendres… Mais soudain : 

  • Seigneur.

Je me fige. Le ton n’a rien de menaçant, mais il porte ce poids sourd qu’ont les avertissements. Je me retourne lentement. Azutra sort de l’ombre, sa haute silhouette drapée de suie et de cicatrices. Derrière lui, Ratbag trottine, nerveux, les yeux roulant comme deux billes d’inquiétude. Mais ils ne sont pas seuls. Deux autres Uruks les accompagnent, la tête basse, les épaules voûtées. Leur démarche trahit la peur, ou la résignation. Peut-être les deux. Je porte la main à ma garde.

  • Quoi ? dis-je, la voix basse. Azutra incline légèrement la tête.
  • Ils veulent… te rejoindre. Changer de maître. Changer de camp.

Un instant, je le fixe sans un mot. Le vent siffle entre les arches. Deux Uruks qui renient leur propre espèce ? Ce genre de trahison ne naît pas du courage. Il naît de la terreur. Et ce soir, la peur rôde encore dans leurs yeux.

  • Qu’ils avancent, dis-je.

Les deux Uruks obéissent, tremblants, le souffle court. Leurs regards évitent le mien. Je lève la main, et l’ombre bleue de Celebrimbor glisse sur mes épaules, s’étirant derrière moi comme une marée spectrale.

  • « Fais-les plier, » murmure sa voix dans mon esprit.

Je tends la main vers eux. L’air se charge d’une lumière froide, presque irréelle.

  • Jurez fidélité. À moi. À l’Anneau.

Leurs voix s’étranglent, hésitantes, puis ils répètent les mots. Je pose ma paume sur leur front, une marque de lumière brûle aussitôt leur peau. La chair fume, un cri leur échappe. Puis vient le silence. Quand ils relèvent la tête, mes marques spectrales luisent encore sur leurs visages. Ils m’appartiennent. Azutra les regarde sans émotion.

  • Par la peur, tu peux en faire plier d’autres, mon seigneur. Ce soir, ils ont vu la mort tomber sur Gorgor. Demain, ils la craindront assez pour te servir, et je serais là pour les faire céder, déclare-t-il me proposant ainsi de recruter encore plus d’Uruks. Je hoche lentement la tête.
  • Soit. Mais si tu veux que ça tienne, garde tes distances avec Ratbag. Si les rumeurs d’une trahison se répandent, tout ton plan s’effondre. Ratbag pousse un long soupir de soulagement.
  • Ha ! Enfin quelqu’un de raisonnable ! J’commençais à craindre qu’il m’étripe juste pour m’faire taire ! Azutra grogne, un sourire mauvais étirant ses lèvres.
  • Ce n’est pas l’envie qui me manque. Cette carcasse bruyante pue la lâcheté, recommence-t-il les enfantillages… Je coupe court à ce jeu.
  • Assez. Fais ce que tu as à faire. Mais ne te fais pas remarquer. Azutra incline la tête.
  • Mes maraudeurs me suivront. Mais si tu veux étendre ton ombre, il faudra viser plus haut. Des capitaines. Des chefs. 
  • Qui ? Il réfléchit un instant, ses yeux jaunes brillent d’un éclat féroce.
  • Bruz, dit-il enfin. Bruz la Bête. Un Olog puissant, rusé, et… dangereux. Il n’obéit à personne, mais il comprend la force. Si tu le domines, d’autres viendront. En plus il déteste Az-Karo, l’olog à la peinture rouge, un des chefs de guerre de Ushak Mange-peur…!  Et tout de suite, je sens un sourire naître sur mes lèvres.
  • Alors nous irons le chercher. Tends-lui une embuscade demain, à midi. Je viendrai pour le soumettre. Azutra s’incline légèrement.
  • Comme tu l’ordonnes, mon seigneur.

Il fait signe aux deux nouveaux convertis, et tous trois disparaissent dans la nuit. Le silence retombe, et seul le vent répond. Je me tourne vers Ratbag, toujours planté là, le regard brillant de peur et de malice.

  • Toi, dis-je doucement, tu as quelque chose à me dire, n’est-ce pas ? Ratbag me regarde, la bouche entrouverte, comme s’il cherchait ses mots.
  • Non, non, rien de spécial, rien du tout, rôdeur… Enfin… presque rien. Je plisse les yeux.
  • Parle.
  • C’est juste que… lève-t-il les mains, nerveux. Je… j’ai un peu les jetons, tu vois ? Ce plan d’Azutra, c’est dangereux. Très dangereux. Cet Olog, ce Bruz… Il mange les siens pour s’amuser ! Alors imagine ce qu’il ferait à moi si ça tournait mal !

Je laisse échapper un soupir, las. Toujours la même histoire. Ratbag n’avance que poussé par la peur, et fuit à la moindre odeur de sang.

  • Tu as toujours peur, dis-je. Et pourtant, tu respires encore. C’est déjà un miracle. Il fronce le nez, vexé, mais ne répond rien.

Je reste un instant silencieux, observant les ombres mouvantes qui s’étirent entre les ruines. Puis une idée germe, froide et implacable.

  • Cette nuit, dis-je enfin, quand la lune sera haute, retrouve-moi à la lisière du camp extérieur des Uruks. Dans l’ombre. Ratbag cligne des yeux, décontenancé.
  • Quoi ?! Là-bas ?! Mais tu veux te faire écharper ?!
  • Non. Je vais sauver les hommes encore captifs et tuer le Graug gigantesque détenu là-bas. Et tu vas m’aider. Il ouvre grand la bouche, prêt à protester, puis se ravise…
  • Tu… tu veux dire, les prisonniers humain ?
  • Oui, qui d’autre, soupire-je. Je le fixe droit dans les yeux pour imposer mon autorité. Ce serait folie que de les laisser là-bas. Ratbag ravale sa salive, cherchant ses mots.
  • Folie… oui, exactement… mais heu pas la tienne, hein ? Panique-t-il de peur que je le prenne mal… La… La leur, de rester en vie là-dedans ! J’ignore sa remarque et j’ajoute : 
  • J’y serai sûrement avec d’autres hommes. Nous frapperons vite et sans bruit. Toi, tu nous aideras autant que possible pour nous guider et faire diversion si besoin. Compris ? Il pâlit, puis hoche la tête, résigné.
  • Comme tu veux, seigneur. Mais j’aime pas quand tu dis “sans bruit”. Parce qu’après, c’est toujours moi qui hurle… Un rictus m’échappe.
  • Alors évite de hurler cette fois. Repars. Sois discret. Pas de vagues. Pas d’insultes. Pas de morts inutiles. Ratbag lève les mains en signe de paix.
  • Compris. Promis. Enfin… je vais essayer.

Il s’éloigne en trottinant, disparaissant dans la brume des ruines. Je le regarde s’enfoncer dans l’ombre, puis je reprends ma marche vers le château.



L’aube n’est pas encore levée, mais Minas Ithil semble déjà frémir d’un souffle nouveau. Les humains s’activent sur les remparts, réparent les fortifications, aiguisent leurs lames. Des visages épuisés, noircis par la cendre, mais habités d’un éclat d’espoir. Quand je franchis les portes, les regards se tournent. Les soldats se redressent. Les civils s’arrêtent un instant dans leur labeur. Certains murmurent mon nom. D’autres se contentent d’un signe de tête, respectueux. Je ne dis rien. Je marche simplement, droit vers la grande salle. Vers Castamir. La grande salle résonne d’un silence épuisé. Quelques torches vacillent, projetant leurs lueurs tremblantes sur des silhouettes recroquevillées. Des soldats et des civils dorment pêle-mêle, couchés sur des lits de fortune, d’autres s’appuient contre les murs, la main crispée sur une arme, comme s’ils craignaient d’être réveillés par la guerre elle-même. Je traverse lentement la pièce. Les regards que je croise sont vides ou brûlants, ceux d’hommes et de femmes trop longtemps acculés, suspendus entre la survie et le désespoir. Celebrimbor murmure en moi, froid et distant :

  • « Ils dorment, alors que l’ennemi veille. »

Je ne réponds pas. Ce n’est pas le sommeil que je vois, mais la lassitude. Ces gens n’ont plus rien à offrir que leurs larmes et leur souffle. Et pourtant, ils tiennent encore. Je monte les marches de pierre menant à l’étage. Malgré la nuit bien avancée, des voix éclatent derrière la grande porte. Quand je pousse les battants, la tension me frappe de plein fouet. Lithariel fait face à Castamir, les traits durs, la mâchoire crispée. Hirgon se tient près d’elle, furieux aussi. Idril et Baranor observent en silence, campés dans l’ombre des piliers.

  • Vous ne comprenez pas ! s’emporte Lithariel. Chaque heure qu’ils restent ici met leur vie en péril ! Il faut évacuer les civils tant qu’il est encore temps !
  • Il n’en est pas question, tranche Castamir, sa voix résonnant dans la salle. La situation est sous contrôle. Minas Ithil ne tombera pas, pas ce soir. Hirgon éclate :
  • Sous contrôle ? Regardez autour de vous, Général ! Vos “murs” s’effondrent, vos hommes meurent dans les rues, et vous refusez de l’admettre !

Castamir le foudroie du regard, mais Lithariel ne recule pas. Idril, elle, baisse légèrement les yeux, le doute perce dans ses traits. Je fais un pas dans la salle. Le son de mes bottes sur la pierre suffit à étouffer la dispute. Tous les visages se tournent vers moi. Le silence s’installe, dense. Idril me regarde, figée, et je lis dans son regard un mélange d’incrédulité et de soulagement. Ses lèvres s’entrouvrent, prêtes à parler, mais aucun son ne sort. Avant qu’elle ne puisse dire un mot, Lithariel s’avance vivement. Ses yeux se posent sur moi, puis sur la plaie qui marque encore mon visage. Sa main se lève, hésite une seconde, puis effleure ma joue, avec une douceur que je ne lui connaissais pas.

  • Tu es blessé…? murmure-t-elle, la voix basse, inquiète. Je soutiens un instant le regard de Lithariel avant de répondre, d’une voix basse :
  • Ce n’est rien. Je me redresse, balayant la pièce du regard. Mais que se passe-t-il ici ? Castamir tourne aussitôt les yeux vers moi, son visage fermé, durci par la fatigue et l’orgueil.
  • Ce qu’il se passe ? Cet exilé et cette fausse princesse, dit-il en désignant Higron et Lithariel d’un geste agacé, veulent m’imposer leurs volontés. Ils réclament que j’évacue la cité, comme si je n’étais plus capable de la défendre. Hirgon s’avance d’un pas, les mâchoires serrées.
  • Parce que vous ne vous rendez pas compte du danger, Castamir ! Les Uruks gagnent du terrain, la moitié des remparts inférieurs sont à découvert, et les civils ne tiendront pas un autre assaut !

Je sens la tension grimper. Je m’approche lentement de la table où s’étalent les plans de la ville, couverts de marques rouges.

  • Hirgon a raison, dis-je calmement. Vous ne pouvez pas risquer la vie de ces gens, pas pour une fierté mal placée. Le Palantír est la clé. Il doit être mis en sécurité, avant que Sauron ne s’en empare. Castamir me dévisage, ses yeux sombres brillant d’un éclat de colère contenue.
  • Toujours ce maudit Palantír… Sa voix monte soudain, coupant court à tout murmure. Assez ! Son poing s’abat sur la table avec un bruit sec. Les chandelles tremblent, la carte se froisse sous le choc. C’est encore moi le commandant ici ! Et je n’ai pas d’ordres à recevoir de vous, ni d’un rôdeur, ni d’exilés et encore moins d’une sauvage ! J’ai vu tomber des citadelles avant même votre naissance, j’ai tenu des murailles sous la pluie du Mordor ! Vous croyez m’apprendre la guerre ?

Un silence pesant s’abat sur la salle. Seul le souffle rauque de Castamir trouble l’air. Il remet sa cape, redresse la tête et ajoute, d’un ton froid :

  • À l’aube, j’enverrai des troupes nettoyer la ville supérieure. Nous reprendrons chaque rue, chaque tour.

Il se détourne, franchit la porte d’un pas ferme, sans un regard en arrière. Les battants se referment derrière lui dans un grondement sourd. Je reste figé quelques secondes après le départ de Castamir, le regard rivé sur la porte qui vient de se refermer derrière lui. Mon poing se serre malgré moi. L’envie me brûle de tout balayer, de lui hurler qu’il condamne sa propre cité par orgueil. Mais je ravale la colère.

  • « Laisse-le, » souffle Celebrimbor dans mon esprit, sa voix glaciale. « Il ne combat pas dans les rues. Il ne voit pas ce que nous voyons. Les cris, les cadavres, la peur qui ronge chaque pierre. Il se cache derrière ses murs comme un roi dans sa tour. »

Je baisse légèrement la tête, serrant la mâchoire. Oui… c’est exactement ça. Il ne comprend plus ce qu’est le combat. Hirgon rompt le silence, la voix dure :

  • Alors soit. Nous resterons ici cette nuit, voir si le général retrouve un peu de raison. Mais s’il s’entête… nous partirons au petit matin. Avec ou sans les civils.

Il tourne les talons, furieux, et quitte la salle sans attendre Lithariel. Celle-ci reste là, immobile, les bras croisés, le regard sombre fixé sur la porte. Idril, elle, ne m’a pas quitté des yeux depuis le début. Son regard est chargé d’une intensité étrange, de la crainte, peut-être, mais aussi d’autre chose.

  • Je vais essayer de parler à mon père, dit-elle enfin d’une voix douce. Peut-être que je parviendrai à le faire changer d’avis… Mais je le comprends, Talion. Il ne veut pas abandonner la cité. Moi non plus.

Elle s’approche lentement. Sa main vient se poser sur mon bras, légère mais tremblante. Ses yeux bleu pâle cherchent les miens.

  • S’il te plaît… ne nous abandonne pas.

Je la regarde en silence. Une part de moi voudrait détourner le regard, l’autre s’y noie. Enfin, je souffle, la voix basse :

  • Je ne vous abandonnerai pas. Mais les civils doivent partir. Ceux qui souffrent n’ont plus leur place dans cette guerre. Ils doivent vivre… ailleurs.

Idril baisse les yeux, une ombre traverse son visage. Elle esquisse un sourire triste, puis effleure ma joue du bout des doigts.

  • Hum… va dans ma chambre. Fais soigner cette blessure. J’ai tout ce qu’il faut, je viendrai te rejoindre. Elle détourne la tête, la voix brisée. Je… je dois voir mon père… pour le convaincre…

Puis elle s’éloigne, les épaules basses, comme si le poids du monde pesait sur elle. Je la regarde disparaître dans le couloir, et le silence retombe. Baranor soupire longuement, passant une main lasse dans ses cheveux noirs frisés. Ses yeux se lèvent vers moi, fatigués mais calmes.

  • Ne leur en veux pas, dit-il simplement. Ni à Castamir… ni à Idril. Je secoue la tête.
  • Ce n’est pas le cas.

Lithariel, toujours adossée à la table, croise les bras, le regard dur.

  • Castamir a perdu la raison, souffle-t-elle. Il est aveuglé par sa fierté.

Baranor ne répond pas. Il détourne les yeux un instant, comme s’il refusait de nourrir davantage la discorde. Le silence s’étire, lourd, rythmé par le souffle lointain du vent à travers les vitraux brisés.

Puis il me fixe de nouveau, le ton plus grave :

  • Si tu es là, c’est que tu as gagné… contre l’Uruk que tu voulais tuer ?
  • Oui. Il est mort. Et d’autres me servent désormais. Baranor hoche lentement la tête, sans poser de question.
  • Et maintenant ? Quelle est la suite ?

Je jette un œil vers les fenêtres ouvertes sur la nuit. L’air froid s’y engouffre, charriant les cendres et les murmures de la guerre.

  • A la prochaine lune, quand elle sera haute, dis-je. Je vais secourir les captifs dans le camp ennemi principal, à l’extérieur de Minas Ithil. Ceux que les Uruks gardent encore enchaînés. Je le regarde droit dans les yeux. Si tu veux m’accompagner, je ne t’en empêcherai pas. Mais ne dis rien à Idril. Ce serait trop dangereux d’y aller trop nombreux. Baranor esquisse un sourire fatigué.
  • Tu sais bien que je viendrai. Et je te promets, pas un mot à Idril. Il avance d’un pas, pose une main solide sur mon épaule. En attendant, je ferai tout mon possible demain pour nettoyer la ville supérieure. Sans perdre trop d’hommes… ni ma propre tête. Je réponds d’une voix basse, presque absente :
  • Tu n’auras pas à le faire seul. Je serai là.

Il hoche la tête, puis quitte la salle d’un pas mesuré, son ombre se fondant dans la lueur des torches. Je reste un moment immobile. Lorsque je me tourne, Lithariel est toujours là, les bras croisés, l’air fermé. Son regard, vif et dur, se plante dans le mien. Je reste un instant face à Lithariel, les mots de Castamir tournant encore dans ma tête comme des lames mal forgées. Comme pour me défendre d’un crime que je n’ai pas commis, je souffle :

  • Je ne peux pas faire plier un chef de guerre tel que lui.

Lithariel me fixe, les traits durs. Sous la torche accrochée au mur, la lumière caresse son visage, des mèches blondes, cendrées par la poussière, glissent sur sa joue marquée de fatigue. Ses yeux verts semblent brûler d’une colère triste, d’une lucidité que je n’ose pas affronter.

  • Alors les civils mourront, Talion… murmura-t-elle. Mais sans moi… Je n'assisterai pas à un massacre de plus. Je repars avec Hirgon… 

Ses mots tombèrent comme un coup de glaive dans la pierre. Je ne réponds pas. Peut-être parce que je comprends. Peut-être parce que je n’en ai plus la force… Je tourne les talons, le pas lourd, me dirigeant vers la chambre d’Idril pour faire soigner la plaie sur ma joue. Mais Lithariel ne reste pas derrière moi. Ses bottes claquèrent sur le sol de marbre fendu, suivant mon ombre.

  • Cette guerre est perdue d’avance, Talion, lança-t-elle d’une voix plus forte. Tu le sais aussi bien que moi. Ce n’est pas du courage, c’est de la folie. Je continue d’avancer, sans un mot. Ces murs ne tiendront pas. Pas contre les légions d’Ushak. Pas contre Sauron lui-même…! Sauver les captifs, chasser les Uruks de la ville… C'est vain…! D'autres viendront…!

Elle insiste, son ton se fait presque suppliant. Je serre la mâchoire, accélérant le pas. Mais à l’instant où j’atteins la porte de la chambre d’Idril, je craque. Je me retourne brusquement, attrapant le poignet de Lithariel. Mes doigts se refermèrent avec plus de force que je ne l’aurais voulu.

  • Que veux-tu que je fasse, hein ?! Abandonner ces gens ?!

Ma voix claque dans le couloir, brutale, rauque. Lithariel sursaute. Son regard se perd dans le mien, brillant d’un mélange de surprise et de douleur. Pendant une seconde, je crus y voir de la peur. Je lâche sa main aussitôt, honteux, le souffle court.

  • Pardonne-moi… dis-je plus bas. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas abandonner des Gondoriens. Pas encore.

Elle reste silencieuse, son bras retombant lentement le long de son flanc. Puis, d’un geste hésitant, elle pose sa main sur ma joue blessée. Sa paume est tiède, rugueuse d’avoir manié la lame trop longtemps.

  • Je comprends… C’est donc sûrement la dernière fois qu’on se voit, dit-elle.

Sa voix se brise légèrement. Une ombre de tristesse passe dans ses yeux, une mélancolie que ni la guerre ni le sang ne peuvent effacer. Je sentis un pincement au cœur, comme une douleur ancienne qu’on rouvre sans prévenir. Je voulais protester, lui dire que ce n’était pas vrai, que le destin n’était pas écrit.

  • Tu ne connais pas l’avenir, souffle-je. Elle esquissa un sourire triste.
  • Je ne suis plus une enfant, Talion. Dans ce monde de cendre, les retrouvailles sont rares. Je repars avec mon clan en direction du Rohan… 

Ses mots s’évanouirent dans un souffle. Ses yeux, verts comme la mousse d’un vieux bois, se plongèrent dans les miens. Je vis alors tout ce qu’elle ne disait pas : la peur, la résignation… et cette flamme fragile qui, malgré tout, persiste à brûler. Lithariel avança d’un pas. Ses doigts glissèrent le long de ma joue, puis sur ma nuque. Et avant que je n’aie le temps de dire quoi que ce soit, ses lèvres trouvèrent les miennes. Un baiser bref, fiévreux, chargé de tout ce que la guerre nous avait volé. Puis elle s’écarte, sans un mot. Je reste figé, le souffle court, incapable de comprendre ce qui se passe.

  • Pourquoi… ce baiser ?

Lithariel me fixe, ses yeux brillants, embués d’un mélange de désir et de tristesse.

  • Parce que je le veux, murmure-t-elle. Parce que c’est peut-être la dernière fois que j’aurai la chance de sentir ta présence si près… Talion…

Ses mots me désarment. Elle avance, se colle à moi. Nos corps s’entrechoquent, brûlants. Je sens la vie qui palpite dans ses veines, le besoin et la tension qui montent entre nous. Nos lèvres se retrouvent, et ce n’est plus un baiser. C’est un feu qui nous consume, un échange de désir et de besoin. Nous nous dévorons la bouche, sans retenue, chaque minute qui passe nous colle plus fort l’un à l’autre. Je la veux. Je la veux entièrement. Son corps sous ses vêtements est un appel à ne plus réfléchir, à laisser la guerre et les morts attendre. Je sens la douceur et la fermeté de son corps, tendre sous le tissu, et chaque mouvement la rapproche encore plus de moi. Ses mains se perdent dans mes cheveux, ses doigts tirent, me cherchent, m’implorent. Je passe mes mains sur son dos, chaque contact la fait frissonner. La chaleur qui émane d’elle m’embrase. Nos souffles se mêlent, nos fronts se pressent l’un contre l’autre. Pendant de longues minutes, nous restons ainsi, collés, happés par ce moment, comme si tout le reste du monde n’existait plus. Nos mains commencent à détacher les vêtements l’un de l’autre alors que nous atteignons le lit d’Idril. Allongé dessus, nos corps pressés l’un contre l’autre. Chaque mouvement est une danse de désir et ils s'accordent comme si nous étions un seul être. Son corps se cambre contre moi, chaque geste est une invitation silencieuse. Le tissu tombe entièrement, et je découvre sa silhouette. Le corps de Lithariel est si magnifique, souple et gracieux, ondulant comme une flamme dans le vent. Chaque ligne de son corps me captive, la finesse de sa taille, la courbe harmonieuse de ses hanches, la douceur de sa peau légèrement bronzée par le soleil, éclatante et chaude comme de la soie au toucher. La forme de sa poitrine, délicatement arrondie et parfaite, suit le rythme de son corps contre le mien, comme un poème silencieux que je veux mémoriser. Ses cheveux tombent en cascade sur mes épaules, chatouillent ma nuque et ma poitrine, et je laisse mes mains effleurer ce trésor vivant. Chaque geste d’elle, chaque souffle chaud contre ma peau, me fait vibrer. Elle domine le moment, mais ce n’est pas une domination brutale : c’est la puissance de sa passion, le besoin de sentir que nous sommes vivants, malgré la guerre et la mort tout autour. Nos corps collés, haletants, brûlants. Ses mains glissent sur moi, m’attirent plus près, et je me laisse guider, fasciné par chaque mouvement, chaque courbe, chaque souffle qu’elle m’offre. Nos regards se croisent, intenses, langoureux, brûlants d’un désir mêlé de tendresse. Puis je reprends doucement le dessus. Ma bouche goûte à la peau douce de Lithariel, un frisson délicieux qui m’embrase. Je la parcours de haut en bas, le goût de sa féminité, le son de sa voix, un mélange de tendresse, de plaisir brûlant qui me consume. Je ne peux attendre plus. Je me glisse entre ses jambes, découvrant ce paradis secret, et chaque mouvement est un mélange de passion et de tendresse suspendue hors du temps. Sa respiration s’accélère, chaude et vive contre ma peau, et chaque battement de son cœur m’enveloppe comme un feu doux et ardent. Nos souffles se mêlent, nos corps s’accordent, sauvages et tendres à la fois, dans une harmonie qui semble éternelle. Et quand enfin le silence revient, après cette étreinte, elle reste blottie contre moi, son front reposant sur mon torse, ses bras enserrant mon corps avec force et vulnérabilité à la fois. Je passe une main dans ses cheveux, sur sa nuque, savourant chaque instant, chaque frisson, chaque souffle partagé. Dehors, la cité dort, inconsciente de ce bref répit. Mais pour une fois, la guerre peut attendre. Nous avons trouvé, ne serait-ce qu’un instant, un refuge dans nos corps et nos cœurs.



Après l’étreinte. 



Lithariel reste collée à moi, nos corps encore chauds de l’étreinte, et je sens sa respiration qui se mêle à la mienne. Lentement, elle se redresse sur ses coudes, ses yeux clairs et profonds plongés dans les miens. Un sourire malicieux éclaire son visage, et ses doigts effleurent mon torse en traçant des caresses légères.

  • Pas si mal pour un rôdeur, murmure-t-elle, taquine.

Un sourire amusé naît sur mes lèvres. Sans réfléchir, je la renverse doucement sur le lit, la maintenant avec tendresse mais fermeté, et je réponds, un éclat d’amusement dans la voix :

  • Pas si mal pour une Nurn, réplique-je, faisant référence à sa tribu.

Elle rit, un son chaud et cristallin, et je sens ses mains m’attirer à nouveau contre elle. Nos lèvres se retrouvent, brûlantes et tendres à la fois, et elle s’accroche à moi, comme si elle voulait que ce moment ne finisse jamais.

Puis, son visage s’assombrit légèrement, et son regard se fait profond, presque douloureux. Ses doigts effleurent ma joue et ses lèvres frôlent les miennes, mais une ombre passe dans ses yeux.

  • Tu vas me manquer… murmure-t-elle, avec une sincérité qui me transperce.

Je sens un pincement au cœur, incapable de répondre immédiatement. Sa tendresse, sa force et sa fragilité tout à la fois m’envoûtent, et je serre un peu plus son corps contre le mien, comme pour retenir ce moment, comme pour graver sa chaleur et son odeur dans ma mémoire. Ses yeux me captivent, et je comprends que, malgré la guerre, les combats et les ombres qui rôdent, il existe ici, dans ce lit, un instant de paix et d’intimité absolue, fragile mais intense, que nous partagerons même au cœur des cendres. Je la regarde, mon souffle encore chaud, le corps encore vibrant de notre étreinte.

  • Toi aussi… murmuré-je doucement, mais il faut que tu saches… je n’ai rien à t’offrir. Je ne suis plus l’homme que j’étais. Je ne suis plus que l’instrument d’une vengeance sans fin.

Son sourire se voile légèrement, et elle fronce les sourcils, sa main effleurant mon torse.

  • Non… tu es plus que ça, insiste-t-elle, avec cette intensité qui me transperce.

Elle s’avance vers moi, m’embrassant à nouveau, comme pour s’unir encore à moi, pour retenir ce moment, mais je la repousse doucement. Le cœur serré, je m’assois sur le lit, incapable de céder à nouveau, bien que chaque fibre de mon corps le réclame. Je me lève enfin, nu, dévoilant mon corps à la lueur des chandelles, chaque mouvement lourd de désir contenu. Je prends mes vêtements et les enfile, le corps encore frémissant.

  • Tu devrais en profiter pour te reposer, et dormir un peu… murmuré-je, d’une voix rauque mais douce.

Lithariel bloque doucement la couverture sur sa poitrine nue, gardant un semblant de pudeur malgré le désir encore palpable dans ses yeux.

  • Oui… je vais me reposer, souffle-t-elle, en songeant à toi…

Je lui adresse un dernier sourire, sincère et tendre, une lumière fragile dans ce monde de cendres.

  • Merci… pour cette parenthèse, dis-je, et mon regard se durcit alors que je pense à demain. La guerre n’attend pas.

Je m’apprête à sortir de la chambre, mais quelque chose me retient. Je reviens vers elle, le souffle encore chaud, et mes lèvres se posent sur les siennes dans un baiser plein et entier, profond, chargé de tout ce que nous avons partagé. Lithariel me répond avec la même intensité, ses mains venant caresser mon visage, serrant doucement ma mâchoire comme pour graver chaque instant dans sa mémoire. Ses yeux brillent d’émotion, et je sens dans ce geste toute la mélancolie et la force d’un au revoir. Je me détache enfin, le cœur lourd, mais rempli de ce souvenir brûlant et fragile. Elle me regarde avec intensité, ses mains retombant lentement le long de son corps, et je quitte la pièce, laissant derrière moi ce moment suspendu, cette chaleur et cette tendresse dans la chambre silencieuse. 


Une fois hors de la chambre, je passe une main sur ma tête, encore un peu troublée par ce que nous venons de partager. La chaleur de Lithariel, ses gestes, son souffle… tout cela semble encore vibrer en moi. La voix de Celebrimbor glisse dans mes pensées, teintée d’un amusement moqueur :

  • “Tu ressembles à un ours en rut… maladroit, bruyant et bien trop sauvage au lit...” Je secoue la tête, un sourire amusé fend mes lèvres malgré moi.
  • Vraiment ? Tu juge alors qu’a mon avis, le sexe entre elfes doit être… ennuyeux, rétorque-je. Mais toi, grâce à moi, tu as enfin vu ce que c’était que d’honorer vraiment une femme… me vante-je.  Il y a un silence, puis une pointe de vexation glisse dans sa voix :
  • “Eh ! Ne me sous-estime pas ! Je sais honorer une femme, moi aussi, tu sais…” mais je ris doucement, un brin arrogant :
  • Sûrement pas aussi bien que moi.

Un bref silence suit, ponctué d’un léger rire ironique de Celebrimbor, mais je sens qu’au fond il sourit, cachant sa satisfaction derrière son ton de vieille ombre elfe toujours sûre de lui. Je reprends les escaliers, le cœur plus léger, le souvenir de Lithariel encore chaud dans mes veines. Chaque marche me rapproche de la grande salle, mais je tombe soudain sur Idril, qui m’attend avec ce mélange de surprise et d’inquiétude qui lui est si caractéristique. Visiblement elle venait nous rejoindre je peux donc dire que j'ai eu de la chance de ne pas être surpris… Ce que Celebrimbor confirme dans un rire moqueur…

  • Talion… Te voilà. Tu n’as toujours pas soigné ta blessure sur ta joue, et tu ne t’es même pas décrassé ! s’exclame-t-elle, fronçant légèrement les sourcils.

Une voix railleuse glisse dans mon esprit, celle de Celebrimbor :

  • “Ah… si elle savait que son « mâle » s’est accouplé avec une autre femelle… je crains qu’elle ne soit légèrement déçue.”
  • “Tais toi saloperie d'elfe…” répondis-je intérieurement.

Je ressens un mélange de gêne et d’amusement me traverser, et je me racle la gorge, me débattent avec mes réponses douteuses :

  • Lithariel était épuisée, je… je lui ai montré la chambre pour qu’elle puisse se reposer, souffle-je en baissant légèrement les yeux. Elle avait besoin de dormir. Celebrimbor qui semble bien taquin, ne peut s’empêcher d'ajouter : 
  • “Après que l'ours en rut se soit montré si sauvage, tu m'étonnes qu'elle ait besoin de repos… Dit-le à Idril pour qu'on observe sa réaction qui promet de m’amuser…”

Je l’ignore, un brin agacé. Idril semble elle comprendre, hochant doucement la tête. Puis, timidement, sa voix se fait plus basse :

  • Et… quel lien as-tu avec Lithariel ?
  • “Hu hu… Elle se doute de quelque chose, elle n'est pas stupide.” Rit sournoisement le seigneur Elfe.

Un instant, je cherche mes mots, conscient du piège de la question, puis je réponds, simple et rapide :

  • C’est une amie… rencontrée avant mon arrivée à Minas Ithil.

Idril acquiesce, et même si elle semble peu convaincue, elle m’adresse son regard doux et rassurant, et prend ma main dans la sienne avec délicatesse changeant de sujet :

  • Alors suis-moi, tu pourras te soigner et te décrasser dans les quartiers des gardes.

Je souris légèrement, appréciant sa compagnie et cette tendresse discrète. L’idée d’une douche après avoir tant transpiré dans cette chaleur et cette tension me séduit, mais je garde ce plaisir pour moi.


A suivre,



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