La maraude du Vieux Touque
Chapitre 22 : Les fantômes d'Eregion - Les Dunéens
2190 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 11/12/2019 09:45
Gandalf, Le Gris, s’aventurant dans les méandres enchanteurs de gazons et de bosquets, trouva les restes d’un ancien jardin. Deux allées se croisaient sous une arche double en fine dentelle de pierre, colonisée par des rosiers magnifiques. D’anciennes plantations en damiers étaient devenues de denses fouillis de plantes de toutes sortes, mais le magicien n’eut aucune difficulté à localiser et déterrer quelques légumes qu’ils se partagèrent crus. Puis Gandalf sacrifia son grand mouchoir pour confectionner un emplâtre de feuilles médicinales et soigner le cou du hobbit.
Après un peu de repos, ils reprirent leur cheminement vers le sud, le magicien les guidant au jugé, au travers les halliers.
Soudain Gerry donna l’alerte : des voix d’hommes résonnaient plus loin !
Le magicien et le hobbit s’approchèrent silencieusement, se dissimulèrent dans les fourrés et observèrent une troupe nombreuse qui campait au creux d’un vallon.
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Des hommes nombreux s’affairaient autour d’un grand feu, les plus jeunes confectionnant un repas pour l’ensemble de la troupe. Bien bâtis, arborant fièrement tresses et moustaches sombres, la plupart vaquaient torse nu aux corvées du camp, dans leurs braies taillées dans un même tissu à carreaux, aux dominantes rouges et beiges. Les plus âgés, drapés d’un plaid de même tissage en bandoulière, discutaient âprement, assis sur des colonnes de marbre brisées. Une tribu de montagnards en maraude…
Un gaillard d’âge mûr, large d’épaules et à la contenance de chef, s’empara cérémonieusement d’une outre et versa un liquide ambré dans une coupe de bronze. Il prononça quelques paroles rituelles, s’approcha du foyer et y versa quelques gouttes. Puis il agit de même en aspergeant les buissons de myrte non loin du feu. Enfin il but à la coupe et la passa à la ronde. Les guerriers les plus âgés goûtèrent à tour de rôle, certains jouant des coudes pour prendre leur part avant leurs rivaux.
Aucune monture n’était visible, hormis le poney de Gerry, entravé à l’écart près d’un ruisseau. Le brave Gilles ruait et se défendait avec énergie. Un tout jeune homme tentait de l’approcher, moqué par un large cercle d’aînés, qui se gardaient de lui prêter main forte et demeuraient à distance prudente. De toute évidence, le poney n’avait pas encore été déchargé de son fardeau : la résistance de la brave bête s’avérait farouche. La culture équestre de ces montagnards en tartan semblait à peu près nulle…
– Ils font partie d’un clan du pays de Dûn, près des racines méridionales des Monts de Brume, souffla Gandalf. Je connais leur chef, le vieux Sarlaigh : fier et avide, un courage douteux mais une prudence pleine de bon sens. Lui et moi ne sommes pas en très bons termes, il vaut mieux éviter de sonner à la porte de ces braves gens… Mais il nous reste une chance de récupérer votre monture ! Rapprochons-nous encore un peu et tenez-vous prêt à saisir l’occasion !
Le magicien scruta longuement et s’assura qu’aucun membre du clan ne se trouvait en faction alentours. En force, le chef n’avait probablement pas jugé nécessaire d’établir une garde. Gandalf et le hobbit se coulèrent furtivement parmi les genévriers et les chênes verts, jusqu’au bord du ruisseau, à moins d’un arpent du poney.
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Soudain, des appels pressants retentirent parmi les hommes rassemblés près du feu. Gerry et Gandalf reconnurent les pas de chevaux piaffants. Des cavaliers venaient d’arriver parmi les hommes du clan. Des aboiements furieux retentirent, puis des cris menaçants. Quelques épées furent tirées du fourreau. Les hommes du clan qui harcelaient Gilles quittèrent les parages du ruisseau pour rejoindre le foyer, dégainant également leurs armes.
Mais bientôt la voix du chef domina les invectives qui s’amplifiaient et menaçaient de dégénérer en bataille rangée. Les cris se calmèrent mais Gerry devinait une tension entre les deux groupes, sans pourtant comprendre la langue des montagnards. Les deux voyageurs ne pouvaient voir les nouveaux arrivants, mais ils n’eurent pas besoin de se concerter pour craindre le pire : leurs poursuivants, les cavaliers noirs et leurs horribles chiens loups, les avaient rattrapés ! La situation de nos voyageurs, bien qu’ils n’eussent pas encore été repérés, devenait très périlleuse !
Gandalf n’hésita qu’un instant. Il jugeait qu’ils ne pouvaient s’échapper sans au moins une monture. Tentant le tout pour le tout, il ordonna au hobbit médusé de récupérer son poney, puis il le quitta pour se rapprocher de la mêlée et entendre les échanges, toujours dissimulé dans les fourrés. Vous l’avez deviné, amie lectrice, Gandalf connaissait le langage des hommes du Pays de Dun…
– Place, faites place ! Place à la Voix du Maître ! lança le capitaine des rôdeurs noirs, à la tête de ses cavaliers, toisant la piétaille en tartan avec arrogance.
Un brouhaha désapprobateur courut parmi les guerriers dunéens. Le capitaine modéra un peu son impudence mais redoubla d’autorité :
– Je salue le chef Sarlaigh !... Je mande votre chef… Qu’il se montre !
Quelques clameurs dans les rangs dunéens s’élevèrent d’un ton offusqué – Respect au Roi Sarlaigh !
– Il se cache ! fit une voix anonyme, perdue dans la foule.
On ne savait pas qui avait parlé, mais la voix inconnue avait gravement insulté les dunéens, qui se montraient furieux. À leur grondement sourd répondit les grognements des grands chien-loups noirs qui accompagnaient les cavaliers.
Le chef dunéen ne pouvait rester plus longtemps à l’abri derrière les rangs de ses guerriers, qui se pressaient, menaçants, autour des cavaliers. Il s’avança, tâchant de prendre un air brave et hautain :
– Qui se présente à mon camp les armes à la main ?
Toutes ces rumeurs de défi avaient attiré les guerriers qui vaquaient encore alentours. Tous s’étaient maintenant rassemblés près du foyer pour soutenir le clan. Leurs targes à l’épaule, ils brandissaient leurs sagaies et lançaient leurs bravades :
– Descends de ton cheval, étranger ! Tu es sur nos terres ! C’est à toi de te présenter d’abord !
Le capitaine se dressa sur ses étriers, répondant haut et fort et distillant une sourde menace :
– Chef Sarlaigh ! Ne faites pas assaut de parole avec la Voix du Maître ! Vous savez qui je suis et nous avons un accord ! Il vous faut à présent l’honorer !
– Nous ne voulons pas de votre accord de dupes ! lança la voix anonyme.
On ne savait toujours pas qui avait parlé, mais la voix avait gravement provoqué les étrangers. Et la plupart des montagnards hurlaient leur approbation avec enthousiasme.
Des aboiements furieux de la meute noire s’élevèrent, alors que le capitaine haussait le ton :
– Le Maître vous a accordé sa faveur et restitué des terres ! À présent votre clan festoie et se prélasse, alors que le Maître a ordonné la chasse ! Les Ardelaigh sont-ils donc parjures et pleutres face au danger ?
La masse des guerriers en tartan, énervée, hésitait. Le chef Sarlaigh, un peu débordé, lança précipitamment :
– Mon clan a respecté sa part de l’accord !
– Alors où sont les prisonniers exigés ?
– Euh… Nous avons capturé leurs bagages ! Mon clan n’a aucun intérêt à capturer des vagabonds. Seuls leurs biens nous sont utiles…
– Ramasser des bagages c’est un travail de femme ! se moqua la voix anonyme avec mépris, dans la cacophonie des insultes et des grognements.
On ignorait toujours d’où venait la voix, mais elle embarrassait les deux chefs, celui qui avait donné l’instruction, comme celui qui l’avait acceptée. Quelques pierres jaillirent, alors qu’enflaient les huées et les insultes.
La Voix du Maître, le capitaine des cavaliers, devait rapidement reprendre l’initiative, sans perdre la face ni provoquer plus avant les dunéens. Il fit un effort magistral pour se contrôler :
– Ces prisonniers ont une grande valeur ! Le Maître offre deux onces d’argent pour leur capture, morts ou vifs, à condition qu’ils lui soient livrés sans être dépouillés d’aucune façon ! L’enfant a une valeur marchande et doit être capturé vivant. L’Errant gris est un fouineur dangereux et doit être abattu !
La promesse mirobolante alluma la convoitise dans le cœur du chef dunéen. Mais la voix anonyme ne lui laissa pas le temps de peser la nouvelle offre :
– Menteurs ! vous n’avez pas ce prix avec vous ! Et les Ardelaigh ne sont pas vos laquais !
La voix, d’où qu’elle vînt, avait flatté la corde sensible des guerriers en tartan. Le chaos eut raison des pourparlers :
– Nous sommes les guerriers du clan Ardelaigh ! hurlèrent quelques fiers-à-bras au côté du chef
– Nous ne craignons rien ni personne dans nos collines ! renchérirent d’autres.
– Les loups nous enserrent ! lança une voix alarmée.
En effet, les terribles fauves, mi-chiens, mi-loups, s’étaient fait oublier et avaient adopté la disposition naturelle d’une meute en chasse, en arc de cercle autour de la tribu. Quelques sagaies volèrent et deux ou trois combats isolés s’engagèrent contre les monstres. Les lames empoisonnées des dunéens seraient mortelles pour les fauves, mais ceux-ci n’étaient pas des loups ordinaires…
Les rôdeurs noirs ne pouvaient laisser malmener leurs pisteurs sans réagir. Tout s’enchaîna alors très rapidement. Haines et terreurs immémoriales prirent le pas sur la diplomatie, les insultes fusèrent alors que les premiers blessés s’effondraient sous les coups d’épées :
– Têtes de chiens galeux ! Retournez au gouffre de la mort !
– Lâchez nos pisteurs, bande de dégénérés ! À bas les dépossédés !
– Mort aux nécromants ! Vous ne serez pas les seigneurs sur nos terres !
Bientôt la mêlée fut générale, les rôdeurs noirs durent se regrouper pour faire face au clan survolté. Plusieurs hommes furent tués ou gravement blessés de part et d’autre. Le sang amenant la vengeance, personne n’eut plus le pouvoir, ni bientôt la volonté, d’arrêter le massacre des anciens alliés. Les rôdeurs, en infériorité numérique, durent battre en retraite, laissant pour morts plus de la moitié des leurs et leur atroce meute décimée et dispersée.
Mais ce fut le clan qui paya le plus lourd tribut, une douzaine de morts et blessés. Aussi, en représailles de cette hécatombe, immédiatement après la retraite précipitée des rôdeurs noirs, les blessés de ces derniers furent achevés et dépouillés.
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Pendant de longues minutes, Gandalf avait écouté et, comme l’a certainement deviné notre astucieuse lectrice, était parfois intervenu dans la conversation, par petites touches distillées à propos, de sa voix contrefaite de ventriloque.
À présent, une dispute éclatait entre le chef Sarlaigh, blessé et affaibli et son neveu, un véritable géant hirsute, dont les partisans étaient restés en retrait de l’affrontement. De toute évidence l’opportunité manquée d’une alliance avec les étrangers, avait déplu au jeune homme. Peut-être en avait-il été l’initiateur…
Le feu de la discorde semblant ne plus avoir besoin de lui pour être attisé, le magicien s’esquiva et rejoignit le hobbit, fort satisfait de la tournure des événements.
De son côté, Gerry s’était faufilé avec la discrétion du furet en chasse. Alors que les clameurs montaient puis s’abaissaient, ponctuées des beuglements de voix autoritaires, il avait rejoint le ruisseau et couru jusqu’au poney. Le jeune dunéen qui avait tourmenté Gilles avait rejoint ses camarades près du foyer : la voie était libre !
Le poney, détaché sans difficulté après les caresses de retrouvailles, s’était laissé conduire par son maître bien-aimé. Après quelques pas vers l’aval à la lisière boueuse du ruisseau, le hobbit avait pénétré plus profondément dans le courant, puis l’avait remonté. Ainsi, espérait-il, des poursuivants tenteraient d’abord de le pister vers le sud. Gandalf, revenant en catimini, lui emboîta le pas dans le ruisseau, riant de la discorde de leurs ennemis.
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