La maraude du Vieux Touque

Chapitre 51 : Duel au sommet - Déception

2211 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 16/03/2020 18:32

Un soir, au retour du labeur, les nains eurent la surprise de trouver Gandalf, tranquillement installé au bureau de Thráin, absorbé dans les cartes de Barum-Nahal établies au fil des jours.

– Ah, vous voilà enfin ! lança le magicien. Je me demandais combien de temps vous mettriez avant de trouver la première salle !

Un peu froissé, Thráin ne prit pas la peine de saluer lui non plus :

– Nous l’avons trouvée immédiatement, mais collecter nos richesses nous a mobilisés pendant plusieurs jours ! Mais vous semblez penser que nous en trouverons d’autres ?

– Je suis persuadé que des magasins immenses sont à portée de la main !

– Voilà un magicien bien optimiste ! Nous avons prudemment obstrué plusieurs galeries pour nous mettre à l’abri de monstrueuses hydres de feu !

– C’est ce que m’a raconté Krὸrin, à sa façon détaillée et un peu décousue… Le pauvre garçon commence à peine à pouvoir dormir, avec ses contusions et ses côtes douloureuses.

– Pour l’heure, je ne considère pas que nous soyons hors de danger. Les hydres de feu peuvent avoir investi les profondeurs inférieures.

– Mais je ne doute pas que vous puissiez vaincre les hydres facilement, même s’il en reste. De toute évidence, ces créatures ont chassé les gobelins des lieux, mais une escouade de nains solidaires, motivés, bien équipés et correctement commandés au combat, s’est avérée un défi au-dessus de leur force. À présent qu’elles ont perdu leur nid, je doute qu’elles puissent se rassembler et attaquer en masse, dénuées d’intelligence et incapables d’action concertée comme elles le semblent !

– Comment être sûr de leur complète éradication ?

– Je ne puis en être certain, mais je devine qu’il en reste peu. Il est évident que ces hydres de feu sont apparentées aux dragons, même si elles n’en ont ni l’intelligence ni la mortelle puissance. Je crains que l’œuf que vous avez détruit ne soit issu d’un dragon, peut-être même de Scatha elle-même, qui sait ? Puissions-nous ne jamais avoir à expliquer à la véritable mère ce qu’il est advenu de son rejeton, si elle vit encore ! Mais il me parait clair du moins que cet œuf a un rapport avec la présence de ces créatures, un rapport très direct ! Je me demande d’ailleurs si les ‘langues de feu’ des légendes du Nord ne sont pas précisément ces hydres que vous avez vaincues, et non des coulées de lave comme nous l’avions cru…

– Mais comment un œuf de dragon aurait-il pu engendrer autre chose qu’un dragon et qui plus est, plusieurs de ces créatures ?

– Je n’en suis pas sûr, O Thráin, répondit Gandalf pensif, mais je me demande si ce prodige n’a pas, en quelque sorte… découlé du principe de vie de votre Montagne Originelle, qu’un dragon aurait pu pervertir de sa simple présence…

Thráin fut horrifié à cette idée :

– Notre devoir sacré est d’éradiquer cette détestable engeance !

.oOo.

Pendant les jours qui suivirent, le chef nain fit donc ouvrir et explorer une à une les galeries. Comme Gandalf l’avait prévu, ils ne trouvèrent plus guère de trace des terribles hydres. Pourtant ils durent en affronter quelques-unes, solitaires, imposantes et désorientées. Mais la cohésion de l’escouade naine en vint à bout au prix de quelques brûlures et d’un bras en écharpe. Les Khazad persévérèrent plusieurs jours et découvrirent quelques magasins de métaux et notamment une salle remplie d’argent – mais plus aucune hydre.

La colonie naine bruissait à présent d’activité, chaque jour apportant son lot de labeurs et de succès. Même les blessés, une fois sur pied, faisaient preuve d’une motivation exemplaire, se relayant pour la cuisine ou les menus travaux d’intendance.

Pourtant Thráin, de son côté, ressentait un manque. Il arpentait les galeries des mines inférieures dans l’espoir de parachever sa conquête. Il explorait les couloirs occidentaux de ses mines et complétait la cartographie avec rigueur. Ce goût d’inachevé persistait en dépit des indéniables succès que furent la découverte d’autres magasins, bien fournis en matériels de mine et en machines de tir en parfait état. Son instinct et sa volonté, que décuplait l’anneau de Dúrin, lui dicta de faire dégager l’accès à un grand puits, qui s’avéra la principale voie de pénétration vers les profondeurs. Une fissure naturelle, presque verticale, perçait la montagne en son cœur, diffusant jusqu’aux tréfonds, la lueur éthérée de ses neiges éternelles. Un escalier de pierre vive s’enroulait autour du puits, nimbé de lumière bleue.

Sans doute le dragon avait-il usé de cette voie autrefois… À plusieurs reprises, ils découvrirent des restes de repas immondes laissés par des créatures qu’ils n’osèrent pas se représenter en imagination. Mais tout cela semblait très ancien. À l’intersection de deux voies importantes qui s’enfonçaient vers les profondeurs, Thráin eut l’intuition que sa tension allait trouver une réponse. Le cœur de la montagne battait au rythme de son propre cœur. Il fit chercher ses trésors – Màr et Nár revinrent, porteurs pêle-mêle, de la hache d’apparat de leur chef, du fanion du peuple de Dúrin, des œufs de Thráin et de Màr, et de la lanterne de Lune.

La lanterne ne révéla rien, à la grande déception des trois nains. Thráin ne cacha pas son dépit. Il s’assit en maugréant dans sa barbe, soupesant ses trésors, tandis que ses aînés s’entêtaient à sonder la roche alentours. Le chef nain caressait l’idée de briser son précieux cadeau reçu à Imladris, lorsque les deux œufs – celui de Màr et le sien – lui échappèrent des mains à la faveur d’un battement de la montagne et tombèrent sur le sol rocheux où ils se mirent à rouler. Thráin arrêta le premier et le cala, mais le second en profita pour s’échapper et dévaler la pente douce, y prenant une vitesse étrangement élevée.

Un peu agacé, le grand nain se releva et se lança à la poursuite de l’œuf rebelle. Thráin s’évertuait à le saisir, mais le précieux cadeau, rebondissant de façon imprévisible sur les aspérités rocheuses, lui échappait encore et encore. Sans doute le précieux don d’Elrond abritait-il quelque chose de vivant…

Enfin l’œuf s’immobilisa au milieu de la pente, de façon tout-à-fait inexplicable – c’était celui de Thráin. Le grand nain, un moment pris de stupeur devant cet étrange comportement, n’osa plus y toucher, contemplant en silence cette forme oblongue, dressée sur un méplat, comme un index énigmatique. Osant à peine élever la voix, Thráin appela à lui ses oncles qui le rejoignirent, courbés dans leur crainte respectueuse et frappés de mutisme. Quelque chose d’extraordinaire était à l’œuvre, qui défiait l’entendement !

Solennellement, le chef nain avança ses mains tremblantes et s’empara de son œuf. Le cœur de la montagne cessa de battre. Thráin sentait darder sur lui les regards de ses ancêtres, comme si la lignée, rassemblée ici toute entière, penchée par-dessus son épaule, retenait son souffle avec lui. Il brisa son œuf sur le sol.

.oOo.

Quelle ne fut pas la déception de Thráin : son œuf était vide !

Incrédule, il examina avidement chaque brisure de la magnifique coquille, en vain.

Les nains firent de la lumière, sondèrent le sol, les parois : rien ! On s’était moqué d’eux !

Déçu et mortifié, le petit groupe finit par se résoudre à s’en retourner, lançant de sourdes imprécations contre l’impolitesse et la duplicité proverbiales des Elfes, la voix vibrante d’une indignation que seul pouvait rendre le parler Khuzdul.

Et c’est précisément lorsque retentit l’une de ces expressions gutturales et fleuries, que se révéla une porte, merveilleusement dissimulée dans la paroi, précisément là où Thráin avait brisé son œuf ! À chaque exclamation émerveillée des trois nains – en Khuzdul ! – les contours de la porte luisaient faiblement.

Már et Nár tempérèrent immédiatement de louanges pour maître Elrond, la vive acrimonie de leurs vociférations précédentes.

Fébriles, ils s’assemblèrent pour pousser, mais la porte ne s’ouvrit pas. À présent surexcités, les nains se relayèrent en prononçant quelques vers de la saga de Dúrin, pour en maintenir visibles les bords qui s’éclairaient et palpitaient lorsque des mots de Khuzdul étaient psalmodiés.

Inspiré par les mots de passe des légendes naines, Thráin énonça quelques commandements d‘ouverture dans sa langue. À chaque fois les contours apparaissaient plus nettement, comme répondant à son appel, mais la porte restait close. Les compagnons du Roi firent de même, essayant de toutes les littératures naines, de la poésie la plus inspirée à la chansonnette la plus triviale.

Mais au fil des heures, l’impuissance et la lassitude avaient attisé leur colère.

De rage, à présent, Thráin exigeait l’ouverture en frappant des deux poings sur la paroi, lorsque l’injonction la plus inattendue et pourtant la plus simple – « ouvre-toi ! », lancée au milieu d’une volée d’injures – actionna le mécanisme.

Les trois amis s’entre-regardèrent un instant, hébétés et honteux de leur emportement.

Un large battant s’était matérialisé sur la paroi, s’ouvrant vers eux sans un grincement. Des rais clairs s’échappaient de la pièce que l’on devinait derrière, inondant le seuil d’une invite chaleureuse.

Les nains s’avancèrent par la porte béante.

.oOo.

La salle abritait des richesses dont seul un Roi nain pouvait rêver sans extravagance : des lingots de métaux précieux, des pierreries fines, des bijoux dignes des forges elfiques, des lames brillantes... La salle du trésor royal de Barum-Nahal étincelait de mille feux. Mais les nains n’y jetèrent qu’un rapide regard.

Car au centre de la petite pièce trônait un grand coffre cylindrique de marbre, scellé au sol. Thráin s’arc-bouta pour soulever le couvercle, bientôt relayé par ses oncles. Le coffre ne cilla pas. Puis les nains tentèrent de dévisser cette chape, dans un sens puis dans l’autre. Le lourd couvercle hémisphérique resta immobile. La dalle ne montrait aucune serrure, mais une inscription runique partait de son centre et s’en éloignait en spirale. Thráin remarqua alors que cette écriture énonçait une énigme, dans la langue que les nains ne révèlent pas :

Le vrai Roi puise dans cette ressource pour ouvrir son coffre.

Les trois nains se mirent au travail, s’évertuant à résoudre l’énigme. C’était là un étrange tableau, que ces trois solides guerriers assis en tailleur et réfléchissant profondément. Ils passèrent en revue les différents moyens qu’un Roi Khazad avait à sa disposition pour sécuriser et ouvrir un coffre. Toutes les formes de serrures furent évoquées, y compris les charmes secrets de la maison de Dúrin. Puis vinrent les mots de passe, comme pour la porte. Puisqu’il faut vous dire la vérité, ils avaient un peu l’air ridicule, échangeant des astuces linguistiques et des comptines de leur enfance. Mais aucun mot ne fit frémir le couvercle de marbre. Ils changèrent donc de tactique et rivalisèrent pour imaginer avec quels instruments ils pourraient le forcer. Les outils à portée de main furent essayés, sans résultat aucun hormis un ciseau brisé.

Anxieux et irritable, Thráin commençait à se demander si le seigneur de la maison des Barbes-raides n’était pas, plus que lui, légitime en ces lieux. En désespoir de cause, Màr passa en revue tous les moyens qu’un cambrioleur pourrait imaginer dans pareil cas. Inutile de préciser que ce fut en vain.

Les trois nains, fatigués et profondément contrariés malgré leur formidable découverte, rejoignirent leurs compagnons. Ils ne dirent rien de leur mésaventure mais tout le monde remarqua leur mutisme contenu et leurs mines préoccupées. Une fois pris le repas, comme les trois conspirateurs se concertaient à voix basse dans le bureau de Thráin, ils résolurent de consulter Gandalf.

Laisser un commentaire ?