Tranches de vices

Chapitre 3 : L'ombre se répand

2022 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/05/2018 11:24

Tranches de vices – Angrenost

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Tiers Age 2759

Les Dunedain s'étaient repliés au sommet du grand escalier. Les gardes valides traînèrent leurs blessés sur le perron tandis que leur capitaine, le bras en écharpe, déverrouillait la porte d'Angenost.

La horde des assaillants avait investi les remparts extérieurs qui encerclaient Nan Isen et déferlaient à présent dans la vallée en exterminant les soldats isolés.

Les défenseurs épuisés, assaillis depuis plus d'une lune, avaient dû céder devant le sauvage assaut de ces montagnards du Pays de Dun.


Des cris retentirent dans la pénombre du soir glacé : un petit groupe de fuyards avait été aperçu par les pillards.

Aussitôt les torches rouges convergèrent vers le groupe. Les arcs de Numénor chantèrent en choeur : sur le perron le capitaine avait ordonné une salve.

Plusieurs torches tombèrent, et les fuyards en profitèrent pour se frayer un chemin vers la tour. A leur tête un vaillant vieillard frappait de taille et d'estoc, rameutant les blessés à la lueur vacillante de son bâton.


Enfin les rescapés gravirent les marches et se réfugièrent à l'intérieur de la haute tour, suivis des archers qui refermèrent la lourde porte.

Les défenseurs s'entre-regardèrent avec effroi : un écho de sépulcre hantait les colonnades. Peu d'entre eux avaient accompagné leurs officiers à l'intérieur de l'antique place forte, vestige de Numénor et de sa puissance évanouie. La plupart découvrait la sévérité des piliers et la majesté des hautes voûtes. Mais à présent la tour, réputée imprenable, leur paraissaient devoir devenir leur tombeau.

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Les jours qui suivirent furent atroces. Nombre de blessés succombèrent, leurs plaies noircies par les poisons que les assaillants avaient probablement utilisés. Le magicien gris, la mort dans l'âme, ne put rien pour eux et fit mettre en bière leurs dépouilles.

Trop peu de vivres et de fournitures de premier secours avaient été stockées dans la tour même, et le moral des défenseurs commençait à sombrer. Les pigeons voyageurs lâchés pour demander de l'aide au Rohan, avaient été interceptés par des crebains noirs et rapides.

Le capitaine avait bien du mal à maintenir la discipline. A l'extérieur s'élevaient les cris des prisonniers, que les brigands de Dun torturaient sous les yeux des défenseurs. La peur et la faim viendraient plus sûrement à bout de la combativité des Dunedain, que l'odieuse bande de pillards qui rôdait au-dehors.

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Ainsi résistèrent les dunedain d’Angrenost, derniers représentants des gardiens que l’Intendant Beren avait assignés à sa forteresse occidentale.

Lorsque les vivres vinrent à manquer, les hommes s’exprimèrent à haute voix : plutôt qu’une agonie de rats pris dans une souricière, tous préféraient une fin glorieuse, les armes à la main, brandissant la bannière du Gondor sous le ciel.


Gandalf, qui veillait souvent au sommet de la tour, les convainquit quelques temps d‘attendre un secours qui s’approchait. Mais lorsque les conseils du magicien firent défaut, il ne put s’opposer à ce suicide, et l’officier dut se rendre aux prières de ses hommes.

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Avant l’aube, la troupe se glissa au-dehors, espérant surprendre les sentinelles et s’enfuir dans la pénombre avec la clé d’Orthanc. Pour tromper leur ennemi, Gandalf conseilla de  s’orienter vers les collines, et non le long de l’Isen.

Mais son espoir les trahit. Ils furent repérés par une meute et pris en chasse.


Environnés des cris de leurs ennemis, complètement encerclés, ils déployèrent l’insigne de Gondor sur une motte rocailleuse et se préparèrent à entrer dans les chansons.

Ils ployaient sous une pluie de traits empoisonnés - un à un ils succombaient. La garde du chef de clan s’avança alors pour l’hallali. Dans un dernier baroud, les dunedain enfonçèrent leur ligne, et s’ensuivit une lutte au corps-à-corps, acharnée et féroce. La haine des Daen, chassés jadis des Montagnes Blanches par les Gondoriens, se lisait dans le regard des guerriers farouches, qui combattaient torse nu.


Mais soudain l’espoir changea ce camp. Un cor retentit dans les collines, et les brigands furent pris à revers par des assaillants.

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…Saroumane le blanc s'avança en majesté, encore habité du courroux de la lutte. S'approchant de Gandalf, il lui tendit la main. Le gris mit un genou en terre et s'inclina respectueusement :

- « Saroumane… »


Le magicien blanc, qui venait de rétablir magistralement une situation difficile, savoura cette déférence pendant quelques secondes avant de relever Gandalf, avec prestance et hauteur.

- « Je vous en prie, mon ami. », dit-il d'un ton grave et compatissant.


Autour d’eux les combats s’achevaient. Les quelques Dunedain rescapés étaient rassemblés autour de leur capitaine, tombé et exsangue. Un clan au tartan écarlate avait maîtrisé les brigands et des hommes vigoureux les entravaient.

- Me confierez-vous comment vous en êtes réduit à vous terrer devant une bande de brigands des montagnes ?, sussura Saroumane. La voix complice et badine appelait à la confidence.

Gandalf fit mine de s’approcher du capitaine qui gisait non loin. Ce manque d’attention indisposa le grand Saroumane :

- « Votre compassion honore notre ordre, Mithrandir, mais n'avez-vous rien de plus utile à faire que de materner un subalterne ? Etes-vous certain de choisir vos priorités avec suffisamment de discernement ? » La voix était celle d'un éminent stratège tâchant d'élever le débat devant un conseil de jeunes capitaines prometteurs mais inattentifs.


Gandalf, préoccupé par l'état de son compagnon, ne prêtait guère attention à Saroumane, qui s'approcha, l'air vaguement impatient :

-« Votre protégé a simplement besoin du sommeil de l'oubli. Laissez-moi faire ! ». Un ton de guérisseur dans la plénitude de son art ne laissait pas d'alternative. Gandalf s'écarta avec espoir et gratitude.

« Regardez-moi dans les yeux, mon ami. Votre douleur se dissout dans le sommeil ! », énonça le magicien blanc avec une voix de basse, doucement autoritaire et lénifiante. Puis il passa sa main dans les cheveux bruns de l’officier qui se détendit et ferma les yeux aussitôt, l’air beaucoup plus serein.


« Et maintenant, m'expliquerez-vous ? », lança Saroumane avec une pointe d'agacement qui exigeait un rapport.

- « Je dois m'ouvrir à vous d'événements inquiétants… », commença tout bas le magicien gris.

- « Lorsque Gandalf parait, la tempête survient ! Vous êtes souvent au cœur de la tourmente ! , ironisa la voix suave du général s'adressant avec confiance à un aide de camp éprouvé de longue date. Je vous écoute, mon ami. »

- « La paix est compromise en Eriador. Les rôdeurs d'Arnor n’ont plus guère d’influence au sud du Gwathlo. Ils ont dû déserter le pays jusqu'à Tharbad, et mes messages restent sans réponse.

- Cette carence et ce silence sont préoccupants, j'en conviens. Mais je me suis depuis longtemps gardé de m'appuyer sur un seul allié. Il n'y a rien à attendre des restes dispersés et des ruines d'Arnor, je le crains. Leur lignée a failli depuis longtemps…

- Pourtant, ils sont fiables, et c'est beaucoup de nos jours.

- Votre naïveté serait touchante, si ce n'était là une faute mortelle ! A quoi nous sert une force en repli continuel et mise en déroute à la première alerte sérieuse ? »


Gandalf, baissant la tête, poursuivit son exposé :

- Je crains que des espions ailés n'assistent nos ennemis, et que nos mouvements soient traversés.

- Gandalf, je sais déjà que vous avez tenté de réprimer les pillages que cette bande exerçait dans les trésors enfouis d’Eregion. Votre route s'y écrit en lettres de feu. Pour qui sait percevoir les signes, vous avez laissé une trace flamboyante tout au long de votre périple. Comment s'étonner que vos allées et venues soient connues ? » Cette fois le ton moqueur n'était tempéré d'aucune nuance de bienveillance.


Gandalf vexé persista :

- « Il fallait pourtant s’opposer à cette menace avant qu’elle ne rallie d’autres clans ! »


La voix forte trancha d'un ton sans appel:

- Vous parvenez enfin aux conclusions qui s'imposent ! J'ai repéré ces brigands depuis plusieurs mois. Ils appartiennent à une tribu des contreforts occidentaux des Monts Brumeux, près des ruines d’Ost-in-Edhil. Et je m'occupe personnellement d'enrayer cette menace, comme vous l'avez certainement remarqué. Lorsque j'en aurai fini avec eux, elle aura disparu d'Eriador. Vous ne semblez pas avoir compris qu'un pouvoir est en passe de se lever, Mithrandir.


Le ton de grand commandeur des armées ne souffrait aucune réplique. « Une lutte d'influence vient de commencer, nous devons garder le contrôle des régions occidentales coûte que coûte, sans quoi nous tomberons. Je fais mon affaire de cette guerre. »

Gandalf objecta pourtant :

- « Je ne comprends toujours pas pourquoi ils ont assailli Angrenost!

- Ils vous ont suivi jusqu’ici, dans l’espoir de rapines et richesses, en suivant la rumeur de corbeau des tempêtes qui vous accompagne, Gandalf ! » La voix avait perdu son ton suave, animée seulement par l'agacement et un brin de jalousie. Saroumane reprit alors comme un père courroucé mais juste, peiné de devoir sévir :

- «C'est vous que suivaient ces brigands. Vous êtes toujours au cœur de la tourmente, car vous la provoquez. »

Gandalf allait protester, mais Saroumane coupa son subordonné d'un air sévère :

- « Vous attirez trop l'attention sur vous. Votre vœu d'humilité semble s'étioler dans la fumée de l'herbe à pipe… Ou serait-ce votre empressement à briller aux yeux du Conseil Blanc ? »

Remarquant le visage livide et les lèvres serrées de Gandalf, Saroumane reprit sur un ton plus conciliant, comme envers un élève réprimandé, mais très aimé :

- «Je vous prie instamment, dans l'avenir, d'appliquer vos facultés à la persévérance et à l'efficacité en vous montrant plus circonspect. Promettez-moi de ne plus déployer vos talents qu'à bon escient, sans témoins !»


Le clan dunéen qui avait prêté allégeance à Saroumane tenait à présent les brigands prisonniers à genoux et liés les uns aux autres devant des troncs couchés. Leurs têtes lasses et résignées s'inclinaient sur leurs poitrines. Ils semblaient n'entretenir aucune illusion quant à la clémence de leurs vainqueurs. Avec une grimace triomphale, le chef du clan s'approcha sous les vivats de ses guerriers en tartan. Brandissant soudain sa grande hache de combat, il décapita l'un après l'autre les captifs, sans autre forme de procès.

Gandalf qui se précipitait fut retenu dans son élan :

-« Non, Mithrandir ! Ce peuple fait la guerre à sa façon. De quel droit les jugeriez-vous, vous que personne n'a chassé de vos terres ancestrales ? Du reste, vous leur êtes redevable par la loi du sang : ils vous ont secouru… Car il s'agit d'une guerre sans pitié, dont l'enjeu est l'équilibre des pouvoirs dans le Nord et l'opportunité pour chaque peuple de forger son propre destin. En vérité je vous le répète : je ne peux pas plus que vous, laisser de témoin derrière nous… »


Gandalf épouvanté s'inclina, la mort dans l'âme.


Là-dessus, Saroumane se pencha vers le capitaine. Il était mort.


Le magicien blanc délesta la dépouille de la clé d’Orthanc, qu’il glissa dans sa manche :

- « Ce valeureux officier n’est pas mort en vain… A présent vous connaitrez cette vallée sous le nom de Nan Curunir… »

Saroumane tourna ses pas vers la haute tour, satisfait de l'ascendant qu'il venait de prendre sur son subordonné. Il convenait de le canaliser tout en ménageant sa bonne volonté : il pourrait se montrer utile à l'occasion…

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A suivre…

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