Tranches de vices

Chapitre 4 : Le multicolore

659 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/11/2016 19:14

Isengard

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Dans la tour d’Isengard...

Des nuages sombres roulaient autour du sommet de la grande tour de granit noir, éclairant par intermittence un trépied, au centre d'une vaste salle vide.

Le magicien blanc tira prudemment le foulard de soie mordorée (1), découvrant une sphère de verre sombre.

Des parchemins à la main, Saroumane scruta la pierre inerte pendant de longues minutes.

Les rouleaux dérobés aux archives royales de Minas Tirith laissaient entendre que seul un émissaire légitime pouvait impunément la sonder… N’était-il pas de fait investi du pouvoir et des prérogatives de l’Isengard ?

Enfin il se décida et entreprit de savantes passes des mains, au-dessus de la boule éteinte.

Lentement, Saroumane explorait la surface du Palantir. Doucement, il sondait les réactions du granit aux auscultations de ses longs doigts cauteleux. Fort des leçons d'Aulë, le magicien blanc s’évertuait à orienter la pierre autour de son axe invisible, qui seul permettrait d’accéder à ses secrets.

Des spasmes de convoitise serraient le cœur du vieillard, mais sa main experte caressait l’orbe avec une délicatesse maîtrisée.

Pourtant le Palantir demeurait silencieux, insondable comme la pénombre d’un gouffre sans fond.

Le front en sueur, le magicien blanc reprit ses rituels et ses injonctions muettes, aussi obstiné que l’artisan forgeant et trempant cent fois sa lame.

La pierre lui résistait – tantôt une opposition franche et sereine envers un usurpateur démasqué, tantôt un refus sourd, comme irraisonné et plein d'effroi.

Mais les heures s’écoulaient vaines, épuisant la persévérance de Saroumane et les ressources de ses parchemins.

Perdant patience enfin, le magicien blanc appuya sa sommation d'un mot de force :

– "Edro !"

Alors une flamme jaillit au cœur de la pierre, minuscule et lointaine, pourtant nette et forte comme un fanal dans une nuit sans nuage.

Le vieillard esquissa un rictus de triomphe. Mais aussitôt, une lourde chape l'environna, comme si les murs, les colonnes d'Isengard et les nuages autour s'étaient avisés de son irruption et fixaient à présent leur attention sur la pierre.

Saroumane avait déjà éprouvé cette présence alerte, cette concentration intense... mais où cela ?

Il éleva à nouveau sa voix, la panacée de ses pouvoirs, ordonnant à la pierre de se plier à ses volontés.

Ainsi fut fait.

La pierre lui révéla l'espace, le proche et le lointain, le petit et l'immense, le vif et le patient.

La pierre lui révéla le temps, l'avéré et le possible, l'oublié et le probable, l'inimaginable et l'imminent.

La pierre lui révéla le savoir et le pouvoir, elle dévoila les possibilités du vouloir, mais elle ne sut rien lui dire du devoir.

Car l'orgueilleux Saroumane refusait d'entrevoir l'humilité du devoir.

La pierre lui fit connaître l'absence : l'effacement des elfes, l'éloignement des Terres Immortelles, l'affadissement des principes, la vacance du pouvoir, l'extinction des scrupules.

Enfin la pierre lui fit connaître la présence – l'omniprésence, vindicative et exclusive, assoiffée de domination, d'un œil, rougeoyant et sans paupière, enflant dans son esprit jusqu'à le submerger !

Saroumane hurla un mot de secret et se retira de la pierre.

Ébranlé et haletant, il rassembla ses esprits. Il avait reconnu cette présence alerte, cette concentration intense : Mairon, son vieux rival, plus fort et plus déterminé qu'autrefois... mais toujours aussi incapable de finesse, tout en puissance et en volonté.

Il en était certain à présent : lui seul pouvait vaincre cette odieuse présence. C'était sa destinée. Confiant en sa ruse et en ses arcanes, il sonderait à nouveau la pierre, mais cette fois, il aurait fourbi ses armes... un anneau, peut-être ? (2)

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NOTES

1 Pardon pour ce jeu de mots un peu facile…

2 En effet, Saroumane forgera son propre anneau, qu'il révélera à Gandalf en tentant de le rallier.


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