Thorongil

Chapitre 3 : Nouveaux départs

1192 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 09:27

 

Nouveaux Départs

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Thorongil s’avançait sous la haute voûte de Rath Dînen. Des bustes majestueux le toisaient d’un regard aigu, drapés dans leurs toges de gypse. Ses pas réveillaient en écho le chuchotement des Rois, comme si chaque souverain annonçait à son voisin, la visite d’un héritier de la dynastie.

À la mort de l'intendant Ecthelion [1], à peine Thorongil avait-il eu le droit d’assister aux obsèques. À présent, avant de quitter le royaume, le rôdeur était venu faire ses adieux au vieux sire.

Au grand complet, la lignée des rois et des reines descendant d’Anarion reposaient là, avec les intendants de la maison de Mardil, dans le sanctuaire au cœur de la montagne. De hauts dais protégeaient, de leurs dentelles de marbre, les gisants de granit des grands capitaines et des maitres du savoir, qui tous avaient détenu le sceptre d’Osgiliath. Chaque stèle rappelait la lutte des siècles, la longue défaite et l’espoir renouvelé des hommes. Une oriflamme de pierre, sertie de gemmes aux lueurs pâles, courait d’un cintre à l’autre, gage de permanence du pouvoir royal dans sa résistance au Mordor. Les figures hiératiques de basalte semblaient intimer au visiteur l’ordre muet de prendre sa part du glorieux fardeau.

Pourtant, parmi les colonnades endeuillées de grisaille, une flamme de couleur vive palpitait, caressée d’un rayon diaphane, que jetait par une lucarne le Mindolluin enneigé. Une minuscule forme ébouriffée, recroquevillée sur elle-même, sanglotait au pied du catafalque d’Ecthelion.

Le petit Boromir, écrasé par la solennité des regards de pierre, tenait ses jambes écorchées entre ses bras, le visage caché dans ses genoux.

Voilà donc pourquoi sa voix intérieure insistait tellement pour que Thorongil rendît cette dernière visite ? Le rôdeur sourit tristement à l’effigie d’Ecthelion, dont le regard d’aigle sembla s’adoucir.

Le rôdeur s’assit à côté du garçon, que secouaient des sanglots muets.

Le regard perdu dans le vague devant lui, il attendit que l’enfant parlât de lui-même.

Au bout d’un moment, le petit lui jeta un regard de biais puis essuya discrètement ses larmes. Remarquant la tenue passée de l’adulte - cuir usé et cape délavée de rôdeur - il hocha la tête :

- Tu t’en vas, Thorongil ?

- Oui, je suis venu dire au revoir à ton grand-père.

- … Tu crois qu’il nous entend ?

- Bien sûr. Et je l’entends, aussi, parfois.

- Tu l’entends ? Comment tu fais ?

- Je viens ici, comme toi. Je fais le silence dans mon cœur. Et puis je l’imagine assis tranquillement dans son étude, au milieu de ses livres préférés, sous le portrait de ta grand-mère. Alors, j’écoute bien attentivement… et parfois il me parle.

- Tu crois qu’il voudrait me parler aussi ?

Thorongil passa son bras autour des petites épaules :

- J’en suis sûr. Respire bien profondément, ferme les yeux et pense à lui… Imagine qu’il t’écoute… Qu’es-tu venu lui dire ?

À nouveau, les écluses des yeux enfantins se rompirent, inondant le visage gonflé de chagrin et de fatique.

- Je ne veux pas qu’il soit parti !

Thorongil serra le gamin contre lui et attendit qu’il se calmât.

- Ton grand-père aurait bien voulu rester, mais son corps était trop malade. Il se repose maintenant au pays des héros…

- Maman m’a expliqué. Mais il me manque tellement… Il m’emmenait avec lui. Il me racontait les Rois. Il s’occupait de moi. Maintenant qu’il est parti, c’est Papa qui fait tout. Papa et Maman ne rient plus. Ils ne s’occupent plus que du bébé. Tout le temps. Alors, quand je suis tout seul, je viens ici…

- C’est donc ça que tu voulais confier à ton grand-père… Tu sais, il faut laisser un peu de temps à tes parents pour s’habituer. Ils sont tristes eux aussi. Tu devrais peut-être leur dire.

- Moi, je suis sûr que ça ne va rien changer du tout : depuis que le bébé est là, c’est comme si je n’existais plus ! Ça sert vraiment à rien, un petit frère !

Thorongil laissa passer l'orage.

Puis, après avoir sondé l'ample silence de la haute crypte, reprit avec douceur :

- … Je crois que ton grand-père t’a entendu... Et il n’est pas tout-à-fait d’accord... Il dit qu’un frère, ça sert à tout. Écoute…

.oOo.

Tu feras le pitre. Il rira à gorge déployée.

Il pleurera à chaude larme. Tu chanteras une comptine.

Tu grimperas aux arbres. Il te suivra, coûte que coûte.

Il trouvera du bois. Tu allumeras le feu.

Tu manqueras ta cible à la chasse. Il posera des collets.

Il trouvera des champignons. Tu jetteras les vénéneux.

Il aura faim. Toi aussi.

Tu lui enseigneras la prudence. Il t’apprendra la patience.

Tu le laisseras gagner à la course. Il te laissera gagner aux échecs.

Tu seras blessé. Il donnera son sang.

Tu écarteras ses doutes. Il t’expliquera tes rêves.

Tu lui diras la guerre. Il te dira la paix.

Tu garderas ses secrets. Il honorera tes serments.

Tu bâtiras l’arc-boutant qui soutient la voûte. Il peindra la voûte qui soutient les étoiles.

Tu comprendras la tactique. Il étudiera la stratégie. Mais aucun des deux ne parviendra à cerner les filles.

Tu commenceras ses harangues. Il finira tes poèmes.

Tu le prendras de haut. Il se rebellera.

Vous vous querellerez. Vous vous réconcilierez pour vous présenter devant votre père.

Tu aimeras le jour éclatant. Il préférera la douce nuit.

Mais ensemble vous vénérerez le Gondor, aussi nécessaires l’un à l’autre que tous deux à votre patrie.

.oOo.

Le rôdeur interrogea la moue dubitative du petit Boromir. Le gamin n’avait pas tout compris.

Pourtant, au fond de sa pupille, une flammèche s'était allumée, une sorte de jubilation, comme une attente fébrile, à la perspective de cette aînesse si exaltante, de ce partage si étonnant...

Et peut-être de toutes ces bêtises fascinantes, dont les punitions seraient allégées, puisque partagées !

Thorongil entraîna le garçon. Après un bref regard apaisé et un petit salut de la main vers la statue du grand-père, ils quittèrent les lieux consacrés...

- Tu sais, les petits frères, c’est traître : plus tu t’en occupes, plus tu as envie de t’en occuper ! Tu risques de ne plus avoir de temps pour tes parents…

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NOTES


 [1] Au décès de leur grand-père Ecthelion, Boromir est âgé de six ans, et Faramir un an seulement.

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