L’histoire du loup et la mouette qui lui apprit à creuser

Chapitre 1 : L’histoire du loup et la mouette qui lui apprit à creuser

Chapitre final

4379 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/12/2023 19:19

L’histoire du loup et la mouette qui lui apprit à creuser 


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Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions.fr :

« Des fanfics sous le sapin (novembre - décembre 2023) »

et est destinée à EnSorceleurisée ! ;)

 

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Accoudé à la barre du navire commerçant, Geralt soupira. Quelle stupide idée avait-il eue d’accepter… ?

Son aide avait été requise sur un bateau de marchands au départ de Gors Velen, tandis qu’il se promenait nonchalamment dans ses rues. Son apparence marginale n’était pas passée inaperçue, entre ses yeux sombres à l’allure changeante et ses cheveux aussi blancs que la neige du premier mois. Il avait physiquement tout d’un sorceleur, à commencer par l’attirail sur son dos.

Si bien qu’il avait été peu surpris que de croiser ce capitaine lui demandant – bien que le verbe « ordonner » fût plus approprié ici – de les accompagner, lui et son équipage, durant leur voyage jusqu’à Novigrad. Le port très développé de cette ville aussi indépendante que majeure pour le commerce attirait bien des désireux qui cherchaient à s’accaparer bien des richesses via un troc parfois quelque peu malhonnête.

La tâche n’était qu’une simple mission d’escorte. Histoire de s’assurer qu’il n’y avait pas de monstres dans les eaux. Pas de kraken ni de léviathan, rien de plus dangereux que des phoques qui se promenaient ici et là, s’installant sur les rochers au loin et saluant du bout des nageoires les navires qui passaient et leurs occupants.

Et dire qu’une fois à Novigrad il faudrait trouver de quoi s’occuper… À moins de repartir de suite ? Les routes étaient changeantes, pour un sorceleur.

Il n’y avait que peu de monstres à chasser, ces derniers temps. Tenu loin des intrigues politiques du moment, et las d’errer sans pouvoir espérer trouver une occupation, Geralt avait fini par prendre un peu de bon temps, relativement parlant, en vaquant à ses occupations – bien qu’il eût bien du mal, dans un premier temps, à trouver des façons oisives de passer le temps et de s’occuper l’esprit.

Une vague vint se fracasser contre la coque du navire. Imperturbable, il jeta un coup d’œil sur la ligne d’horizon. Les côtes étaient visibles, bien que floues. Si un monstre venait à les attaquer en ces lieux, il n’y aurait personne pour leur porter secours. Le bateau coulerait sans aucun problème, car il était bien entendu impossible pour lui de vaincre les monstres marins à l’aide de son épée d’argent s’il ne pouvait se tenir face à sa cible.

« À bâbord, toute ! s’époumonna le vigie depuis la mâture. À bâboooord ! »

Le timonier s’exécuta, gouvernant la barre pour faire dévier la trajectoire du navire. Geralt releva la tête, intrigué. Pourquoi un soudain changement de direction ? La route maritime était pourtant vierge, aucun obstacle ne venait justifier une telle décision…

Puis il entendit les voix.

Le fracas des vagues et les remous de la Grande Mer gênaient la perception des hommes communs, mais le vigie était protégé de ce brouhaha constant, et avait dû entendre cela d’une façon un peu plus claire que le reste de l’équipage. Quant au sorceleur, son ouïe affinée par son entraînement et les mutations lui avait trahi la présence des nuisibles, quoi qu’un peu trop tard. Le peu de libre-arbitre dont il disposait encore lui suffit à se réveiller à l’aide d’un simple signe d’Aard qui, bien qu’un peu léger, l’arracha à la torpeur née de ce chant qui envahissait ses oreilles.

Des sirènes. Il fallait qu’ils tombassent sur des sirènes.

Il eut tout juste le temps de glisser des bouchons dans ses oreilles pour se prémunir de leur sort envoûtant et de foncer de l’autre côté du ponton. Le petit îlot sur lequel se pavanaient ces viles créatures était bien rocheux et bien pointu. En contrebas, elles étaient au nombre de cinq, chantant une harmonieuse quintette que Geralt imaginait fort belle, mais qu’il ne pouvait se permettre d’écouter sous peine de finir comme les nombreux matelots qui se penchaient dangereusement. Sans le timonier pour tenir la barre, le navire commerçant fonçait tout droit vers le bout pointu de l’amas rocheux et, avec fracas, le heurta de plein fouet.

Geralt perdit l’équilibre sous la secousse, tout comme tous ces pauvres gars qui s’élancèrent dans une chute mortelle en passant par-dessus bord. Quelque chose vint heurter de nouveau la coque, encore et encore, à la manière d’un enfant tapant un coquillage pour tenter d’en faire sortir le bernard-l’hermite qui s’y était réfugié. Un mât se brisa en deux, et le cordage heurta le sorceleur de plein fouet sans qu’il ne pût tenter de l’esquiver.

Tandis que la surface de l’eau s’éloignait seconde après seconde de lui, l’air contenu dans ses poumons s’échappait, et il ne tarda pas à perdre connaissance.

 

 

Le doux remous des vagues venant échouer sur la berge le tira de sa torpeur. Le sable, fin et chaud, semblait être un lit douillet sur lequel il aurait pu rester allongé des heures durant. Face contre terre ou presque, il sentait la douceur du soleil tandis que ses rayons séchaient son armure de cuir imbibée de sel, et probablement fichue. Il sentait d’ailleurs qu’il lui manquait une botte, puisqu’un petit crabe vint lui chatouiller le gros orteil gauche, et quelques algues s’étaient permises de lui façonner une perruque verdâtre et gluante.

En somme, il avait tous les symptômes d’une gueule de bois. Perdu et désorienté, à moitié dévergondé et, qui plus était, sans ses fidèles armes, il avait tout l’air d’un ivrogne qui avait trop forcé sur l’hydromel de la taverne et s’éveillait le lendemain.

Le souci étant qu’il n’avait pas bu la moindre goutte d’alcool depuis bien des jours.

Geralt se redressa soudainement, et regretta ce mouvement brusque qui contracta d’une façon bien trop douloureuse l’entièreté de ses muscles. Le paysage qui s’étendait face à lui lui était tout bonnement inconnu, et la plage sur laquelle il avait échoué ne ressemblait à aucune de celles présentes sur la côte ouest du continent qu’il avait déjà arpentées.

Devant lui, une étendue sableuse qui rejoignait, à une distance de quelques pas, la verdure et les fleurs. Derrière lui, la mer infinie, un horizon qui s’étirait à perte de vue. Et à droite comme à gauche, toujours plus de sable, et rien qui pût trahir une quelconque trace de vie ou civilisation…

Ah, si. Erratum, il y avait bien une créature vivante… Enfin, qui semblait vivante. Un énorme goéland, à moins que ce fût une mouette, qui dormait là, face contre sable et les ailes étalées de toute leur envergure. Sa tête était bien trop disproportionnée et bien trop ronde pour un oiseau, et pourtant la créature parlait dans son sommeil et ronflait paisiblement.

Le sorceleur s’assit, observant la bête sans savoir que dire ni que penser, délogeant l’algue de ses cheveux d’un mouvement distrait. Était-ce un mirage, ou bien une espèce inconnue d’oiseau endémique à cette île tout aussi nouvelle pour l’Homme ?

Mais à bien y regarder, le plumage du volatile était fort curieux. Les ailes blanches et aux extrémités noires se fondaient en ce qui ressemblait à un col marin bleu ciel, et sa tête ronde était affublée d’un bachi assorti. Le bec, droit et arqué au bout, luisait de sa belle couleur orangée. Cela ressemblait bien à une mouette, mais vêtue. C’était fort étrange – peut-être un métamorphe ?

« Grah ! »

L’oiseau s’éveilla soudainement, probablement réveillé par la vague qui vint lui lécher les pattes, et s’exclama d’une voix rauque, mais intelligible.

« Fichu sable ! J’en ai plein les yeux !! »

Il se releva et s’épousseta le visage du bout des ailes, sous le regard intrigué de Geralt. Par quelle magie cette chose était-elle douée de parole ? Qui plus était, elle se comportait comme un réel humanoïde ; dressée sur ses deux pattes postérieures, elle utilisait ses ailes comme des ersatz de mains, étirant ses bras comme l’aurait fait Geralt s’il n’avait pas été autant courbaturé.

« Oh, bah tiens ! Bonjour !! »

L’homme appuya son regard, ses sourcils froncés trahissant l’incompréhension qui dominait. Le volatile lui parlait-il ? Qu’avait-il à perdre s’il répondait ? Tant qu’à faire, il était seul, et probablement un peu décontenancé par sa baignade imprévue…

« Bonjour, salua-t-il en retour en usant de la langue commune. Où sommes-nous ?

— Ah ! Toi aussi t’as échoué là ! Enchanté, compagnon d’infortune ! »

La mouette lui tendit l’aile, comme pour lui serrer la main. Décontenancé, mais n’en perdant pas pour autant ses manières, Geralt répondit à son appel.

« Je suis Gulliver, une mouette pas piquée des vers, qui sillonne les sept ou huit mers ! s’exclama le volatile.

— Geralt de Riv, fit le sorceleur en retour, bien que plus sommairement que son vis-à-vis.

— Voilà un nom bien exotique pour un drôle d’humain ! »

L’oiseau pouffait de bon cœur, entrouvrant son bec pour articuler des sons semblables à des rires. Cela n’achevait pas d’étonner le mutant, qui commençait peu à peu à accepter ces détails tous plus farfelus les uns que les autres, mais qui avaient toutefois un semblant de sens dans cette terre inconnue. Et, pour une raison qu’il ne parvenait à saisir, il se prenait d’affection pour ce dénommé Gulliver.

« Sous mes airs d’albatros, poursuivit ce dernier, j’ai en fait une cervelle de moineau… J’ai dû encore m’assoupir sur le pont en pleine tempête… Ce serait pas la première fois. C’est que les collègues adorent me voir passer par-dessus bord ! »

Il s’esclaffa. Geralt ne retint pas son petit rictus. Était-ce une coutume de ces marins volatiles que de s’échouer sur des plages de cette façon ? De toute façon, il pouvait très bien s’envoler, alors pourquoi s’embêter avec un bateau ?

« Mais t’inquiète pas. Ils vont venir me récupérer en moins de deux. Et puis, j’ai plus d’un tour dans le gésier… »

Si cette mésaventure ne perturbait aucunement la mouette, celle-ci ne s’interrogeait pas le moins du monde concernant le sorceleur. Cela laissait penser que Gulliver avait l’habitude de côtoyer des humains et, qui plus était, n’était guère étonné par son apparence pourtant atypique aux yeux du commun des mortels. En revanche, et Geralt ne savait comment réagir face à cela, le volatile ne lui posait pas la moindre question quant à son propre devenir. Comment s’était-il retrouvé là, et comment rentrerait-il chez lui ? Bien que le sorceleur lui-même l’ignorât, il jugea que la moindre des politesses aurait été de lui poser ce genre de questions.

Décidément, les mouettes étaient bien des animaux malpolis lorsqu’il s’agissait de converser.

Gulliver extirpa d’une poche latérale de son vêtement un petit objet. Rectangulaire, et de couleur noire, il ne ressemblait à rien de ce que connaissait Geralt. Sur l’une des surfaces avait été placée une vitre, mais qui ne faisait que refléter l’énorme tête de la mouette à la manière d’un kaléidoscope.

« Je vais tout simplement utiliser ce génial petit appareil pour appeler à l’aide… Hm ? »

Constatant l’état de son objet à la vitre opaque qui ne pouvait en rien se révéler utile aux yeux du sorceleur, la mouette s’exclama. Visiblement, ça devait être bien plus qu’une minuscule boîte fine et toute abîmée.

« Nom d’une huître ! hurla Gulliver. Mille sardines !

— Un problème, l’ami ?

— Il est tout fendu… se lamenta-t-il. Et on dirait bien qu’il lui manque quelques circuits… »

La larme à l’œil, l’oiseau semblait au bord de la crise de nerfs. Le sorceleur leva les yeux au ciel. Où était-il donc tombé ? Enfin, plutôt, où avait-il bien pu échouer ?

« Ce qui veut dire, poursuivit la mouette en reprenant peu à peu sa contenance, que je vais devoir attendre que les gars me retrouvent d’eux-mêmes. Hm. Ça pourrait prendre un petit bout de temps. »

Il rangea « l’appareil » dans sa poche, et adopta un air un peu plus songeur. Le bout de l’aile en-dessous du bec, il reproduisait une position de sage perdu dans ses contemplations. Comme parti dans un autre monde – celui de ses pensées qui devait être plutôt désert –, il se parla à lui-même, à voix basse. Ce qu’il ignorait était que l’ouïe développée de Geralt lui permettait de tout entendre aussi bien que s’il avait parlé d’un ton normal.

« Je risque de tomber à court de conversation avant qu’ils arrivent… »

Une idée sembla traverser la caboche blanche et duveteuse de Gulliver, dont le regard s’illumina soudainement.

« Dis ! L’ami ! Tu voudrais pas m’aider à chercher des circuits d’émetteur ?

— J’ignore ce que c’est, mais si ça peut te faire plaisir, alors oui, pourquoi pas ?

— Merci, merci, et merci encore ! Tu dois avoir le cœur au moins aussi gros que la tête ! »

Parle pour toi, manqua de rétorquer Geralt, en se retenant toutefois. Contrairement à Gulliver, il savait faire la différence entre se parler à lui-même en pensée et à haute voix.

« Les circuits d’émetteur sont probablement enfouis quelque part dans le sable.

— Pourquoi donc ? Ce sont des animaux psammophiles ?

— À tes souhaits, Geralt ! Allez, ramène-m’en quelques-uns, et je verrai ce que je peux faire. Tu veux bien ? »

Sans avoir davantage de réponses ou d’aide de la part de Gulliver, Geralt se mit en quête de ces « circuits d’émetteur ». Il ignorait ce à quoi cela devait ressembler, si c’était vivant ou non, si c’était magique ou non, mais il fallait bien s’y mettre. Après tout, il n’avait rien à faire, et cela lui permettrait d’étudier un peu plus l’endroit où il avait échoué…

Armé de patience, à défaut de ses épées qu’il ne parvenait à retrouver sur la plage et qu’il commençait à croire perdues au fond des mers, Geralt sillonna le rivage à la recherche de ce que Gulliver lui avait demandé. Il trouva de tout, pour ainsi dire ! De nombreux coquillages, pour commencer – escargots de mer, pétoncles et autres clypéastres avaient été balayés par les vagues jusqu’à ses pieds –, puis sa botte gauche perdue dans sa dérive inconsciente. Quelques palmiers parsemaient la plage çà et là, dispersant leur noix de coco sous leurs branchages. Elles apporteraient bien de quoi boire et manger à quiconque se sentirait assez brave pour tenter de les fendre en deux. Et si le sorceleur avait bien soif, il n’était pas assez indigent pour briser les fruits à la seule force de ses mains. S’il disposait d’une de ses épées, peut-être lui ferait-il le déshonneur de l’utiliser comme un vulgaire couteau, mais il n’en était rien : ses deux fourreaux restaients désespérément vides.

Comment diable allait-il bien pouvoir trouver ces « circuits d’émetteur » sans savoir ce que c’était, et sans davantage de pistes ou d’indications ? Enfouis dans le sable, disait Gulliver – était-ce alors un petit animal sauvage, comme un crabe ?

Il s’affaissa sur un rocher recouvert de mousse, et se laissa divaguer. Certes, il avait voulu aider quelqu’un dans le besoin, mais en étant lui-même nécessiteux d’un semblant d’aide que le volatile ne pouvait lui apporter. Quel comble. Un sorceleur se débrouillait par lui-même, et n’avait que faire des coups de main que des âmes charitables pouvaient lui octroyer. Pourtant, en cet instant, il aurait bien apprécié un semblant de guide pour mieux comprendre où il se trouvait, et ce qu’il avait à faire.

« Eh ! Geralt ! Eh, l’ami ! Viens voir ! »

La voix nasillarde de Gulliver parvint jusqu’à lui malgré le brouhaha des vagues. Le bec recouvert de sable, tout comme ses plumes sombres à l’extrémité de ses ailes, la mouette lui souriait d’un air un peu niais, mais toutefois ravi.

« J’en ai trouvé un, regarde. Il crachait de l’eau, j’ai creusé, et hop ! Un premier circuit d’émetteur ! »

L’objet en question était fort petit, de la taille d’un ongle tout au mieux. Indescriptible, aussi. Geralt le contempla, ses yeux comme deux ronds de flan, et resta silencieux. Comment diable aurait-il pu comprendre que c’était ça, ce qu’il recherchait pour Gulliver ?

Et comment cet objet inanimé pouvait-il cracher de l’eau ?

« Oh, et j’ai aussi trouvé ça dans le sable. Stylée, hein ? Je pense la garder pour impressionner les copains !

— Ah, en revanche, je te le déconseille. Elle est à moi. J’en ai besoin pour tuer les monstres et pour gagner mon pain. »

Gulliver eut une petite moue vexée, mais tendit malgré tout l’arme à son propriétaire, qui l’examina sous toutes ses coutures. L’épée d’argent semblait ne pas avoir trop souffert de son voyage maritime, et il en était bien rassuré. Au moins, il pouvait se défendre au cas où, c’était toujours plus rassurant que de ne rien avoir. Et, bien que ce ne fût pas là son utilisation première, il pouvait à présent ouvrir les noix de coco pour en boire et manger le contenu. Il ne mourrait pas de faim ni de soif, ainsi.

« Merci, Gulliver, fit-il sommairement.

— T’inquiète, l’ami ! Je serais capable de me couper la patte avec ça. T’as l’air de la maîtriser, c’est mieux pour nous deux. Allez, on retourne chercher les circuits d’émetteur, tu veux ? »

Le sorceleur acquiesça ; la mouette ne perdait pas le nord, ce qui était un comble pour un marin ayant échoué vraisemblablement d’une façon improbable, tout comme lui. Mais au moins il disposait d’un outil, à présent. Bien que son épée n’eût été conçue pour une telle utilisation, il pouvait toujours s’en servir pour déterrer ce dont Gulliver avait besoin.

Les manches retroussées, et son arme en main d’une façon non conventionnelle, Geralt guettait le sable. Qu’avait dit l’oiseau ? Que le circuit avait « craché » ?

Sans perdre un instant de plus à se demander comment tout cela pouvait être possible dans un monde doté d’un tant fût peu de logique, il aperçut un petit jet d’eau propulsé hors du sable. À peine perceptible, mais toutefois bien réel. Ni une ni deux, Geralt plongea son épée profondément dans le sable et, par un effet de levier, souleva un monticule duquel émergeait timidement l’un de ces petits objets que cherchait Gulliver. Il eut beau l’étudier sous toutes ses coutures, il ne comprenait goutte. Mais au moins, c’était un pas de plus vers le sauvetage de cette mouette perdue – et certainement vers le sien aussi.

Le soleil poursuivait sa course dans le ciel, réchauffant son corps et séchant ses vêtements de ses rayons timides. Une petite brise iodée fort agréable l’accompagnait, et adoucissait les peines du sorceleur tandis qu’il utilisait toutes ses forces pour repérer les circuits d’émetteur, avant de les déterrer. Il ne compta ni les minutes ni les heures, perdant quelquefois son regard dans le remous incessant des vagues, se permettant une petite pensée pour ses amis et son entourage. Que faisaient-ils en ce moment ? Jaskier se tenait-il à l’écart de toute situation délicate, comme celles dans lesquelles il avait l’habitude de se fourrer en même temps qu’il ne séduisait les femmes ? Ciri et Yennefer prenaient-elles bien soin d’elles, entre deux enseignements de la magie ? Il apercevait leurs visages souriant entre les vagues. Comme il avait hâte de les retrouver…

« Eh ! Geralt ! Eh, l’ami !! »

La voix de Gulliver lui parvint, et il accueillit la mouette à ses côtés avec un sourire sincère, bien que retenu. Finalement, il commençait à s’habituer à cette plage tranquille et originale, tout comme il commençait à grandement apprécier la compagnie de ce drôle d’oiseau.

« J’en ai trouvé un autre, regarde. Et toi ?

— En voilà trois, répondit-il sommairement. Ça devrait suffire.

— Oui, oui, et re-oui ! Donne-moi un instant ! »

La mouette s’assit dans le sable, et ne perdit pas un instant pour s’affairer. Sa grosse tête cachait la vue du sorceleur, si bien qu’il ne put voir par quel procédé ou quelle sorcellerie l’appareil avait bien pu être réparé. Toutefois, lorsque Gulliver eût fini, la vitre s’éclaira, laissant apparaître une image, et après l’avoir tapotée à quelques endroits précis, du son s’en échappa. Une voix distante leur parvint, et Gulliver parla en retour, répondant à toutes les questions qui en émanaient. Comment tout cela fonctionnait-il ? Il n’en savait rien. Mais quoi qu’il en fût, l’objet était réparé, et l’oiseau pouvait communiquer avec ses amis restés sur le bateau. Et ça, c’était rassurant.

« Y a quelqu’un que je peux appeler pour toi ? Pour qu’on vienne te chercher.

— Je ne pense pas qu’ils répondront non. Mais c’est gentil de proposer.

— Comment tu t’es retrouvé là, au juste ? Tu m’as rien dit. »

Parce que tu ne l’as pas demandé, répondit mentalement le sorceleur. Remettant une mèche grise à sa place, dégageant ainsi sa vue, il expliqua sommairement à la mouette sa mésaventure. Il raconta qu’il venait de loin, de très loin, et que le bateau marchand qu’il avait été sommé d’escorter avait fini par s’échouer. Si les vagues l’avaient emmené jusque là, il ignorait quelle direction emprunter pour tenter de retrouver les côtes du continent. À ces mots, Gulliver sembla s’attrister.

« Ah, mon pauvre Geralt, c’est bien dommage. Si je connaissais le numéro de tes amis marchands, je pourrais les appeler avec mon cellulaire, mais s’ils viennent de très très loin, je doute que mon forfait me permette de les joindre sans me faire payer des clochettes supplémentaires. »

Il n’avait pas compris un traître mot de ce que racontait la mouette, mais il semblait que ce fût amical. Il le gratifia d’un sourire.

« Si tu veux, tu peux rejoindre mon équipage, et peut-être qu’un jour on retrouvera les côtes de ton continent.

— C’est une gentille proposition. Mais je vais refuser. J’aimerais explorer un peu plus par ici avant de tenter de trouver un chemin pour rentrer.

— Bah, et la prochaine fois que j’échouerai, je te redemanderai, et tu me diras à ce moment-là si tu as changé d’avis ! »

Gulliver s’esclaffait à gorge déployée. Geralt secoua les épaules, parcouru d’un léger rire amusé.

« Nous verrons bien à ce moment-là, oui. »

En attendant, il se sentait mû par un profond désir de quitter cette plage, et d’explorer les terres fleuries qu’il devinait là-bas. Il avait aussi remarqué un feu de camp éteint, et de quoi l’allumer abandonné à proximité, sans oublier l’attirail de pêche – canne, appâts et seau – disposé près du foyer. Oui, il commencerait par là. S’il avait aperçu des silhouettes se promenant çà et là, il ne sentait aucune présence magique malveillante, ce qui était honnêtement un très bon point de départ. Et, qui savait, peut-être trouverait-il de l’aide pour regagner ses terres, et enfin parvenir à Novigrad.

Quel dommage que Jaskier ne fût pas à ses côtés ! Voilà une histoire que le barde aurait adoré mettre en chanson.

Assis sur un rondin de palmier tranché qui faisait office de banc, ils scrutaient l’horizon, guettant le moment où le navire de Gulliver viendrait à leur rencontre. Cela marquerait le début de son nouveau voyage – celui de l’exploration de cette île isolée mais habitée. Qui savait quels mystères elle recelait, et qui n’attendaient que lui pour être dévoilés ?

Pour la première fois depuis ce qui lui avait semblé une éternité, Geralt se sentit impatient d’entamer une nouvelle aventure, une nouvelle quête imprévue, sans nécessairement voir de récompense à la clé. Et ça n’était finalement pas si mal, songea-t-il en souriant, bercé par le murmure des vagues et la mélodie du vent.

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