Le voleur et l'assassin

Chapitre 1 : Messieurs, mes Dames, bienvenus à l'Exposition !

1772 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/04/2019 17:27

La fête battait son plein. Les rires et les tintements de verres résonnaient bruyamment sous la coupole de verre. Le froissement des lourdes robes qui se relevaient le temps d’une révérence, les claquements de talon des laquais aux bras chargés de plateaux, les murmures échangés par-dessus des verres où de temps à autres des lèvres nobles et dignes venaient tremper… Tous ces bruissements se fondaient en montant le long des hautes colonnes du Musée pour former une masse sonore indescriptible en atteignant la galerie haute. Accroupie, loin de l’éclairage des orbes à gaz qui baignait la scène, Katarina scrutait attentivement la foule qui batifolait sous ses pieds. Il fallait une sacrée dose d’expérience pour ne pas se laisser dérouter par la profusion de son et de lumière qu’une fête de cette ampleur générait. Une sacré dose d’expérience, qu’elle avait. Elle étendit les jambes et s’étira souplement. Elle avait encore le temps, nul besoin de se presser… Elle avait déjà repéré les itinéraires possibles, les quelques gardes dont elle aurait à se débarrasser, et toutes les menaces qu’elle avait pu identifier. Ces menaces venaient pour la plupart de ses anciens « collègues » de la Ligue, qui étaient bien trop nombreux à son goût. Elle savait qu’une telle soirée brasserait tous les grands de Runeterra, mais elle avait toujours une certaine réticence à devoir agir face à des ennemis qui avaient eût autant d’occasion d’étudier sa façon d’agir. Faisant jouer ses doigts sur la rambarde de pierre, elle gardait ses yeux posés sur la foule. Et sur cet abruti en armure de Demacia qui dépassait de celle-ci. Sa présence ici était fort contrariante. Attendue, mais fort contrariante…


La fête battait son plein, mais il n’en profitait pas autant qu’il aurait pu. S’il y avait une chose que le jeune explorateur abhorrait c’était bien de se retrouver contre son gré traquenardé dans des manifestations mondaines. Coincé entre les ambassadeurs de Piltover et les dignitaires de Demacia, Ezreal sentait son sourire se figer alors que ses muscles se crispaient un à un. Il savait que les ambassadeurs étaient les invités les plus rasoirs de ce genre de fêtes. Il savait que l’ambassade demacienne comprenait évidemment ce grand nigaud de Garen. Et pourtant, il avait réussi à se retrouver ici à l’écouter discourir sur la nécessité d’une alliance contre Noxus pendant que tous les dignitaires acquiesçaient silencieusement tout en songeant à la meilleure façon de refuser. Combien de fois avait-on déjà joué cette pièce ? Il ne put retenir un soupir, attirant l’attention de sa voisine de droite, qui lui lança une œillade appuyée. Il se redressa imperceptiblement et, s’efforçant décrisper son visage pour libérer ses traits du rictus qui les déformait désormais, lâcha à voix basse :


« Pardonnez-moi, Dame Lux. Vous connaissez mon goût pour ces discussions…


Il la vit retenir un rire, comme à chaque fois qu’il lui donnait du « Dame Lux ».


-De fait. Je me souviens encore de vos derniers éloges à l’endroit des talents d’orateur de mon frère.

-Oh je vous prie… c’est bien le moins ! Quels termes avait-je employé ? Je m’impressionne encore d’avoir su mettre des mots sur les qualités du Commandant.

-Vous vous flattez…

-Certes non ! Vous seule me les avez inspirés…


Ses mots se heurtèrent à une moue amusée. Déjà la jeune femme reportait son attention vers les propos enflammés de son frère. Il ne s’en offensa point, ils étaient bien trop entourés pour se laisser aller à plus de familiarité. Mais son cœur bondit de joie lorsque dans un souffle elle conclût :


-On est à l’Hôtel des Ambassades. Passe ce soir en 12B… j’ai hâte que tu me tiennes à jour des nouvelles de Piltover ce dernier mois. »


Avec un dernier sourire, le jeune explorateur reporta son attention sur Garen. Le seul intérêt qu’il devait reconnaître aux discours du Commandant était de l’empêcher, pour quelques instants, de couver sa sœur. Ce qui ne les rendaient pas moins insupportables. Avec prudence, il profita du passage d’un laquais pour s’effacer et quitter le cercle que seul Garen maintenait mobilisé par la vigueur de sa harangue. La soirée allait encore durer, il devait pouvoir trouver de quoi faire avant que les portes du Musée ne se ferme et que l’Exposition ne commence.


La fête battait son plein, mais plus pour longtemps encore. L’horloge monumentale qui pendait du plafond avait été conçue par les plus grands artisans de Zaun et Piltover réuni, et ses fines aiguilles de cuivre ne laissait planer aucun doute : il était temps pour la jeune femme de se préparer. Et effectivement, un mouvement de foule vers l’estrade Nord fût amorcé lorsqu’une annonce résonna sous la verrière. « Mes dames, Messieurs, je vous prie par ici. Merci à tous d’être venu ce soir pour l’inauguration de cette Exposition extraordinaire. » Une longue liste de remerciement s’ensuivit, égrenée solennellement par le Conservateur. Vérifiant une dernière fois que les boucles de son harnais étaient bien serrée, elle enjamba la rambarde et patienta. « A vous tous qui avez voulu admirer cette nouvelle collection. A vous tous qui allez pouvoir, ce soir, admirer cette audacieuse composition de Guilan Terosh et moi-même. A vous tous devant qui les secrets des plus grands maîtres vont être dévoilés. A vous tous, je vous demande de remercier ceux sans qui ce musée n’aurait pu ouvrir cette 163eme Exposition. Messieurs, mes dames, les Explorateurs ! » Le vieil homme qui s’était jusqu’ici agrippé au pupitre le lâcha enfin, pour tendre la main vers l’assemblée des piltoviens massée à sa droite. Les applaudissements retentirent, pendant qu’un fin sourire étirait les lèvres de Katarina. A cette heure, le maître des Explorateurs devait se vider de son sang dans un des égouts de Zaun. Talon ne manquerait jamais une cible aussi facile. Profitant du moment de flottement qui s’installa alors qu’un silence circonspect se faisait sous les voûtes d’acier, elle s’élança avec grâce, pendant qu’une dague quittait sa main en filant sans bruit. Un saut et un mort plus tard, elle était en position optimale pour profiter de la cohue qui allait s’ensuivre lorsque la nouvelle de la mort du maître Explorateur allait…


« Notre maître semble avoir eût un empêchement, mais il m’a chargé de le représenter ce soir. »


Ses yeux se posèrent vivement sur le blondinet qui avait pris la parole, là-bas sur l’estrade. Elle était certaine de le connaître, mais d’où ? Elle plissa les yeux… Ce ton arrogant, cette silhouette dégingandée et cette épaisse touffe bonde... Si ! Il avait été lui aussi à la League, elle avait vu son nom… Ezreal ! Ou Ezrael ? Il avait été jugé « gênant mais sans plus », elle ne s’était pas beaucoup plus attardée sur son cas, à raison. Placé ainsi, il ne pourrait agir assez rapidement. Un dernier regard sur l’horloge. Plus que quelques minutes…


« Aussi, Je tiens à remercier le Musée pour son soutien sans faille pour nos dernières expéditions, nous espérons pouvoir continuer, à l’avenir, cette collaboration qui nous apporte beaucoup, et qui nous permet chaque jour de… »


    Ezreal avait assisté à suffisamment de discours du maître pour savoir à peu près quoi dire. De toute façon, personne ne prêtait vraiment attention à son propos tant l’absence d’un haut dignitaire de la guilde des Explorateurs à une telle soirée était inconcevable. Lui-même peinait à comprendre que le vieil homme n’ait pas daigné assister à ce qui était son triomphe. L’exposition des fruits de quatre ans d’expéditions, qu’il avait portées à bout de bras face aux grands de Piltover déterminés à rediriger les fonds vers d’autres entreprises. Tout en continuant à enterrer son inquiétude sous des formules de courtoisies, il amorça la conclusion de son discours. Définitivement, quelque chose n’allait pas et il comptait immédiatement s’en occuper.


« Je vous remercie pour votre attention, emplissez vos yeux des merveilles que nous avons pu rapporter. Je vous assure que pas une seule ne vous laissera indifférent ! »


Avec un hochement de tête, il salua son auditoire et voulu amorcer une sortie. Mais sa tentative fut avortée lorsque la main du Conservateur, qui s’était élancé vers lui, s’abattît sur son épaule.


« Je vous demande d’applaudir l’explorateur Ezreal ! ». Des applaudissements polis résonnèrent. « Ce que ne vous dis pas ce jeune homme, c’est qu’il a lui-même participé à la plus périlleuse d’entre elle, dans les profondeurs de la jungle Ionienne ! Et grâce à notre généreux soutient, il a pu…».


Et c’était reparti. Le sourire d’Ezreal se figea. Il aurait dû se douter que le Conservateur allait vouloir se glorifier de sa générosité. Et pour cela, quoi de mieux qu’un jeune explorateur comme faire-valoir… Alors certes, il aurait pu lui objecter que son expédition s’était aventurée dans la sécheresse du désert Shurimien, que l’aide du Musée avait été aussi symbolique qu’inefficace et que seules les dettes colossales accumulées par les Explorateurs expliquait que tous les trésors qu’ils avaient collectés se retrouvent exposés derrières les vitrines du Musée et non dans leur collection. Mais à quoi bon s’offusquer maintenant… il avait fait le deuil de sa fierté depuis bien longtemps à ce sujet. Rigide et impassible comme une sentinelle, il laissa le vieil homme répandre ses doux mensonges, le regard perdu loin au-dessus de la foule.



Ce fût donc lui qui remarqua en premier, à travers la coupole de verre, l’orbe de feu qui fondait à grande vitesse sur le bâtiment. 




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