Terreur à Demacia

Chapitre 1 : Terreur à Demacia

Chapitre final

4560 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 22/05/2023 22:36

– Maman !

Yselda se réveilla en sursaut, haletante. Ses draps étaient trempés de sueur. Elle repoussa sa couverture et tenta d’apaiser sa respiration.

Toujours le même cauchemar.

– Maman !

Yselda se figea. Ce n'était pas un rêve, elle avait bel et bien entendu la voix suppliante et éraillée de son fils. Elle se tint aux aguets, immobile, attentive aux moindres bruits dans la maison. Aucun bruit de pas, aucun signe de présence ne lui parvinrent. Un croassement sinistre dans la nuit la fit sursauter. Une main sur le cœur, elle expira pour tenter d'en calmer le battement effréné. Elle attrapa la lampe à huile de sa table de chevet et sortit de son lit. Vêtue d'une simple chemise de nuit blanche et pieds nus, elle frissonnait. Elle aurait aimé se convaincre que ce n'était que le froid. A pas feutré, elle sortit de sa chambre et arriva dans l’unique pièce à vivre de la maison.

– Ewan ? appela-t-elle doucement.

Tout était tel qu'elle l'avait laissé la veille : la vaisselle qui séchait près de l'évier, la corbeille de fruits sur la table, la cendre dans la cheminée, les deux tableaux sur le mur ; l’ensemble baigné dans la froide lueur bleuâtre de la nuit, que la flamme de la lampe d’Yselda parvenait à peine à repousser.

Elle s'approcha alors de la porte de la chambre d'Ewan et, son cœur tambourinant dans sa poitrine, abaissa sa main sur la poignée. Verrouillée.

Yselda soupira et se décontracta. Elle récupéra la clef dans le fond d’un tiroir de la cuisine, fit deux tours dans la serrure, prit une inspiration et poussa la porte.

On aurait pu croire que le temps s’était arrêté en ce lieu, s’il n’y avait eu la couche de poussière qui s’était installée avec le passage des semaines. Rien n’avait bougé : le lit défait, la chaise renversée au sol, le livre ouvert sur le bureau à la page d’une image de dragon.

La pièce étant bien vide de toute présence, Yselda referma la porte à double tour et retourna s’enfouir sous ses draps, essayant vainement de se persuader qu'il ne s'était agi que d'une hallucination, d'un mauvais tour joué par son esprit fatigué. Le sommeil tarda à revenir.



****



Les muscles d'Yselda étaient engourdis et ses mains couvertes de cloques. Le soleil se couchait mettant fin à cette exténuante journée passée à bêcher ses terres.

Ewan était plongé dans un livre devant la cheminée. Il avait allumé un feu et mis une marmite à chauffer. Elle aurait parié qu’il ne l’avait même pas entendue arriver.

– Qu’est ce que tu lis ?

Ewan sursauta, et voyant sa mère, il tourna son livre pour lui présenter la couverture.

– « Yordle : entre mythe et réalité » ! Dis, tu savais ça ? Ils ont retrouvé d’anciens écrits d’Orlon, l’un des fondateurs de Demacia. Il y est fait mention d’une certaine Yordle nommée Poppy. Et encore aujourd’hui des Demaciens assurent avoir rencontré cette Poppy avec son énorme marteau. De nombreux faits laissent à supposer qu’il s’agit bien de la même personne, tu imagines ? Une longévité de près d’un millénaire ! C’est incroyable !

Yselda sourit face à tant d’enthousiasme et il se replongea dans sa lecture.

Elle se laissa tomber sur une chaise et son regard divagua jusqu'aux trois tableaux qui ornaient le mur au dessus de la cheminée. Le plus à gauche les présentait, elle et Conrad, le jour de leur mariage, rayonnants. Ils étaient si jeunes, tout juste des adultes. Ça avait été une telle évidence entre eux. Ils s'étaient rencontrés à la fête des moissons, alors que l’unité de Conrad était de passage dans le village natal d’Yselda. Et il avait alors utilisé toutes ses permissions pour revenir la voir. Le deuxième tableau avait été réalisé à peine après. Il les montraient toujours radieux, le petit Ewan dans les bras de son père.

Le troisième était plus sobre. Un simple portrait de Conrad, une expression calme et sereine sur le visage. Yselda s'était effondrée le jour où deux soldats étaient venus lui apporter la nouvelle. Conrad avait trouvé la mort dans une escarmouche contre Noxus. Ewan avait cinq ans.

Elle aurait dû s'y attendre, c’était ce que redoutait tous les conjoints de soldats. Il était si fort, si sûr de lui qu’elle l'avait cru imbattable, immortel.

Elle s'était trompée.

Ewan lui avait donné la force de surmonter cette épreuve. Elle n'avait pas refait sa vie amoureuse. Les occasions n'avaient pourtant pas manqué, elle était avenante, travailleuse et dégourdie, autant de qualités qui la rendait très appréciée dans le village. Elle avait décliné toutes les déclarations. Son fils suffisait à son bonheur, elle n'avait besoin de personne d'autre.

Il ressemblait tellement à son père. Les mêmes yeux noisettes, la même tignasse sombre. Ewan avait également hérité de la carrure de son père. A seulement treize ans, il était déjà presque aussi grand et large d'épaule qu’un adulte.

Mais les similitudes s'arrêtaient là. S’il avait le physique de Conrad, il n'en avait pas le tempérament. Il ne trouvait aucun intérêt dans l'éducation militaire offerte par Demacia et l'art de la guerre était pour lui un oxymore.

Ewan était un intellectuel, d'une curiosité insatiable. Les incessantes questions que posent habituellement les enfants et auxquelles Yselda prenait plaisir à répondre quand il était petit, n'avaient fait qu'aller s'intensifiant au fur et à mesure qu'Ewan grandissait et elle se trouvait de plus en plus en difficulté pour satisfaire sa curiosité.

Véritable rat de bibliothèque, il s'était mis à dévorer toutes sortes d'ouvrages dès qu'il avait su lire afin d'assouvir sa soif de connaissance. Son rêve avait toujours été de pouvoir partir étudier à l'académie de Piltover, y rencontrer les plus grands savants de Runeterra, ceux qui sauraient apporter des réponses à ses questions. Et elle ne doutait pas qu'il en serait capable.

Son cœur se serrait déjà à l'imaginer si loin d'elle, particulièrement dans cette ville. Si la Cité du Progrès brillait par ses avancées technologiques, il y régnait un profond laxisme envers les mages. Ils y étaient libres de faire ce que bon leur semblait sans en être inquiétés le moins du monde. Non seulement ils n'étaient pas arrêtés mais la magie était même un objet d'étude de l'académie. À croire que le monde entier, excepté Demacia, souffrait d'une amnésie générale. Avaient-ils tous oublié les guerres runiques ? Et les dangers que représentent les mages ? L'humanité était-elle condamnée à reproduire les erreurs du passé si elle se trouvait incapable de tirer les leçons de l'Histoire ?

Yselda avait bien tenté de mettre en garde son fils sur les dangers qu’il risquait à Piltover, mais elle le connaissait suffisamment pour savoir que quand il avait une idée en tête, elle ne s’en délogerait pas. Elle s’était résignée, et avait gardé précieusement la bourse donnée à la mort de Conrad pour qu’il puisse réaliser son rêve. Il lui restait heureusement encore quelques années pour se préparer à le voir partir.



****



La bêche s’enfonça dans le sol et retourna la terre. Yselda releva son outil pour le planter à nouveau, essoufflée par la tâche. Elle était pourtant habituée au travaux physiques et la pratique lui avait conféré une bonne endurance, mais la fatigue qu’elle accumulait depuis maintenant plusieurs jours avait raison de son état. Ses yeux étaient cerclés de noir, et ses ongles rongés jusqu'au sang.

La voix n’avait pas cessé, elle continuait à la harceler toutes les nuits. Le peu de sommeil qu’avait pu se procurer était empli de cauchemars.

Elle avait fouillé la maison de fond en comble à plusieurs reprises durant ses nuits d'insomnies. Jusqu'aux moindres recoins improbables. Il n'y avait rien. Rien qui puisse expliquer la provenance de cette voix.

Rien hormis la magie.

Un profond sentiment d’impuissance s’était emparé d’elle, mais elle s’accrochait et luttait pour tenir bon. Voilà pourquoi elle puisait dans le peu qu’il lui restait d’énergie pour continuer son travail tant bien que mal.

Un bruit d’ailes parvint à ses oreilles. Un corbeau venait de se percher sur le bras de l'épouvantail planté au milieu du champ. Elle l'avait fabriqué avec son fils quand il était encore petit. Il avait insisté pour qu'il ne soit pas un épouvantail filiforme habituel. Il l'avait rembourré de paille pour lui donner une bonne bedaine et lui avait sculpté un visage souriant dans une citrouille. Avec ses attributs, il avait une allure de bonhommie et ne faisait peur à personne, pas même aux corbeaux.

Elle brandit sa bêche et s'avança.

– Va-t'en sale bête !

L'oiseau s'éloigna en quelques battements d'ailes avec un croassement.

Yselda abattit son outil et, en un coup, fendit l'épouvantail en deux. Elle releva à nouveau son arme improvisée au dessus de sa tête et frappa, encore et encore.

En quelques instants, il ne resta plus de l'épouvantail qu'un tas de brindilles. La tête citrouille séparée de son corps, encore intact, souriait. Elle éclata sous un ultime coup de bêche. Les mains d’Yselda lâchèrent le manche, planté dans la terre.

Elle se recroquevilla sur elle même, prise de violents tremblements et des sanglots s’emparèrent d’elle.

Sa respiration bruyante et saccadée finit par retrouver sa régularité et, abandonnant là son labeur, elle s’en retourna vers sa maison, d’un pas traînant.

A peine arrivée, elle se dirigea vers ses placards dont elle sortit une bouteille. Demacia n’était pas réputée pour son vin. Il était âpre et peu goûteux, mais il présentait l’avantage d’être bon marché et de toute façon, ce n’était pas le goût qui intéressait Yselda. Elle voulait seulement oublier et faire taire cette voix. Elle commença à boire à même le goulot.



****



L'information s'était propagée comme une traînée de poudre dans tous les villages des alentours. Les mages avaient encore frappé.

Un homme avait été trouvé, s’enfuyant de la forêt en hurlant. Ses vêtements étaient lacérés et il présentait des écorchures sur tout le corps. Le pauvre homme avait perdu la raison. Il déblatérait en boucle des paroles sans queue ni tête, dont d’obscures inepties sur les corbeaux, tout en s'arrachant les cheveux. La seule chose intelligible qui ressortait de son charabia était que ses trois camarades qui l'accompagnaient ne s'en étaient pas sortis.

Un nouvel acte de violence aveugle démontrant -s’il en était encore besoin- que les mages étaient dangereux et cruels. Depuis l’évasion de Sylas de Liebourg ce genre d'événement tragique était de plus en plus fréquent. La semaine passée déjà, un noble et toute son escorte avaient été retrouvés morts asphyxiés au beau milieu d’une route.

L’insécurité s’intensifiait, et personne n’était à l’abri.

Il était grand temps que les traqueurs de mages fassent leur travail et qu'ils envoient croupir derrière les barreaux tous ces mages. Tous autant qu'ils soient.

Yselda frémissait à la simple idée que certains d’entre eux se dissimulaient parmi les honnêtes gens. Qu’est-ce qu’il lui assurait que ses voisins, ses amis ne soient pas des mages ? Bien qu’elle ait lié des affinités avec bon nombre des habitants du village, une certaine part d’elle restait toujours sur la réserve, se méfiant de tous. Elle était à l’affût du moindre comportement suspect qu’elle pourrait discerner et prête à dénoncer n’importe lequel d’entre eux s’il se révélait être un mage.

Pour l’heure, et malgré la menace, elle était bien obligée de prendre la route pour vendre ses récoltes en ville. En espérant qu’elle ne subisse pas le même sort que le pauvre homme devenu fou.

Elle avait attelé son âne, chargé sa carriole et elle s’apprêtait à se mettre en route quand une réflexion lui vint. Elle pourrait profiter de son passage en ville et de l’argent qu’elle obtiendrait pour offrir un livre à Ewan. Qu’est-ce qui pourrait lui faire plaisir ? Un livre sur les griffons ? Ou peut-être sur l’Histoire de Demacia ? Le mieux était sans doute de lui demander.

Elle attacha la longe de son âne et retourna chez elle. Ewan était comme toujours en train de lire et n’avait pas remarqué son entrée. Il était installé dans un fauteuil dos à elle, le livre haut devant ses yeux. En s’approchant Yselda vit que ses mains reposaient sur les accoudoirs paumes en l’air.

Mais alors le livre ?

Le livre flottait dans le vide.

Yselda retint son souffle. L’information peina à faire sens dans son esprit. Un mage. Son fils était un mage.

Elle ressortit de la maison sans un bruit.



****



Yselda se retournait encore et encore dans son lit, le sommeil ne venait pas.

– Maman !

Elle refusa d’accorder de l’importance à la voix et feignit de ne rien entendre.

– Pourquoi ?

Ce mot, ce simple mot la fit se redresser comme un ressort. Elle tressaillit. Elle savait ce qu’elle allait dire ensuite et elle ne voulait pas l’entendre. Elle se recroquevilla sur elle-même, visage enfoui entre ses bras, mains sur les oreilles, se balançant mécaniquement d’avant en arrière. Elle hurlait.

– Laisse moi tranquille, laisse moi tranquille !

Mais la voix reprit, implacable, et elle semblait résonner directement dans sa tête.

– Pourquoi tu m’as trahi ?



****



Ils avaient étudié les dragons aujourd'hui. Plus précisément les façons de tuer un dragon. Si le laïus sur l’utilisation d’arme de jet perforante, d'huile et de feu ne l'avait pas passionné, son intérêt avait été piqué pour ces créatures et une foule de questions avaient envahi son esprit. Comment des ailes membraneuses, aussi immenses et puissantes soient-elles, pouvaient-elles porter le poids colossal d'un dragon ? Leur affinité élémentaire était-elle héréditaire ? Quelle était leur longévité ? Interrogations auxquelles son instructrice s'était trouvé bien incapable de répondre. Elle était lassée par les incessantes questions d’Ewan qu'elle trouvait sans intérêt. Cela le laissait perplexe. N’avait-elle pas expliqué qu’il fallait connaître ses adversaires ?

Épris par ce nouveau sujet, il s’était arrêté sur le chemin du retour pour dépenser ce qu’il lui restait d’argent de poche et se procurer un ouvrage intitulé "Vie des dragons" qu'il était maintenant en train de dévorer devant le bureau de sa chambre. C’était tout simplement passionnant ! Il allait être incollable sur le sujet.

Ewan fit une pause dans sa lecture, pour s'atteler à une autre sorte d'apprentissage. Sa mère était sortie aussi il ne craignait rien.

Il canalisa le flux qui le parcourait jusqu’à sa main et son livre ouvert se mit à léviter.

Il avait été effrayé la première fois qu'il avait découvert ses capacités. Effrayé par l'appréhension. Effrayé d'être un danger pour ses proches. Il s'était juré d'enfouir loin ses pouvoirs, de les oublier et de ne jamais s'en servir. Sa curiosité naturelle avait rapidement pris le dessus sur sa promesse. Il voulait savoir. Que pouvait-il faire avec ses pouvoirs ? Quelles étaient leurs limites ?

Dans le plus grand secret, il s'était entraîné méthodiquement à utiliser ses nouveaux dons. D'abord soulever un petit objet de quelques centimètres. Puis plus haut et lui faire faire des figures. Puis passer à un objet plus gros, plus lourd.

Il était maintenant capable, avec beaucoup de concentration, de soulever l'entièreté du contenu de sa chambre en même temps. Ses exercices ravissaient son esprit toujours avide de mystère à élucider. Et il avait trouvé un nouveau sujet d'expérimentation. Depuis le début il s'était toujours aidé de gestuelles, de manière instinctive, sans vraiment savoir pourquoi. Était-ce une nécessité ou un simple confort ? Ewan était bien déterminé à y apporter une réponse.

Son livre flottait toujours au dessus de sa paume. La magie était belle et fascinante. Pourquoi les Demaciens la craignaient-ils ? Certes certains mages tournaient mal et se révélaient dangereux. Mais les criminels existaient tout aussi bien chez les gens normaux, quelle était la différence ?

Il amena le livre à se poser devant lui d'un geste, puis il croisa ses mains dans son dos et fixa l'ouvrage. Dans son esprit, il le visualisait s'élever du bureau. Pendant un moment, rien ne se passa, le livre demeurait immobile, puis il finit par obéir à l'ordre silencieux qui lui était adressé, et s’éleva dans les airs. Ewan poussa un cri de joie. Le livre retomba.

– J'ai réussi ! J'ai réussi !

Sa fierté était entachée par l’habituelle frustration de n’avoir personne avec qui la partager. Pas même sa mère. Il aurait aimé lui en parler, mais la terreur des mages était bien trop ancrée en elle. Elle ne comprendrait pas. Non, mieux valait ne rien dire. Dans quelques années, il partirait pour Piltover, et là, il serait libre de dévoiler sa véritable nature aux yeux de tous. Pour le moment, il lui fallait faire preuve de discrétion et de patience.

Satisfait de sa découverte, il se remit à sa lecture, réjoui par la perspective de tout ce qu'il lui restait encore à apprendre sur son don.

La porte de sa chambre s'ouvrit alors brutalement. Avant même qu'il n'ait pu se retourner, Ewan fut plaqué contre son bureau, et ses mains menottées dans son dos.

– Lâchez-moi ! Qu'est ce que vous faites ? Qu'est-ce que vous me voulez ?

Deux hommes se saisirent de ses bras, l'encadrant et lui bloquant tout espoir d'évasion. Ewan blêmit. Des traqueurs de mages. Un troisième se tenait devant lui.

– Ewan Cartnel. Je t'arrête pour pratique de la magie.

– Laissez-moi partir, je n'ai rien fait de mal.

– Peut-être pas pour le moment. Mais combien de temps avant que tu ne provoques un accident ? Ou que tu envoies valser un de tes petits camarades parce que tu es de mauvaise humeur ? Toi et les autres, vous êtes un danger pour la population.

– C'est faux, je sais contrôler mes pouvoirs. Je ne ferai jamais de mal.

– Sylas de Liebourg aussi pensait contrôler sa magie. Pourquoi serais-tu différent ?

Ewan ne trouva rien à répondre. À quoi bon ? Ils allaient l'emmener quoi qu'il puisse dire pour sa défense. Sauf si… Il venait à peine de découvrir la technique mais il apprenait vite. Il était sûr qu'il pourrait le refaire. Il ne voulait pas leur faire de mal mais ils ne lui laissaient pas le choix. Il avisa sa lourde encyclopédie. Ça ferait l'affaire. Il se concentra, mais rien ne se passa. Le flux qui l’habitait se trouvait bloqué au niveau de ses poignets. Ses menottes l’empêchaient d’utiliser ses pouvoirs.

Ewan perdit espoir. C'était fini. Il était condamné à croupir en prison. Son rêve de Piltover s'évanouissait, alors que les traqueurs de mages l'escortaient hors de sa chambre.

Yselda se trouvait là, dans un coin du salon, le regard rivé sur le sol.

– Maman !

Il aurait voulu se montrer fort, mais il restait un jeune garçon dépassé par la violence de la situation et il avait encore besoin de la protection de sa mère. Les larmes lui montèrent aux yeux.

– Maman... sanglota-t-il. Je ne veux pas aller en prison. Je n'ai rien fait de mal. Aide-moi. Dis leur que je n'ai rien fait de mal.

Yselda restait muette, toujours absorbée par le bout de ses chaussures.

Ses larmes se stoppèrent net et il renifla bruyamment.

– Maman ?

La réalité se fraya un passage dans ses pensées et le frappa avec la violence d'un coup de poing dans l'estomac. Les mots franchirent ses lèvres avant même qu'il n'en prenne conscience.

– Tu m'as trahi !

Ewan tentait vainement de résister aux traqueurs de mages qui le tiraient vers la porte.

– Maman ! Pourquoi ? Pourquoi tu m'as trahi ? Maman !

La porte se referma en claquant et le silence s’empara de la maison. Sans un mot et toujours sans relever la tête, Yselda s’approcha de la porte de la chambre d’Ewan et la verrouilla à double tour.



****



Yselda n’avait pas fermé l’œil. Ewan réclamait vengeance et il ne la lâcherait pas.

La voix avait finit par se taire et elle avait retrouvé un semblant de calme.

Elle avait quitté son lit, s’était habillée et avait attendu. Les ténèbres envahissaient toujours le ciel et il lui parut qu’une éternité s’était écoulée quand elle vit enfin percer les premières lueurs du jour. Elle se mit en route sans plus tarder. Elle était tellement épuisée qu’elle se demandait si elle serait capable d’atteindre la grande cité de Demacia. Le manque de sommeil enserrait sa tête comme dans un étau, sa vision se troublait et elle était régulièrement prise de violents vertiges.

Elle ne sut pas où elle trouva la force mais elle parvint à sa destination dans l’après-midi. Sans doute l’énergie du désespoir.

Les grands murs blancs de la capitale se dressaient devant elle dans toute leur splendeur. Elle ne prit pas un instant pour admirer le paysage qui s’offrait à elle. Elle marchait tête baissée et, après avoir interpellé un passant pour lui demander la direction, elle trouva l’enceinte des traqueurs de mages.

On accéda à sa demande d’être entendue et elle fut amenée à un homme, dont le visage était à moité couvert d’un masque. Il portait la traditionnelle tenue des traqueurs de mages, une cape bleue et blanche ornée de dorure. Il la regarda de haut en bas, sans pouvoir dissimuler une grimace de dégoût. Le dos voûté, l’odeur d’alcool qui émanait d’elle, le teint blafard et les yeux creusés, l’avaient fait perdre de sa superbe. N’importe qui lui aurait donné trente ans de plus qu’elle n’avait.

– Vous avez un comportement suspect à signaler ? demanda le traqueur de mages.

Yselda tripotait le bout de sa robe.

– Non, non, il ne s’agit pas de cela… Enfin… si…Il... il s’agit de mon fils. Il est déjà dans vos cachots.

– Son nom ?

– Ewan Cartnel.

L’homme consulta ses documents et après avoir tourné quelques pages, acquiesça de la tête.

– Et alors ?

– C’est que… J’aurai aimé pouvoir lui parler. Je suis victime d’événements surnaturels. Je sais que c’est lui. Il veut me punir pour avoir fait mon devoir en tant que Demacienne.

Le traqueur de mages haussa un sourcil.

– Qu’est ce que vous racontez ? Il est enfermé dans une cellule, scellé par la pétricite et sous l’effet de la potion tue-mage. Quel que soit ce qu’il vous arrive, il ne peut pas en être le responsable.

– Mais c’est un mage. Qui sait de quoi il est capable ?

– Les visites sont interdites. Et je vous le répète, vous faites fausse piste. Vous avez sans doute l’esprit brouillé par la boisson, ajouta-t-il avec dédain.

– Je vous en supplie, j’ai besoin de le voir. Il réclame vengeance, je dois lui parler. Je dois lui expliquer que je n’ai fait que mon devoir, pour la sécurité de tous. Le convaincre de me laisser en paix.

– Madame, inutile d’insister ! Je vous demande de partir. Et si vous persistez, je peux toujours vous trouver une place en cellule avec lui, vous aurez tout le temps de vous expliquer.

Yselda baissa la tête. Ses mains trituraient à nouveau ses vêtements. Elle marmonna des paroles si bas que le traqueur de mages ne les entendit pas :

– Il va me tuer.



****



Un croassement tira Yselda de son sommeil agité. Un nœud lui tordait les entrailles en permanence désormais. Le moindre bruit la faisait sursauter, son cœur ratait un battement à chaque mouvement fugace. La lueur d'espoir qu'elle avait aperçue en pensant pouvoir raisonner Ewan s'était évanouie quand elle avait été jetée de l'enceinte des traqueurs de mages comme une malpropre. Elle serra les paupières, s'accrocha à son oreiller et s'enfouit sous ses draps. Le repos était si rare qu'elle ne pouvait pas laisser ces stupides volatiles l'en priver.

Le corvidé poussa un autre cri. Yselda ouvrit les yeux. Le cri était trop fort, trop net.

Dans la pénombre, elle distingua une silhouette d'oiseau posé sur sa table de chevet. Son cœur s'emballa. Comment était-il entré ? L'animal tourna sa tête vers elle et ses deux yeux perçants la fixèrent. Il ouvrit le bec pour un nouveau croassement lugubre.

Soudain l'enfer se déchaîna. C'était maintenant toute une nuée de corbeaux qui volaient en cercle dans la petite pièce. La cacophonie, mélange de cris d'oiseaux et de bruits d'ailes, était assourdissante. Yselda eut pour seul réflexe de protéger son visage de ses bras. Les serres des volatiles écorchaient ses membres à chacun de leur passage.

Au centre du nuage, une silhouette se distinguait. Un épouvantail, immobile, rachitique. Une faux dans une main et dans l'autre une lanterne qui oscillait avec un grincement. De mauvais éclats rouges brillaient dans une cage en métal sur sa poitrine.

Yselda était pétrifiée. Ses yeux s’écarquillèrent tandis que les souvenirs affluèrent dans son esprit. Lui revinrent en mémoire toutes les histoires sur la créature qui se repaît de la terreur qu'elle provoque. Les vieilles fables sur l’épouvantail qui se plaît à raviver les pires traumatismes de ses pauvres victimes. Un concentré de peur. Un Démon antique. Fiddlesticks.

Une légende, un conte bon à effrayer les enfants.

C'est ce qu'elle avait cru.

Une larme roula sur sa joue.

L'épouvantail ouvrit son énorme gueule pleine de pics acérés, tel un trou béant vers les ténèbres. La voix d'Ewan en sortit, grinçante et hachurée :

– Tu m'as trahi !

Ce fut la dernière chose qu’elle entendit. Le Démon fondit sur elle.


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