La vierge d'or de la mer

Chapitre 1 : La vierge d'or de la mer

Chapitre final

4104 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 03/01/2024 12:23



Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions .fr : Coupez ! On la refait - (novembre décembre 2021).



~Alerte révélation : cette histoire est basée sur les événements du roman Ruination~



Kalista se tourna vers Vennix, qui fronçait les sourcils, penchée par-dessus la rambarde du navire.

– Qu’y a-t-il, capitaine ?

– Qu’est-ce que vous a dit l’oracle, déjà ? Suivez la vierge…

– Elle a dit que la vierge d’or nous guiderait. Pourquoi ?

La capitaine pointa du doigt la proue, un léger sourire flottant sur ses lèvres. Kalista regarda ce qu’elle lui indiquait.

– Je ne vois pas… Oh ! s’exclama-t-elle soudain, les yeux écarquillés.

La figure de proue du navire était une femme à l’allure sévère, peinte à l’or fin. Inclinée au-dessus de l’océan, elle déployait les bras derrière elle comme si elle volait.

– On dirait que vous l’avez trouvé, princesse.

La vierge d’or de la mer ! Vennix avait raison. C’était elle, sans aucun doute. La prophétesse, cette étrange créature cornue, n’avait peut-être pas complètement perdu la tête en fin de compte. Elle avait vu juste pour l’identité de Kalista et la question qui l’avait menée jusqu'à elle ; elle avait vu juste pour le bassin, et maintenant aussi pour la vierge d'or de la mer.

Voilà ce qui devrait la guider jusqu'aux Îles bénies. Kalista se retourna vers Tyrus, le savant dont elle venait de sauver le bateau à la proue dorée et son équipage d’une attaque de créatures sous-marines. Cela faisait sens. Il prétendait venir d’une petite ville côtière mais les moyens dont il disposait indiquaient qu’il devait être envoyé par une cité suffisamment prospère pour se payer le luxe d’une telle expédition. Une cité comme celle des Îles bénies.

Une bouffée d’espoir s’empara de Kalista. Elle avait tant douté de son entreprise, elle avait manqué de renoncer à plusieurs reprises. Après des jours et des jours à tourner en rond sur l’océan, elle touchait enfin au but. Elle avait le moyen d’atteindre les Îles bénies, elle avait le moyen de trouver un remède pour sa reine Isolde.

L'espoir fut terni par un doute s’insinuant en Kalista. Si la prophétesse cornue avait eu raison pour toutes ces choses, alors avait-elle raison également pour son avertissement ? Elle l’avait prévenue que sur ce chemin, c'était les ténèbres qui l'attendaient. Les ténèbres ? Comment aurait-ce pu être plus flou ? Pourquoi diable les prophéties n'étaient-elles jamais claires ? Bien sûr cela n'augurait rien de bon, mais pouvait-elle renoncer à sa quête pour une raison aussi abstraite ?

Au même instant, l’autre prophétie de la créature cornue lui revint, celle qui lui était réservée si elle choisissait d’abandonner ses responsabilités. Celle-là avait le mérite d'être limpide : une vie longue et heureuse auprès de celui qu'elle aime et de la famille qu’ils fonderaient ensemble. Kalista, trop préoccupée par son devoir et sa recherche des Îles bénies, avait refusé d’y accorder la moindre importance, mais maintenant qu'elle donnait du crédit à ses paroles, elle était incapable d’ignorer cette perspective d'avenir.

Cette vierge dorée représentait pourtant le dernier espoir de guérison de la reine. Y renoncer revenait à la condamner. A supposer qu’elle soit toujours en vie. Isolde elle-même se savait déjà prête à partir avant le départ de Kalista, et elle acceptait son sort. Mais Viego ? En serait-il capable ? Les inquiétudes que lui avait confiées Isolde à son égard avaient réveillé ce que Kalista avait déjà soupçonné chez son jeune oncle et qu'elle avait tenté d’ignorer. Elle l’aimait comme une grande sœur aime son petit frère, elle savait qu’il y avait du bon en lui, mais elle savait qu’il avait également des penchants dangereux. C'était Isolde qui, depuis leur mariage, avait été capable de faire ressortir le meilleur de Viego. Sans elle, le pire était à craindre.

Kalista sentit le poids sur ses épaules, qui se faisait de plus en plus lourd. Elle avait toujours espéré qu’elle serait assez forte pour le porter. Elle commençait à en douter. Dans sa tête, dansaient les paroles de son défunt grand-père, de Viego et d’Isolde, les promesses qu’elle leur avait faites, et le fardeau qu’ils lui avaient imposé. Se mêlaient à elles, celles de Ledros, quand elle avait été contrainte de repousser ses avances ; ainsi que la prophétie de l’oracle cornue.

Ce garçon n’a pas le tempérament pour régner. Promets-moi de le guider, de le conseiller, et même de le contrôler, s’il le faut.”

Tu resteras avec moi, n’est-ce pas ? Je ne suis pas sûr d’arriver à régner seul.”

Je suis fautif, mais c’est à toi qu’il incombe de porter ce fardeau, ma petite-fille.”

Mais vous pourriez en formuler d’autres, me demander ce que l’avenir vous réserverait si vous partiez, par exemple, si vous renonciez au fardeau qui vous incombe pour abandonner la terre de vos ancêtres avec le véritable élu de votre cœur.”

Vous avez beau être princesse de sang royal, vous êtes esclave du devoir, tout comme moi.”

Je redoute sa réaction. Quand l’heure viendra, tu devras l’aider à accepter ma mort, à aller de l’avant. Je t’en supplie.”

Protège Camavor à tout prix. C’est ton devoir, désormais.”

Vous seriez heureuse. Vous mèneriez une vie longue et épanouie.”

Je n’ose pas imaginer ce dont il sera capable…”

Promets-le-moi.”

Mon cœur est avec vous, à jamais.”

Vennix scruta Kalista, qui restait figée, les yeux dans le vague, depuis maintenant plusieurs longues minutes.

– Princesse ? Tout va bien ?

Kalista sortit de sa torpeur et déclara :

– Vous devez vous tromper Vennix. Ce n’est qu’une figure de proue.



Tyrus renouvela sa gratitude pour l’aide que Kalista, Vennix et son équipage leur avaient apportée contre les créatures qui les avaient assaillis, puis, après avoir fait leurs adieux, le Rapace acéré s’éloigna du Savant doré, reprenant sa route en direction du royaume de Camavor.

Kalista se tenait appuyée contre le bastingage, le regard perdu vers l’horizon, ses longs cheveux bruns battus par les vents. Vennix céda la barre à un membre de son équipage pour se rapprocher de sa passagère.

– Vous pouvez me le dire maintenant, princesse. Pourquoi ne pas avoir suivi le Savant doré ?

Kalista redoutait d'être jugée pour son choix, mais elle se devait d’être honnête. Vennix était quelqu’un de fiable, elle la comprendrait.

– Si je me fie aux paroles de l’oracle, en suivant la vierge d’or de la mer, je n’aurais trouvé que les ténèbres.

– Les ténèbres ?

– Oui, les ténèbres.

– Ce n’est pas très clair…

– Je suis d’accord. Mais c’est dissuasif.

– Alors vous renoncez ? Vous allez annoncer à votre oncle que vous avez abandonné les recherches pour le remède de sa femme parce que vous avez peur du noir ? Ça ne vous ressemble pas.

– En réalité, l’oracle m’a fait une autre prophétie… commença Kalista. Elle m’a dit que je pourrais faire le choix d’une autre vie.

Elle fut incapable d’en dire plus, de prononcer à haute voix son aveu d’abandon. Vennix devina sans mal ce qu’elle laissait entendre à demi-mot. Elle renonçait à sa mission, cela impliquait nécessairement que son autre vie ne se déroulerait pas dans un palais à assister son oncle. Un choix qui pourrait certes être vu comme égoïste, mais Vennix estimait que, quand il était affaire de la manière de vivre sa vie, il n'était rien de plus légitime que d'être égoïste. Vennix fut même admirative de son courage de s'absoudre de ses responsabilités, de faire fi des conséquences pour mener son existence telle qu’elle lui plaisait. Étant donné le caractère honnête et loyal de Kalista, elle ne pouvait qu’imaginer à quel point ce choix devait être difficile pour elle. Elle ne voulait pas l’en dissuader.

– Alors pourquoi faisons-nous cap vers Alovédra ?

– Je vais chercher Ledros.



Vennix et Kalista convinrent de ne pas accoster directement dans le port d’Alovédra. Le retour du Rapace acéré devait être très attendu et Kalista avait besoin de ne pas se faire remarquer. Vennix resta donc à bord de son navire, à distance de la côte, et Kalista se servit d’un petit canot pour poser pied à terre seule. Elle n’était pas mécontente d’être enfin sur le sol ferme après ses semaines passées en mer. En voyant que les feuilles mortes commençaient à tomber des arbres et que l’humidité faisait pousser des champignons sur leur écorce, elle réalisa que l’été touchait déjà à sa fin. Le visage dissimulé au mieux sous une capuche, Kalista se mit en route vers la capitale. Ce qu’elle y découvrit la laissa sans voix.

La ville avait radicalement changé depuis son départ. Nombre des constructions n’étaient plus que des ruines calcinées, les boutiques qui n’avaient pas pris feu étaient fermées, les habitations barricadées et les rues envahies de mendiants.

Un passant tenta d’agresser Kalista, la pensant une proie facile à détrousser. Elle esquiva souplement et riposta d’un coup de coude en plein visage qui l’envoya valser dans le caniveau. La sécurité n'était même plus garantie en pleine journée dans les rues de la capitale. Elle n’en voulait pas à cet homme. Quand on est livré à soi-même et que sa survie est en jeu, la loi du plus fort s’impose inéluctablement. C’était aux dirigeants d’éviter que cela ne se produise.

Comment la situation avait pu dégénérer à ce point ?

Viego était-il si obnubilé par la santé d’Isolde, qu’il en ignorait l’état dans lequel se trouvait son peuple ? Elle ne voyait pas d’autre explication. Elle savait combien il pouvait se montrer têtu et obstiné, combien il pouvait se montrer imperméable aux recommandations avisées de ses conseillers. Une pointe de culpabilité transperça Kalista. Pouvait-elle y faire quelque chose ? Pourrait-elle raisonner Viego ? Une partie d’elle s’en voudrait toujours de ne pas avoir essayé, mais au fond, elle savait pertinemment que sa voix n’aurait pas plus de poids aux oreilles de Viego que celle de ses conseillers. Elle n’y pouvait rien. Aussi elle ne se détourna pas de son objectif et se dirigea d’un pas décidé vers la caserne de l’Infanterie.

Elle connaissait parfaitement les lieux et s’y faufiler sans attirer l’attention ne lui posa aucun problème. Elle pria simplement pour que personne ne la reconnaisse sous sa capuche. Ses hommes seraient tous prêts à taire sa présence si elle le leur demandait, mais elle ne voulait pas risquer de leur attirer des problèmes. Surtout, elle craignait de ne pas avoir le courage d’affronter leur regard tout en sachant qu’elle, leur générale, allait déserter son poste.

Elle passa la cour d'entraînement où elle avait passé des heures à croiser le fer avec Ledros, et arriva dans la section où logeaient les soldats. Fort heureusement pour Kalista, le grade de capitaine de l'Infanterie de Ledros lui offrait le luxe d’une chambre individuelle. Elle s’y glissa discrètement. La pièce était minuscule et à peine meublée. Ledros ne s’y trouvait pas, ce qui n’étonna pas Kalista. Il avait récemment été promu au rang de garde du corps de Viego, de manière soudaine et précipitée, au plus grand désarroi de Ledros qui était bien plus à son aise sur un champ de bataille. Il était impossible pour Kalista d’entrer dans l’enceinte du palais, elle avait prévu de l’attendre ici, aussi longtemps qu’il le faudrait. La nuit n’allait pas tarder à tomber, et tout redoutable qu’il était, il lui faudrait bien prendre du repos à un moment ou à un autre.

Tandis qu’elle patientait sans un bruit assise sur le lit de Ledros, elle songea à l’étrange parallèle de la situation. C'était lui qui était venu dans ses appartements la veille de son départ pour lui faire sa déclaration, et elle l’avait repoussé, la mort dans l’âme, à cause de ses fiançailles arrangées. C'était maintenant elle qui, à son retour, le rejoignait dans sa chambre afin de lui demander de partir avec elle. L’art et la manière de se compliquer la vie.

Elle commençait à croire que Viego avait l’intention de conserver son garde du corps personnel nuit et jour, quand la poignée de la porte s’abaissa enfin. Son cœur s'emballa, mélange de joie et d’appréhension.

Rompu au combat, surentraîné et les sens toujours en alerte, Ledros perçut immédiatement la présence dans sa chambre plongée dans la pénombre et resserra son poing sur la prise de son arme.

– Qui est là ?

Kalista se précipita vers lui avant qu’il n’ait l’idée de donner l’alerte.

– C'est moi, Ledros.

La faible clarté lui permit de discerner son visage.

– Kalista ? Mais… Que faites vous là ? Personne n’a annoncé votre retour.

– Referme la porte, s’exclama Kalista qui venait entendre des bruits depuis le couloir.

Le soldat s’exécuta et alluma une lumière, abasourdi de trouver Kalista dans sa propre chambre. La dernière fois qu’il l’avait vue, c’était sur le pas de la sienne, juste après avoir été éconduit.

– J’avais besoin d’être discrète. C’est toi que je voulais voir.

– Moi ?

– Le pendentif… Tu l’as jeté dans le port ?

Ledros fouilla sa poche pour en sortir le délicat bijou gravé de deux roses entrelacées qu’il avait voulu lui offrir.

– Je n’ai pas pu m’y résoudre.

– Est-ce que le présent tient toujours ?

– Kalista, tu veux dire que… Tu l’acceptes ?

– Avant tout, je dois savoir : comment va Isolde ?

Ledros secoua la tête.

– Elle nous a quittés peu après ton départ.

Kalista accusa l’information sans surprise. Isolde était déjà mourante quand elle était partie et elle avait été absente durant plusieurs semaines. Lucide sur les chances de survie de la reine, elle avait malgré elle déjà commencé à faire son deuil.

Dans un sens, apprendre qu’Isolde avait rejoint la demeure des Ancêtres rapidement allégeait sa conscience. Même si elle avait suivi la vierge d’or de la mer, même si elle avait trouvé les Îles bénies, il était déjà trop tard pour sauver la reine.

– Et Viego ?

– Viego, il… Il pense qu’elle est toujours vivante.

– Il pense qu’elle est toujours vivante ? répéta Kalista horrifiée.

– Oui. Il se tient en permanence à son chevet, affirmant qu'elle est simplement endormie. Quiconque tente de le contredire risque sa vie.

Cela dépassait les pires craintes d’Isolde et de Kalista, et cela expliquait l’état dans lequel se trouvait la capitale. Il perdait la raison. Une boule noua sa gorge.

– Partons d’ici, Ledros. Partons ensemble. Vennix peut nous emmener sur le continent à l’ouest, loin de tout ça.

– Kalista… Tu es sérieuse ?

– Je ne peux rien pour Viego. Je ne peux rien pour Camavor. Il n’y a toujours eu qu’Isolde pour le raisonner. Ce fardeau est trop lourd pour moi, je n’en suis pas capable.

L'entendre dire qu’elle n’était pas capable d’assurer ses responsabilités, heurta les oreilles de Ledros. Remettre en cause les capacités de Kalista lui était inconcevable. Était-il sensé l’encourager et la soutenir pour qu'elle accomplisse son devoir pour son bien et celui de Camavor, ou bien partir avec elle en priant pour qu'elle ne regrette pas sa décision ?

Kalista de son côté réalisa ce qu’elle venait de demander à Ledros. Lui non plus n’était pas libre de ses choix. Il était un soldat, il vouait sa vie à sa patrie. C’était un homme d’honneur, le genre d’homme qui ne trahit ni sa parole, ni ses engagements. Pourrait-il y renoncer pour elle ?

– Je te déçois ? demanda-t-elle.

– Non. Bien sûr que non.

Ledros avait été en mesure d’encaisser le rejet de Kalista, tant bien que mal, en sachant qu’il pourrait malgré tout rester à ses côtés. La simple idée qu’elle puisse partir sans lui, qu’il ne la revoit plus jamais, lui donnait le vertige. Toutes les fibres de son corps lui criaient de partir avec elle, occultant complètement son devoir et ses engagements envers Camavor. D’un geste mal assuré, il passa ses bras autour des épaules de Kalista.

– Je te suivrai. Où que tu ailles.

Kalista savoura un instant cette étreinte rassurante, avant de se reculer et de lever le regard vers Ledros.

– Tu en es sûr ?

Pour toute réponse, Ledros sortit à nouveau le pendentif.

– Il est à toi. Tout comme moi.

Kalista attrapa la fine chaîne qui y était rattachée et la referma autour de son cou, avant de plonger son regard dans celui de Ledros. Ce qu’il y lisait aurait pu suffire mais elle ressentait le besoin de l’exprimer oralement :

– Merci.

Ledros était tellement grand, qu’elle dut s'étirer sur la pointe des pieds pour que ses lèvres atteignent les siennes.

C’était leur premier baiser… et loin d’être leur dernier.

Kalista glissa sa main dans la grosse poigne de son bien aimé.

– Allons-y, Vennix nous attend.



Alovédra disparaissait lentement à l’horizon. C’était la dernière fois qu’elle posait les yeux sur cette ville qui l’avait vue naître et grandir. Le cœur de Kalista se comprima dans sa poitrine. Elle avait la sensation de se déchirer de l’intérieur, comme si une partie d’elle était restée là-bas.

Elle n'était plus une princesse.

Elle tendit son bras au-dessus de l’océan, poing serré sur la lance qui l’avait toujours accompagnée. Ses doigts s'ouvrirent et l’arme s'enfonça dans les profondeurs.

Un nouveau fragment s'arracha d’elle.

Elle n’était plus une générale.

Resta une étrange sensation de vide en Kalista, qui fut comblé quand la grosse main de Ledros se posa sur son épaule. Elle se blottit contre lui. Voilà ce qu’elle avait choisi.

La voix de Vennix les sortit de leur étreinte.

– Hé, les amoureux. Le premier voyage était fait au nom de la couronne, mais maintenant il n’y a plus de princesse qui tienne, alors pas question de vous la couler douce. Au boulot, comme tout le monde ! Il y a des pommes de terre et des châtaignes à préparer pour le repas de l’équipage.

Kalista rit. Vennix avait le don de rendre les choses simples, c’était ce dont elle avait besoin.

– A vos ordres capitaine !

Elle n’avait jamais cuisiné, mais elle allait apprendre. Comme tout le monde. Telle une chenille formant sa chrysalide, Kalista entamait sa métamorphose, le début de sa nouvelle vie.



Le poids des responsabilités sur les épaules de Kalista fut remplacé par celui de la culpabilité, celle d'avoir abandonné son jeune oncle dans sa tristesse et sa folie, celle d’avoir abandonné son peuple, désarmé et impuissant face à un roi qui avait perdu la raison. Mais celui-ci s'effaçait à chaque fois qu’elle voyait le sourire de Ledros. Dans ces moments-là, elle réussissait à oublier le peuple de Camavor, elle réussissait à se convaincre qu’elle avait fait le bon choix.

Ce poids s’allégea d’autant plus à la naissance de leur premier enfant et encore à nouveau pour ceux qui suivirent. Quand ce fut au tour de leurs petits-enfants de voir le jour, la culpabilité et les remords n'étaient plus que de vieux souvenirs, comme si la vie qu’elle avait laissée derrière elle sur ce continent à l’est, n’avait été qu’un rêve. Elle mourut heureuse et apaisée, entourée de ceux qu’elle aimait, comme le lui avait promis la prophétesse. Agneau emporta son esprit pour qu’il repose dans la demeure des Ancêtres.



Par delà les océans, à l’est, la capitale Alovédra n’était plus que des ruines, à l’image du royaume de Camavor.

Rendu fou par l’état de santé de sa femme, anéanti par l’attente vaine du retour de Kalista, le jeune roi Viego s’était laissé dépérir auprès du cadavre d’Isolde, qu’il croyait toujours en vie. Si bien qu’il avait fini par la rejoindre dans la demeure des Ancêtres, peu après elle.

Et il avait entraîné avec lui tout son royaume. Ses derniers jours d’existence ayant été l’apothéose de son égocentrisme, il ne s'était préoccupé que de l'état d’Isolde, dilapidant la fortune du royaume à des charlatans opportunistes, affamant son peuple, ignorant les émeutes qui avaient éclatées.

Privé de dirigeant et en l’absence d’héritier, Camavor s'était retrouvée livrée à elle-même, en proie aux conflits internes.

Les différents chefs des grands Ordres du pays s'étaient retrouvés incapables d’en maintenir sa cohésion. Les plus inspirés avaient quitté le navire quand il en était encore temps, les autres s'étaient lancés dans une lutte pour conquérir les miettes de ce qui avait été autrefois un grand royaume, et ce faisant, en avaient sonné le glas.



Sur les Îles bénies, les maîtres du Conseil avaient payé d’avoir pendant trop longtemps gardé jalousement les Eaux sacrées de la vie rien que pour eux.

Erlok Grael jubilait. Après des décennies de patientes machinations, il touchait enfin au but.

Depuis qu’il était parvenu à obtenir la preuve de l’existence de ces eaux, il avait insidieusement insufflé l’idée d’une révolte parmi le peuple des Îles bénies. Il avait utilisé à bon escient la petite gourde d’eau sacrée qu’il avait réussi à obtenir, en montrant son pouvoir miraculeux de guérison à des familles endeuillées, à des malades désespérés, en leur faisant comprendre que le Conseil avait le moyen de leur venir en aide et qu’il n’en faisait rien.

Cela avait pris plusieurs années, mais la stratégie de Grael avait fonctionné exactement comme il se l’était imaginé. Une révolte avait fini par éclater et avait pris d’assaut la Tour scintillante, siège du Conseil. Grael y avait pris part, sans cacher son plaisir et son excitation malsaine à prendre sa revanche sur les maîtres, ceux-là même qui l'avaient relégué au fin fond des oubliettes de l’île pendant des années. Il les avait traqués, les uns après les autres, et avait dérobé sur leur cadavres les runes fondamentales, les clefs pour ouvrir les portes du Puits séculaire. C’était à lui que revenait le droit de jouir du pouvoir des Eaux sacrées, mais contrairement aux maîtres, il saurait se montrer généreux et il le partagerait volontiers avec ceux qui se soumettraient à son autorité.

Il poussa les portes du Puits séculaire. La pièce cachée derrière les portes était octogonale. En son centre, un bassin circulaire était creusé à même le sol, et une volée de marche plongeait dans les eaux cristallines. Une lueur bleutée, seule source de lumière de la pièce, provenait depuis le fond du bassin. Grael s’y immergea complètement, tout habillé, puis se laissa flotter à la surface, souriant.

Il était maintenant le maître immortel de ces îles.

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