La veuve noire

Chapitre 1 : La veuve noire

Chapitre final

3727 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 16/03/2024 18:22

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Mon animal-totem (mars – avril 2024).





Les ailes d’un moucheron s’étaient collées dans une toile. En s’agitant pour se dépêtrer, la proie ne faisait que de s’y engluer d’avantage. Les vibrations de ses mouvements frénétiques remontaient le long de la soie jusqu’à un orifice dans le mur et en firent sortir les pattes de l'architecte de ce complexe enchevêtrement de fils. Avec la lenteur délibérée de celle qui sait qu’elle a déjà gagné, l’araignée s’approcha de sa prise, lui injecta son venin, et commença à l’enrouler dans sa soie.

Tous les recoins du manoir étaient envahis de toiles, pour une raison simple : Elise préférait la compagnie de ces arachnides à celle des domestiques. Il ne lui serait de toute façon jamais venu l’envie d’inviter qui que ce soit chez elle. C’était son antre.

Elle s’était laissée divertir par la scène de l’araignée et avait vu en ce moucheron une allégorie amusante de son mari, Berholdt Zaavan. Comme lui, il s’était approché trop près d’elle. Comme lui, il avait misérablement tenté de se défaire de l’emprise qu’elle avait sur lui. Comme lui, il en était mort.

Et Elise était maintenant à la tête de deux Maisons nobles de Noxus. Elle avait également pris sa place en tant que membre de la Rose noire, l’organisation qui tirait dans l’ombre les ficelles de Noxus, et c'est à ce titre qu’elle s’apprêtait à sortir de chez elle.

Elle enfila les très courtes pièces de tissus qui lui servaient de vêtements, dévoilant un maximum de peau et moulant ostensiblement les parties de son corps que la bienséance l’obligeait à couvrir. Elle s'était habituée au froid, seul désavantage d’une telle tenue. Devant un miroir, elle plaqua ses courts cheveux noirs en arrière pour dégager son visage et mettre en valeur son regard profond, puis prit le temps de contempler le résultat. Sa jeunesse et sa beauté étaient ses atouts, elle en avait pleinement conscience. Et elle savait les utiliser à son avantage.

Satisfaite, elle quitta son manoir, héla son cocher, et lui donna les indications sur sa destination avant de s’installer dans son fiacre.

Elise n’avait que peu d’intérêt pour les Sentinelles de la lumière qui, soit disant, protégeaient le monde contre le mal. Vaste blague. Le mal existait partout et il en serait toujours ainsi. D’autant plus qu’ils n’étaient plus qu'une poignée d’illuminés à croire encore dans cette cause. De ce qu’elle savait, la délégation de Noxus ne comptait plus qu'un vieil archiviste. Ils étaient un reliquat d’un temps passé. Mais de ce fait, ils étaient tout de même les mieux placés pour conserver les informations et secrets des Îles obscures et c’est ce qui attirait Elise.

Alors qu’elle s'approchait de l’antenne noxienne des Sentinelles de la lumière, elle réfléchit aux options qui s’offraient à elle pour parvenir à ses fins. Elle opta pour la demoiselle en détresse. Qui pouvait refuser de venir en aide à une jeune femme qui vous supplie les larmes aux yeux ? Elle ordonna à son cocher de s’arrêter avant leur point d'arrivée et termina le reste à pied. Elle inspirerait plus de sympathie ainsi.

Elise s’annonça à l’entrée et un homme apparut dans l’ouverture de la porte. Ses cheveux grisonnants, ses traits creusés et ses épaules tombantes témoignaient de son âge avancé, même s’il conservait une allure athlétique qui indiquait qu’il n’avait pas toujours été qu'un archiviste.

– Honorable Sentinelle de la lumière.

Elise s’inclina pour témoigner son respect au vieil homme. Elle épousait tant son rôle, qu’elle ne s'incommoda pas de devoir effectuer ce geste pourtant si dégradant.

– Je vous présente mes excuses de vous importuner ainsi, mais je vous promets que je n’en ferai rien si une excellente raison ne m’y poussait pas.

Elise nota sans surprise que le regard de l’homme était irrésistiblement attiré par son décolleté plongeant. Qu’il regarde donc. Cela ne faisait que servir ses intérêts.

– Je voudrais vous demander l’autorisation d’accéder à vos archives.

– Nos archives sont confidentielles.

Son ton était ferme et son refus catégorique.

Des larmes perlèrent dans les yeux d’Elise.

– Si j’en ai besoin, c'est pour mon frère. Le navire sur lequel il était a disparu alors qu’il passait au large des Îles obscures. S’il existe une seule chance qu’il ait survécu, je dois aller le chercher, je dois le retrouver. Mais sans rien connaître de cet endroit maudit, je cours à ma perte. C’est pourquoi j’ai besoin de votre aide.

– Je suis désolé pour votre frère, mais il y a là des secrets qui doivent être gardés à l’abri. Je ne peux pas prendre ce risque.

Elise n’avait aucun frère. Des larmes factices roulaient maintenant sur ses joues. Elle s’agrippa au bras de la Sentinelle et, feignant un acte involontaire, le plaqua sur ce qui était l’objet de son attention depuis le début. Elise eut la satisfaction de voir les joues de son interlocuteur devenir cramoisies, et de sentir sa rigueur faillir.

– Je vous en prie, je vous en supplie. Nos parents sont morts quand nous étions encore petits. Il est la seule famille qu’il me reste.

– Seules les Sentinelles ont le droit d’accéder aux archives, répliqua le vieil homme comme il aurait récité une leçon apprise par cœur.

Elise sentait qu’elle n’avait plus à insister beaucoup avant de briser le dernier reste de résistance en lui.

– Le rôle des Sentinelles n’est-il pas de protéger le monde contre les ténèbres ? Pourquoi refuser de m’aider à sauver mon frère des Îles obscures ?

Elle sut qu’elle avait gagné la partie quand l’homme poussa un soupir.

– Je… Je suppose que je peux faire une exception, abdiqua-t-il. C’est pour une bonne cause.

Il ouvrit plus grand la porte et l’invita à le suivre alors qu’elle se répandait en remerciement. Il la guida à travers un dédale de pièces et de couloirs, raison pour laquelle elle n’avait pu se passer de sa présence. Elise prit soin d’en mémoriser chaque détail.

Le contraste entre l’immensité du lieu et la présence du seul et unique occupant prouvait à quel point les Sentinelles étaient sur le déclin.

Ils arrivèrent finalement dans une petite pièce souterraine, éclairée d’une lumière artificielle, où s’accumulaient livres et parchemins.

– Qu’est ce que vous cherchez exactement ? demanda la Sentinelle.

– J’ai besoin du plus d'informations possibles sur les Îles obscures.

Le vieil homme se triturait les mains.

– Mademoiselle… Il faut que je vous dise. Les spectres ne sont pas les seuls dangers qui existent sur les Îles obscures. La Ruine a éveillé des horreurs qui grouillent dans les profondeurs. Des monstres que vous ne pourriez même pas imaginer dans vos pires cauchemars. Si votre frère a en effet atterri dans cet endroit, il n’y a aucune chance qu’il soit toujours en vie.

Cette vérité crue fit à nouveau monter les larmes d’Elise et elle éclata en sanglots. Gêné d’avoir provoqué une telle réaction, l’archiviste tapota son dos d’un geste gauche. Quand elle estima avoir assez pleuré pour que cela soit crédible, Elise reprit son souffle et leva son visage humide vers le vieil homme.

– Je dois essayer. Vous comprenez ?

La volonté sans faille qui imprégnait le regard d’Elise fit vaciller la Sentinelle.

– Je… Je comprends.

Après cet élan de comédie mélodramatique, Elise espérait qu’il allait enfin la laisser tranquille pour faire ses recherches.

Elle n’avait pas menti sur un point : elle comptait bien se rendre sur les Îles obscures. Non pas pour un sauvetage héroïque, mais parce que ce lieu recelait de nombreux trésors oubliés. Et c’était ce point précis qui l’avait amenée jusque dans cette salle des archives. Elle voulait savoir exactement ce qu'elle pourrait trouver sur les Îles, et en faire profiter la Rose noire. Elise éprouvait de l'admiration pour celle qui en tenait les rênes, que l’on nommait la Femme Pâle, et qui faisait passer les talents d’Elise pour la manipulation au rang d’enfantillage. Il lui tenait à cœur de se faire bien voir d’elle et de gagner en influence au sein de la Rose noire.

Elle commença à feuilleter les écrits pendant que le vieil homme lui faisait tout un laïus sur les dangers qu’elle risquait de rencontrer. Elle parcourut des pages et des pages pour finalement tomber sur une qui attira son attention, un court texte accompagné d’une illustration d’une sorte de coupe. Une certaine Jenda’kaya évoquait un artefact perdu sur les Îles obscures, capable d’annuler les effets de la mort sur un corps. Le Calice de Mikael. Voilà une raison valable de se lancer dans une expédition sur les Îles.

Elise savait que la Femme Pâle et son associé hémomancien menaient de nombreuses et diverses expérimentations, et que la mort en était l’un des sujets récurrent. Un tel artefact leur serait bénéfique et le leur ramener promettait son ascension dans la Rose noire.

La dénommée Jenda’kaya terminait son paragraphe sur l’avantage que constituerait sa récupération pour les Sentinelles.

Une note d’une écriture différente était ajouté juste après :

Nous avons retrouvé le spectre nommé Necrit, celui qui est censé avoir emporté le Calice. Il déclare l’avoir caché sous les ruines de la ville. Nous n’avons pas pu vérifier la véracité de ses dires.

Les Sentinelles avaient-elles fini par mettre la main dessus ?

– Le Calice de Mikael ? demanda-t-elle innocemment. L’avez-vous retrouvé ?

Poser cette question obligea Elise à sortir de son rôle un instant, mais l’archiviste parut ne pas le remarquer, prenant cela pour une simple curiosité dénuée d'arrière pensée.

– Non, malheureusement.

Parfait.

Elise mémorisa les informations puis reprit sa mascarade, faisant mine de continuer à se renseigner avant de déclarer au vieil homme qu’elle avait terminé. Il la raccompagna jusqu'à la sortie.

– Honorable Sentinelle, je vous remercie. J’en ai appris beaucoup grâce à vous, et je vais pouvoir me préparer au mieux afin de tenter de sauver mon frère. Vous avez ma reconnaissance éternelle pour votre aide.

– Je vous souhaite de le retrouver. Vous avez l’air d’une gentille fille, j’espère que vous reviendrez en vie.

– Je viendrais vous le présenter à notre retour, promit-elle.





Constituer une expédition pour les Îles obscures ne fut pas difficile. Quelques belles paroles, quelques vaines promesses et Elise s’était retrouvée à la tête d’un équipage prêt à affronter le pire endroit qui soit. Le voyage fut long, mais se déroula sans accroc, jusqu’au jour où enfin, l’épais brouillard noir des Îles obscures leur apparut à l’horizon. Elise profita des derniers rayons du soleil sur son visage, non sans une certaine appréhension, tandis que leur navire plongeait dans les ténèbres. L’intérieur de la brume, privé de la moindre lueur du jour, se retrouvait piégé dans une nuit perpétuelle.

Avant même qu’ils n’accostent, leur parvinrent les lamentations des spectres, coincés depuis une éternité entre la vie et la mort. Ces plaintes dans lesquelles se mêlaient désespoir, folie et colère, auraient suffit à faire fuir toute personne sensée.

Mais pas Elise. Elle connaissait leur nature. Ils n’étaient rien de plus que des humains dépossédés de leur corps. Et comme les humains, certains étaient plus belliqueux que d’autres. Il s’agissait surtout d’éviter de se faire remarquer par les pires d’entre eux.

Elise et cinq de ses adeptes mirent pied à terre sur une plage. Aucun des récits qu’elle avait entendus sur ce lieu ne rivalisait avec le fait de voir la vérité de ses propres yeux. Cet endroit était déserté par la vie. Tout était couvert de gris, comme si les couleurs n’avaient jamais existé. Les touches vermeilles sur la tenue noire d’Elise ressortaient d’autant plus dans ce camaïeu terne. L’unique nuance qui subsistait encore était la teinte verdâtre des spectres et des bâtiments en ruine visibles au loin. Au dessus des reliquats de constructions humaines, flottaient de gros blocs de murs en lévitation donnant l’impression que quelqu'un avait voulu les réparer sans savoir comment s’y prendre et avait laissé son travail en suspens.

Les adeptes qui accompagnaient Elise la suivirent sans un mot. Leur langage corporel parlait pour eux. Recroquevillés sur eux-mêmes, les bras serrés contre leur torse dans un geste protecteur superflu, tremblant de tous leurs membres, ils auraient préféré se trouver n’importe où ailleurs qu’ici. Mais la prestance que dégageait Elise les empêchait de s’opposer à sa volonté.

Seuls vivants sur cette terre de mort, les intrus se mirent en marche vers leur objectif et s'enfoncèrent dans la forêt qui n’avait pas non plus été épargnée par le mal qui régnait là. Aucune pousse, aucun brin d’herbe ne subsistait. Seuls les arbres morts, avec leur tronc noir et leur branches rachitiques demeuraient encore sur le sol rocailleux.

Leur progression était entravée par les tourments des spectres qui voyaient en ces mortels une distraction leur permettant de s’échapper un instant du magma de temps infini auquel ils étaient condamnés.

L’un des adeptes poussa un cri strident lorsqu’un spectre lui passa au travers en laissant son étreinte glacée s’emparer de lui. Les larmes envahissaient ses yeux et sa respiration se fit saccadée. Son état de panique se propagea à ses compagnons qui stoppèrent aussitôt leur progression.

Elise en revanche, demeurait imperturbable, ne trahissant aucun signe de peur. Au fond d’elle, son cœur tambourinait et son sang était aussi gelé que les neiges éternelles de Freljord. Elle aurait frissonné si sa volonté inébranlable ne surpassait pas tout le reste. La raison de sa venue ici tournait en boucle dans sa tête. La Rose noire. Une place de pouvoir et d’influence, une vie à exercer son emprise sur les esprits faibles, à gouverner dans l’ombre.

Elle ne rebrousserait pas chemin.

Les compagnons d’Elise eux ne savaient pas vraiment ce qu’ils faisaient ici. Ils avaient suivi Elise jusque là sans se poser de questions, fascinés par sa simple présence. A présent, la peur le disputait à la fascination et faisait vaciller leurs certitudes.

L’un d’eux osa finalement évoquer tout haut ce qu'ils pensaient tous.

– Que fait-on là exactement ? geignit-il. Qu’attend-tu de nous ?

– J’attends que vous m’aidiez à trouver un passage pour nous mener sous la ville.

Les adeptes d’Elise se contentèrent de cette réponse. Sa voix à la fois douce et inflexible repoussa le sentiment qui leur ordonnait de prendre leur jambe à leur cou. Le pauvre homme effrayé par le spectre essuya ses larmes et, tous ensemble, ils poursuivirent leur exploration.

Et ils le trouvèrent.

Le large trou circulaire, dont la pente s'enfonçait vers les profondeurs de la ville et s'effaçait à leur regard après quelques mètres, pour plonger dans les ténèbres. Le groupe resta figé devant cette découverte. Ils avaient trouvé ce qu’ils cherchaient, mais personne n’aurait su dire si c’était une bonne nouvelle ou non. Même les spectres se tenaient à distance de ce lieu.

C’était là où ils devaient se rendre, pourtant la simple idée de s'introduire dans cet antre défiait les plus basiques instincts de survie élémentaire.

La panique s’empara d’un des adeptes.

– Je ne veux pas rentrer là-dedans, gémit-il. Je ne veux pas rentrer là-dedans.

Bien qu’adulte, il avait conservé des traits juvéniles et de grands yeux innocents qui lui donnaient l’air d’un gamin égaré, et son absence de pilosité faciale accentuait d’autant plus cet effet. Elise devait pourtant être à peine plus âgée que lui.

– Tu veux fuir ? cracha-t-elle. Tu entreras le premier.

Elle riva ses yeux dans les siens et le força à soutenir son regard.

Le jeune homme déglutit. Il était piégé, coincé entre la perspective de décevoir Elise et celle d’entrer dans ce gouffre. Ce choix n’en était pas un. Il obéit. Sans pouvoir dissimuler les tremblements qui l'agitaient, il s’aventura dans l'entrée de la galerie. Chacun de ses pas incertains répercutaient des vibrations le long du sol.

Il avait à peine fait cinq mètres quand l’inévitable se produisit. Ce fut si rapide qu’un simple battement de cils aurait fait louper la scène. La créature surgit des ténèbres.

La Ruine a éveillé des horreurs qui grouillent dans les profondeurs. Des monstres que vous ne pourriez même pas imaginer dans vos pires cauchemars.

De nombreux yeux jaunes. Un abdomen surdimensionné. Et des pattes. Une multitude de pattes articulées, plus longues que deux hommes, grises, acérées, qui s'emparèrent du jeune adepte sans lui laisser une seule chance. Son cri disparut en même temps que lui dans la gueule démesurée du monstre.

Ce fut la débâcle parmi les adeptes restants d’Elise. La créature s’amusait de voir les humains se mouvoir aussi lentement sur leur deux misérables jambes. Elle fondit sur ses proies en fuite, avec une vitesse ahurissante, réduisant leur espoir de survie à néant. Ils finirent tous les quatre rattrapés par ses pattes grouillantes et avalés par sa gueule béante.

Elise n’avait pas bougé. La terreur paralysait ses jambes et maintenant que la créature s’approchait d’elle, elle ne pouvait que regarder venir la mort. Inéluctable.

Elle dernière chose qu’elle vit juste avant de fermer les yeux d’effroi, furent ses chélicères, juste devant elle.

Ses crochets lui transpercèrent l’épaule. La douleur de la blessure fut immédiatement surpassée par la morsure du venin. Il se répandait dans ses veines, la brûlait de l’intérieur. Elle s'effondra au sol, le dos arqué. Son corps s’agita, prit de convulsions, tandis que son esprit se perdait dans la souffrance. Il lui semblait qu’un millier de petites araignées couraient sous sa peau et dévoraient sa chair.

A un moment dans son supplice, son regard croisa celui du monstre. Penché sur elle, il la scrutait, immobile. Elle fut happée par ses multiples yeux dorés et brillants d’intelligence, et un instant, elle en oublia tout le reste.

Elle compris alors. Il n’était pas un monstre. Il était un dieu, il était magnifique.

Et elle n’allait pas mourir.

La douleur déferla à nouveau, plus dévastatrice encore. Roulée en boule sur le côté, Elise hurla à s'en détruire les cordes vocales. Son dos se déchirait comme si on lui arrachait les vertèbres les unes après les autres.

Elise n’aurait su dire combien de temps cette torture dura, mais le moment vint où la souffrance cessa enfin. À bout de souffle, les joues baignées de larmes, elle resta allongée sur le ventre un long moment, le temps de reprendre ses forces. Puis, fébrile, des mèches de cheveux trempées de sueur collées sur le visage, elle entreprit de se relever. Une longue forme sombre à la périphérie de son champ de vision attira son attention. Elle tourna la tête pour regarder par-dessus son épaule et un cri resta figé dans sa gorge.

Des pattes noires, filiformes et acérées provenaient de son dos, comme un corps étranger, un parasite incrusté en elle.

Non. Pas un corps étranger.

Utilisant un réseau de neurone auquel elle ignorait avoir accès, Elise mit en mouvement l’une de ces pattes. Ce n’était pas un parasite. C’était ses pattes. Les siennes. Quatre pattes arachnoïdes qui s’ajoutaient aux quatre membres qu’elle avait déjà.

L’un après l'autre, Elise activa chacun de ses nouveaux appendices de chitine, prenant conscience du lien qui les unissaient à elle, de leur présence, de leur ancrage dans son dos, de leur capacité. C’était fascinant.

Fidèle à la patience dont savent faire preuve les araignées capables d’attendre des proies pendant des semaines, le dieu laissait à Elise le temps de se faire à sa nouvelle condition, la fixant toujours de ses nombreux yeux dorés.

Cela ne mit pas longtemps. Elise avait déjà l’impression d’être née ainsi, que c’était sa véritable nature depuis toujours, que cette apparence ne faisait que la révéler telle qu’elle était réellement.

Une prédatrice.

En plus du venin qui circulait en elle et de la nouvelle forme qu’il lui avait offerte, le dieu s'était fait une place dans l’esprit d’Elise, il avait créé un lien entre eux. Il ne possédait nul langage intelligible, pourtant elle le comprenait. Elle savait ce qu’il attendait d’elle.

Les vivants étaient trop rares sur ces îles pour satisfaire l’appétit du dieu.

Elise était une prédatrice.

Elle allait lui ramener des proies.

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