Viscero

Chapitre 1 : Viscero

Chapitre final

7524 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 26/03/2025 15:13

La lumière du soleil scintillait sur l’océan. Ionia était à peine visible, fin relief se détachant de l’horizon, loin à l’est. L'équipage du Viscero, modeste bateau de pêcheurs, s’était éloigné plus que d’habitude, guidé par les courants et par les migrations des bancs de poissons. 

Xin Zhao était occupé à réparer les mailles d’un filet de pêche, en compagnie de Lu Wei, tandis que Luoyang et Qiao prenaient leur repos dans la soute après leur veille de nuit. Le jeune homme travaillait sur ce bateau depuis quelques mois, employé en renfort par cette bande de vieux loups de mer qui refusaient de renoncer à prendre le large malgré leur âge avancé. Leur corps avait malgré tout leurs limites, ils bénissaient la présence de Xin Zhao qui, avec la force de son jeune âge, leur venait en aide pour tout ce qui était devenu trop difficile pour eux. Il était sérieux et appliqué et n’hésitait pas à se porter volontaire pour toutes tâches pour lesquelles il pouvait se rendre utile. C’était son premier travail et il lui plaisait. Malgré l’écart générationnel certain avec collègues, ils faisaient preuve d’une franche camaraderie simple et chaleureuse, si bien qu’il s'était aussitôt senti à son aise parmi eux. Et il en profitait pour apprendre à leur côtés les bases de la navigation. Ils lui enseignaient comment percevoir les vents et les courants, comment s'en faire des alliés dans toutes circonstances. 

– Tes amis ne te manquent pas trop ? demanda Lu Wei en resserrant un nœud. 

– Mes amis ? 

– Ceux que j’ai vu t’accompagner le jour de notre départ. 

– Ils sont… un peu plus que des amis en vérité. 

– Oh ! Tu dois d’autant plus nous en vouloir de t’avoir arraché à cette séduisante compagnie et de te coincer à bord de ce vieux rafiot depuis trois jours, plaisanta Lu Wei.

Ils ne partaient généralement en mer qu’à la journée, ou passaient parfois une nuit en mer. Mais quand les conditions le permettaient, comme cette fois, il arrivait qu’ils partent durant plusieurs jours consécutifs. Xin Zhao savait que, s’ils l’avaient pu, les trois compagnons auraient volontiers passé le reste de leur vie sur l’océan sans plus jamais poser pied à terre. 

– L’attente et le désir vont de pair, rétorqua Xin Zhao en haussant les épaules.

Lu Wei acquiesça d’un petit sourire. Xin Zhao reforma une maille du filet et passa à la suivante avant de reprendre la parole.

– Et toi ? As-tu quelqu’un de particulier qui t’attend à terre ?

– Ma vie, je la partage avec l’océan. Aucune compagnie humaine, aussi plaisante soit-elle, ne peut rivaliser avec l’embrun sur le visage, la sensation de la houle au creux du ventre, la sérénité apportée par l’horizon.

Xin Zhao songea qu’il y avait certaines activités qu’il était tout de même plus commode de partager avec des humains, mais il se retint de le faire remarquer. Il leva la tête un instant de son ouvrage pour savourer la plénitude offerte par ce lieu. Cette immensité liquide qui les entourait, cet horizon infini, ce vent marin qui agitait ses cheveux longs, cette odeur saline. Oui, il comprenait aisément que l’on puisse en tomber amoureux. 

C’est alors qu’un point au loin attira son attention. Un navire. Et il venait de l’ouest. L’appréhension le saisit. Il se redressa d’un bond, s’approcha du bastingage et plissa les yeux. La couleur rouge des voiles lui apporta la confirmation de ce qu’il craignait. 

– Des noxiens ! cria-t-il à Lu Wei. 

Celui-ci descendit aussitôt réveiller ses partenaires et l’instant d’après, ils étaient tous les trois opérationnels sur le pont. Dans l’urgence, Xin Zhao ne put que constater une fois de plus l’incroyable efficacité de leur symbiose, résultat de décennies de travail en commun. Sans même avoir besoin de parler, chacun sut ce qu’il avait à faire, les manœuvres furent effectuées en un temps record et le Viscero se mit à voguer vers l’est à pleine voile. 

Derrière, le navire noxien virait droit vers eux. Ils étaient pris en chasse. Une fois le Viscero lancé, il n’y avait plus que Qiao tenant la barre, qui avait encore l’illusion d’avoir un impact sur la situation. Les autres étaient pris par la terrifiante sensation d’impuissance et Luoyang se mit à prier les esprits du vent en désespoir de cause. Leur sort reposait sur le Viscero. Puisse-t-il être assez rapide pour distancer leurs poursuivants. Ils ne savaient pas ce que des Noxiens pouvaient bien faire par ici, et encore moins ce qu'ils leur voulaient mais ils préféraient ne pas le savoir. Le Viscero n’était pas taillé pour la vitesse. Il était certes fin et léger mais il n’avait qu’un seul mat peu robuste doté d'une voile usée. Le navire noxien lui avait deux mats aussi épais que des chênes centenaires et autant de voiles immensément larges en comparaison. Le sentiment d’impuissance fut peu à peu remplacé par celui de la fatalité. L’écart se réduisait, impitoyablement. Une foule d’idées plus folles les unes que les autres se mirent à envahir les pensées de Xin Zhao : couler leur propre navire, sauter à l’eau et rentrer à Ionia à la nage… avant que sa raison ne le somme d’accepter la seule issue possible. Espérer la clémence des Noxiens. Même si cette idée était aussi absurde que d’attendre du soleil qu’il cesse de briller. 

Le navire noxien les rattrapa en peu de temps et les accosta. Son pont bien plus haut plongea l'équipage du Viscero dans l’ombre. Xin Zhao et les autres s’étaient regroupés les uns contre les autres et attendaient avec un calme apparent qui ne faisait que tenter de dissimuler leur angoisse. Une dizaine de guerriers armés d’arbalètes chargées les tenaient en joue depuis l’autre pont. Une femme sauta avec aisance par dessus le bastingage et se plaça face aux ioniens pour les scruter avec insistance. Une aura intimidante se dégageait de son attitude. C’était à l’évidence une personne qui n’avait pas l’habitude d’être contrariée.

– Des vieux, lâcha-t-elle. Qu’est-ce que vous foutez encore sur un bateau à votre âge ? 

Aucun ne jugea bon de répondre. Cette Noxienne les dépassait tous très largement en taille et elle était si massive, qu’elle aurait pu réduire n’importe lequel d’entre eux en bouillie simplement en les serrant un peu trop fort. Sans parler de l’énorme épée qui pendait à sa taille. 

– Autant pour moi, se reprit-elle en remarquant Xin Zhao. Des vieux et un gamin. 

– Du poisson, intervinrent derrière elle deux de ses acolytes qui étaient descendus fouiller la soute.

– Des vieux, un gamin et du poisson. Voilà bien ma veine. Quelle récolte ! Je suppose que c’est déjà mieux que rien. Attachez-les ! lança-t-elle à ses subordonnés. 

D’un geste vif, Xin Zhao attrapa un harpon proche de lui et sa main se crispa sur son manche. Elle lui lança un regard amusé. 

– Tu veux jouer à ça, gamin ? Vraiment ? 

Il voyait déjà son arme improvisée se ficher en travers de la gorge de cette femme et lui retirer cet horrible air suffisant. La suite de son anticipation fantasmée ne lui montrait que sa mort et celle de ses coéquipiers. 

Elle le jaugea avec curiosité. Il soutint son regard comme un défi. Son bras trembla. 

– Xin Zhao, ne fais pas ça, souffla Qiao. 

– Sois raisonnable, se gaussa-t-elle. Écoute ton grand-père. 

Son corps entier se raidit. Ses doigts se relâchèrent et le harpon tomba en clinquant sur le pont.

– Brave garçon. 

Elle se détourna sans leur accorder davantage d’attention. L’un de ses subordonnés s’avança alors vers eux avec quatre paires de menottes. 

– Vos bras. 

Les dernières velléités de résistance s’évanouissaient dans l’équipage du Viscero, faisant place à une soumission résignée. 

– Vos bras ! s’impatienta le Noxien.

Qiao obtempéra le premier, Luoyang et Lu Wei suivirent, puis vint le tour de Xin Zhao. Les fers se refermèrent dans un claquement sec autour de ses poignets, tout comme l’emprise noxienne se refermait sur sa destinée. Il sentit à cet instant précis que sa vie venait de basculer. Qu’il venait de perdre tout ce qui comptait pour lui. Sa famille, ses amis, ses amours, son village… Réduits à de simples souvenirs.

Ils furent embarqués sur le navire noxien et parqués dans un compartiment dans la soute. Ils entendirent la porte claquer derrière eux, puis le bruit d’un verrou que l’on ferme. Qiao, Luoyang et Lu Wei s’assirent à même le sol. Xin Zhao donna un grand coup de pied dans une paroi.

– J’aurais dû le faire. J’aurais dû lui planter mon harpon dans la gorge. 

– Tu en serais mort, le raisonna Qiao.

– Est-ce que ça ne vaudrait pas mieux ? Que vont-ils faire de nous maintenant ?

Noxus était un empire brutal, impitoyable et expansionniste qui louait la force comme la plus importante des vertus. Beaucoup de rumeurs circulaient sur les Noxiens à Ionia. On disait d’eux qu’ils kidnappaient des gens pour les enrôler dans leurs armées, pour les divertir dans leurs arènes de combat à mort, pour servir de friandises pour leurs animaux de compagnie, pour faire office de sacrifice humain dans des rituels sanglants… Quelles étaient la part de réel et la part de fabulation dans tout ceci ?

Luoyang attrapa doucement la main de Xin Zhao malgré les menottes. Ce geste le calma. Il tempéra sa haine et s’assit avec elle. La faible luminosité qui filtrait à travers quelques planches mal ajustées lui permit de discerner son visage dans la pénombre.

– Nous sommes vieux. Quoi qu’ils puissent nous faire, ils ne nous enlèverons pas la vie longue, bien remplie et épanouissante dont nous avons pu profiter. Mais toi, Xin Zhao, tu es à l’aube de la tienne, elle a encore tellement de chose à t’offrir. Tu ne peux pas renoncer maintenant, tu ne peux pas te sacrifier inutilement. Tu dois vivre et composer avec les contraintes qu’ils t’imposeront tant que tu n’auras pas d’autres choix. En attendant l’opportunité qui te permettra de redevenir maître de ton existence.

Alors la colère céda sa place à la peur et les larmes se mirent à ruisseler sur ses joues. Il enserra ses jambes de ses bras et enfouit son visage entre ses genoux. Le deuil de son ancienne vie commença à faire son chemin dans son esprit envahi par un trop plein d’émotions. Son enfance pleine de joie, d’insouciance et d’amour. Ses aspirations d’avenir. Tout cela lui était arraché. 

Plongés dans une pénombre permanente, le temps s’étira étrangement. Ils n’auraient su dire si des heures ou des jours s’étaient écoulés quand la porte se rouvrit et qu’on leur ordonna de sortir. La lumière extérieure les aveugla alors qu’ils posèrent le pied sur le pont. Le navire était à quai, dans un port noxien identifiable par son architecture sombre, brute et massive. 

Les captifs étaient toujours flanqués d’une surveillance rapprochée qui annihilait tout espoir de fuite. Alors qu'on les incitait à descendre du navire, Qiao résista et interpella leur ravisseuse qui se tenait à l’écart.

– Attendez ! S’il vous plaît. Luoyang, Lu Wei et moi sommes prêts à nous mettre à votre disposition sans résister. Faites de nous ce que bon vous semble, mais laissez Xin Zhao rentrer chez lui, je vous en prie. 

Elle eu un sourire amusé. 

– Mignon. Vous êtes enchaînés et vous vous croyez encore en position de négocier. Vous êtes déjà à ma disposition, toute résistance serait futile. Et le petit va me rapporter plus que vous trois réunis. Alors je me vois dans l’obligation de refuser votre demande, vous comprenez ? 

– Vous ne pouvez pas faire ça. Ce n’est encore qu’un enfant. 

– Bien sûr que je peux le faire. On dit que l’espoir fait vivre par chez vous n’est-ce pas ? C’est faux. C’est la rage qui nous pousse à nous surpasser. Votre petit protégé s’en sortira. S’il en a les tripes. Avancez maintenant.

Qiao fut poussé à la suite de ses compagnons et manqua de trébucher. Ils passèrent alors de la soute du navire à un chariot blindé tracté par des chevaux. La porte claqua derrière eux, les enfermant de nouveau dans un espace réduit où ils avaient à peine la place de s’asseoir. L’appréhension grandit en eux alors qu’ils s’approchaient du moment où ils connaîtraient le sort qui leur était réservé, rendant leur bouche sèche et bloquant l’air dans leur gorge. Le trajet se déroula dans un silence lourd. 

Les agitations du véhicule s'arrêtèrent peu après et la Noxienne leur apparut quand la porte s’ouvrit.

– Petit, tu descends là. 

Xin Zhao redressa la tête à cette phrase et son regard affolé chercha du soutien auprès de ses compagnons. Ils ne pouvaient pas être séparés. Dans ce cauchemar éveillé, ils étaient son seul réconfort. L’ordre n’eut pas besoin d’être répété pour que Xin Zhao sente qu’il n’avait pas intérêt à faire patienter sa ravisseuse une seconde de plus. Alors il s'exécuta et se dirigea vers la sortie, tentant d’ignorer la panique qui le dévorait de l’intérieur. Qiao bondit à sa suite, alors que Xin Zhao mettait un pied dehors.

– Je vais avec lui ! affirma-t-il.

Une pointe de lame, à deux centimètres de son cou, l'arrêta net. 

– Toi, tu restes là. 

Qiao recula d’un pas, repoussé à l’intérieur par l’arme qui menaçait de l’égorger.

Xin Zhao n’eut que le temps de tourner la tête pour voir une dernière fois les visages de ses compagnons avant que la porte du chariot ne se referme sur eux, comme la gueule d’un monstre qui les aurait avalés. 

Ses jambes vacillèrent, flanchant sous le poids de la solitude écrasante qui s’abattit sur lui. Le chariot se remit en route, emportant avec lui ceux qui le rattachaient encore à sa vie perdue. Qu'allait-il lui arriver maintenant qu’il était seul ? Qu’allait-il leur arriver à eux ? 

– Qu’est-ce que vous allez leur faire ? ne put-il s’empêcher de demander. 

– Tu ferais mieux de t’occuper de toi, petit, je te le conseille. 

Il était seul avec elle désormais. Etait-ce là l’opportunité dont il avait besoin ? Il jeta un œil sur ses poignets, toujours enchaînés. Il était affamé et affaibli. Elle était en pleine possession de ses moyens. Même avec la force du désespoir, il ne pourrait jamais la distancer dans ces conditions. 

La route sous ses pieds était entièrement pavée, ne laissant pas la moindre parcelle de terre, pas le moindre arbre, ni même le moindre brin d’herbe. Les bâtiments, tout en pierres sombres, se dressaient si hauts que l’on discernait à peine le ciel. Les nombreux passants encombraient la rue dans un brouhaha éprouvant. Comment pouvaient-ils vivre dans un endroit pareil ? C’était tellement oppressant que les souvenirs du village de Xin Zhao, où chaque jour était accompagné du chant des oiseaux, du bruissement du vent dans les arbres et du clapotis de l’eau de la rivière, lui parurent aussi vaporeux qu'un rêve.

Elle le conduisit à travers quelques rues jusqu'à un long et haut mur, ouvert d’une lourde grille. Ils se présentèrent à l'entrée et une espèce d'armoire à glace au crâne rasé fit franchir à Xin Zhao et sa ravisseuse toute une série de portes blindées et de sas de sécurité qui le renseignèrent sur les possibilités d’évasion de ce lieu, à l’évidence très maigres. Ils furent conduits jusqu’au maître des lieux, qui se trouvait dans une petite pièce richement meublée. Il se leva de son fauteuil quand la Noxienne entra, suivie de Xin Zhao. Il était plus petit qu’elle mais pas moins trapu. Sa veste sans manche parfaitement taillée dévoilait ses bras mats et musclés. Un homme de cette carrure derrière un bureau, avec sa barbe et ses cheveux désordonnés, et son accoutrement d'ersatz de noble créait un contraste étrange, comme si on avait arraché un soldat du champ de bataille pour lui coller un déguisement qui ne lui seyait guère. 

– Manilia ! s’exclama-t-il. Content de te voir ! Qu’est-ce que tu m’amènes ?

– J’ai peur de te décevoir, la chance n’a pas été avec moi. Mais j’ai tout de même un garçon pour toi, trouvé sur un bateau de pêcheurs.

Elle poussa Xin Zhao d’une légère pression dans le dos pour qu’il s’avance. Le regard de l’homme le sonda avec une telle intensité qu’il en eu des frissons de dégoût. Il avait l’impression d’être un poisson sur l’étalage d’un marché. La colère monta en lui. Tous ses muscles se tendirent. Il s’obligea à prendre de grandes inspirations et parvint à conserver son calme. 

– Je ne te garantis pas le champion de l’année, mais je pense qu’il pourrait te surprendre.

– On verra bien. 

Une bourse passa des mains de l’homme à celles de la femme et le futur de Xin Zhao fut ainsi scellé. Son argent en poche, Manilia salua son associé et ses derniers mots avant de quitter la pièce furent pour Xin Zhao : 

– Bonne chance, gamin. 

Il resta là, figé sur place, les épaules affaissées. Son nouveau maître s’était réinstallé à son bureau et s’affairait sur ses papiers, sans lui accorder la moindre importance. Il aurait tout aussi bien pu être un meuble à cet instant, que ça n’aurait pas changé grand chose. Après une éternité de silence, seulement rompu par le bruissement des feuilles et le crissement d’une plume, durant laquelle Xin Zhao se tint droit et immobile, osant à peine respirer, le maître leva finalement le regard vers lui. 

– Ton nom ? 

– Xin Zhao. 

– Imprononçable. 

Il réfléchit un instant. 

– Comment s’appelait le bateau sur lequel tu travaillais ? 

– Le Viscero. 

– Parfait. On t'appellera ainsi. Ton nom ? 

Pouvait-il vraiment si simplement effacer le nom que ses parents avaient choisi pour lui, celui dans lequel il s’était reconnu pendant ses seize années, celui par lequel l’appelait ceux qui lui étaient proches ? 

– Viscero, répondit-il docilement. 

Voilà comment le dernier fragment de ses origines partit en miette. Les quelques lettres qui représentaient son identité ne devinrent rien de plus qu’un secret bien gardé au fond de lui. 

Le maître se leva à moitié, faisant encore quelques annotations et rassemblant ses documents, puis il contourna son bureau pour se rapprocher de sa nouvelle acquisition. 

– Je suis Azhim. Je sais ce que tu penses de moi. Tu me détestes déjà, comme tous ceux qui arrivent ici. Pourtant, tu ne dois pas me voir comme un ennemi. Je ne suis pas déraisonnable et nous avons un objectif commun : te garder en vie le plus longtemps possible. Mais si tu venais à tenter de t’enfuir ou à opposer de la résistance, alors je me verrai dans l’obligation de trouver un autre moyen de rentabiliser mon investissement. Pour ton information, sache que tu ne vaux pas plus en un seul morceau qu’en pièces détachées. 

Il continua comme si la menace qu’il venait de proférer était insignifiante. 

– Tu connais les arènes de l’Ordalie ? Des centaines de spectateurs s’y réunissent chaque semaine pour voir des valeureux guerriers s’affronter dans des combats à mort. 

Combat à mort. Ces trois mots résonnèrent dans l’esprit de Xin Zhao et le sol se déroba sous ses pieds. Ce n’était pas une fabulation. 

– Oui, combats à mort. Que veux-tu ? Il leur faut du sensationnel, ils veulent voir le sang couler. 

Du sensationnel ? N’était-ce pas une simple condamnation à mort déguisée ?

– Je ne suis pas un guerrier.

Ces mots étaient sortis d'eux même, comme une supplication. Il n’était pas un guerrier, il était un pêcheur. La seule arme qu’il n’ait jamais tenue était un harpon. Quelle chance avait-il dans un duel ?

– Exact. Pas encore. C’est pourquoi tu devras t'entraîner. Je te rassure, je n’ai aucun intérêt à t’envoyer te faire massacrer maintenant. Tu vas suivre une formation jusqu’à ce que tu sois prêt pour l’arène. Travaille dur et tu vivras longtemps. Retiens bien ça et sers-t’en de source de motivation. Cette coutume peut te sembler barbare, mais la gloire et l’honneur attendent les vainqueurs. C’est une vie risquée mais qui n'est pas dépourvue d’intérêt, je te le garantis. 

Azhim attrapa les bras de Xin Zhao et commença à déverrouiller ses fers. 

– Je vais t’enlever tes entraves et, pour t’épargner l’intense réflexion qui va sans doute t’assaillir : non, tu n’as pas la moindre chance contre moi. N’essaie pas s’il te plaît, tu te retrouverais au mieux avec un bras cassé, au pire la nuque brisée. 

Les menottes retombèrent lourdement à leurs pieds. Xin Zhao se perdit un instant dans la contemplation de ses poignets libérés, comme s’il les découvrait pour la première fois. Il ne remarqua pas qu’Azhim quittait déjà la pièce. 

– Suis-moi. 

Il lui emboîta le pas jusqu'à une cour de terre battue où une vingtaine d’hommes et de femmes s'entraînaient au combat. La plupart semblaient être des étrangers, comme lui. Il devina des Ioniens, des Shurimiens et des Demaciens. A croire que personne à Runeterra n’était à l’abri de l’empire Noxien. 

Xin Zhao faisait partie des plus jeunes. Les Noxiens avaient donc au moins la décence de ne pas envoyer des pré-adolescents s’entretuer pour le spectacle. La curiosité le poussa à se demander ce qu’il serait advenu de lui s’il avait été attrapé plus jeune. Son sort aurait-il été pire ou meilleur ?

– C’est là que tu t’entraîneras, expliqua Azhim. Dix heures par jour.  

Plusieurs binômes s’affrontaient mais un seul attirait les regards. Deux jeunes femmes, dont l’une était aussi blonde que l’autre était brune, rivalisaient en force et en rapidité. Leurs armes de bois s’entrechoquaient si vite qu’il devenait impossible de suivre leurs mouvements. Le combat durait et aucune ne faiblissait.  

Xin Zhao était impressionné autant que terrifié par leur performance. Serait-il jamais à la hauteur ? 

– Tu n’as rien à craindre de tes camarades d’entraînement, dit Azhim comme s’il lisait dans ses pensées. Les combattants d’une même école ne se rencontrent jamais dans l’arène. Tout simplement pour éviter des conflits d’intérêts dus à d’éventuelles affinités, qui nuiraient au bon déroulement du spectacle. Comme pour ces deux-là justement. 

Leur affection l’une envers l’autre transparaissait dans leur façon de se battre, dans leur regard, dans leur hargne. Elles se battaient pour survivre, ensemble. Il était évident que dans l’arène, chacune aurait préféré mourir que de s’en prendre à l’autre. 

La blonde réussit finalement à trouver une ouverture suite à un mauvais mouvement de sa partenaire, et lui porta un coup au flanc, mettant fin au combat. 

– Tu peux faire mieux, lui assena-t-elle. Tu dois faire mieux. 

Son intransigeance n’était que l’expression de son inquiétude. La seule façon qui s’offrait à elle de protéger celle qu’elle aimait quand elle serait dans l’arène. 

Azhim se détourna des combats et conduisit Xin Zhao jusqu'au dortoir derrière la cour d’entraînement. 

– Les novices se partagent le rez-de-chaussée. Les chambres individuelles à l’étage font partie des privilèges des confirmés, ceux qui gagnent leurs combats. Pour les autres privilèges, il sera toujours temps d’en reparler le moment venu. Le cas échéant.

Il avait prononcé ces mots sans y croire une seule seconde. Azhim ne voyait pas en Xin Zhao un futur champion, mais un simple gamin uniquement utile pour venir remplir les quotas pour les arènes de l’Ordalie. Il gagnerait peut-être un ou deux combats. Si la chance était avec lui. A peine de quoi amortir les frais. 

– Il vous est demandé de faire preuve de cordialité entre vous, reprit-il en désignant les élèves. Les bagarres sont formellement interdites. Gardez votre énergie pour les entraînements et pour l’arène. Les rapports plus chaleureux sont tolérés dans la mesure où vous prenez vos dispositions pour éviter les marmots. Il n’y a pas de garderie ici, tu vois. Ça poserait problème. 

Il laissa Xin Zhao sur place après lui avoir expliqué quelques dernières formalités. 

Le soleil déclinait, l’entraînement se terminait. Xin Zhao se joignit à ses camarades pour le dîner, simple mais consistant, puis se coucha sur sa paillasse. L’hygiène était approximative et le matelas aussi dur que du bois mais le confort était le dernier de ses soucis. Il avait à peine fermé l'œil depuis sa capture, il aurait pu dormir n’importe où. Il lutta pourtant résolument contre le sommeil et attendit le beau milieu de la nuit et avec elle l’assurance que plus personne n’était éveillé. Il se glissa hors du dortoir. 

Il longea les murs de la cour, restant dans l’ombre de la lune. Il y avait certainement une faille dans l’enceinte, un endroit d’où il pourrait s’enfuir. Il fit le tour du camp sans rien trouver. Les murs étaient trop hauts, trop lisses et des barbelés bloquaient le passage à leur sommet. 

Et quand bien même il y arriverait, que ferait-il après ? Que ferait-il seul, sans argent, dans une ville et un pays remplis de tarés vénérant la violence, avec un océan qui le séparait de sa terre natale ? 

– Tu cherches quelque chose ? 

Le cœur de Xin Zhao fit un bond dans sa poitrine. Il se retourna et tomba face à l’armoire à glace, les bras croisés sur son torse, qui le toisait de toute sa hauteur. 

– Azhim est conciliant, lâcha-t-il. Cette tentative sera considérée uniquement comme une petite balade nocturne. Selon lui, la recherche d’évasion est la preuve d'une rage de vivre louable, et qu’il faut simplement que les nouveaux arrivés soient en mesure de la canaliser. Si tu réessayes en revanche, tu réaliseras la chance que tu avais à tomber ici. Il existe bien pire. 

De la chance ? Ces mots lui restèrent coincés en travers de la gorge. Quel que soit le sort qui lui serait réservé ailleurs, pouvait-on appeler cela de la chance ? Il se garda de toute remarque. Il s’était fait prendre, et dans l’immédiat, il ne pouvait pas espérer mieux que de retourner dans son dortoir sans autre conséquence qu’une réprimande. Il se sentit idiot d’avoir cru que cela pourrait être aussi simple. Il ne pouvait pas s’enfuir, on s’en était assuré. Et aussi absurde que soit la menace que l’homme de main d’Azhim avait proférée, elle était efficace et dissuadait Xin Zhao de toute récidive. Il n’avait plus d’autre choix que de faire se qu'on attendait de lui. Il devait se battre avec les armes qu'on lui donnait. Et s’il ne pouvait quitter ce lieu, alors il devait tout faire pour survivre. 

Le lendemain matin, il fut le premier à se présenter à l’entraînement et il suivit la leçon avec zèle. Azhim leur enseignait la théorie le matin, et l'après-midi était consacré à la pratique. Xin Zhao apprit à manier différentes armes et il se trouva être plus à l’aise avec celles à longues portées. Azhim lui attribua un trident, subtile ironie quant à son ancien travail de pêcheur. Ce n’était pas si lointain mais cela lui semblait déjà être une autre vie. Ce n’était plus à des poissons qu’il devait s’en prendre avec cette arme. 

Xin Zhao se donnait à corps perdu dans l’entraînement. Se concentrer sur les efforts physiques lui permettait d’oublier le reste. Et même durant ses moments de repos, la douleur de ses muscles courbaturés et de ses hématomes, témoins des coups qu’il n’avait su parer, lui occupait suffisamment l’esprit pour ne pas qu’il ait à penser à autre chose. 

A dire vrai, s’il parvenait à occulter qu’il devrait se servir de ses compétences pour tuer des innocents, il aimait apprendre à se battre. Savoir se servir d’une arme, connaître les passes, être capable de réagir en une fraction de seconde face à un adversaire… C’était passionnant. 

Xin Zhao avait grandi dans un village paisible, où sa survie n’avait jamais été une préoccupation, et l’innocence de l’enfance lui avait fait croire qu’aucun mal ne l’atteindrait jamais. C’était l’erreur dont il avait payé le prix. Ne pas s’être préparé à affronter la violence de ce monde. S’être cru en sécurité au point d’en ignorer toutes les menaces. Personne n’était jamais à l’abri. Il en avait conscience désormais, et si un jour il lui était donné de disposer à nouveau de sa liberté, il saurait la défendre chèrement. 

Grâce à sa bonne condition physique qui lui permettait de tenir le rythme dans les duels, et à sa détermination sans faille pour assimiler les leçons, il fut rapidement capable de rivaliser avec les meilleurs novices, arrivés bien avant lui. Sentir son corps s’endurcir et ses capacités se développer était sa plus grande satisfaction. 

Azhim commença à réviser son jugement sur lui. Il se montra plus exigeant envers lui qu’envers les autres, le forçant même à se frotter à ses arénaires confirmés qui l’envoyaient impitoyablement au tapis, preuve qu’il n'était pas encore prêt pour l’Ordalie. 

Chaque semaine, ces derniers, ainsi que les novices qui avaient atteint le niveau nécessaire, étaient sélectionnés à tour de rôle pour l’Ordalie. Pour beaucoup l’aventure s'arrêtait là.  

La championne aux cheveux blonds que Xin Zhao avait repérée dès son premier jour, succomba lors d’un combat dont on disait qu’il avait été l’un des plus grandioses vus depuis des années. Au matin suivant lors de l’entraînement, sa compagne manqua à l’appel. Elle fut retrouvée dans sa chambre, les veines ouvertes, une lame tâchée de sang dans la main. Azhim était furieux. 

Xin Zhao ne put s’empêcher de voir du courage dans son acte. On l’avait dépossédée de sa vie. Elle avait retrouvé sa liberté en choisissant sa mort. 

Lui n’avait pas cette force. Il retint néanmoins une chose de cet événement : il ne devait pas s’attacher à qui que ce soit ici. Tout était si précaire. Leurs vies ne tenaient qu’à un fil qui serait rompu d’un jour à l’autre. Il n'y avait rien à gagner à se lier d’amitié, si ce n’est la tristesse d’une perte inévitable. 

Des nouveaux venus arrivaient régulièrement, pour combler les pertes et alimenter ce ballet incessant de chair humaine. Xin Zhao revoyait en eux celui qu’il avait été quelques semaines auparavant. Il repéra une nouvelle en train de se faufiler hors du dortoir dès la première nuit après son arrivée. Exactement comme il l’avait fait. Il eut un sourire amer. Ils étaient si prévisibles. Son évasion fut évidemment un échec. A la différence de lui, elle réessaya. Il ne la revit plus jamais. 

Xin Zhao continuait à progresser. Il atteignit rapidement le niveau des combattants confirmés, et bientôt, la date de son passage dans l’arène fut décidée. Xin Zhao accueillit l’information avec stoïcisme. Il le savait. C’était inéluctable et il s’y était préparé. Pourtant, durant les jours qui le séparaient encore de ce moment fatidique, son cœur battit sensiblement plus vite, comme s’il se dépêchait d’accomplir sa tâche avant qu’il ne puisse plus le faire. 

Xin Zhao eut une aventure, le soir de la veille de son passage dans l’arène. Avec un novice d’un ou deux ans plus âgé, qui avait lui aussi été sélectionné pour son premier combat le lendemain. Une façon comme une autre d’effacer pendant un moment l’angoisse grandissante qui leur tordait les entrailles, de profiter - peut-être pour la dernière fois - d’un des plaisirs de la vie. 

Ils n’avaient pas prononcé plus de quelques mots et n’avaient même pas échangé leur prénom. Ce n’était qu’une brève parenthèse de chaleur humaine qui devait se refermer rapidement. Le risque de s’attacher était trop grand.

Sous les caresses de son partenaire d’une nuit, il n’avait pu empêcher les souvenirs de ses anciens amants de ressurgir dans son esprit. Il avait fait son deuil de leur relation. Il voulait garder espoir qu’il réussirait à s’en sortir un jour, mais en aucun cas il ne parvenait à s’imaginer retrouver sa vie d’avant. Il ne pourrait pas oublier. Il ne pourrait pas tourner la page. Mais eux, ceux qu’il avait aimés, devaient être bloqués dans une insoutenable incertitude. L’attendaient-ils encore désespérément depuis tout ce temps ? Ou bien s’étaient-ils fait une raison ? Il espérait qu’ils avaient réussi à passer à autre chose. Que son passage dans leur vie resterait un souvenir joyeux que sa disparition n’entacherait pas de tristesse. 

La nuit passa trop vite, et le jour qui scellerait leur destinée se leva. 

Ils étaient quatre de chez Azhim à se rendre aux arènes de l’Ordalie ce jour-là : deux novices, Xin Zhao et celui avec qui il avait passé la nuit, et deux confirmés, une femme et un homme. Un chariot sécurisé les attendait dans l’enceinte du camp d’entraînement. Xin Zhao ne songea même pas à vérifier les éventuelles possibilités d’évasion. La résignation avait fait son travail. Tous les quatre prirent place à l’intérieur et le chariot se mit en branle. 

Le silence régna tout au long du trajet. La femme enroulait et déroulait sans cesse une mèche de cheveux sur ses doigts. L’homme se tenait avachi sur le banc du chariot, les jambes croisées, la tête renversé en arrière, en train de mâchouiller une chique. Xin Zhao se concentrait pour garder sa respiration lente et maîtrisée. Quand au deuxième novice, il tremblait de tout son être et il ne parvenait à réprimer les coups d'œil qu’il jetait régulièrement à Xin Zhao, tels des appels à l’aide. Malgré qu’il se soit promis de ne se laisser attendrir par personne, Xin Zhao s’autorisa cette entorse, et il tendit sa main. Son compagnon s’y accrocha, comme un bateau à son ancre. 

– Merci, souffla-t-il. 

Azhim les accueillit quand ils arrivèrent dans les murs de l’arène. Il leur expliqua le déroulé des festivités avant de les répartir dans leur loge. Xin Zhao rejoignit la sienne. Une minuscule fenêtre dotée de barreaux éclairait à peine la petite pièce. Le seul mobilier était une chaise où son équipement l’attendait. Une jupe à franges, une épaulière, des protections pour son bras gauche et ses tibias. Rien qui ne couvrait ses points vitaux. Le but n’était pas de le garder en vie mais seulement de faire en sorte que le combat dure assez longtemps pour le bien du spectacle.

Il enfila la jupe, serra une à une les sangles de ses protections autour de ses membres, s’assurant que ses équipements soient bien maintenus. Il lassa ses sandales dont le cuir était tâché du sang de leur précédent propriétaire. Puis il s’assit et posa son trident parfaitement entretenu et affûté sur ses genoux.

Les acclamations de la foule lui parvinrent depuis les gradins de l’arène au-dessus de lui. Le premier combat commençait. Il aurait pu l’apercevoir depuis la fenêtre, mais il n’en avait ni l’envie ni la force. 

L’attente, seulement ponctuée par les exclamations des spectateurs, fut interminable. L’appréhension couplée à l’inaction le rongeait de l’intérieur. 

Il vérifia une nouvelle fois que son épaulière et son protège-bras étaient bien fixés, puis il fit jouer ses articulations pour s’assurer qu’ils ne gênent pas ses mouvements. 

Une gigantesque ovation retentit. Ses entrailles se nouèrent et son cœur menaça de faire éclater sa poitrine. La foule scandait le nom du vainqueur. Le combat était terminé. Son tour était venu. Son poing se serra sur le manche de son trident. 

Il prit une grande inspiration et il se leva. Son pas était lourd quand il se dirigea vers la porte et qu’il sortit de sa loge pour rejoindre le couloir d'accès à l’arène. 

Deux hommes en revenaient, portant un brancard avec le corps du vaincu. 

Son amant d’une nuit. 

Son sang recouvrait son abdomen, sa gorge et le coin de ses lèvres. L’expression de son visage sans vie se superposa à celle qu’il avait affichée cette nuit même dans leurs ébats passionnés. La violence de ce contraste lui retourna les tripes. 

Il regretta de ne pas lui avoir demandé son nom. Il était mort dans l’indifférence, il n’y avait personne pour le pleurer, personne pour le garder en mémoire. Mais Xin Zhao ne devait penser qu’à lui. Ne surtout pas se laisser distraire. 

Il refusait de subir ce même sort. Il allait vivre et il sortirait un jour de ce cauchemar. Ce jour-là, il prendrait le temps de prier pour ceux qui l’avaient quitté sur la route. Il prendrait le temps de pleurer pour eux. Pour tous ces innocents fauchés par la violence, l’injustice et la cruauté. Mais pour le moment, ils ne comptaient pas. Xin Zhao verrouilla son cœur et détourna ses yeux du cadavre. 

– Ne me déçois pas, Viscero, lui lança Azhim.

Xin Zhao l'ignora et il entra dans l’arène. 

Le soleil se reflétait sur le sable doré et lui fit plisser les yeux. Il leva son regard vers les gradins, vers tous ces hommes et ces femmes, ces monsieur et madame tout le monde qui le regardait avec satisfaction marcher vers la mort. Est-ce que la foule diluait leur responsabilité dans ce massacre organisé ? Est-ce qu’un crime n’en était plus un quand il devenait un spectacle ? 

Il se détourna d'eux pour se forcer à découvrir celui qui s’avançait face à lui. Son adversaire. Celui qu’il devait tuer. Il n’avait plus aucun autre choix désormais. C’était vivre ou mourir. Tuer ou être tué.  

Des boucles châtains tirant sur le blond, de grands yeux et une mâchoire anguleuse, son adversaire avait tout du parfait Demacien. Xin Zhao comprit que ce visage resterait à jamais gravé dans sa mémoire. 

Une voix annonça leurs noms alors qu’ils se rejoignaient au centre de l’arène, là où le sable sous leurs pieds était le plus tâché de sang. Du sang imbibé depuis des années. Et du sang frais d’à peine quelques minutes.

Anthon. C’était le nom de son adversaire. Ou du moins celui qu'on avait décidé pour lui, à l'instar de Viscero. La foule les encourageait par de bruyantes manifestations. 

Xin Zhao et Anthon se sondaient en tentant de conserver leur masque d'impassibilité. Mais leur regard traduisait le message silencieux qu’ils s'adressaient l’un à l’autre.

« Je suis désolé. »

Et « Je ne veux pas mourir. »

Le signal retentit et le combat débuta. 

Anthon mena la charge et imposa son rythme. Il maniait son épée avec aisance, il frappait vite et il frappait fort. Xin Zhao n’avait qu’à peine le temps de parer ou d’esquiver qu’une nouvelle frappe le menaçait de plus belle. 

Cela ne l’empêchait pas de percevoir une foule de petits détails chez son adversaire. Son souffle qui s’accélérait. La sueur sur son front. Les tremblements de ses bras. La redondance de ses mouvements. Des détails qui trahissaient son manque d’assurance et les limites de sa stratégie. Il donnait toutes ses forces dans l’espoir d’un combat rapide. 

Mais il s’épuisait là où Xin Zhao s’économisait en évitant le moindre geste superflu. Il misait sur son endurance et chaque seconde qui s’écoulait jouait en sa faveur. 

Il sut qu’il avait gagné quand il sentit la puissance des attaques d’Anthon décroître. Il n’avait plus qu'à attendre le bon moment. 

Ce moment se présenta à lui quand Anthon fit un geste trop ample et trop lent qui le laissa à sa merci. Xin Zhao s’engouffra dans cette ouverture. Les piques de son trident s’enfoncèrent dans la gorge d’Anthon. Son sang ressortit par sa bouche dans un hoquet de terreur et de douleur mêlées. 

Xin Zhao riva ses yeux dans ceux d’Anthon. Tuer ou être tué. Il avait fait son choix. Il n’avait pas le droit de détourner le regard. Il donna une impulsion qui enfonça son arme plus profondément et acheva Anthon. Une mort rapide, c'était tout ce qu’il pouvait lui offrir. Il vit la seconde même où la vie quitta ses yeux et où il rendit son dernier souffle. 

Xin Zhao relâcha aussitôt sa prise et se recula. Le corps d’Anthon s’effondra et son sang rejoignit celui de toutes les victimes qui l’avaient précédé. Xin Zhao n’arrivait plus à en détacher son regard. Le vide dans son esprit contrastait avec les acclamations retentissantes de la foule. 

Le nom Viscero scandé en boucle résonnait à ses oreilles et pour la première fois, il s’y reconnut. Il lui sembla qu’ainsi Xin Zhao était préservé de toute cette violence, que ses mains n'étaient pas entachées de sang. Xin Zhao avait cessé d’exister dès l’instant où il avait ôté la vie. 

Viscero le tueur, lui, était vivant. Et il continuerait à faire couler le sang, autant qu’il le faudrait.



Laisser un commentaire ?