Les Aventures de Kyo - Partie 1 : les Huit Héritiers élémentaires

KLANG!

Kyo ouvrit les yeux.

- Monsieur ! Je vous ai réveillé...je suis désolée...quelle maladroite ! Ah la la...ce genre de choses n'arrive qu'à moi...

- Ça va, Pauline, ça va...

Kyo congédia d'un geste de la main la servante, qui venait de le réveiller apparemment en heurtant un ornement métallique parmi les dorures complexes qui décoraient son mur, et se frotta les yeux pour en chasser le sommeil. Il avait encore rêvé de cette voix qu'il n'avait pourtant jamais entendue. Depuis plusieurs mois ce phénomène avait lieu, cependant depuis quelques semaines il était de plus en plus fréquent et sur un ton plus urgent.

Il se redressa sur son lit et jeta un coup d’œil à sa fenêtre. Le manoir de sa famille – son père, le Baron Alexander Charlie, était parmi les plus influents d'Argilapolis – était situé au sommet d'une des quelques montagnes dominant la ville. En conséquence, il pouvait apercevoir depuis sa chambre le port marchand, ainsi que les grands voiliers qui y entraient et sortaient chaque jour.

Il avait toujours voulu voir le monde. Que la voix qu'il avait entendue en songe dise vrai ou qu'elle soit fruit de son imagination, suivre son conseil lui permettrait de parcourir Valoran comme il le souhaitait. Cependant il avait peur. Ce voyage, il le ferait seul. Il ne connaissait personne qui le suivrait : qui suivrait un fou qui cherche des prétendus « Héritiers » d'on ne sait quoi, tout cela basé sur une voix entendue en rêve ? Même ses frères ou son propre père ne croirait pas à son histoire.

Kyo inspira puis expira longuement. De ce choix dépendrait sûrement son avenir. Il décida d'en parler à sa mère en premier lieu. Il se leva, enfila rapidement quelques vêtements, passa la main dans ses cheveux châtains qui refusaient de toute façon de rester en place et sortit de sa chambre.

Kyo se trouvait à présent dans le couloir qui menait au hall du manoir. Comme tout chez les barons d’Argilapolis, il était grand, « démesuré », diraient certains. Il était largement éclairé par les nombreuses fenêtres sur la gauche du jeune homme, même lorsque les luxueux rideaux étaient fermés durant les chaudes après-midi d’été. L’argilan n'avait pas fait dix pas que ses deux frères apparurent au croisement des couloirs qui traversaient le manoir.

- Hé Kyo ! Comment ça va ? Je pensais que tu dormirais encore quelques heures ! lui lança avec un clin d’œil l'homme de droite, un grand gaillard aux longs cheveux blonds du nom de Sanders.

- Très drôle, San'... lui répliqua l'intéressé.

- Tu connais pas la nouvelle ? Père a parlé de moi à Jones, tu sais, l'officier en charge du recrutement de la garnison ! Je passe les sélections dès la semaine prochaine, et si je réussis, j'aurais directement accès à un poste gradé, avec des hommes sous mon commandement ! C'est pas génial ça ?

Les yeux bleus de Sanders pétillaient. Kyo esquissa un sourire. Le rêve de son frère était de devenir un grand soldat, respecté et aimé de tous, pour servir la justice et protéger les populations. L’autre homme, son autre frère Alex, était plutôt grand lui aussi, bien qu’il ne le soit pas autant que Sanders. Son teint pâle n’avait pas changé depuis des années, malgré une exposition assez courante au soleil. Il avait un corps d’apparence plus frêle que les deux autres frères, mais il était néanmoins plus musclé que Kyo, comme l’avaient démontré leurs nombreux duels d’entraînement. Il était l'aîné de la fratrie et en conséquence, il était destiné à hériter de l'entreprise de leur père et, pour autant que son cadet le sache, cela lui convenait parfaitement. Il n'avait rien d'autre à cœur que l'avenir de sa famille, et comme beaucoup de Barons d'Argilapolis, il avait un caractère fier. Kyo savait que c’était pour ces mêmes raisons que son frère aîné le détestait.

- Bonjour à toi aussi, Alex...commença Kyo, avant que ce dernier ne le dépasse en fronçant les sourcils et se dirige vers la sortie de la maison.

- On va s'entraîner à l'épée, tu te joins à nous ? demanda Sanders à son cadet.

- Non, je dois aller voir Mère et Père ce matin, répondit le jeune homme aux cheveux en bataille.

- OK, on se voit plus tard alors, lui dit son frère en sortant à la suite d'Alex.

Kyo arriva quelques instants plus tard devant les appartements de sa mère. Il frappa trois coups pour s'annoncer avant d'entrer. La pièce était d’ambiance plus sombre que le reste du manoir, car les rideaux étaient tous tirés à l’exception de celui de la fenêtre derrière sa mère. Celle-ci était en train de s'adonner à son activité favorite : la broderie. Lorsqu'elle l'entendit, elle stoppa son travail et leva vers lui ses yeux clairs dans lesquels se reflétaient les iris vert foncé du jeune homme. Elle était ionienne d'origine, mais lors de la première invasion de Noxus, alors qu'elle était enceinte, elle avait fui son île natale pour Argilapolis, où elle avait rencontré celui qui deviendrait le père adoptif de Kyo. Il avait deux fils mais était veuf depuis peu. Un an plus tard, l'attaque de Noxus avait pris fin mais le père biologique de Kyo ne donnait aucun signe de vie malgré sa promesse de rejoindre son fils nouveau-né et sa femme au plus vite. Cette dernière fit son deuil, aidée par Alexander, et c'est un an plus tard que les noces du Baron Charlie et de Sonya d'Ionia furent célébrées à Argilapolis.

- Bonjour, Mère ! lança Kyo d'un air enthousiaste.

- Qu'est-ce qui t'amène d'aussi bon matin ? Le soleil n'est même pas haut dans le ciel.

- Mère ! Je ne me lève pas toujours aussi tard ! protesta le jeune homme.

- Je te taquinais juste, répondit sa mère en riant.

- En fait, Mère, j'ai fait un rêve, cette nuit...

L'intéressée reprit un air sérieux.

- Je pense que...je pense qu'il est temps pour moi de quitter la maison.

Il n'osait pas regarder sa mère en face. Celle-ci posa son ouvrage, se tourna et regarda par la fenêtre. Jamais elle n'avait paru aussi vieille à Kyo. Elle avait toujours l'air d'une jeune femme énergique proche de la trentaine, malgré qu'elle approchait les cinquante ans, mais en cet instant, le dos tourné à lui, elle avait l'air si fatiguée…

- Je savais que ce jour viendrait. Pour être honnête, je ne m'attendais pas à ce que tu restes aussi longtemps. Tu as toujours voulu explorer, même tout petit déjà.

Elle se tourna vers lui et sourit.

- Bien sûr que tu peux partir. Il serait même temps de quitter la ville, après dix-sept années passées sans en sortir. Tu ne vas quand même pas passer ta vie ici !

Kyo enlaça sa mère, et ils restèrent ainsi pendant plusieurs secondes.

- Merci, Mère.

- Va, mon fils. Je viendrai te dire au revoir quand tu partiras, fais-moi avertir de l'heure de ton départ.

Kyo tourna le dos à celle qui l'a élevé et sortit. Le plus dur restait à faire : parler de son projet à son père. Ce dernier avait toujours été dur avec lui, plus qu'avec Alex et Sanders, car il n'était pas son propre fils. Même après toutes ces années, il n'était pas sûr des sentiments de son père adoptif à son égard.

Quelques couloirs plus loin, Kyo arriva devant le bureau où son père tenait ses entretiens d'affaires. Il entendit quelqu'un marcher vers la porte, et vit celle-ci s'ouvrir devant lui. Il eut juste le temps de s'écarter pour laisser sortir un homme de petite taille – lui-même était de taille moyenne – qui ne l'aperçut même pas et se dirigea vers la sortie du manoir à grands pas. Kyo prit une profonde inspiration, poussa la porte et entra.

Son père était assis dos à lui dans son grand fauteuil, qu'il utilisait pour impressionner ses visiteurs. La pièce était également la plus richement ornée du manoir, pour la même raison. Des livres couvraient les murs à droite et à gauche du jeune homme et, comme à chaque fois que ce dernier venait ici, il sentait un dégagement de sagesse en provenance de la pièce. Le vieux baron contemplait par la fenêtre sa propriété – en plissant les yeux, on pouvait suivre le travail des jardiniers qui veillaient à garder le domaine en bon état.

- Père, le salua Kyo en attendant que celui-ci parle le premier et en s'inclinant légèrement.

- Bonjour, mon fils. Qu'est-ce qui t'amène ?

- Je viens t'annoncer que je compte quitter le manoir pour partir explorer le monde.

- Je vois. Tu as finalement décidé de quelque chose pour ton avenir.

Le ton était dur, mais le jeune homme n'en tint pas compte.

- En effet, Père.

Celui-ci tourna la tête pour regarder son plus jeune enfant.

- Je te fournirai de l'argent et des provisions en quantité suffisante, ainsi que tout ce dont tu as besoin pour ton voyage. Préviens-moi quand tu seras prêt.

- Merci, Père.

Il se retourna et s'apprêta à sortir.

- Kyo, attends...

Il tourna la tête vers son père, qui regardait de nouveau par la fenêtre.

- Ne va pas mourir sur le chemin, d'accord ? Tu seras toujours ici chez toi, alors reviens quand tu en auras envie.

Pour la première fois, il ressentait de l'amour dans les paroles de son père. Il sourit et répondit plus bas :

- Oui, papa.