Les Aventures de Kyo - Partie 1 : les Huit Héritiers élémentaires

Chapitre 11 : La Métamorphe

2982 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/05/2017 09:01

- Bon, que peut-on faire d'elle ? annonça Taliyah.

Devant les deux jeunes gens, la femme aux vêtements de peaux gisait, inconsciente. Elle possédait de longs cheveux noirs rattachés en une queue-de-cheval, et une étrange pierre précieuse verte en forme de larme ornait son front. Sa tenue rudimentaire était constituée d'un haut couvrant sa généreuse poitrine, de protections pour ses avant-bras et d'autres pour ses bras, d'un pagne au découpage imprécis – les contours semblaient avoir été fait en arrachant les morceaux de peau à la main, ce qui était sans doute le cas – et enfin d'énormes bottes avec une épaisseur importante de fourrure. Pour compléter ses habits, elle portait également un collier ainsi qu'une ceinture faites de crocs. Sa peau assombrie par le soleil avait d'étranges marques blanches sur les cuisses et les épaules.

Kyo et Taliyah, par mesure de sécurité, lui avaient lié les mains dans le dos, ainsi que les chevilles, au moyen de chutes de tissu qu'ils avaient trouvées dans leurs bagages. Ils s'étaient assurés que les attaches tiennent bien, car ils ne voulaient pas courir le risque de se faire prendre en traitre.

À présent ils contemplaient le corps inanimé de la jeune femme en s'interrogeant sur ce qu'ils pouvaient bien faire de leur assaillante.

- On ne peut tout de même pas la relâcher ! Nous avons encore du chemin à faire dans la jungle, et puisque j'aimerais autant ne pas détruire le paysage, cela veut dire que nous le ferons à pied. Et donc qu'elle pourrait nous attaquer à nouveau...

- Tu n'as pas répondu à ma suggestion, tout à l'heure, répondit l'Argilan avec un sourire en coin.

- Quelle suggestion ? s'étonna Taliyah en se tournant vers lui.

- Eh bien, la manger, dit le plus naturellement du monde son camarade.

La jeune fille le foudroya du regard avant de regarder de nouveau leur prisonnière. Cette dernière s'agita brièvement, puis entrouvrit les yeux. Elle vit les deux personnes devant elle, essaya de bouger puis, lorsqu'elle s'aperçut qu'elle ne pouvait pas, émit un son étrange semblable à un feulement avant de parler d'une voix peu assurée :

- Libérer moi ! Libérer moi !

- C'est...c'est du shurimien ! s'étonna la jeune fille. Alors elle viendrait de Shurima ?

- À en juger par son comportement et sa capacité de langage, je dirais qu’elle est ici depuis son enfance, sinon elle n’aurait pas oublié comment parler… analysa Kyo. Peut-être a-t-elle des proches ici ?

Taliyah s’approcha de la captive et demanda d’une voix douce :

- Y en a-t-il d’autres comme toi ? Famille ? Amis ?

- Papa mama morts ! Longtemps… moi vivre avec autres.

- Qui sont ces autres ?

- Comme moi...mais aussi différents…

- Je pense qu’elle vit avec d’autres animaux, ou alors juste des couguars comme elle… intervint l’Argilan, qui avait pendant que la métamorphe était inconsciente fait quelques recherches dans son encyclopédie, sans toutefois trouver assez d’informations pour savoir ce qu’était exactement la jeune femme.

- Libérer moi ! reprit cette dernière, en s’agitant de plus en plus.

- On veut bien te libérer, mais tu restes sage, d’accord ? répondit la Shurimienne.

- Oui ! Moi gentille ! Gentille !

Taliyah dénoua la corde qui retenait la femme-couguar, et celle-ci émit un son ressemblant à un ronronnement, puis reprit sa forme animale. C’était un phénomène étrange, bien que rapide : il y eut un éclair orange, et en une fraction de seconde la silhouette de la jeune femme rétrécit puis s’allongea pour devenir celle d’un superbe félin au pelage orangé. La seule chose qui demeurait était ses yeux verts perçants.

- Attention ! prévint Kyo.

Mais l’animal se contenta de se frotter contre les jambes de Taliyah en ronronnant doucement, et celle-ci, surprise, dut se retenir pour ne pas bondir en arrière. Devant ce spectacle peu commun, l’Argilan retint un rire pour ne pas vexer sa camarade.

- Bon, que fait-on maintenant ? demanda-t-il en reprenant son sérieux.

La Shurimienne comprit qu’il ne parlait pas seulement de la femme-couguar, mais aussi de sa décision de l’accompagner dans son périple. Elle prit son temps avant de répondre :

- Je veux bien venir avec toi, à une condition seulement.

- Puis-je savoir laquelle ?

- Je veux d’abord pouvoir trouver un endroit pour vivre à ma tribu.

- Oh, pour ça, pas de problème, j’y ai déjà réfléchi ! annonça Kyo d’un air triomphal.

- Vraiment ? répondit la jeune fille, avec un regard suspicieux.

- Ils n’ont qu’à s’installer à Argilapolis, reprit son camarade avec un grand sourire. Les terres de ma famille sont grandes, et je demanderais à mon père de bien les traiter. De plus, pour leur subsistance, je suis sûr que mon père ne sera pas contre un nouveau partenaire commercial… Vous êtes des tisserands, c’est bien ça ?

Taliyah hésita. Elle n’avait aucune garantie que cette solution serait bénéfique pour sa tribu, mais elle avait envie de faire confiance à l’Argilan, qui lui paraissait généreux et sincère.

- Très bien, dit-elle d’une voix anxieuse en espérant ne pas avoir à regretter sa décision. Nous ferons comme ça, alors. Et que fait-on pour...mais où est-elle ?! s’écria la jeune fille en apercevant que le couguar qui se tenait à son côté quelques instants plus tôt avait disparu.

Elle la chercha partout du regard mais ne vit nulle trace du départ de l’animal. Seuls quelques poils accrochés à son pantalon attestaient encore qu’elle s’était bien trouvée ici.

- Bah, laisse-la vivre sa vie, lui dit son camarade. Après tout, elle vit comme une bête sauvage…

- Et ça ne t’inquiète pas, qu’elle nous fausse compagnie sans prévenir et sans se faire voir ?

Kyo haussa les épaules.

- Elle pourrait nous attaquer à nouveau !

- Pas la peine de t’énerver, on l’a déjà battue une fois, on peut le refaire.

Devant l’insouciance de son camarade, la Shurimienne leva les yeux au ciel et se détourna.

- Bon, allons-y dans ce cas…


Après avoir nettoyé leur campement et récupéré leurs affaires, les deux compagnons se mirent en route vers le Nord-Est – ou le Sud-Est, d’après Taliyah – dans le but d’atteindre la lisière de la jungle. Ils restèrent attentifs à leur environnement, progressant lentement et prudemment entre les troncs massifs qui s’élevaient vers le ciel, et étant parfois obligés de tailler leur chemin à travers la dense végétation s’ils ne voulaient pas avoir à faire de détours hasardeux pour parvenir à destination.

Kyo percevait la présence de prédateurs autour d’eux, et étrangement, il ne percevait aucune volonté agressive, mais plutôt de l’hostilité et surtout de la méfiance, comme s’ils n’étaient pas les bienvenus ici. Réalisant que cela était probablement le cas, il essaya d’imaginer comme il prendrait le fait que quelqu’un vienne habiter chez lui sans son consentement. Lui s’y habituerait probablement rapidement, mais son aîné, Alex, certainement pas. Il sourit en pensant à la réaction qu’aurait son frère dans ce cas.

Soudain, il s’arrêta. Du bruit dans les fourrés à sa droite. Des craquements, comme si quelque chose de massif se frayait un chemin en force à travers les branchages. Il regarda la jeune fille qui marchait devant lui. Elle aussi s’était figée, et plissait les yeux dans la direction du bruit, tentant en vain d’en apercevoir la source. Instinctivement, l’Argilan se mit en garde, dégainant sa sublime rapière dont il avait attaché le fourreau dans son dos, sous son sac, afin de ne pas courir le risque de la perdre dans la jungle. Après quelques secondes d’attente, la tension dans l’air perceptible tel un fil tendu près à se rompre, les craquements et autres froissements se rapprochant, un éclair safran surgit des feuillages et atterrit à côté d’eux. Se tournant vivement vers la forme jaune-orangée qui venait de surgir devant ses yeux, Kyo reconnut la jeune femme qui leur avait faussé compagnie sous sa forme animale, au vu de la gemme sur sa tête. Cependant, ce ne fut qu’un bref regard, car les bruits se poursuivaient, et il reporta son attention sur la végétation qui s’agitait toujours. Il se doutait de ce qui arrivait. Lorsque soudain, plusieurs silhouettes apparurent, il s’écria : « Taliyah ! »

Mais la jeune fille était déjà prête, et de petits rochers de la taille d’un poing fermé jaillirent par endroits pour venir heurter les assaillants, qui se révélèrent être des couguars très semblables à la métamorphe. Les premiers arrivés s’effondrèrent çà et là, sonnés. L’Argilan se dit que sa camarade avait dû faire en sorte qu’ils ne subissent pas trop de dégâts à long terme. Les bêtes suivantes furent plus modérées, et sortirent prudemment des fourrés tandis que ceux qui avaient été heurtés par les pierres se relevaient lentement. Ils étudièrent leurs adversaires, à présent au nombre de trois, puis un individu plus massif et qui semblait plus âgé, qui devait être le meneur du groupe, donna un signe, suite auquel la troupe se dispersa et disparut dans l’épaisseur de la jungle. Le jeune homme souffla, imité par la Shurimienne. Les félins devaient avoir compris que le jeu n’en valait pas la chandelle.

Les deux compagnons se tournèrent vers la semi-humaine, qui reprit d’ailleurs son apparence de bipède. Elle les regarda, et on pouvait lire la tristesse dans ses yeux verts quand elle parla :

- Eux chasser moi. Sentir odeur vous. Eux avoir peur.

Elle s’assit contre l’arbre le plus proche et posa sa tête sur ses genoux, croisant les bras autour de ses jambes repliées.

- Si vous pas être là, eux tuer moi. Merci.

Taliyah, malgré qu’elle l’ait attaqué le matin même, eut pitié de la jeune femme. Elle fit un signe de la main à Kyo, et lui fit comprendre qu’il devait aller chercher à manger pour la métamorphe, dont le ventre émettait effectivement quelques gargouillis de temps en temps, même si cela n’avait pour l’instant pas l’air de l’inquiéter. Il s’éloigna donc et laissa les deux femmes entre elles.


Une fois son camarade parti, la jeune magicienne s’accroupit à côté de la semi-humaine recroquevillée, et commença à chercher ses mots pour l’apaiser. Ne trouvant rien à dire, elle entoura les épaules de cette dernière avec son bras, geste qu’elle trouva à la fois bizarre et adapté dans ces circonstances. Après un moment de silence où elles restèrent ainsi, la femme-couguar tourna la tête et plongea ses yeux verts dans ceux, marron, de la Shurimienne. Celle-ci ressentit une vague d’empathie pour la personne qui se tenait contre elle, comprenant qu’elle n’était plus tout à fait la même que quelques heures plus tôt. Une part d’elle s’était détachée, un morceau de son existence qu’elle ne récupérerait sans doute jamais. Et elle avait peur. Peur de ce qu’elle ferait ensuite, de ne rien avoir à faire ensuite. Devrait-elle quitter la jungle ? Sans meute, la vie y serait difficile. Que trouverait-elle au-delà ?

Ces questions, ces émotions, Taliyah les perçut d’un regard. Devant la détresse de cet être qui avait l’air sur le point de se briser, elle parla. Elle parla de sa vie. De son enfance heureuse parmi les siens, tout d’abord. Elle avait été une petite fille sage mais pleine de vie, toujours prête et prompte à l’action comme à la réflexion. De la découverte de son contrôle sur la pierre ensuite. La peur de ses parents, et leur incompréhension. Puis ses propres peurs, qui atteignirent leur apogée lorsque, lors de la cérémonie traditionnelle de sa tribu, tout le village apprit l’existence de ses pouvoirs. Puis le soulagement lorsque tout le monde lui pardonna, et le déchirement causé par sa décision de partir en voyage pour maîtriser son talent. L’horreur quand Noxus, cet empire vil et barbare, voulut la forcer à détruire un village entier d’Ionia pendant la nuit, et, devant son refus, la vue des soldats noxiens massacrer les habitants pendant leur sommeil alors qu’elle-même, impuissante, fuyait le champ de bataille. La rencontre avec celui qui deviendrait son professeur, grâce auquel elle fit la paix avec elle-même. Puis le voyage de retour vers sa terre natale, pour protéger sa tribu de ce soi-disant Empereur revenu d’entre les morts. Et enfin, sa rencontre avec Kyo qui l’a amenée jusqu’ici. Même si elle faisait cela pour soulager la jeune femme, Taliyah sentit que parler ainsi lui faisait du bien. Résumer sa vie en quelques minutes lui donnait un certain recul sur les événements, surtout sur ces derniers mois où elle n’avait pas vraiment pris le temps de réfléchir à sa vie. Maintenant qu’elle le faisait, elle se sentait...apaisée. Après un court moment de silence, elle demanda à la semi-humaine son nom, car elle ne le savait toujours pas. L’intéressée grogna alors quelque chose, et la Shurimienne prit d’abord cela pour de la réticence, avant de comprendre que c’était le nom que lui avait probablement donné ses camarades couguars. Elle décida donc de lui trouver un nom et, après une longue réflexion, un conte de son enfance lui revint à l’esprit. C’était l’histoire d’une petite fille égarée, qui avait grandi et appris à vivre en harmonie avec la nature. Et le nom de cette petite fille était…

- Nidalee… murmura la jeune fille. Nous t’appellerons Nidalee…

- Joli… répondit la femme tout juste prénommée. Elle plongea de nouveau son regard dans celui de celle qui était si gentille avec elle et interrogea : Toi ?

- Je m’appelle Taliyah, et l’autre qui est parti, c’est Kyo.

- Taliyah… souffla la métamorphe. Joli aussi.

Elles restèrent enlacées tandis que la Shurimienne fermait les yeux, la lumière du jour déclinant lentement mais sûrement.


Kyo était à l’affût depuis plusieurs heures. Il était resté immobile, s’efforçant d’effacer sa présence afin d’attraper les animaux peu méfiants qui sortaient à cette heure du jour. Il leur restait quelques fruits de sa récolte du matin, mais cela ne suffirait pas à remplir l’estomac de trois personnes, et de plus la jeune femme-couguar était probablement carnivore, il lui fallait donc chasser.

Il était donc monté dans un arbre, et avait attendu qu’un animal, quel qu’il soit, sorte de sa cachette. Depuis qu’il était là, il avait attrapé quelques oiseaux, et deux rongeurs semblables à des écureuils mais sans la fourrure rousse et le grand panache qui caractérisait ces derniers. Fatigué de rester ainsi, il décida que ces prises suffiraient pour ce soir, et sauta de son perchoir situé à environ trois mètres du sol, non sans récupérés les quelques fruits qu’il avait cueillis sur le chemin de l’aller. En retournant vers sa camarade et la semi-humaine qui se trouvait avec elle, il ramassa également du bois mort dans le but d’allumer un feu. Lorsqu’il fut de retour, il trouva les deux jeunes femmes serrées l’une contre l’autre, la métamorphe recroquevillée sur elle-même comme à son départ, la Shurimienne avant passé son bras autour d’elle.

Elles semblaient dormir, mais la jeune fille aux cheveux châtains ouvrit un œil quand il vint déposer la nourriture à leur côté, sur un morceau de toile sorti de son sac. Elle lui murmura :

- Nidalee part avec nous…

Très bien, répondit-il sans hésitation, comprenant qu’il s’agissait du nom de l’habitante de la jungle. Il avait lui-même songé à cette éventualité pendant ses heures de chasse, se demandant ce qu’elle allait bien pouvoir faire privée de famille, où allait-elle aller maintenant qu’elle n’avait plus nulle part où retourner.

Il disposa rapidement le bois qu’il avait ramassé en foyer, qu’il s’empressa d’allumer, non sans difficulté dans l’humidité du soir, et dressa un camp sommaire. Il étendit une couverture sur les deux jeunes femmes assoupies, comme Taliyah avait dû le faire pour lui lorsqu’il était aux affres de la mort.

Il s’allongea ensuite et, avant de s’endormir, il crut apercevoir deux lueurs orangées parmi les arbres sur lesquels le feu dessinait de grandes ombres qui dansaient tels des démons enragés. Ces deux lueurs, semblables à un regard qui le fixait intensément, lui firent l’effet d’une brûlure. Il cligna des yeux, et les lueurs disparurent. Mettant cette hallucination sur le compte de la fatigue, il laissa le sommeil le gagner, non sans dormir sur une seule oreille.

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