English Breakfast

Chapitre 1 : English Breakfast

Chapitre final

2833 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/05/2023 09:22

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum fanfictions.fr : Perdu dans l’espace (mai-juin 2023)



          ~English Breakfast~


Londres~1936


Le printemps se faisait attendre depuis des semaines, tout comme le soleil, et la fraîcheur piquante de cette sombre nuit ne présageait aucune amélioration pour le lendemain…

La semaine avait été longue pour Albus. Retranché dans un hôtel moldu des plus lugubres, la faim qui le tenaillait depuis des heures l’avait poussé à troquer le confort tout à fait relatif de sa chambrette pour la brouillasse qui régnait dans les ruelles funestes alentours. Ici, tout rappelait la précarité dans laquelle avait sombré le quartier ; des luminaires épars aux ordures jonchant le sol, toutefois Albus parvint à se procurer un semblant de repas, qu’il engloutit en quelques bouchées seulement. Loin d’être rassasié, il prit tout de même la sage décision de rentrer à l’hôtel ; dans sa position actuelle, mieux valait s’exposer le moins longtemps possible ! Choisissant de ne pas emprunter le même chemin qu’à l'aller par mesure de précaution, il bifurqua sur sa droite un peu plus loin, pour se retrouver aux pieds d’un immeuble apparemment désaffecté. La Grande Dépression faisait des ravages côté moldu, comme en témoignait cette ancienne manufacture désormais offerte aux éléments, mais surtout aux trafics en tous genres… L’ancienne usine semblait cependant vide de toute activité humaine, licite ou illicite en cette heure tardive ; Albus décida de faire fît de toute prudence en y pénétrant, avec l’idée de s’offrir une vue dégagée sur les lumières de Londres. L’intérieur du bâtiment était des plus sordides, mais le sorcier ne s’y attarda pas, grimpant d’un pas leste la volée de marches menant au toit. Une fois passé la porte, qui heureusement n’était pas verrouillée, Albus se stoppa net ; apparemment, il n’était pas le seul à vouloir profiter des hauteurs du bâtiment… 

Penchée sur l’acrotère du toit terrasse, la silhouette frêle d’un jeune homme se découpait dans la pénombre. Alerté par le grincement des gonds, celui-ci tourna vivement sa tête en direction de l’importun, sans pour autant s’éloigner du précipice. La surprise provoquée par la reconnaissance d’un visage familier figea les deux hommes l’espace de quelques longues secondes avant qu’Albus ne se décide à parler : 

— Croyance ! De tous les endroits improbables, c’est bien le dernier où je m’attendais à croiser ta route, mon garçon…

L’intéressé ne répondit rien, mais se retourna face au vide, fixant désormais l’asphalte, plusieurs dizaines de mètres plus bas. La clarté des intentions du jeune homme contrastait avec les ténèbres régnantes sur le sommet de la bâtisse. Prit de nausées, la maigre pitance de Dumbledore menaçait de vouloir faire marche-arrière, alors, pour contrer la volonté de son estomac, le sorcier se décida à faire quelques pas hésitants en direction du voltigeur en devenir : 

— Se pourrait-il que tu sois nostalgique de ton passage au cirque Arcanus, Croyance ?

— Je n’étais pas acrobate là-bas, juste une curiosité… Un monstre… répondit le jeune homme, tournant ostensiblement le dos à Dumbledore. 

Albus initia un mouvement supplémentaire pour se rapprocher de la maigre silhouette secouée par le vent glacé. Si seulement il avait pu se servir de sa baguette…

— Allons, descends mon garçon. Nous sommes tous deux recherchés par ton maître à l’heure qu’il est ; si on nous trouve, nous passerons un sale quart d’heure… 

— Moi, plus que vous ! rétorqua sans hésiter le suicidaire.

— Je n’ai pas trop envie d’arbitrer ce type de concours, mais plutôt d’une tasse de thé bien chaud ! Puis-je t’offrir l’hospitalité de mon humble chambre d’hôtel, Croyance ? 

— Vous allez me forcer ?

— Même si je le pouvais encore, je n’en ferais rien ! Le libre-arbitre est, à mon sens, une philosophie des plus encourageables. 

Le jeune sorcier semblait méditer sur ces paroles et, guère habitué à avoir le choix, témoignait d’une hésitation teintée d’angoisse : 

— Qu’allez-vous me faire si je vous accompagne ?

— Au risque de me répéter, une tasse de thé, si le cœur t’en dit ?

— J’ai pour mission principale de vous tuer !

— Mission que je n’ignore pas, Croyance, mais je pense que nous sommes tous deux dans une situation de grande fragilité pour le moment… Peut-être que tu pourrais reconsidérer ta mission, au moins jusqu’au lever du soleil ? Si tant est qu’il se lève un jour…  

Le regard de Croyance Bellebosse, d’ordinaire rivé au sol, se posa sur Albus et il détailla son aîné d’un œil critique. Normalement tirés à quatre épingles, les vêtements du sorcier semblaient fatigués et sa barbe poussait désormais de façon anarchique, ne paraissant plus disciplinée par un Sortilège de Taille, mais plutôt par une potion de Rebrousse-Poil particulièrement fort dosée… Les cernes sous ses yeux témoignaient de longues nuits d’insomnies et au-delà de la fatigue évidente du sorcier, celui-ci semblait accablé par d’autres sentiments, tout aussi obscurs que la nuit qui les enveloppait. Ainsi privé de sa superbe, l’homme lui inspirait moins de crainte, aussi Croyance céda à sa requête et descendit de l’acrotère au ralenti pour venir se planter, tête baissée devant lui : 

— Vous me laisserez repartir après ? hésita le jeune homme.

— À moins que tu n’aies envie de partager ma vie luxueuse du moment, oui ! répondit Dumbledore, en désignant la direction de la sortie du toit. 


*~*


Après une brève halte devant une boulangerie, dans laquelle Albus dépensa ses derniers Shillings, le duo se retrouva devant la chambre d’hôtel. En tournant la clé dans la serrure vétuste, Dumbledore eut un sourire ému en pensant à Pickett, le Botruc de son ami Norbert ; l’animal n’aurait eu aucun mal à déverrouiller la porte… N’importe quel cambrioleur non plus d’ailleurs. Une fois son invité entré, Albus prit toutefois l’inutile précaution de remettre un tour de clé pour se donner un illusoire sentiment de sécurité.

— Je t’en prie, assieds-toi, Croyance ! 

Après un rapide coup d'œil pour balayer la pièce du regard, le jeune homme osa un timide : 

— Où ça ?

— Ah oui, c’est vrai que le confort est spartiate chez nos amis les Moldus… Nous pourrions nous asseoir par terre ? Attends une minute…

Dumbledore se saisit du couvre-lit miteux encore étalé sur le lit dont les draps n’étaient pas défaits, puis le disposa au sol avant d’inviter Croyance à y prendre place d’un geste de la main : 

— Donc… Un thé ? 

Le jeune sorcier acquiesça d’un timide signe de tête en s’asseyant en tailleur sur le boutis malodorant et recouvert de tâches douteuses. À peine installé cependant, il se redressa vivement au son de multiples boum boum résonnants contre la paroi de la chambre mitoyenne. Les impacts dans le mur, couplés à des gémissements itératifs ne décontenancèrent pas le professeur, à l’inverse de son invité : 

— Hum… Ma voisine est un peu bruyante, ne fais pas attention ! Ces murs moldus sont peu épais et très mal insonorisés… English Breakfast ou… English Breakfast ? 

L'aîné inspectait le thé dont il disposait, tout en posant une bouilloire sur la minuscule plaque de cuisson Simplex Electric sous le regard perplexe du jeune sorcier.

— Pourquoi ne pas vous servir de la magie ?

Albus revint prendre place en face de Croyance en faisant claquer sa langue : 

— Intéressante remarque, mon ami ! Eh bien, je dirais que la réponse à cette question est étroitement liée à ma récente disparition de la vie publique et plus largement, à ma disparition du monde magique…

Tout en s’exprimant, le professeur avait sorti de sa poche un étrange artefact en losange, élégamment ouvragé, pendu au bout d’une chaînette argentée, qu’il se mit à manipuler entre ses doigts avec douceur, tout en fixant le jeune sorcier : 

— Que faisais-tu sur ce toit, Croyance ? Tu es un Obscurial, sauter dans le vide ne t’aurait pas tué…

— Je sais, ce n’est pas la première fois que j’essaie.

— Et qu’est-ce qui te faisait penser que ce soir, tu aurais pu y arriver, si je peux me permettre la question ?

— Le toit était plus haut.

— Oui… C’est une raison compréhensible, quoique peu judicieuse si tu veux mon avis !

La bouilloire se mit à siffler et Albus se leva gracieusement pour verser le thé dans deux tasses en émail toutes cabossées :

— Pardonne-moi, mais je n’ai ni lait, ni sucre à te proposer, mon ami.

N’attendant aucune réponse à ce qui n’était de toute façon pas une question, Albus attrapa les viennoiseries et se remit en tailleur en face de son invité, déposant entre eux les tasses et le petit sachet : 

— Cinq heures quinze… C’est un peu matinal pour un petit déjeuner, mais je suis affamé ! Ces étranges et nouveaux repas à emporter que les Moldus appellent “sandwichs” n’ont aucun avenir selon moi, il n’y a rien à manger là-dedans… Bon appétit.

— Merci monsieur.

Le jeune sorcier observait Albus boire son thé avec élégance ; même assis par terre, ses bonnes manières et sa haute extraction ne faisaient pas l’ombre d’un doute. Grindelwald avait horreur du peu de distinction de Croyance et avec le temps, le jeune Sang-Mêlé avait appri à craindre les accès de colère du Mage Noir encore plus qu’il avait craint, par le passé, la ceinture de Mary Lou Bellebosse où le fouet de Skender, le dompteur du cirque Arcanus. Dumbledore, lui, ne semblait pas disposé à vouloir le corriger, mais les habitudes acquises dans la douleur ne s’oublient pas facilement, aussi le jeune homme bu son thé le dos bien droit et le petit doigt en l’air.

— Allons, pas de ça entre nous, nous sommes de la même famille après tout… En parlant de ça, je n’ai pas vu ton Phoenix, c’est étonnant étant donné tes… Intentions de ce soir, poursuivit le professeur.

— Il l’a enfermé dans une cage ensorcelée, répondit le jeune sorcier avec amertume, en croquant dans un scone.

— Je vois… Et donc… Il y a longtemps que tu t’es enfui de Nurmengard ?

— Je ne me suis pas enfui, je suis en mission. J’en ai juste profité pour… Faire un détour.

— En mission pour me tuer ?

— Ça, c’est une mission constante. Il m’en donne d’autres…

— Tu n’as pas peur que ton “détour” te cause des ennuis ?

— Il me punira, mais il ne me tuera pas.

La résilience de l’Obscurial comprima le cœur de Dumbledore, qui, après avoir terminé son thé en silence, se remit à amignonner l’amulette magique. Croyance observa l’artefact avec attention avant d’oser la question qui le taraudait : 

— Vos pouvoirs… Ils sont là-dedans, n’est-ce pas ?

Oh… Cette amulette contient plus que mes pouvoirs… Beaucoup plus…

— C’est un Pacte de Sang, c’est bien ça ? Il nous a donné l’ordre à tous de lui rapporter si on a l’occasion de s’en saisir !

— Ce n’est guère étonnant ! Grindelwald ne s’en est jamais séparé avant qu’un certain Niffleur ne lui subtilise…

— Maintenant, il contient vos pouvoirs en plus du Pacte…

— C’est exact ! C’est en essayant de le détruire que mes pouvoirs se sont retrouvés à l’intérieur… Je n’ai jamais été aussi vulnérable que maintenant ! Tu pourrais t’en emparer sans problème, me tuer dans la foulée et revenir victorieux auprès de ton maître, cela t’éviterais une punition dont je ne doute pas de la cruauté.

Croyance ne détachait pas son regard du précieux artefact, méditant sur les possibilités qui s’offraient à lui par cette curieuse nuit et la tournure, non moins curieuse des évènements qui semblaient, pour une fois, pencher en sa faveur. Incertain de la décision à prendre, il botta en touche par une diversion : 

— Comment expliquez-vous que vos pouvoirs se retrouvent emprisonnés dedans ? Je pensais qu’il était impossible de s’extraire sa propre magie…

— Moi aussi ! L’explication réside certainement dans le fait que cette amulette renferme… Quelque chose d’extrêmement précieux à mes yeux… Un pouvoir plus grand que n’importe quelle magie… Un pouvoir qui me relie à Grindelwald et qui est la source de toutes mes faiblesses, comme de ma plus grande force ! 

— Se pourrait-il que ce lien entre vous deux soit si puissant que l’amulette ait, en quelque sorte, aspirée votre magie pour vous rendre plus vulnérable, tout comme lui ? Il n’arrête pas de nous dire qu’il est affaibli sans cet objet.

Albus sembla étonné de la judicieuse hypothèse de son neveu et pris quelques minutes pour étudier cette probabilité tout en passant ses longs doigts dans sa barbe hirsute, avant de parvenir à une autre conclusion : 

— À moins que je ne me sois inconsciemment privé de mes pouvoirs en les mélangeant avec nos sangs et nos promesses contenus dans l’amulette pour me rendre vulnérable, à seule fin de me livrer à lui…

— Vous… Vous voulez m’accompagner à Nurmengard ?

Le Sang-Mêlé se sentait inexplicablement soulagé à l’idée de retourner auprès de son maître, accompagné par le professeur qui se trouvait être son oncle. L’idée que son parent puisse éventuellement le protéger de la colère du Mage Noir était complètement absurde dans la mesure où Croyance et Albus, bien que partageant le même sang, ne formaient aucunement une famille ! Pas plus qu’avec son père, Abelforth, qu’il n'avait, au demeurant, jamais rencontré… Sa seule véritable famille, comme lui répétait Grindelwald, résidait en lui et ses partisans. Après tout, le Mage Noir avait été le seul à lui dire la vérité. Le seul à lui rendre son identité. Le seul à lui avoir donné une baguette et le seul à lui avoir enseigné comment canaliser sa magie. Pour le plus grand bien.

Se rendant à l’évidence de cette triste vérité, Croyance balaya l’idée de mériter un quelconque protecteur : 

— Je… Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

— En effet, ce n’est pas une bonne idée, juste… Une idée séduisante… répondit le professeur, d’une voix faible.

— Je ferais mieux de partir !

— Peut-être pourrais-tu rester au contraire… Aurélius, tenta le professeur.

Le jeune homme fixa Albus avant de se lever d’un bond, surprit et contrarié à la mention de son véritable prénom, de la même manière qu’il l’aurait été par le claquement d’un fouet.

— La femme qui m’a donné ce nom est morte ! répondit froidement le Sang-Mêlé.

— Mais pas ton père, mon frère…

— Ça suffit ! Je dois partir maintenant… le coupa Croyance, déjà à la porte.

— Dois-je comprendre que tu m’épargnes, mon garçon ? Tu seras châtié… 

Le jeune sorcier se figea devant la sortie : 

— Vous avez disparu du Monde Magique et je ne suis pas censé me trouver dans le Monde Moldu. Il ne me punira pas pour quelque chose qu’il ignore, Queenie me couvrira ! 

— Il y a plus en toi que ce que Gellert voit, Croyance, tellement plus... 


L’Obscurial franchit la porte sans se retourner et la referma doucement derrière lui, laissant un Albus méditatif et épuisé s’étaler sur le boutis en serrant contre son cœur le Pacte de Sang, le liant à la seule personne qu’il ait jamais aimé, Gellert Grindelwald.


              ~  Fin ~


NDA : 

Ne vous jetez pas du haut d’un toit, personne n’est revenu de l’Au-delà pour nous dire si c’est mieux là-bas…


3114 : Numéro National Souffrance et Prévention du Suicide


infosuicide.org : coordonnées de toutes les lignes d’écoute téléphonique


119 : Allô enfance en danger


3977 : Numéro national pour signaler les maltraitances sur personnes vulnérables



Laisser un commentaire ?