Au-delà des Mers

Chapitre 6 : On respire !

2659 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/05/2021 21:29

Les deux hommes s’observèrent un bref instant avant de reporter leur attention sur les combats qui en raison de la fatigue commençaient à ressembler à du catch. Contre toute attente, les pirates perdaient du terrain. Il ne restait qu’une dizaine de corsaires plus morts que vifs tous pris à partis par deux ou trois marins de La Myrta. Calmèque fit le tour du pont des yeux, analysant la situation au même titre que le Navigateur.

– Nous avons gagné, fit-il platement.

– Oui, acquiesça l’Espagnol. Étonnamment…

– Certains d’entre eux ne semblaient pas physiquement en grande forme.

– Scorbut, dit simplement le Navigateur.

– Vous croyez ?

– J’ai l’habitude de remarquer les premiers signes de ce fléau. Jambes gonflées et ecchymoses en quantité anormale. Associé à une grande faiblesse générale.

Un rapide coup d’œil aux dépouilles autour d’eux permis à Calmèque de constater que l’Espagnol avait sans doute raison. Mendoza lança un regard au navire ennemi.

– Nous en aurons le cœur net en le fouillant. Je suis certain qu’on n’y trouvera rien d’adéquat niveau nourriture.

Ils gardèrent le silence un moment, un peu vides. Sonnés et épuisés par l’effort intense fourni cette dernière demi-heure. Puis une idée vint éclairer le regard de l’Olmèque.

– Dites-moi Mendoza, les pirates font-ils des prisonniers ?

– Ca arrive quand les prisonniers ont une quelconque valeur. Pourquoi ?

– C’est donc plus souvent des femmes que des hommes, n’est-ce pas ?

– Où veux-tu en venir ?

L’Olmèque lui sourit.

– Vous n’avez plus besoin de moi ici ! lança-t-il avant de tourner les talons et de disparaître dans le ventre de La Myrta.

Mendoza le regarda partir, sans aucune envie de le suivre, son attention très vite ré-accaparée par les restes du combat en cours. Il acheva sans difficulté un pirate déjà à moitié mort qui arriva à sa portée et il échangea un salut de la main avec un matelot qui devait être son adversaire de départ. L’Espagnol fit un tour complet sur lui-même afin de contrôler son espace et ne plus se laisser surprendre. Mais il n’y avait vraiment plus grand-chose à craindre.

De son côté, l’Olmèque entra en trombe dans la cabine et y découvrit sans surprise que Marinchè avait préféré se cacher dans son petit « habitacle personnel ». Pressé par le temps, Calmèque appela la jeune femme et lui intima de sortir de sa cachette.

– Marinchè, sors de là ! Magne !

La planche sous la couche s’ébranla et l’Inca pointa son nez hors des ténèbres, un peu méfiante.

– Quoi ?

– Dépêche-toi ! Sors !

Pour qu’elle accélère le mouvement, il l’attrapa pas le bras et la fit sortir sans ménagement. Dès qu’elle fut dehors, il tapa du pied dans les planches qui barraient l’accès au reste de l’entre-cale jusqu’à ce qu’elles cèdent.

– Tu va te démerder pour monter à bord du bateau des pirates.

– Quoi ?

– Ils ont perdu, ils ne sont plus qu’une poignée à vivre leurs dernières minutes sur le pont. D’un instant à l’autre, des gars à nous vont monter à bord de leur bateau pour se faire une idée de la situation.

Il s’interrompit. Elle le regardait, incrédule.

– Tu veux qu’on me trouve à bord ? demanda-t-elle.

– Absolument !

– Mais…

– Mais quoi ?

– Mais je sais pas… je… je…

Elle était un peu secouée. Mais l’idée était bonne. Si on la retrouvait à bord du bateau pirate, on la prendrait pour une prisonnière et… elle pourrait réintégrer La Myrta officiellement.

– Exécution ! ordonna Calmèque et il la poussa dans le réduit. Faut pas qu’on te voit quitter le bateau. Sors par là ou t’es entrée, c’est encore le bordel là haut, personne fera attention.

– Je suis entrée par le trou de la chaine de l’ancre, confia-t-elle.

– Parfait ! Tu repars dans l’autre sens !

– Mais je pourrai pas gagner l’autre bateau sans nager.

– Et tu sais pas nager ?

– Si… mais…

– Et ben alors ? Démerde-toi ! Je suis pas ta mère ! T’es maligne, tu trouveras !

A ce moment, Mendoza déboula dans la cabine, il avait fini par comprendre où voulait en venir sa gargouille.

– Merde ! Je me demande ce qui me retient de vous passer tous les deux par le fil de mon épée ?

– La peur de vous ennuyer ? plaisanta l’Olmèque.

Puis il se reprit.

– Sérieusement, c’est inespéré ! assura Calmèque. Mais faut se dépêcher !

Le visage de l’Espagnol se chiffonna et il grogna, contrarié.

– Vous allez me rendre dingue tous les deux !

Et il ressortit en claquant la porte.

Quand Mendoza regagna le pont, le ciel était toujours gris et une brise s’était levée. La plupart des pirates étaient mort et les combattants en étaient à compter leurs blessures et à reprendre leur souffle. Il y avait beaucoup de sang, beaucoup de corps jonchaient le sol et on ne discernait presque plus le plancher. Il se dirigea d’un pas décidé vers l’endroit le plus étroit qui séparait les deux navires. Si quelqu’un devait « trouver » Marinchè, sans doute valait-il mieux que ce soit lui. Il sauta sur le bastingage de La Myrta et d’un bond, il fut à bord du navire des flibustiers. Il en fit le tour des yeux, pour s’assurer qu’aucun danger ne se cachait encore à bord. Par prudence, il dégaina son épée et se mit à marcher en restant sur ses gardes. Il était très fatigué, mais cette nouvelle montée d’adrénaline l’avait regonflé à bloc. Il tendit l’oreille. Il y avait Marinchè, bien sûre, mais la possibilité que quelques pirates soient encore à bord ou qu’il y ait vraiment des prisonniers était possible. Il marcha lentement en direction du centre du pont, à cet endroit, on pouvait voir le fond de la cale recouverte d’une épaisse grille de fer. Il lança un regard dans les entrailles du navire. Il n’y avait rien, à part quelques cordages, des poulies, des bouts de voilure, des filets, quelques harpons,… Rien d’étrange.

Dans son champ périphérique il vit Jimenez qui montait à son tour à bord du bâtiment ennemi. Comme lui, il se tenait prêt à se défendre au cas où. Les deux hommes échangèrent un regard entendu et après s’être silencieusement renseigné l’un et l’autre sur leurs intentions, ils prirent d’un commun accord des directions opposées.

Mendoza se dirigeait prudemment vers l’imposante cabine de poupe qui surplombait la mer, la cabine du Capitaine. Les bruits de cordages mal tendus, qui par faute d’équipage, commençaient à être malmenés par le petit vent qui s’intensifiait, les grincements du bois, les clapotis de l’eau, le tissus qui se gonflait et s’affalait brusquement au gré des petites bourrasques, donnaient à l’atmosphère quelque chose d’inquiétant.

La porte de la cabine du Capitaine n’était pas fermée et battait par intermittence contre son chambrant en gémissant doucement. Mendoza ouvrit la porte en grand du bout de son épée et jeta un bref coup d’œil à l’intérieur. L’endroit semblait vide. Mais son attention fut pourtant attirée par un léger bruissement sur sa droite. Il voulu s’approcher mais il se figea en voyant l’éclair d’une courte lame, sortie de nulle-part, venir se poser sur sa gorge.

– Don’t move ! tinta une voix féminine plus que déterminée.

Mendoza reconnu une langue qu’il avait entendue parler à plusieurs reprises et qu’il détermina comme étant de l’Anglais, mais qu’il ne parlait que très rudimentairement.

– Spain ? Portugal ? Italy ? France ? From where are you ? demanda la femme.

– Spain, répondit Le Navigateur qui attendait le bon moment pour prendre le contrôle de son agresseuse.

A cet instant, on entendit une voix de femme s’élever et héler l’équipage de La Myrta dans une langue aux sonorités étranges. Si Mendoza n’avait reconnu la voix de Marinchè, il aurait commencé à se poser des questions quant à l’équipage de ce navire. Il profita de cette courte diversion pour se saisir du poignet de son Anglaise et de lui faire une clef de bras afin de lui faire lâcher son arme et la maîtriser.

Quand il fut devant elle, il fut surpris de découvrir une ravissante rousse, vêtue comme une vraie lady.

Un plaisir des yeux. Trop élégante que pour être une fille de joie ou « une » pirate. Une dame de qualité captive, certainement. Pour une rançon peut-être ?

– Not enemy, fit simplement Mendoza afin de rassurer la rouquine sur ses intentions.

Son peu d’Anglais lui venait d’un compagnon d’arme qu’il avait eu vingt ans plus tôt et qui s’était enrôlé sous la bannière espagnole pour voir du pays alors qu’il venait d’Angleterre. « Thomas »… c’était il y a si longtemps.

Au dehors, Marinchè avait dû se résoudre à se glisser dans l’eau et prétendre qu’elle avait profité de la bataille pour tenter de gagner La Myrta et échapper à ses geôliers. Mendoza ne se faisait aucun souci pour elle, elle s’en sortirait très bien, elle ferait son cinéma et tout le monde n’y verrait que du feu. Il reporta son attention sur sa jolie découverte.

– Vous peut-être pas enemy, mais vous faire mal, lui lança-t-elle d’une voix pincée mais avec un accent charmant.

Mendoza la lâcha mais non sans lui faire comprendre qu’il était armé et que toute beauté qu’elle était il n’hésiterait pas à la trucider si elle se révélait dangereuse. D’un signe de tête il lui fit signe de sortir de la cabine la première. Elle s’exécuta après s’être emparée en hâte d’un violon qui se trouvait sur le sol et de s’y accroché comme s’il s’était agi de sa vie. Ils sortirent tous deux de la cabine au moment où Marinchè était hissée à bord de La Myrta. La rousse, vêtue d’une très belle toilette, avançait en direction du bastingage. Une passerelle de bois avait été improvisée avec une planche pour permettre de joindre les deux navires. Jiménez, qui avait fouillé le reste du bâtiment sans rencontrer âme qui vive, les rejoignit presqu’au même moment. A la vue de la jeune femme, Jimenez eut un bref mouvement de recul. C’était bien la première fois que Mendoza voyait cet homme sec manifester une quelconque forme d’émotion.

« Une rousse »… Les superstitions ont la vie dure.

Sur le pont de la nef espagnole, Marinchè avait été enveloppée dans une couverture et était l’objet de toutes les attentions. Dans le registre du labrador battu, elle faisait fort. Un vrai rôle de composition ! Elle avait commencé par parler dans sa langue maternelle, histoire de se rendre plus vulnérable et accentuer le côté « pauvre petite âme perdue dans ce monde de brutes » pour finir par parler un Espagnol absolument remarquable qui forçait l’admiration de ses sauveurs : une Inca aussi civilisée.

« Voilà qui était un problème réglé » se dit Mendoza en regagnant le pont du bateau, le sourire aux lèvres. Et il devait bien reconnaître qu’il préférait ça. Ca faisait un moment qu’il savait que Calmèque « s’occupait » de la clandestine et la situation commençait à l’inquiéter sans qu’il ne se sente le cœur d’y mettre fin. Il n’aurait pas bien vécu qu’on la retrouve morte entre les planches du navire… pas bien vécu du tout.

Il vit de l’autre côté de la nef, trois marins envoyer les cadavres des pirates par le fond aussi discrètement que possible. Les corps de l’équipage de La Myrta se verraient quant à eux, offrir un office religieux avant d’aller tailler une bavette avec le plancton.

Une brise vivace vint le tirer de ses réflexions, le temps semblait tourner…

Un peu en retrait se tenait Calmèque qui, s’étant un temps amusé du cinéma de Marinchè, ne cachait à présent pas sa surprise quant à la jeune femme que Mendoza avait ramenée. Il remarqua aussi à quel point le reste de l’équipage la jaugeait avec autant d’appréhension qu’il n’en avait eut à son propre égard au début du voyage. Et il ne comprenait pas pourquoi. Quand la Rousse vit Marinchè, elle fit la moue et Mendoza comprit qu’elle mettait en doute la présence de l’Inca sur le bateau pirate. Mendoza se pencha à son oreille.

– Perdue dans les faveurs de la cabine du Capitaine, vous ne pouviez sûrement pas savoir que d’autres avaient eu moins de chance que vous et croupissaient dans les cales…, argua Le Navigateur.

La Rousse se tourna vers son interlocuteur et le toisa d’un air peu convaincu.

– C’est sûrement ça, oui…

Le Capitaine Diaz vint à la rencontre de son Navigateur et de Jiménez. Il lança un regard circonspect à la jolie rouquine avant de l’ignorer comme s’il avait rapidement jugé qu’à part une bouche de plus à nourrir, elle ne présentait aucun intérêt.

– Señores ! Quelque chose d’intéressant à bord de ce « Nazaré » ?

– C’est une caravelle portugaise qui aura été volée à son équipage d’origine, Capitaine, répondit Jiménez. Le navire est de belle facture mais ne contient aucune cargaison de quelque sorte que ce soit. Il reste un stock de nourriture et d’eau qu’on pourra adjoindre au nôtre. A part ça… rien.

Diaz fit la moue.

– Est-il envisageable de le remorquer ? demanda Diaz en faisant mention du navire. Ce serait dommage de le laisser à la dérive.

Mendoza lança un regard à la très belle caravelle et en jaugea la valeur.

– La remorquer est risqué, elle nous ralentirait énormément en augmentant beaucoup trop notre tirant d’eau. En outre, en cas de mer agitée, ce n’est pas gérable. Par contre, elle ne nécessiterait qu’une dizaine de marins pour la manœuvrer. Il serait plus prudent de naviguer de concert jusqu’au Comptoir commercial. Là, il… nous sera facile de la vendre à un très bon prix.

Diaz et Jimenez partagèrent avec Mendoza un sourire avide.

– Parfait, Señores ! Parfait ! fit Le Capitaine d’un air plus que satisfait.

Un dizaine de marins expérimentés prirent Le Nazaré en main avec Jimenez à leur tête. L’homme était, lui aussi, navigateur. Même s’il n’avait pas l’expérience de Mendoza, les deux hommes avaient eu l’occasion d’échanger à plusieurs reprises et Mendoza avait pu s’apercevoir que le bonhomme savait de quoi il parlait. C’est lui qui aurait du assurer le poste de Navigateur de La Myrta si Mendoza ne s’était manifesté à Lima.

Le Nazaré était entre de bonnes mains.

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