Entre les mondes

Chapitre 18 : LUKE

2109 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 23/10/2021 10:35

Luke n’avait aucune idée de ce qui se passait, si ce n’est que son instinct l’avertissait que quelque chose de terrible approchait.

  Dans un monde qui interdisait l’usage du Don, il ne donnait pas cher de leur peau.

– Je l’ai senti aussi! fit Sil. On part!

  Il lâcha la main de Luke.

– Qu’est-ce que tu fais? s’exclama ce dernier.

Il senti une corde passer autour de sa taille.

– Nous devons avoir les mains libres si nous voulons aller plus vite. Si tu sens une vision, dis-le-moi tout de suite! Accroche-toi à moi maintenant…

– Mais…

– Fais-le! Tu nous retarderas sinon.

  Luke s’accrocha aux épaules de Sil. L'Egal les tracta à toute allure le long des deux cordes, utilisant sa force prodigieuse d’Egal. La menace approchait toujours.

– Qu’est-ce que c’est? haleta-t-il.

– Je n’en sais rien. Probablement une sorte de gardien. Cet univers n’est manifestement pas sans défense.

  Stephen Hadley n’en avait pas plus idée.

Ils progressèrent le long de la corde durant un temps qui sembla à la fois horriblement long et horriblement court à Luke, sans voir encore la porte. Le jeune homme ne savait pas combien de temps ils avaient dérivé et n’osait imaginer les mètre de cordes qu’ils avaient déroulés derrière eux. Il eut soudain une horrible pensée. Et si leur poursuivant tranchait ce fil de vie? Ils dériveraient ici jusqu’à leur mort. Ou alors, il rejoindrait très vite son père pour toujours. Il avait bien sûr envie de le retrouver, mais pas si vite!

Luke eut soudain l’impression de sentir un souffle sur ses talons, provenant d’une créature démoniaque tenant à la fois de l’araignées et de la mante religieuse. « Non, c’est ton imagination qui invente » se répéta-t-il en s’accrochant encore davantage à Sil.

  Mais il sentait que la chose n’était qu’à quelques mètres d’eux.

  Il laissa échapper un cri terrifié.

 A côté, Sil ne disait toujours rien, preuve qu’il était complètement impuissant, sinon il aurait déjà tenté quelque chose.

  C’était fini. Dans quelques secondes ils seraient…

  « Luke. Nous allons le retenir. »

– Quoi?

  « Je t’aime. Surtout n’oublie pas que je suis fier de toi, quoiqu’il se passe. Embrasse aussi maman, Daisy et Abi de ma part. Dis-leurs qu’elles me manquent à chaque seconde et que je les aime. »

– Quoi?! répéta Luke. Non!!!

  Il ne laisserait pas son père une deuxième fois.

  « Pietr, Susan, Kate, Michel, Julien, avec moi! »

  Luke lâcha des épaules de Silyen pour revenir en arrière. Mais l’Egal le retint.

– Ne fais pas l’idiot, siffla Silyen. C’est notre seule chance. Allez! Accroche-toi à moi!

Luke se débattit sans succès, il ne faisait pas le poids. Il se sentit bientôt rattaché par la taille, tracté par l’Egal qui remontait à toute allure le long de la corde.

– Ramène-moi! Je ne le laisserai pas!!!

  Ses doigts crochetèrent la corde qui le liait. Il chercha le noeud mais Sil, du tranchant de la main, balaya son bras.

– Si tu y retournes, tu es mort!

– Non! Papa! hurla Luke.

  « Va-t-en! » entendit-il de très loin.

 C’était d’autant plus effrayant qu’on ne voyait rien et que Luke n’entendait que de faibles voix - probablement les âmes mobilisées par son père pour leur défense. Qu’est-ce qui pouvait bien se passer? Comment des êtres immatériels pouvaient-ils retenir quoi que ce soit?

   « Je vous rejoindrai! » cria encore son père.

  Luke se débattit contre Silyen, cherchant une nouvelle fois à défaire le noeud de la corde. L’Egal lâcha d’une voix franchement exaspérée:

– Ton père est déjà mort. Que veux-tu qu’il lui arrive de pire? Toi, en revanche, tu es vivant et comme je l’ai dit à ton père, je te protégerai. Arrête tout de suite ta tentative de suicide.

– Et si c’était ta mère, qu’est-ce que tu ferais? répliqua Luke, hors de lui.

  Mais il devait admettre que Sil avait raison sur un point: son père était déjà mort. Et il n’eut bientôt plus le choix car l’angoisse qui le tenaillait revint à vitesse grand V, signe que la chose avait passé le barrage d’âmes.    Luke se raccrocha instinctivement aux épaules de Sil.

  Soudain, un petit point lumineux se dessina au loin.

   La porte!

   Elle était toujours ouverte.

 Il ne voyait toujours pas Sil, accroché à ses épaules, il le sentit accélérer, haletant, progressant à une vitesse hallucinante car la porte se rapprochait de seconde en seconde. Il devait aussi avoir senti que leur poursuivant était juste derrière.

  Soudain, Luke sentit quelque chose s’accrocher à son pied droit. Il fut tiré en arrière avec une telle force qu’il lâcha les épaules de Sil et ne se raccrocha à sa taille que de justesse.

– Il m’a attrapé! hurla-t-il.

  Mais il n’allait pas tenir longtemps. La pression était énorme. Il donna des coups avec son pied libre, ne rencontrant que le vide. Puis soudain, quelque chose de dur. Un rugissement. Les cheveux de Luke se hérissèrent sur sa tête. La prise sur son pied se relâcha légèrement.

  Silyen s’était arrêté.

 Avec la faible clarté provenant de la porte, Luke arrivait à le voir en clignant les yeux pour se réhabituer à la lumière.

  Ils étaient si proches du but

  Mais l’Egal ne devait plus avoir la force d’avancer avec la chose qui tirait Luke en arrière. Pire encore, il menaçait de lâcher prise. Ses mains commencèrent à glisser à toute allure en arrière sur la corde. Avec une grimace, il stoppa leur progression forcée. Ses bras étaient si étirés qu’ils semblaient sur le point de se déboîter. Puis il lâcha une main.

 Qu’est-ce qu’il faisait? se demanda Luke, horrifié, en continuant à donner des coups de pied. Il comprit lorsque l’Egal plongea sa main libre dans le sac qu’il porté en bandoulière pour en sortir une… lampe torche. C’était si absurde, si décalé que Luke en aurait éclaté de rire si la situation n’avait pas été aussi dramatique.

  - Allume-la! lui cria l’Egal, avant de saisir à nouveau la corde.

  Aveuglé par les larmes, essayant d'ignorer l'état dans lequel devait se trouver son pied, Luke tâtonna. Mais il n’arrivait pas à trouver le foutu interrupteur de la lampe.

  Une vague de souffrance lui cisailla soudain l’omoplate. Il se sentit à nouveau tiré en arrière, là où la chose avait planté ses griffes. Il se raccrocha in extremis à la ceinture de Sil dont les mains glissaient à nouveau sur la corde. Continua à tâtonner sur la lampe torche.

  Etait-ce vraiment la fin?

  Luke n’arrivait pas à y croire.

  Soudain, des présences diffuses l’encerclèrent et il sentit les griffes du monstre s’arracher de ses épaules.

« Luke! Tiens bon! »

  Son père.

 Au même instant, il trouva enfin le bouton. Une lumière aveuglante en jaillit.

  Un feulement lui vrilla les oreilles.

 Les griffes s’arrachèrent de son épaule.

 Sil en profita pour remonter le long de la corde. Luke continua à braquer la lampe derrière lui au hasard. La lumière de la porte était devenue si aveuglante qu’il ne voyait plus rien. Puis quelque chose happa à nouveau ses jambes. Il lâcha la ceinture.

– Sil! beugla-t-il.

L’Egal le rattrapa in extremis par le col et le tira brutalement en avant.

Luke bascula et atterrit sur quelque chose de solide.

Ses mains dérapèrent sur quelque chose de poisseux. A l’odeur, il sut que c’était son sang. La tête lui tourna. La douleur était devenue si fort qu’elle lui vrillait le cerveau. A travers une sorte de brouillard, il vit que Silyen se dressait devant la porte et qu’une puissante clarté jaillissait de ses mains, disparaissant dès qu’elle atteignait la porte. Un horrible hurlement retentit, encore plus inhumain que celui de tout à l’heure. Puis la lueur disparut et Luke eut vaguement conscience que l’Egal le prenait par les épaules.

  Papa, songea-t-il soudain.

 Il s’arracha brutalement à la torpeur qui le gagnait, essayant d’ignorer le flot rouge qui s’élargissait sous lui.

– Papa! hurla-t-il. 

  « Luke! » répondit une vois faible de l’autre côté de la porte.

  Le jeune homme faillit en pleurer de soulagement. Il fouilla l’obscurité du regard, tentant de ramper jusqu’au montant. Deux mains le tirèrent soudain en arrière.

– Qu’est-ce que tu fabriques, Hadley? marmonna Sil d’une voix basse et tendue.

– Il faut le ramener ici.

– C’est drôle, on dirait que tu ne te rends pas compte que tu es en train de mourir.

  « Luke! Le monstre est parti! Qu’est-ce que c’était que cette lumière? »

  La voix de son père se rapprochait. Luke s’écria:

– Papa! Viens ici! Passe cette porte!

  Mais Silyen le tira à nouveau en arrière et le força à s’allonger. Luke sentait ses forces l’abandonner. Il tenta encore de se débattre mais il ne réussit qu’à bouger faiblement. La silhouette de Silyen devenait floue au-dessus de lui.

– Aide-le! Ramène-le! essaya-t-il de crier, luttant pour ne pas perdre conscience.

– D’abord, je m’occupe de toi. Après de ton père.

– Non!

  « Luke! Tu es blessé? »

– Ce n’est rien, voulut protester Luke.

  Mais ses lèvres refusèrent de bouger.

  Curieusement, la douleur commençait à refluer et une douce torpeur l’envahissait. Puis un torrent se déversa soudain en lui, comme un courant électrique, bouillonna dans son torse, son dos, sa jambe. Le Don. Pourquoi cet abruti de Silyen ne pouvait-il pas faire ce qu’on lui demandait?

 Luke essaya machinalement de lutter mais le courant était bien trop fort. Puis une douleur dix fois plus forte revint. C’étaient sa peau et ses muscles qui se ressoudaient. Alors que sa vision tanguait de plus belle, il vit que Silyen recommençait à inonder la porte de lumière.

– Monsieur Hadley, venez ici! cria l’Egal. Je vais essayer de vous faire traverser. Tout ce que vous devez faire est de passer à travers la porte. Vous la voyez?

  « Cette lumière? »

– Oui, c’est ça.

  Un silence.

  « Qu’est-ce qui va se passer si je la franchis? »

– Vous pourrez revenir parmi nous. Mais dépêchez-vous! Je ne pourrai pas indéfiniment définir cette chose à distance.

  « Impossible. »

– Rien ne nous prouve que c’est impossible. Nous allons essayer de voir ce qu’il se passera. L’hypothèse la plus probable que vous resterez immatériel. Un pur esprit tel que vous l’êtes en ce moment.

  L’esprit brumeux, Luke fut tout de même horrifié à ces mots. Il ne voulait pas d'un pur esprit, il voulait son père en chair et en os, tel qu'il l'avait toujours connu. Il grommela quelque chose d’inintelligible. Silyen se tourna vers lui, s’apprêtant à lui demander de répéter.

 « Ne vous fatiguez, je n’y arrive pas de toute façon. »

  Silyen se pencha vivement en avant. A ce moment-là, il pâlit brusquement. La cascade de lumière qui jaillissait entre ses mains se renforça d’un coup, si aveuglante que le salon tout entier devint blanc.

  Le monstre, songea Luke.

 Puis il perdit son combat contre l’inconscience.

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