Entre les mondes

Chapitre 60 : ABI

1822 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 24/04/2022 16:44

   Une heure plus tard, Abi et Chris Grailingstream étaient de retour au Parlement.

  Dans la voiture, Abi s’était à nouveau plongée dans ses mails, informant Rebecca Dawson qu’elle revenait avec un fils de président ayant récupéré son Don. Chris Grailingstream n’avait plus rien à voir avec le jeune homme méfiant de tout à l’heure. Il était transfiguré et faisait jaillir une petite brise qui faisait voleter les mèches courtes d’Abi. Comme Bouda avait contrôlé l’eau, il semblait maîtriser l’air.

– Comment est-ce possible? lui demanda-t-il pour la énième fois.

  Il avait essayé plusieurs fois d’évoquer Silyen, sans succès.

  Abi, elle aussi bridée par la Réserve, ne pouvait malheureusement rien lui répondre.

– L’important est que vous… tu aies récupéré ton Don, finit-elle par dire.

– Des nouvelles de mon père?

– Il continue à demander des explications à propos de la réapparition du Don en Grande-Bretagne. Voir ton discours va lui causer un choc. Tu sais ce que tu vas dire?

  Chris Grailingstream sortit une liasse de feuille de sa sacoche, qu’il agita.

– J’ai tout écrit depuis longtemps.

  Abi remarqua qu’il semblait nerveux. Il n’arrêtait pas d’agiter les feuillets. Il sembla hésiter puis ajouta en la regardant de biais:

– Désolé pour ma brusquerie de tout à l’heure. J’étais un peu sur les nerfs.

  Abi rosit. Cet Egal était différent de ceux qu’elle avait connu. Il lui rappelait décidément beaucoup trop le Jenner d’avant la trahison - à moins qu’il ne suive un sinistre complot monté par son père. Elle se demanda pour la énième fois si elle avait raison de lui laisser le bénéfice du doute. Elle s’était déjà faite avoir par Jenner puis par Gavar… Elle se rassura en se disant que Rebecca Dawson avait donné son feu vert à tout cela.

  Quand ils arrivèrent devant les grilles en fer forgé qui protégeaient le palais de Westminster, Abi hoqueta. Elle n’avait jamais vu autant de journaliste rassemblés là. Même lorsqu’elle avait fait l’aller-retour ce matin, il n’y avait pas encore cette foule. Apparemment, la nouvelle d’une allocution publique avait dû fuiter. Elle enleva très vite son blaser bleu sombre pour le tendre à Chris, qui s’était recroquevillé, et lui dit de se couvrir le visage. Elle avait été bien inspirée car les journalistes surent que c’était elle malgré les vitres teintées. Ils avaient probablement mémorisé les plaques de sa nouvelle voiture de fonction. La jeune fille essaya d’ignorer le martèlement des mains contre les vitres et les portes, et après quelques coups de klaxon, le chauffeur réussit à passer. Un gardien contrôla ensuite les identités.

  Le calme revint comme s’il jaillissait des murs immaculés de Westminster. Les bâtiments n’étaient pas aussi spectaculaires que l’ancienne Maison de la Lumière, mais la volée de colonnes et de tourelles encadrant les fenêtres cerclées de bois restaient impressionnantes. Abi se demandait toujours comment elle était digne de travailler dans un tel lieu.

   Rebecca Dawson les attendait en personne. Cette femme d’ordinaire si imperturbable avait du mal à cacher l’impatience et la nervosité qui l’habitaient. Une fois dans son bureau, l’ancienne porte-parole ouvrit des yeux incrédules lorsque Chris Grailingstream fit crépiter le Don au bout de ses doigts et naître une bourrasque qui l’envoya valser trois pas en arrière.

– Je ne peux rien vous expliquer. L’important est qu’il ait retrouvé son Don et puisse faire son discours, dit Abi très vite, pressentant le torrent de questions de sa patronne.

– Hmmm, répondit celle-ci, sous le choc.

– Où pourrais-je parler? intervint Chris Grailingstream.

  Rebecca Dawson se ressaisit:

– Il faut un endroit où la démonstration du Don puisse être suffisamment marquante.

  Vingt minutes plus tard, Chris Grailingstream se tenait au milieu du petit parc qui bordait le Parlement. Le lieu était entouré de grilles en fer forgé. La rumeur des voitures circulant sur Parliamant square et Great George Street ne rendait pas forcément l’environnement idéal pour un discours mais Abi comprenait l’idée de Rebecca Dawson. L’équipe de télévision du parlement commença à se mettre en place, tirant des câbles et positionnant les caméras.

  Soudain, des exclamations couvrirent la rumeur de la circulation. De l’autre côté des grilles, des badauds avaient repéré Chris. Ils poussaient des cris surexcités qui alertèrent quelques journalistes. Le flash des appareils photos crépita.

  L’air mal à l’aise, Chris Grailingstream jeta un coup d’oeil interrogateur à Abi.

  Elle haussa les épaules.

  Le monde entier serait bientôt au courant de sa présence au palais de Westminster alors à quoi bon le cacher…

– Tu as retrouvé tes défenses douées? demanda-t-elle néanmoins.

  Le jeune homme fronça les sourcils puis son visage s’éclaira.

– Tu veux dire mes Protections? Oui.

Abi était néanmoins soulagée que les agents de sécurité du parlement se soient répartis dans le parc et contrôlent l’identité des spectateur à l’extérieur.

  Une maquilleuse vint recoiffer le jeune homme et lui poudra rapidement le nez, camouflant ses cernes et réajustant sa veste de cuir brun. Puis Rebecca Dawson s’entretint avec lui quelques secondes. Elle voulait être certaine qu’il n’allait pas déraper. Elle glissa un peu après à Abi que le discours ne serait pas retransmis en direct, mais en léger différé ce qui permettrait d’évaluer sa pertinence et éviterait toute mauvaise surprise. Les badauds derrière les grilles étaient trop éloignés pour pouvoir écouter ce que le fils du président dirait. Restait l’équipe de cameramen et les agents de sécurité. Heureusement, Abi ne doutait pas de leur loyauté.

  L’équipe de tournage fit quelques tests de son. Puis ils indiquèrent que tout était prêt. Chris Grailingstream se plaça sur le chemin en gravillon qui menait à l’une des entrées du Parlement. Tira nerveusement sur le col de sa chemise et saisit ses feuillets. Abi remarqua que ses mains tremblaient légèrement. Elle se demanda si elle aurait été capable de faire la même chose. Tout fils de président qu’il soit, le jeune homme n’était pas un lâche. Et il n’en menait apparemment pas large. Il se racla la gorge. Ouvrit la bouche. La referma. Reprit une grande inspiration, puis se lança:

– Citoyens des Etats-Confédérés, de Grande-Bretagne et du monde, je m’appelle Chris Grailingstream. Je suis le fils du président des Etats-Confédérés Spencer Grailingstream et je vous m’adresse à vous depuis le palais de Westminster, siège du gouvernement de Grande-Bretagne. Comme vous le savez, je me trouvais dans ce pays au moment où le Don a disparu, et j’ai été privé de mon pouvoir comme tous les Egaux britanniques. Si je vous parle aujourd’hui, c’est pour rétablir la vérité. Trop de mensonges ont été dits en mon nom. Je ne peux plus l’accepter et j’ai dû m’exiler ici pour pouvoir vous parler librement. Citoyens confédérés, je n’ai jamais cautionné les déclarations de mon père! Je n’ai jamais voulu la guerre! Au contraire, je veux que la paix soit maintenue avec la Grande-Bretagne, qui n’a rien à voir avec la disparition de mon Don. J’ai pu m’entretenir avec Rebecca Dawson, chancelière ad interim, et comme elle l’a répété à mon père, qui s’est bien gardé de vous le dire, ce phénomène n’a pas été prémédité. Je me suis simplement retrouvé à la mauvaise place au mauvais moment.

  Il repris son souffle. Sa voix avait cessé de trembler et il regardait désormais droit dans l’objectif de la caméra.

– Tout ce que mon père veut, poursuivit-il, c’est faire main-basse sur ce pays, ce que je refuse de cautionner. Je suis sûr qu’il affirmera que j’ai été enlevé et que je suis forcé de m’exprimer contre ma volonté. (Il écarta les bras tandis que la caméra faisait un arc de cercle pour filmer le reste du parc et le palais de Westminster.) Mais regardez, personne ne me menace. Ces gens ont choisi de me faire confiance en s’engageant à retransmettre cette allocution. Et si tout cela ne suffit pas à vous convaincre, citoyens des Etats-Confédérés, de Grande-Bretagne et du monde, je vais vous prouver que la cause de cette guerre n’a plus lieu d’être.

  A ce moment-là, Abi se lissa nerveusement les cheveux. Elle vit Chris Grailingstream lever les bras au-dessus de sa tête. Il fit pivoter ses paumes et appela le Don. Les cameramen et les agents de sécurité, qui n’avaient pas été mis au courant, reculèrent instinctivement, l’air totalement abasourdis. Puis Chris laissa son pouvoir de déverser. Les bourrasques devinrent si violentes que le public, soudain muet, dut s’agripper aux montants au fer forgé pour ne pas être balayé. Dans un bel ensemble, les feuilles des arbres furent arrachées. Un maelström rouge et doré se forma, d’une beauté majestueuse, puis retomba doucement au sol lorsque le vent se calma. Chris Grailingstream abaissa doucement ses mains scintillantes et regarda la caméra.

– J’ai retrouvé mon Don. Il n’a aura donc pas de guerre, ni aujourd’hui, ni demain. J’ai pu voir la misère dans laquelle les gens vivent, ici. Nous devons aider la Grande-Bretagne à se reconstruire et je m’engage personnellement à rétablir les relations commerciales. Nous avons toujours été unis, avons remporté ensemble la guerre de Cent jours. Il n’y a aucune raison que cela change. Il est de notre devoir de garder le rôle que nous avons toujours eu: celui d’amis et d’alliés.

  Le crépitement des applaudissements éclata dès que le fils du président eut finit son discours. Même les agents de sécurité frappaient dans leurs mains avec enthousiasme. Abi se surprit sentir des frissons lui courir le long du dos. Un sentiment qu’elle s’était interdit d’éprouver jusqu’alors enflait en elle: de l’espoir.

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