Un combat de tous les instants

Chapitre 42 : La traque

3100 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 08/11/2018 22:28

- À cette allure, on va se retrouver dans le Bronx, et je ne perçois toujours aucune trace de Karai, soupira April, hors d’haleine, ce qui n’avait rien d’étonnant à la vue de la distance qu’ils avaient parcourue. Léo, je sais que tu as déjà dit non une bonne dizaine de fois, mais... Franchement, pourquoi est-ce qu’on ne fait pas demi-tour ? On gaspille notre temps et notre énergie pour rien.

- Ce n’est pas pour rien, c’est pour Karai.

- À partir du moment où on ne la retrouve pas, si, c’est pour rien.

- C’est toi la médium, non ? Alors arrange-toi pour qu’on y arrive.

- Écoute, Léo, je veux bien te donner un coup de main, mais là, tu commences à être vraiment désagréable.

April coupla ses paroles à un regard noir. Ce n’était tout de même pas sa faute si, en dépit de ses pouvoirs, elle ne parvenait pas à repérer la fille de Splinter. Ses dons extralucides avaient été utiles plus d’une fois, mais Léonardo semblait oublier qu’ils avaient eux aussi leurs limites.

- Alors quoi ? répliqua le ninja. Tu vas t’y mettre aussi ? Ce n’est que Karai, donc c’est sans importance si on est incapable d’aller jusqu’au bout. Qu’elle reste là où elle est, c’est ça ?

- Léo, calme-toi ! ordonna April. Si je suis venue avec toi, c’est bien la preuve que j’étais prête à t’aider, mais tu m’en demandes trop. Je ne peux pas la faire apparaître par miracle juste pour te faire plaisir ou te prouver ma bonne volonté. On marche depuis des heures, je suis épuisée, et si ça se trouve, je n’ai même plus assez d’énergie pour sonder les alentours.

- Dans ce cas, tu ne me sers plus à rien, hormis à me ralentir. Rentre au repaire. Moi, je continue.

Il tourna les talons et commença à s’éloigner vers le rebord du toit sur lequel ils se trouvaient quand April, à qui il avait fallu un bref temps de réaction à cause de la fatigue, tenta de le raisonner.

- Ressaisis-toi, bon sang ! Si je n’ai pas réussi à la localiser, comment espères-tu y parvenir ? Tout ce que tu vas faire, si tu t’obstines, c’est tomber dans un piège tendu par Shredder. En quoi est-ce que tu aideras Karai une fois qu’il t’aura transformé en soupe de tortue ?

Léo s’immobilisa, toujours dos à elle. L’espace d’une seconde, April crut avoir réussi à lui rendre toute sa lucidité, mais elle se trompait. Sous ses yeux écarquillés, le ninja empoigna son grappin et rejoignit sur l’immeuble suivant, l’abandonnant sans même lui accorder un dernier regard.

***

- Attendez... Il y a un problème.

- Comment ça, un problème ?

Marion, qui commençait à fatiguer de courir tout en tenant son portable plaqué contre son oreille, le tendit à Donatello. Elle donna de grands coups dans le vide, afin de délasser les muscles de son bras, engourdis par cette position inconfortable.

- Marianne, c’est Donnie. Explique-nous ce qui ne va pas.

- Les téléphones... Ils se sont séparés. Le point de Lorenzo avance toujours, mais celui de June est resté immobile pendant plusieurs minutes, avant de rebrousser chemin. D’ailleurs... J’ai l’impression qu’elle vient vers vous.

- Quelle distance ?

- Quatre rues. À gauche, puis à droite, puis tout droit et encore à gauche.

- Compris. Je raccroche. On te rappelle dès qu’on l’a rejointe.

- Je suis à votre entière disposition, répondit Marianne, non sans une pointe d’ironie.

Donnie rendit le portable à Marion, qui le rangea dans la poche de son pantalon. Bien qu’ils n’aient presque pas cessé de courir depuis qu’ils avaient quitté le repaire, ils trouvèrent la force de presser l’allure. Tous se posaient la même question : pourquoi April s’était-elle soudainement séparée du reste du groupe ? Et comment Léo et Splinter comptaient-ils trouver Karai seuls ?

Alors qu’ils bifurquaient à un carrefour, l’adolescente s’arrêta juste à temps pour ne pas être percutée par ses amis. Les cheveux en bataille, les yeux cernés, elle semblait exténuée. Elle s’affala contre un réverbère tordu, tandis qu’ils formaient un arc de cercle autour d’elle.

- Vous devez rattraper Léo, haleta-t-elle. J’ai bien essayé de le ramener à la raison, mais il n’a rien voulu entendre.

April n’était pas vraiment surprise de les voir. Elle s’était attendue à ce qu’ils se lancent à leur poursuite sitôt qu’ils auraient constaté leur disparition. Et même si son don était quelque peu affaibli, à son image, elle avait perçu la bande quelques secondes avant de les voir surgir à l’extrémité de la rue.

- Et maître Splinter ? interrogea Mikey. Qu’est-ce qu’il en dit, lui ?

- Je n’en sais rien. On a tout fait pour lui échapper.

- Lui échapper ? répéta Donnie, qui s’était approché pour soutenir son amie. Comment ça ?

- Je me suis doutée que vous l’aviez envoyé nous convaincre de rentrer au repaire, alors Léo et moi, nous... Quoi ?

April s’interrompit en remarquant les regards perplexes qu’échangeaient ses amis. Seule Marion venait de deviner ce qui se passait réellement, et un nœud lui tordit l’estomac, tandis que les trois autres s’interrogeaient.

- On n’a pas envoyé Splinter, expliqua Mikey. Il n’était déjà plus là ce matin, et on a cru que vous étiez partis ensemble.

- Il aura sûrement compris ce que Léo avait en tête avant nous, déduisit Donnie. Et il a décidé de l’arrêter. April, tu saurais les retrouver ?

- Non. J’ai passé des heures à sonder tous les recoins de Manhattan pour tenter de repérer Karai et je suis épuisée. C’est un miracle si j’arrive encore à tenir debout.

- Tu ferais mieux de rentrer, rouquine. T’es pas en état de te frotter à Shredder.

- Casey, réfléchis deux minutes avant de parler, si tant est que tu en sois capable ! aboya le ninja mauve. On ne va pas lui faire traverser la moitié de la ville seule alors qu’elle est faible et vulnérable, et aucun de nous ne peut se permettre de la raccompagner.

- Moi, je veux bien ! se proposa Michelangelo.

- Aucun ! On doit retrouver Léo et maître Splinter avant de courir à la catastrophe.

Marion acquiesça gravement, les bras serrés autour de son buste, sans que cela parvienne à apaiser son malaise. Si le rat mutant s’était enfui en pleine nuit, lui aussi, ce n’était pas pour ramener Léo sain et sauf, mais pour accomplir le même objectif que lui. Il avait entendu les paroles de Raph et il s’était mis en tête de secourir Karai.

- Ne t’inquiète pas, fit Mikey en lui frictionnant doucement l’épaule. Ce sont des durs, tous les deux. Et nous, on est malins. On va les sauver.

L’adolescente voulut lui sourire, sans en trouver la force. Le ninja se montrerait-il aussi gentil s’il soupçonnait qu’elle était à moitié responsable de la situation dramatique à laquelle ils étaient confrontés ?

Ne ferait-elle d’ailleurs pas mieux de tout leur avouer maintenant ? Léo ne manquerait pas une occasion de dévoiler la vérité et de les accabler de reproches, Raph et elle, sitôt qu’ils l’auraient retrouvé. Ses amis se montreraient peut-être un peu plus conciliants si elle choisissait de faire preuve de franchise.

Elle n’en avait pas le courage, cependant, et même si cela avait été le cas, elle n’en aurait pas eu le temps non plus. Donnie venait déjà de saisir son T-Phone pour rappeler Marianne afin qu’elle les guide jusqu’à Léo, à défaut de pouvoir géolocaliser Splinter.

***

Léo s’accorda un bref instant pour reprendre son souffle. À présent qu’April n’était plus là pour le ralentir, il progressait beaucoup plus vite, mais sans pour autant avoir une idée de l’endroit où aller. Au fond de lui, il savait qu’elle avait raison, pourtant il refusait de baisser les bras. La colère que lui inspiraient Raph et Marion était au moins aussi intense que son désir de sauver Karai.

Il repartit à vive allure et franchit un carrefour supplémentaire. Il avait perdu le compte après le huitième. Il arrivait dans un secteur de la ville où il n’avait pas particulièrement l’habitude de s’aventurer. Heureusement, il pourrait toujours compter sur l’option GPS de son T-Phone s’il s’égarait. Donnie avait pensé à tout au moment de les fabriquer.

Une minute... Mais quel idiot ! Dans sa précipitation, il avait complètement oublié de réfléchir. Avec le signal émis par son téléphone, son frère et probablement Marianne n’auraient aucun mal à le localiser à distance. Sans doute les autres étaient-ils déjà tout près.

Furieux à l’encontre de sa propre négligence, il donna un coup de pied dans une poubelle vide, qui se renversa, puis saisit son T-Phone pour lui intimer d’une voix claire et distincte :

- Autodestruction.

***

- Je l’ai perdu, annonça brutalement Marianne.

- Perdu ? Comment ça, perdu ?

Marion avait repris le téléphone après que Donnie eut décidé de transporter April sur son dos, car à bout de forces, elle ne faisait que handicaper leur progression. Si elle s’était montrée réticente l’espace de quelques secondes, l’urgence n’avait pas mis longtemps à la convaincre d’accepter.

- Le signal a disparu, expliqua Marianne. Comme ça, soudainement.

- Ça voudrait dire que le T-Phone a été détruit, ce qui n’est pas bon signe.

- Ou que Léo a pigé qu’on le pistait et qu’il a choisi de le faire exploser, supposa Casey, et les autres furent pour une fois obligés de souligner la perspicacité de sa déduction.

- Je te rappelle plus tard, dit Marion à sa sœur. On doit le rattraper tant qu’il nous reste encore une petite chance.

Ses amis l’approuvèrent, et ils foncèrent en direction du nord-est, la seule indication qu’il leur restait concernant l’emplacement de Léonardo.

***

Le ninja bleu cessa enfin de courir. Il venait de repérer quelque chose qui attira son attention. De la lumière au troisième étage d’un immeuble, dans une ville fantôme, cela ne passait pas inaperçu. Il s’approcha prudemment du bâtiment, après avoir étudié avec soin les environs. Apparemment, personne ne montait la garde.

Il ignorait s’il devait s’en réjouir ou s’interdire de nourrir de faux espoirs. S’il avait vu Fishface ou Tiger Claw patrouiller aux alentours, il aurait su qu’il était sur la bonne voie, mais ce n’était pas le cas. Cet appartement pouvait tout aussi bien être habité par une personne qui aurait réchappé à l’invasion kraang. Quoique... Léo en doutait, de la part de quelqu’un qui faisait visiblement si peu preuve de prudence.

Puisant dans l’énergie qu’il lui restait après sa longue errance dans Manhattan, il escalada la façade à la force des bras, jusqu’à la fenêtre éclairée. Son souffle s’accéléra lorsqu’il constata que des barreaux en fer étaient scellés sur la bordure. C’était plutôt bon signe.

Se cramponnant d’une main à l’un d’eux, misant sur sa solidité pour ne pas tomber, Léo rapprocha son visage de la vitre. Il distingua une chambre coquettement agencée, avec un lit à baldaquin sur lequel était assise une jeune fille. Il avait beau l’avoir ardemment désiré, son cœur fit un bond dans sa poitrine quand il reconnut Karai.

Aussi discrètement que possible, mais assez fort pour que son amie l’entende, il se mit à toquer contre le verre. Il fallut quelques secondes à la kunoichi pour réagir, avant qu’elle tourne un regard interrogateur en direction de la fenêtre. Sitôt qu’elle remarqua la tortue de l’autre côté, elle sauta sur ses pieds.

- Léo ! s’exclama-t-elle en passant la tête par le chambranle. J’ai eu si peur qu’il vous soit arrivé quelque chose. Shredder m’a dit que vous aviez sûrement péri dans l’effondrement de...

- Non, on a tous survécu, mais ce n’est pas passé loin. Karai, on n’a pas de temps à perdre. Dis-moi si tu as une idée de la façon dont je pourrais te sortir d’ici.

- S’il n’y avait pas ces barreaux, je n’aurais aucun mal à me faufiler, mais j’ai déjà tenté de les arracher, et...

- Et par l’intérieur ? Shredder est là ?

- Je n’en ai aucune idée, je n’ai pas quitté cette chambre depuis que je suis ici. Mais même si ce n’est pas le cas, je suis sûre qu’il y a au moins l’un de ses lieutenants et une armée de Foot-Bots prêts à m’arrêter si je tente de m’échapper.

Le silence s’imposa tandis que Léo réfléchissait à un plan d’action. Il manqua de lâcher prise quand Karai posa sa main sur la sienne et rapprocha ses lèvres de son oreille, pour murmurer d’une voix dans laquelle transparaissait une note d’anxiété :

- Il faut que tu me sortes de là dans les plus brefs délais. Shredder a demandé à Paxman, Blaster ou je ne sais plus comment il s’appelle, de mettre au point une drogue qui lui permettra de me contrôler. S’il y parvient, ils n’hésiteront pas à faire de moi une arme contre vous.

Léo acquiesça gravement. Il leva une patte en direction de la joue de Karai et était sur le point de la frôler quand il ressentit une vive douleur dans la cuisse. Il étouffa un cri, tout en jetant un coup d’œil en contrebas. Son sang ne fit qu’un tour lorsqu’il aperçut Tiger Claw, son pistolet braqué sur lui.

- Sauve-toi, vite ! ordonna Karai.

- Pas sans toi.

- À quoi est-ce que tu me serviras si tu te fais capturer, toi aussi ?

Le ninja fit un écart pour éviter une nouvelle salve de tirs et ne se retrouva plus que suspendu par un bras à la façade. Il jeta un regard à Karai, partagé entre la logique de ses paroles et sa volonté de ne pas l’abandonner. Alors qu’il hésitait, elle se pencha pour attraper l’un de ses ninjatos, puis le força à sauter.

Léo se réceptionna tant bien que mal plusieurs mètres en contrebas et dégaina une poignée de shurikens, que le tigre mutant n’eut aucune difficulté à esquiver. Il pivota sur lui-même tandis que le ninja fondait sur lui, et le repoussa d’un coup de griffes. La tortue grimaça, touchée à l’avant-bras.

Empoignant le seul sabre qu’il lui restait, Léo riposta. Plus que jamais, il regrettait de ne pas avoir écouté les sages paroles d’April, car ses muscles, fourbus par la fatigue, ne lui répondaient pas aussi bien que s’il avait été au sommet de ses moyens. Tiger Claw réussit à le précipiter à terre avec un balayage, avant de le viser avec l’un de ses pistolets. Léo eut juste le temps de rouler sur le ventre, de façon à ce que sa carapace encaisse l’impact.

- Cesse de traîner dans la poussière, tortue, et bats-toi, ordonna le félin.

Le ninja voulut se redresser, mais il ne fut pas assez rapide. Tiger Claw le saisit par les épaules et le projeta contre le mur de l’immeuble dans lequel Karai était retenue prisonnière. Des morceaux de plâtre se décrochèrent, tandis que Léo se remettait du choc. Son ninjato lui ayant échappé au moment de son vol plané, il leva les bras et serra les poings, mais fut incapable de parer le coup de pied du tigre, qui avait bien plus de force que lui.

- Assez ! tonna une voix.

Léo aurait dû se réjouir de ce bref répit, mais au contraire, son sang se glaça dans ses veines. Ce timbre dur, profond... Il ne le connaissait que trop bien. C’était celui de Shredder.

Tiger Claw s’écarta pour permettre au Destructeur de pénétrer dans le champ de vision de Léo, un peu trouble à cause des chocs successifs qu’il venait d’encaisser. Il repéra son ninjato au moment où son ennemi juré le repoussa au loin, là où la tortue n’avait aucune chance de le récupérer.

- Je te remercie d’être venu te livrer à moi, mutant, déclara Shredder. Pour la peine, je vais abréger tes souffrances.

Ses lames, plus acérées encore que les griffes de Tiger Claw, surgirent de son poignet, tandis qu’il avançait d’un pas lent en direction de Léo. Celui-ci cherchait une échappatoire, sans parvenir à en trouver. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir été prévenu par April qu’il se jetait dans la gueule du loup.

Shredder avait déjà commencé à lever le bras, prêt à frapper, quand quelque chose le percuta de plein fouet. Tiger Claw, qui avait remis ses pistolets à la ceinture, s’empressa de les reprendre en main, pendant que Léo cherchait du regard la personne à qui il devait son salut.

Une silhouette se dressait désormais devant le Destructeur, tout aussi grande que lui, mais légèrement moins massive. Comme elle était plongée dans la pénombre, ce furent ses paroles qui permirent à Léo de l’identifier :

- Ne t’avise plus jamais de toucher à un seul de mes enfants.

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