Un combat de tous les instants

Chapitre 57 : Le poids des responsabilités

3351 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 12/12/2019 22:31

- Le plus simple, c’est de générer un codage automatique provisoire et évolutif à partir des T-Phone.

Dès le retour de Donnie, Casey et Léo, tout le monde s’était rassemblé dans le salon pour entendre ce qu’ils avaient à leur raconter. Mikey leva ses grands yeux perplexes en direction de Marianne, mais ce fut Raph qui se chargea de poser la question qui lui brûlait les lèvres :

- Et en langage adapté aux ignares que nous sommes, ça donne quoi ?

- Il faut anticiper une pré-programmation dans nos téléphones, que nous téléchargerons ensuite à l’intérieur des processeurs des Foot-bots, et une fois que les données auront été assimilées, nous...

Le ninja rouge jeta un regard noir à Donatello, car si c’était légèrement plus clair pour lui, cela ne l’était toujours pas pour Mikey. Ce dernier se tourna vers Marion, qui prit la relève du scientifique :

- Au lieu de perdre du temps sur place à rallier les Foot-bots à notre cause, il suffira de brancher les T-Phone sur eux.

- Une fois les humanoïdes en notre possession, je pourrai leur insuffler un codage plus complexe, qui les rendrait à la fois plus performants et plus autonomes, compléta Marianne. En attendant, il me semble que c’est la façon la plus simple et la plus rapide d’en détourner autant que possible de votre Détraqueur.

- Destructeur, corrigea machinalement Donnie, bien qu’il ait depuis longtemps compris que cela ne servait à rien.

- Combien de temps il te faudrait pour mettre au point la programmation adéquate ? s’enquit Léonardo.

- Vos T-Phone sont excessivement rudimentaires, comparés à la technologie kraang. Je dirais... une semaine.

Le front de Donatello se plissa à l’écoute de ces mots, tandis que Léonardo émettait des craintes quant au fait que le stock ait pu être réquisitionné par Shredder d’ici là, même si, en l’absence de ses ennemis mortels, il y avait peu de chance pour qu’il ait besoin d’alimenter ses troupes.

Ce qui taraudait son frère était moins la quantité de robots contenus dans la réserve de l’usine que le délai mentionné par Marianne. Une semaine ? Lui-même ne mettrait pas plus longtemps pour effectuer un tel travail, or elle était censée être plus rapide, plus ingénieuse et plus efficace. Et, surtout, elle n’était pas modeste, aussi était-il exclu qu’elle ait volontairement donné une tranche temporelle aussi large si elle s’estimait capable de faire moins.

- Préparez-vous, ordonna Donnie. À partir du moment où nous serons prêts à passer à l’action, tout s’enchaînera très vite. Shredder n’appréciera pas de se faire voler ses jouets, c’est pourquoi sitôt que nous aurons mis la main sur les Foot-bots, il nous faudra partir pour la dimension X.

Il vit une lueur d’effroi traverser le regard de Marion, et en comprit tout de suite l’origine. Elle souffrait toujours autant de sa blessure, peinait à se battre s’il en croyait Mikey, et savait que cela serait fatalement problématique dans l’univers des Kraangs. Donnie la connaissait cependant assez pour savoir que, même s’ils s’efforçaient de la convaincre de rester en sécurité à North Hampton, elle refuserait.

- Et Karai ? interrogea sèchement Léo.

Le ninja mauve détourna ses pensées de Marion pour se concentrer sur l’autre préoccupation qu’ils auraient à résoudre. Effectivement, il n’y aurait personne pour s’occuper du corps de la kunoichi, que la conscience avait déserté.

Un nœud tordit l’estomac de Donatello lorsqu’une horrible pensée le traversa. Karai étant en état de mort cérébral, il ne servait à rien de s’accrocher à une enveloppe charnelle qui ne répondrait plus jamais. Il était cependant exclu de dévoiler ce fait à Léo. Il risquerait de perdre une fois de plus tous ses moyens, lui qui commençait juste à se remettre, or ils avaient plus que jamais besoin de lui.

Heureusement, il n’eut pas à s’enliser trop longtemps à la recherche d’une solution qu’il ne parvenait pas à trouver. Marianne en fournit une, de son habituel ton froid et détaché :

- À ce qu’on sait, les Kraangs ne se sont pour l’heure qu’emparés de New-York. Il y aura probablement une ville, dans les environs, qui disposera d’un hôpital à même de la prendre en charge durant notre absence.

- Tu nous vois aller la déposer sur place ? répliqua Léo. Ils voudront savoir ce qui s’est passé, et...

- Pas si on l’abandonne devant la porte et qu’on détale en vitesse, intervint Raph, et il n’échappa à personne que c’était très certainement la première fois qu’il prononçait des paroles allant de le sens de celles de Marianne.

Ce n’était en revanche pas du goût de son frère, dont les poings se contractèrent, tandis qu’il esquissait un pas menaçant en direction du ninja rouge. Casey, qui fut le plus prompt à réagir, s’interposa aussitôt afin d’empêcher la situation de s’envenimer.

- Il n’a pas tort, et Marianne encore moins. Tu préfères qu’on la traîne en dimension X ? Ce sera tellement plus classe pour elle d’être ballotée sur ton épaule pendant que tu agiteras un ninjato de ta main libre pour tenter de tenir les Kraangs à distance.

Léo foudroya Casey d’un regard noir, mais consentit à reculer et à croiser les bras sur son torse, la mine renfrognée. La question étant réglée, Donatello reprit le fil de son exposé :

- Il nous faudra également avoir réuni nos alliés avant de nous attirer les foudres de Shredder. Et par alliés, j’entends...

- Slash, Leatherhead et potentiellement Rahzar, énuméra Raph avec dédain. Y a pas à dire, on va se bousculer.

- Tu as d’autres noms à suggérer, peut-être ? rétorqua Donnie. Parce que si c’est le cas, je suis tout ouï.

Sa remarque réduisit le ninja rouge au silence, et heureusement pour tout le monde, il ne remarqua pas le rictus de Léonardo, satisfait d’entendre son frère ennemi être remis à sa place.

- Écoutez..., reprit Donnie après une courte pause. Je sais que nous avons tous nos différends, et aussi nos préoccupations personnelles. Néanmoins, nous n’atteindrons notre objectif qu’à la condition de rester focalisés sur lui. J’ai conscience que je vous en demande beaucoup, mais notre seule chance, et celle de New York, c’est de parvenir à mettre totalement de côté nos tempéraments belliqueux jusqu’à l’accomplissement de notre mission. Sans ça, nous échouerons.

Un vague marmonnement parcourut le groupe. Ils étaient tous de cet avis, mais c’était plus facile à dire qu’à faire. Renier sa personnalité, même temporairement, demandait un gros travail sur soi, qu’aucun d’eux ne pouvait fournir, faute de posséder la patience et la force de caractère adéquates.

***

- Marianne ? Est-ce que je peux te dire un mot ?

- Ce n’est pas ce que tu es déjà en train de faire ?

Après la réunion, Donatello avait suivi la jeune femme jusqu’au laboratoire, où elle s’était empressée de reprendre sa place et les notes sur lesquelles il la voyait penchée depuis des jours, du moins quand elle interrompait son travail sur le drone. Lorsqu’il avait tenté de l’interroger à ce sujet, elle s’était contentée d’éluder en prétendant qu’il ne s’agissait que de simples idées en lien avec ses études sur le mutagène.

- Une semaine pour mettre au point un programme de réassignation des Foot-bots ? lâcha la tortue en renonçant à prendre des gants pour mieux aller droit au but. Sérieusement ?

- Je ne dors pas beaucoup, en ce moment, et la caféine ne suffit plus à alimenter mon cerveau comme il le faudrait. Je ne sais pas si tu t’en es aperçue, mais je représente à moi seule quarante-sept pour cent de l’intelligence du groupe.

- Et c’est vraiment ça qui t’épuise ? Ou ce truc que tu manigances derrière mon dos ?

- Je ne manigance rien, répliqua durement Marianne. Ces notes ne te concernent pas, pas plus que les autres. C’est un travail personnel que j’effectue pour mon propre compte.

- Tu as entendu ce que j’ai dit tout à l’heure ? Qu’il fallait justement laisser le personnel de côté pour se focaliser sur l’important. Je ne dis pas que ce que tu fais ne l’est pas, seulement nous nous sommes fixés les Kraangs comme priorité. Et ça ne te ressemble pas de l’oublier.

- Je ne l’oublie pas.

- Marianne, en dimension X, tout ou presque reposera sur toi. Tu détiens là-bas la formule du rétro-mutagène, ce qui fait de toi le salut de tous les habitants de New York. Évidemment, je serai là pour te seconder, mais... S’il te plaît. Jusqu’ici, tu étais la seule à marcher droit, sans avoir besoin de personne pour te rappeler à l’ordre. Ne me déçois pas.

Ce furent les derniers mots que Donnie prononça avant de tourner les talons, et ils résonnèrent longuement dans l’esprit de Marianne. Au bout d’un moment, ceux de Michelangelo se joignirent à eux. « Ne me déçois pas. » « Tu devrais pouvoir y arriver. » Et Marion... Marion, qui ne survivrait peut-être pas à la dimension X si, en une semaine, Marianne ne trouvait aucune solution à son problème.

Elle enfouit son visage entre ses mains et, en les retirant, elle s’aperçut que sa peau était humide. Elle pleurait. Le choc fut tel qu’elle en oublia de respirer durant un bref instant, avant de reprendre un souffle très saccadé. Des larmes ? Elle ne se souvenait pas en avoir versé depuis le jour où elle avait cru sa sœur morte, après qu’elle eut reçu un mauvais coup à la tête, infligé par leur père.

Une fois cet être sorti de leur vie, elle avait songé qu’elle n’aurait jamais plus à sangloter, à craindre pour la vie de sa cadette, parce qu’elle était convaincue que, même si leur existence n’était pas facile, le pire était derrière elles. Mais pour la première fois, Marianne devait admettre qu’elle s’était trompée.

***

Mikey était allongé sur le dos, les bras calés sous sa nuque, les yeux rivés sur le plafond. Il était tellement certain de ne pas réussir à fermer l’œil qu’il n’avait pas jugé utile d’éteindre la lumière. Même s’il s’était efforcé de masquer son angoisse, une première pour lui qui avait toujours eu conscience d’être le peureux de la bande, les nouvelles ramenées de New York par Casey et ses frères l’avaient perturbé.

Ce n’était cependant pas pour lui qu’il s’inquiétait, mais pour Marion. Au contraire de Léo dont la forme physique reviendrait à son meilleur niveau à force d’entraînement, il était incapable de continuer à se bercer d’illusion quant au devenir de son amie. Le temps aurait peut-être pu lui permettre de s’aguerrir en tant que gauchère, mais avec un retour imminent en dimension X, c’était peine perdue.

Il repensa à ce qu’il avait dit à Marianne, à la suggestion qu’il lui avait faite... À quoi servait l’intelligence si elle ne permettait pas d’aider les êtres chers ? Bien que la jeune femme soit la sœur de Marion, Mikey ne l’appréciait pas vraiment. Elle était plus sévère que Splinter, plus cassante de Raphaël, plus intimidante que Tiger Claw... Et finalement pas plus maligne que Donatello, sans quoi elle aurait guéri sa cadette.

Peut-être Michelangelo était-il encore trop candide, en dépit de toutes les épreuves qu’il avait traversées récemment. La vie n’était pas une BD, ni un dessin animé. Dans ce monde, rien ne prouvait que les extraterrestres seraient vaincus à la fin. Dans ce monde, les amis et la famille n’étaient pas invulnérables. Dans ce monde, la mort et les ténèbres rôdaient partout.

Deux coups toqués à la porte l’arrachèrent à ses pensées morbides, bien loin de celles, insouciantes, qu’il nourrissait il n’y avait pas si longtemps encore. Apparemment, il n’était pas le seul à faire de l’insomnie. Il bondit souplement sur ses pieds, tout en se demandant ce qu’il pourrait bien dire à Marion pour la réconforter, car c’était elle qu’il s’attendait à trouver sur le seuil. Il n’y avait qu’avec lui qu’elle consentait à laisser tomber son masque d’orgueil.

- Raph ? s’étonna la tortue lorsque le battant s’écarta. Qu’est-ce que tu veux ?

- Te parler. Je peux entrer ?

Mikey s’écarta aussitôt pour permettre à son frère de pénétrer dans la pièce. Ce dernier avait l’air encore plus maussade qu’à l’accoutumée, ce qui n’était pas peu dire, et le ninja orange croyait déjà savoir de quoi il souhaitait l’entretenir. Depuis qu’il avait ouvert les yeux sur ce qui l’entourait, il lui avait paru évident que quelque chose connectait Raph à Marion. Il ignorait s’ils étaient ensemble, car ils se montraient relativement discrets dans l’expression de leurs sentiments, mais si tel était le cas, il n’en serait pas surpris.

- C’est à propos d’elle, n’est-ce pas ? anticipa-t-il. De Marion ?

Raph entrouvrit la bouche, désarçonné par le direct de Mikey, avant de se ressaisir. Ils étaient tous les deux les partenaires de combat attitrés de la jeune fille. Qui plus est, la réflexion n’était plus une qualité qui faisait défaut à son cadet. Au lieu de tourner autour du pot, il choisit de s’exprimer franchement :

- Ça me coûte de l’admettre, p’tite tête, mais dans la dimension X, c’est toi le meilleur.

La mâchoire de Mikey se crispa nerveusement. Ce genre d’éloge ne ressemblait pas du tout à Raphaël...

- Tu es le meilleur en dimension X, répéta son frère, mais surtout, tu es le meilleur ami de Marion, alors je vais faire un truc que je me rappelle pas avoir déjà fait. Je vais t’accorder ma confiance. Même si on s’y mettait tous ensemble, et par tous, j’entends aussi le choléra, on ne réussirait pas à la convaincre de rester ici. C’est pour ça qu’il faut que tu la protèges, Mikey. On a tous espéré qu’elle serait capable de s’en sortir le moment venu, mais il est désormais clair que ce ne sera pas le cas, c’est pourquoi tu risques d’être sa seule et unique chance de survie dans l’univers kraang.

Le ninja orange garda le silence. Il ne s’attendait pas à un tel discours, encore moins de la part de Raphaël. Certes, il avait l’habitude de prendre les choses en main dans la dimension X, mais jamais jusqu’à présent il n’avait eu à supporter le fardeau d’une telle responsabilité sur ses épaules.

- De nous tous, c’est toi le meilleur guerrier, finit-il par répliquer. Que ce soit dans notre monde ou dans celui des Kraangs.

- Je suis aussi inconscient, téméraire et égocentrique. Une vraie tête brûlée ! Regarde ce que j’ai provoqué face à Moka... Si Marion a réchappé à l’incendie, c’est grâce à toi. Moi, j’ai juste failli vous mener à votre perte. Je sais que tu penseras d’abord à elle, alors que moi, je me laisse toujours griser par l’ivresse du combat, quels qu’en soient les enjeux.

Mikey n’osa pas acquiescer, même si c’était effectivement le cas. Le tempérament belliqueux de Raph les avait plus souvent mis en danger qu’il ne les avait tirés d’affaire. Malgré cela, il ne parvenait pas pour autant à s’imaginer en train d’endosser le rôle de protecteur que son frère exigeait de lui.

- Et si j’échoue ? murmura-t-il. Aucun de nous n’a réussi à sauver maître Splinter...

- Ce qui est arrivé à maître Splinter est surtout la conséquence tragique de la guéguerre que Léo et moi sommes trop stupides pour cesser de nous mener, et ça illustre d’autant plus mes propos, puisque c’est aussi ce jour-là que Marion a été blessée. Toi, tu ne répèteras pas nos erreurs, parce que de nous tous, tu es le seul qui n’a rien à te reprocher.

- Ma naïveté vous a causé du tort à maintes reprises, rappela Michelangelo. Quand je vous ai conduits droit dans le piège de Bradford, par exemple.

- Tu n’aurais peut-être pas eu besoin de te chercher des amis si nous n’avions pas passé notre temps à te dénigrer. C’est vrai que tu n’as pas toujours fait usage de ton cerveau comme il l’aurait fallu, mais tu n’agis pas non plus par orgueil, par ambition ou par égoïsme. Tu es quelqu’un de foncièrement bon, Mikey, et je ne crois pas qu’aucun d’entre nous puisse en dire autant.

La juvénile tortue sentit ses yeux s’embuer. À l’exception de Marion, personne ne lui avait jamais parlé ainsi, en des termes aussi mélioratifs, et le fait que cela vienne de Raph ajoutait de la valeur au compliment, lui qui n’en concédait presque jamais.

- Tu le penses vraiment ? Ou tu prétends juste ça pour que je me sente assez brave afin de protéger Marion ?

- Un peu des deux, admit le ninja rouge avec une grimace de gêne.

Il se dandinait désormais d’une patte sur l’autre. Il n’avait pas pour coutume de se livrer aussi ouvertement, lui, le dur à cuir qui s’efforçait de ne rien laisser paraître la plupart du temps. Avoir Mikey pour confident rendait la situation d’autant plus incongrue.

- Je ferai tout ce que je peux pour Marion, promit le benjamin. Je l’aurais fait de toute façon, même si tu n’étais pas venu me voir, parce que je l’aime trop pour envisager de la perdre. Ça ne change cependant rien à ma peur de ne pas être à la hauteur.

- Pas un seul d’entre nous ne l’a été jusqu’à maintenant, se força à sourire Raphaël. Tu pourras difficilement faire pire.

Il pressa brièvement l’épaule de Mikey dans un geste de camaraderie maladroite, lui fit face durant quelques secondes encore, puis tourna les talons sans rien ajouter. Alors qu’il s’apprêtait à disparaître hors de la pièce, son frère l’interpela.

- Raph ? Tout ça... Tu l’as dit à Marion ? Pas ce que tu penses de moi, mais ce que tu ressens pour elle.

Raphaël inspira une grande bouffée d’oxygène. Oui, Marion savait ce qu’il éprouvait pour elle. Enfin, elle s’en doutait. Plus ou moins. Peut-être. Sûrement. En tout cas, il le croyait. Ou plutôt, il l’espérait. Son mutisme fut toutefois éloquent pour Mikey.

- Tu devrais le faire, conclut-il simplement.

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