Un combat de tous les instants

Chapitre 71 : Feindre

2962 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 13/09/2020 21:42

La nouvelle navette furtive fraîchement dérobée par les Terriens se posa aux abords du laboratoire. Depuis leur victoire sur l’armada kraang, ceux-ci les avaient presque laissés tranquille, ne leur infligeant que deux attaques aériennes qui avaient été rapidement maîtrisées, à l’instar des précédentes.

Léonardo ouvrit la trappe et sauta à terre, où Marion lui lança les androïdes qu’ils avaient volés dans une usine ennemie avant de la faire exploser. Si, quelques semaines plutôt, on leur avait annoncé qu’ils devraient travailler ensemble, ils ne l’auraient certainement pas cru, pourtant ils accomplissaient indéniablement de nombreux exploits.

Ils n’avaient pu entasser qu’une dizaine de robots dans la soucoupe, faute de place, mais s’ils parvenaient à effectuer trois ou quatre larcins similaires dans d’autres bâtiments kraang, ils auraient vite reconstitué une réserve de soldats artificiels décente.

Donatello vint à leur rencontre et les aida à transporter les androïdes à l’intérieur, où il se chargerait de les reprogrammer à l’aide du code de Marianne. Marion ralentit l’allure en passant devant les rideaux qui avaient été tirés autour du lit de fortune de Raphaël, afin de lui offrir un semblant d’intimité.

Son état ne s’était pas aggravé, mais il était loin d’être tiré d’affaire. Marianne avait décidé de le laisser dans la salle informatique, puisqu’il y avait en permanence quelqu’un sur place. En plus de surveiller les moniteurs, ils gardaient également un œil sur Raph à tour de rôle.

- Léo et moi, on va finir, déclara Donnie qui avait suivi son regard. Vas-y.

Elle le remercia d’un signe de tête. Elle ne lui reparlait pas vraiment, mais elle commençait à se montrer moins froide à son égard. Elle abandonna le robot qu’elle était en train de traîner à côté de l’ordinateur le plus proche, puis repoussa la tenture derrière laquelle tentait de se remettre le ninja rouge.

Ses écailles cicatrisaient, grâce aux onguents que Marianne lui appliquait deux fois par jour, mais ses brûlures étaient encore très laides à voir. Instinctivement, Marion frôla les endroits où elle avait été autrefois touchée par les flammes de Moka. Elle avait eu de la chance, par comparaison.

Elle porta ensuite la main à son poignet, autour duquel était noué le bandeau écarlate de son ami. À l’instar de celui de Michelangelo, elle le conservait sur elle en permanence. Elle n’aimait pas voir Raphaël sans son masque, elle trouvait que cela lui donnait un air vulnérable qui contrastait avec sa férocité naturelle, mais Marianne avait insisté pour qu’il lui soit retiré. Seul un morceau de mousse aux propriétés prétendument antibactériennes recouvrait son œil crevé.

Elle prit sa patte la moins blessée et la porta à sa joue, contre laquelle elle la conserva un long moment avant d’y déposer un baiser. Les yeux mi-clos, refoulant les larmes qu’elle s’interdisait de verser, elle murmura :

- Reviens-moi...

***

- Je peux te déranger une minute ? demanda Léonardo en pénétrant dans le laboratoire, où Marianne s’affairait comme à son habitude.

- Juste une, alors. J’ai du travail.

- Je croyais que tu avais fini par atteindre la formule du rétromutagène le plus perfectionné que tu puisses espérer. Qu’est-ce qui t’accapare encore ?

- Dis-moi ce que tu veux et sors d’ici, au lieu de poser des questions inutiles. Ce que je fais, vous le saurez en temps et en heure. Pour le moment, ça ne servirait à rien que je vous l’explique.

Marianne éprouvait, très loin au fond d’elle, une pointe de culpabilité à l’idée d’avoir prétendu être à l’origine du rétromutagène ultra-perfectionné, mais elle n’avait pas pu se résoudre à révéler que l’énigme scientifique sur laquelle elle s’était longuement cassé les dents avait été résolue par une tortue dotée d’un quotient intellectuel identique à celui d’une feuille de salade.

Elle balayait toutefois ses remords en travaillant d’arrache-pied à la création de ce qu’elle nommait le mutafix, le sérum à base de mutagène qui permettrait au ninja orange de retrouver la même apparence que ses frères. Bientôt, elle aurait produit une réserve de rétromutagène suffisante, et les autres auraient besoin de compter sur... l’affinité particulière de Michelangelo avec la dimension X pour lancer l’offensive finale.

- Tu te souviens de la conversation que nous avions eue, à propos de Karai et du transfert de conscience ? évoqua Léonardo. Tu m’avais demandé de te transmettre toutes les données que je parviendrais à me procurer au sujet de la machine que les Kraangs avaient utilisée sur Raph.

- Oui, et ? Tu as trouvé quelque chose ?

- J’ai eu le temps de pirater un terminal pendant que Marion s’occupait d’enclencher la destruction de l’usine kraang. Je pense avoir déniché des plans qui pourraient t’être utiles, mais ça, ce sera à toi de me le dire.

Il lui tendit une clé USB d’origine extraterrestre, et Marianne la prit pour la déposer sur sa table de travail en promettant d’examiner les données qu’il lui avait rapportées quand elle aurait un moment. Dès que Léo eut tourné les talons, elle soupira. Rendre à Mikey son apparence, sauvegarder la conscience de Karai... Elle mollissait. Jadis, elle ne se serait jamais abaissée à rendre ce genre de services, pas même pour rembourser ce qui lui semblait être des dettes.

***

- L’onguent de Marianne a accompli des miracles, commenta April. Tu n’étais vraiment pas beau à voir après ton accident.

- Même le feu ne peut défigurer un aussi beau gosse que moi !

À vrai dire, Casey gardait toujours les séquelles du crash du vaisseau furtif, mais la façon dont il avait guéri dépassait toutes les espérances qu’April avait nourries lorsqu’elle avait obtenu l’autorisation de Marianne de se lever, après son malaise, et de se rendre auprès de ses amis inconscients.

- Et puis, que serait un guerrier sans cicatrice ? ajouta Casey. Il faut bien que mon corps soit témoin de mes combats, sinon personne croira jamais que je les ai menés.

- Pourquoi ? Tu as l’intention de t’en vanter quand nous aurons libéré New York et ses habitants ? Casey Jones, le sauveur de la ville, voire du monde ?

- Eh, je l’aurais bien mérité ! Avec un CV pareil, aucune fille ne me résisterait, parce qu’actuellement, c’est pas la joie.

Il jeta un regard entendu à April, qui détourna la tête. Bien que Casey ait montré un certain intérêt pour Marion à une époque, sa préférence allait toujours à la rouquine, et elle en avait conscience. Depuis qu’il avait frôlé la mort, il était assez entreprenant et ne manquait jamais une occasion de lui rappeler les sentiments qu’elle lui inspirait.

April ne savait pas quoi penser de cette situation. Elle aimait beaucoup Casey, mais il n’était pas Donnie. En revanche, il était humain. N’aurait-ce pas pu être l’inverse ? Ainsi, elle n’aurait pas eu matière à se tourmenter. Si la vie était simple, cependant, cela se saurait.

- Gloire à Casey, le survivant de la dimension X, se força-t-elle à plaisanter.

- Survivant de la dimension X, ça sonne bien, approuva-t-il. Est-ce que ça me vaudra un petit baiser ?

Il pointa les lèvres dans sa direction, mais April l’arrêta en plaquant doucement son poing contre sa bouche. Toujours avec un sourire crispé, elle déclara :

- Pour le moment, nous sommes encore ici. On en reparlera quand on aura retrouvé la Terre en vie, et avec les New Yorkais.

- Je m’en souviendrai, assura Casey, au grand dam d’April.

Comme si s’enfoncer ne lui suffisait pas, il fallait en plus qu’elle se mette à creuser. À croire que son moral n’était pas assez bas ainsi.

***

Donatello ôta le câble de transfert qui reliait le dernier androïde kraang au programme de réassignation de Marianne et l’enferma dans la réserve avec les autres robots, plongés en mode veille. Il alla ensuite s’installer à l’ordinateur le plus puissant qu’ils avaient à leur disposition, y connecta son T-Phone et contacta les Mutanimaux.

La face de Slash ne mit que quelques secondes à apparaître à l’écran. Il salua son allié d’un grognement, tandis que Rahzar et Leatherhead se massaient dans son dos. Ils n’avaient pas l’air particulièrement de bonne humeur, mais ils étaient tous les trois indemnes, ce qui était en soi rassurant.

- Nous serons bientôt prêts à entrer dans l’ultime phase du plan, annonça Donnie. Et de votre côté, où est-ce que vous en êtes ?

- Huit bases majeures kraangs ont été détruites, mais il nous en reste encore six, d’après nos estimations, et nous avons trouvé la trace de repaires annexes.

- Et Shredder ?

- Rien à signaler le concernant. On s’attendait à ce qu’il nous envoie sa boule de poils pour se venger de l’avoir esquinté, mais non. Calme plat. Il sait peut-être que vous êtes en dimension X, or c’est vous, sa cible prioritaire.

- Peut-être, admit Donatello, même s’il doutait que Shredder soit du genre à renoncer à une revanche sanglante sous prétexte qu’elle n’était que secondaire. Écoutez, je sais que vous faites de votre mieux, mais... les choses se sont complexifiées, ici. Trois d’entre nous sont sur la touche, et nous ne sommes plus assez nombreux pour riposter aussi facilement qu’il le faudrait, alors...

- Il est arrivé quelque chose à Raphaël ? s’inquiéta Slash.

- Il... Il a été blessé dans l’explosion d’une navette furtive, en même temps que Casey.

Donnie préféra éluder afin de ne pas contrarier le vieil ami de son frère alors qu’une lourde tâche pesait déjà sur les épaules des Mutanimaux. Tandis qu’il prononçait ces paroles faussement rassurantes, il s’interrogea. Qu’allaient-ils faire de Raph et de Michelangelo, lorsque le moment serait venu ? Ils ne pourraient pas les laisser au laboratoire sans protection, ni les amener avec eux.

Les renvoyer sur Terre via un portail kraang ? Pourquoi pas ? Mais s’ils ne revenaient pas ? Si aucun d’eux ne s’en sortait indemne ? Sans parler de Shredder, qui rôdait peut-être, rétabli, en attendant le moment de frapper.

- Et Michelangelo ? interrogea Leatherhead. Comment va mon cher ami ?

Là encore, un nœud contracta l’estomac de Donatello. Il aurait volontiers céder le laboratoire le plus perfectionné de n’importe quel monde pour s’épargner cette question. Il s’efforça néanmoins de ne rien laisser paraître de sa culpabilité, connaissant l’impulsivité légendaire du crocodile qui serait parfaitement capable de l’attraper par la tête à une dimension de distance sous l’effet de la colère.

- Il va... bien, marmonna-t-il en ravalant la bile acide qui lui était montée dans la gorge.

Ce n’était pas tout à fait un mensonge. Michelangelo ne semblait pas souffrir, et il ne quittait presque jamais l’épaule ou les genoux de Marion lorsqu’elle n’était pas en mission. Il n’était juste plus lui-même, et ce par la faute de son frère.

- Transmets-lui mes salutations, s’il te plaît.

- Ce sera fait, promit Donnie, de plus en plus mal à l’aise. Bon... Du travail m’attend, alors... Je vous préviens dès que notre stock de rétromutagène est prêt, d’accord ? D’ici là... Bonne chance à vous, les gars.

Slash le remercia d’un signe de tête et lui promit qu’ils feraient leur possible pour accomplir le reste de leur mission dans les plus brefs délais, même si, avec les Kraangs, rien n’était joué d’avance. Quelques secondes plus tard, l’écran redevint noir, et Donatello poussa un soupir en plaquant son visage sur son avant-bras.

Il avait commencé à mener des recherches sur une formule de mutagène perfectionné qui lui permettrait de rendre sa forme initiale à Mikey, mais cela n’avait encore rien donné. Le seul point positif, si du moins il pouvait le considérer comme tel, car il était tout aussi horrible en soi, c’était que Marion, accaparé par l’état de santé de Raphaël, ne le houspillait pas pour son absence de résultat.

Il avait bien songé à demander de l’aide à Marianne, mais il savait déjà ce qu’elle lui répondrait, que ce n’était pas à elle de s’en occuper, que sa négligence lui avait imposé suffisamment de travail supplémentaire avec les alambics et qu’elle n’avait pas de temps ni d’énergie à gaspiller avec « Michelotto » alors qu’elle travaillait actuellement sur un nouveau projet, du reste assez mystérieux, puisqu’elle refusait de lui révéler en quoi il consistait.

***

Marion avait passé un bras autour de la carapace de Michelangelo, l’autre tenant la patte de Raphaël. Depuis son retour de mission, elle n’avait quitté son chevet que pour aller prendre son repas. Elle avait même renoncé à sa traditionnelle promenade jusqu’à l’enclos de Kraath pour passer plus de temps auprès de lui.

Elle le lâcha néanmoins précipitamment lorsqu’elle entendit quelqu’un tirer le rideau, et croisa les doigts pour que Marianne n’ait rien eu le temps de remarquer avant de pénétrer dans son champ de vision. Marion n’avait aucune envie d’entendre les commentaires glacés de sa sœur si elle venait à découvrir les sentiments qu’elle nourrissait pour le ninja.

- Tu devrais aller te reposer, conseilla Marianne. Tu prends ta garde dans trois tours.

- Conseil surprenant de la part d’une fille qui dort aussi souvent qu’elle sourit, la railla sa cadette sans méchanceté. Plus sérieusement, pourquoi est-ce que tu es ici ? Ça ne te ressemble pas de te soucier de mon sommeil.

- Puisque tu es la nouvelle chef d’équipe, par défaut et à cause de ton inclination michelottesque, j’ai pensé qu’il faudrait d’abord que je discute avec toi de l’idée qui m’est venue tout à l’heure, pendant que je travaillais.

- Je t’écoute.

- C’est à propos de l’offensive finale. Même si le rétromutagène est trente-deux fois plus concentré qu’à l’origine, il va tout de même nous en falloir deux cuves, impossibles à transporter à bord d’une navette furtive, et surtout un moyen efficace de le diffuser sur les millions d’habitants de New York.

- C’est vrai, approuva Marion, que le problème avait déjà effleuré sans qu’elle songe à s’y pencher plus avant. Qu’est-ce que tu suggères ?

- Un technodrome. Botticelli et moi devrions pouvoir le transformer de façon à ce qu’il répande le rétromutagène en grande quantité à la manière d’un spray, tout en nous fournissant les armes nécessaires pour prendre d’assaut la ruche et la sécuriser.

Marion ne releva pas immédiatement. Les tortues s’étaient déjà emparées d’un technodrome lors de leur dernière venue en dimension X, mais ce n’était pas une mince affaire, d’autant qu’ils ne pouvaient compter ni sur Raph, ni – et surtout – sur Mikey.

- Ce n’est pas impossible, mais il faudrait que j’en discute avec Léo. Prendre un technodrome, ce n’est pas aussi simple que de s’approprier une navette furtive.

- Je m’en doute, c’est pour ça que j’ai tenu à t’en parler dès à présent. Ça te laisse, vous laisse le loisir d’y réfléchir.

- Michelangelo aurait sans doute déjà eu une idée, lui. Et même trois ou quatre.

Marion esquissa un sourire triste. Elle aurait tant aimé entendre sa sœur lui répondre qu’elle allait voir ce qu’elle pouvait faire à son sujet, mais évidemment, Marianne garda le silence. Elle tourna les talons et ne reprit la parole qu’au moment de disparaître derrière le rideau, pour lui répéter :

- Repose-toi. Tu as ses responsabilités, maintenant.

- Je suis au courant, marmonna Marion.

« Merci, Donnie », songea-t-elle avec amertume. « Tu es responsable du sort de Mikey, et moi, je suis responsable de votre sort à tous. Comment est-ce que ça a pu arriver ? » Il ne leur serait jamais venu à l’esprit de donner le commandement à Raph ou à Casey, alors pourquoi à elle ?

Certes, elle avait prouvé en chevauchant Kraath face à l’armada des Kraangs qu’elle pouvait avoir des idées tout aussi insensées que celle de Mikey, mais lui était insouciant, il ne se projetait jamais vraiment dans l’avenir et ne réfléchissait pas, aux conséquences de ses actes encore moins qu’à tout le reste.

Marion, dès qu’elle était amenée à prendre une décision, ne pouvait s’empêcher de se poser cette question lancinante. Et si cela coûtait la vie à quelqu’un ?

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