Les esprits antiques
Avertissement : Les personnages de Ghost Whisperer et des Travaux d’Hercule peuvent paraître différents par rapport à la manière dont ils sont présentés dans leurs univers d’origine respectifs.
Les noms des personnages de Ghost Whisperer changent comme suit
Melinda Gordon devient Mélinda de Gordion ;
Jim Clancy devient Démosthénès de Cos ;
Albert Glassman devient Alexandre de Gortyne ;
Forrest Morgan devient Ménocrate d’Éphèse.
Par une journée ensoleillée dans le dème de Némée.
Hercule, un jeune homme musclé, vêtu d’une ample tunique blanche qui laissait son torse nu, guidait le bige de sa bien-aimée, Iole, attelé de chevaux blancs, à travers un boisé. Il avait entendu de la part des messagers du roi Pélias, le père d’Iole, qu’un redoutable lion ravageait depuis quelques jours la région. L’homme le cherchait, bien décidé à mettre fin à la terreur qu’il causait. De loin, son ami, le médecin de la cour, Démosthénès de Cos, conduisait son bige tiré par des chevaux blancs. Sa femme, Mélinda de Gordion, le suivait en chevauchant son cheval brun préféré. Celle-ci tenait à venir, car telle était la volonté des âmes de trois victimes du lion, qui étaient venues la visiter en personne alors qu’elle était occupée à cuisiner il y a quelques jours. Elle avait un don depuis son enfance qui faisait en sorte qu’elle voyait les revenants selon la dernière apparence qu’ils avaient au moment de quitter leur corps. Mélinda les aidait à accomplir leur dernière volonté afin qu’ils partent dans l’Hadès, en passant par le long voyage à bord de la barque de Charon sur le Styx.
Malgré le bruit assourdissant des sabots, le héros grec entendit une voix forte l’interpeller :
— Hercule, attends-moi !
Il freina ses chevaux pour se retourner : c’était Iphitos, le jeune fils de Pélias, qui chevauchait son cheval brun. Hercule était chargé de son éducation. Le héros lui avait enseigné le tir à l’arc il y a quelques mois.
Hercule cria :
— Votre Altesse Royale Iphitos, laissez-moi seul affronter le Lion ! Avant de le faire par vous-même, vous devez maîtriser les armes et développer vos muscles !
— Pff ! Je vais te montrer que je suis capable ! fit l’interpellé, courroucé et blessé en son orgueil.
— Ne jouez pas ainsi l’intrépide ! Vous ne pouvez pas ainsi risquer votre vie !
Iphitos avança son cheval vers Hercule, pour lui barrer la route et dit d’un ton autoritaire :
— Je suis le prince héritier du Basileús [roi] Pélias ! Je fais ce que je veux !
L’homme musclé soupira. Le fils du roi se pencha vers la crinière de son cheval et flatta son cou en murmurant de continuer. La bête se mit à galoper.
Démosthénès et Mélinda arrivèrent à ce moment, un peu à l’écart. Ils regardèrent avec inquiétude ce qui se passait. La médium salua d’un geste discret les trois âmes des victimes du monstre, à savoir deux jeunes hommes et un plus âgé, nommés respectivement Héron de Larisse, Hypsiclès de Thasos et Apollonios de Thasos.
Apollonios de Thasos, un quarantenaire aux traits sévères, dont la tunique à la hauteur du torse était salie de sang séché, ordonna d’un air courroucé, ses yeux bruns lançant des éclairs :
— Aidez-nous à débarrasser le pays de ce monstre !
Il ajouta en faisant un geste de prière :
— Que les dieux vous viennent en aide !
Mélinda pensa Je l’espère aussi…
Hypsiclès de Thasos, un jeune homme aux traits réguliers, visiblement le fils d’Apollonios, dont les jambes étaient ensanglantées, intervint :
— Ce monstre est un fléau ! Il est responsable de notre mort !
Héron de Larisse, un jeune homme au visage oval, de stature moyenne, dont il manquait le bras gauche, qui avait été dévoré par le lion, scanda d’un air courroucé, ses yeux bruns brillant, la main droite serrée en poing :
— Il doit mourir !
— Aucune pitié ! surenchérit Hypsiclès.
Un cri animalier interrompit leur conversation. Le cheval du prince Iphitos se cabra, renversant celui-ci sur le sol.
Héron de Larisse s’exclama, en faisant un geste vers le son :
— C’est lui ! Le lion ! Un monstre tel qu’on a jamais vu dans cette région ! Sans doute envoyé en punition par un dieu !
— Qui aurait osé offenser un dieu ! Quel imprudent ! s’emporta Hypsiclès.
— Fils, ce ne sont pas les gens qui manquent dans la région ! commenta amèrement son père.
Un lion géant, comme venu de nulle part, courut vers Iphitos. Hercule sauta de son char, mais ne put le sauver. Trop tard. La bête féroce, rapide comme l’éclair, se jeta sur le prince et déchira son torse d’un coup de patte antérieure. Le jeune homme gisait, raide mort, sur le sol. Il avait rendu l’âme, qui sortit par son ventre. Démosthénès fit un geste pour prendre sa sacoche contenant les plantes médicinales. Mélinda se rapprocha de lui et murmura, les yeux rivés vers la direction de l’âme du prince :
— Démosthénès, un esprit de plus…
Le docteur soupira en pensant Arh ! Que pouvons-nous faire contre ce redoutable lion ? Rien ! Apollon et Asclépios, aidez-nous !
Il interrompit alors son geste, relâchant brusquement sa sacoche, qui tomba lourdement sur la caisse du char.
Apollonios de Thasos murmura tristement :
— Dommage que ce jeune homme nous ait rejoint…
Iphitos, ayant remarqué le regard de la médium sur lui, l’aborda d’un air hautain :
— Madame, aidez-moi !
— Oui, répondit-elle. Mais ne vous inquiétez pas, votre Altesse Royale Iphitos, nous informerons votre père, le Basileús Pélias, de votre situation...
La conversation entre la femme et le revenant fut interrompue par un fort rugissement plaintif, comme des pleurs ou un sanglot. Ils n’avaient pas vraiment remarqué les déplacements de la bête, ayant à peine noté qu’elle était loin d’eux.
Pendant ce temps-là, Hercule, dont une colère montait dans sa poitrine, accourut devant la bête pour l’attirer vers lui. Il marchait à reculons, suivi du lion, qui montrait ses crocs. Il blessa le héros d’un coup de griffe de sa patte antérieure droite, mais l’homme lui tint la gueule ouverte pour le repousser un peu plus loin. Puis la bête revint à l’attaque, mais Hercule évita un autre coup de patte en se baissant. Il renversa son adversaire sur le dos d’un geste des bras.
Intrigués par le bruit, Démosthénès, Mélinda et les esprits tournèrent aussitôt leurs têtes vers le son.
Le lion fut saisi par Hercule. Ce dernier le serra fortement entre ses bras musclés. Il le tenait ainsi jusqu’à ce que mort s’ensuivit. Mélinda vit l’âme du fauve sortir par ses narines, puis disparaître aussitôt, comme absorbée par la terre. Bien que intriguée par cette disparition soudaine, elle soupira de joie, car elle ne savait pas comment elle aiderait cette âme perdue, ne comprenant pas le langage des animaux.
Il ne reste qu’à espérer que cette âme ne sera pas condamnée à errer… Sinon, que Hermès l’aide ! pensa la femme en fixant pendant quelques minutes le dernier lieu où se trouvait l’âme du lion.
Un peu à l’écart, Apollonios de Thasos, Héron de Larisse, Hypsiclès de Thasos, qui suivaient d’un air intéressé la lutte, s’écrièrent de joie :
— Les dieux sont venus à nous ! Vous êtes sous une bonne étoile ! Et remercier ce jeune homme ! Que les dieux le bénissent !
— Bien sûr, je n’oublierai pas, dit-elle à mi-voix.
La passeuse d’âmes ramena son attention vers Héron, Hypsiclès et Apollonios, qui apparurent aussitôt devant elle.
— Maintenant que vous savez que le lion est hors d’état de nuire, êtes-vous prêts tous les trois à traverser le Styx ?
Ils répondirent d’une seule voix après un long silence :
— Oui !
Apollonios ajouta d’un air enjoué :
— Je me sens tellement léger, comme jamais !
Héron tourna sa tête vers sa droite et balbutia :
— Je… vois Charon sur sa barque… Il nous fait signe d’embarquer.
— Avez-vous vos oboles ? demanda Mélinda, émue en son for intérieur du dénouement de cette histoire.
— Oui ! firent les trois revenants en sortant de sous leurs tuniques une pièce en or.
— Très bien, murmura-t-elle. Je ne peux que vous souhaiter un bon voyage.
— Merci Madame ! dirent Apollonios de Thasos, Héron de Larisse, Hypsiclès de Thasos comme un seul homme.
Ils s’avancèrent de plus en plus vers leur droite, jusqu’à disparaître de sa vue au moment où ils embarquèrent dans la barque du nocher de l’Autre Monde.
Mélinda soupira de joie, contente que ces âmes soient enfin parties. Elle essuya rapidement, du revers de la main quelques larmes naissantes, puis rejoignit son époux, qui s’affairait à déposer le corps du défunt prince sur son char. Il lui recommanda de simplement revenir chez eux et qu’il arriverait bientôt. Elle confirma positivement, puis caressa doucement le cou de son cheval et revint en galop à leur demeure.
***
Pendant ce temps-là, au palais du roi Pélias.
Le roi, vêtu de sa tunique en lin, assis sur son trône, un simple siège plus solide que le klismos [sorte de chaise], dans la grande salle du trône, attendait avec impatience la venue de la Sibylle. Il tapotait avec impatience l’accoudoir. Son regard se promenait sur les murs monotones en céramique blanche. Enfin, au bout d’un certain temps, qui paraissait à Pélias une éternité, la porte s’ouvrit et un garde suivi d’une jeune femme couverte d’un ample chiton et d’un voile bleu nuit entrèrent. Le garde se retira, tandis que la prophétesse s’avança devant le roi, plaça un siège portatif et des branches de laurier pour la fumigation. Elle s’assit sur le siège, agita les branches puis demanda d’une voix douce, en écartant le voile qui cachait son visage :
— Basileús Pélias, que voulez-vous savoir ?
— Je veux savoir si j’ai un sérieux prétendant au trône, demanda sévèrement le roi, les mains jointes devant lui.
Surtout depuis que je remarque que Hercule s’est entiché de ma fille, songea-t-il. Ça annonce rien qui vaille.
La prophétesse confirma sa compréhension, puis alluma son feu sacré et invoqua son dieu. Elle ôta son voile, dévoilant une tunique rouge en dessous. Immobile et droite sur son siège, elle était secouée de tremblements incontrôlés, les yeux dans le vague. La prophétesse sut que son dieu lui accordait une vision.
Plusieurs minutes passaient ainsi avant que la femme ne répondit d’une voix pénétrante :
— Votre trône n’est menacé que par l’homme qui se présentera devant vous avec une seule sandale !
Le roi Pélias fronça des sourcils, nerveux et perplexe. Il serra convulsivement son sceptre. Des sueurs froides coulèrent dans son dos. Il balbutia :
— Quoi !? Qui est cet homme ?
La Sibylle, les yeux dans le vague, répéta d’une voix pénétrante :
— Votre trône est menacé par l’homme qui se présentera devant vous avec une seule sandale !
Il soupira en songeant : Un homme avec une seule sandale… Je sais alors ce qui me reste à faire : porter une attention particulière aux pieds de tous ceux qui se présenteront devant moi…
La Sibylle sortit de sa transe quelques minutes plus tard. Elle cligna des yeux plusieurs fois pour s’assurer d’être revenue de sa vision prophétique. Son regard reprit une lueur normale.
Le roi Pélias s’éclaircit la gorge pour ne pas divaguer davantage dans ses pensées puis remercia la femme, qui se retira discrètement. Il ordonna à un garde de faire venir Eurysthée.
Quelques minutes plus tard, Eurysthée, un homme vers la quarantaine dans une tunique bien serrée contre son corps, ses sandales de cuir aux pieds, arriva devant lui, avançant d’un pas assuré. Il était un ancien criminel qu’il avait libéré de prison. En échange de sa liberté, il devait le servir fidèlement. Pélias rapporta à Eurysthée les paroles de la Sibylle et tous les deux s’entendirent pour faire très attention aux pieds des hommes qui se présenteront au palais, afin de bien identifier le prétendant au trône de Thessalie.
***
Quelques heures plus tard, devant le palais du roi Pélias,
Hercule arriva sur son char avec le cadavre du lion. Démosthénès le suivait avec le corps du prince. Et, invisible de tous, l’âme d’Iphitos les accompagnait. Ils revinrent au palais du roi Pélias. Ce dernier, avertit par un messager, les attendait devant les escaliers de son palais, entourés de quelques nobles, des hommes d’un certain âge, vêtus d’une fine tunique de laine brodée or. Tous affichaient une triste mine, affligés comme ils l’étaient de la mort du prince. Le corps de ce dernier gisait sur un brancard, au bout des escaliers, aux pieds du roi.
Le père du défunt dit d’une voix forte :
— La Thessalie a perdu son héritier ! Que la période de deuil commence officiellement aujourd’hui ! Demain, que les jeux funéraires en son honneur soient organisés !
La foule, rassemblée devant les escaliers du palais, éclata en sanglots puis se dispersa quelques minutes plus tard, à la demande de Pélias.
Le roi et les nobles entrèrent dans le palais, tandis que deux gardes emportèrent le brancard à l’écart des curieux.
Hercule s’avança rapidement au-devant du roi et dit d’un ton assuré :
— Basileús Pélias, je peux vous expliquer ce qui s’est passé.
— Venez, ordonna l’interpellé.
Pélias se retourna vers les nobles et les gardes qui le suivaient et dit :
— Laissez-moi seul avec Hercule dans la salle du trône !
Et aussitôt, les hommes partirent chacun de son côté.
Le père d’Iphitos et Hercule se rendirent dans la salle du trône, une grande salle, dont les différents passages vers les autres salles du palais étaient jalousement gardés par des soldats armés d’une lance et d’un bouclier. Au centre de la pièce se trouvait le trône, sur lequel était assis Pélias.
Le héros, debout devant son interlocuteur, expliquait calmement :
— Basileús Pélias, je suis allé affronter le lion de Némée, comme vous me l’avez ordonné.
— Très bien, marmonna le roi.
— Votre fils, Son Altesse Royale Iphitos, m’a sans doute suivi. Il voulait aller lui-même au-devant de moi et l’a même dit d’un ton très insistant. Je lui est conseillé de ne pas se lancer devant un tel monstre et qu’il doit se laisser le temps d’acquérir plus d’expérience dans le maniement des armes… Mais il ne m’a pas écouté et il s’est dirigé vers la bête… qui est soudainement venue et l’a tué…
On dirait un meurtre prémédité camouflé en accident, songea le roi.
— Pourquoi n’avez–vous pas réagi ? questionna Pélias.
Hercule soupira en faisant un geste désespéré des mains, les larmes aux yeux tellement il était affligé en son âme :
— Le lion m’a surpris moi-même, pour être honnête. Il a bondi sur Iphitos… Malgré ma rapidité, le fauve s’est montré plus rapide que moi… Je suis vraiment navré que votre fils soit revenu ainsi…
— C’est vous qui l’avez amené là et maintenant, vous jouez l’innocent ! Quelle audace !
— Pourtant, je vous assure, Basileús Pélias, que j’ai tout fait pour l’empêcher d’aller affronter le lion… Vous saviez que je ne l’aurais pas laissé aller… Il s’est entêté… Je suis seulement désolé de ne pas avoir été plus alerte… Que pouvais-je faire alors ?
— Assez parlé ! fit sèchement le roi. Après la période de deuil, je verrai ce que je ferai !
Le héros baissa les bras et soupira, ne croyant pas à ce qu’il entendait. Un garde s’approcha de lui pour l’inviter gentiment à sortir de la salle du trône. Il ne se fit pas répéter deux fois, non sans avoir jeté un dernier regard au roi, pour le supplier de le croire. Mais Pélias demeura de marbre, le front lisse, les yeux, dont des larmes se pointèrent en leur coin, semblaient fouiller les intentions secrètes de son interlocuteur. Le héros sortit de la salle. Il était déçu de la tournure des événements, ce qui annonçait pour lui de nouvelles épreuves.
***
Pendant cette conversation au palais, dans la maison de Démosthénès.
Mélinda buvait de l’eau pour se remettre de ce qu’elle avait vu à Némée. Son mari s’était absenté car il devait intervenir dans la ville.
Tout à coup, l’âme d’Iphitos apparut devant elle, l’obligeant à déposer sa coupe sur la table devant elle.
Elle l’aborda d’une voix qui se voulait chaleureuse :
— Votre Altesse Royale Iphitos, pourquoi ne voulez-vous pas traverser le Styx ?
Les yeux brillant, il répondit d’un ton courroucé, les mains devenues des poings :
— Je veux me venger !
— De qui ?
— De mon meurtrier ! Hercule !
— En êtes-vous certain ? fit-elle avec prudence, incrédule.
Il me semble que Hercule n’est pas un homme violent, songea-t-elle. Au contraire, il est très gentil avec tout le monde et n’hésite pas à aider ceux en difficulté…
— Oui ! hurla l’âme d’Iphitos.
— Pouvez-vous préciser ?
— Bien sûr ! Il m’a dit de venir avec lui pour vaincre le lion et d’y aller le premier ! Hercule m’a poussé directement dans la gueule du monstre pour ensuite jouer le héros innocent ! Quelle audace ! Quelle hypocrisie !
— Pourtant, à ce que je sache, commenta Mélinda d’une voix assurée, Hercule est un homme qui sauve les opprimés… Je ne comprends pas pourquoi il vous aurait fait un coup si vil… Ceci ne lui ressemble pas du tout…
— Que savez-vous de lui ? répliqua avec hargne le revenant.
— Il est un ami de longue date de mon mari, se défendit-elle.
— Les apparences sont trompeuses !
— Mais pourquoi aurait-il fait un tel acte lâche ?
— Réfléchissez deux secondes ! Pour s’emparer du trône à la mort de mon père ! C’est pourquoi il s’est approché de ma sœur ! Ses perfides intentions sont claires comme le jour !
Ainsi parla le revenant qui disparut aussitôt. La passeuse d’âmes soupira. Elle ne pouvait pas du tout croire que Hercule avait pu éliminer ainsi le prince héritier. Elle se servit une autre coupe d’eau claire pour remettre ses idées en ordre.
Le mieux serait de demander à Hercule sa version des faits, songea-t-elle. En pensant à lui, je doute qu’il soit amoureux de la princesse Iole…
Elle fit bouger par automatisme ses arcades sourcilières de haut en bas.
Tout comme elle ne lui est pas indifférente… On dirait un nouveau couple qui se formera bientôt… Imaginer que cet amour ne serait qu’un plan perfide, ceci ne lui ressemble pas du tout… Pourquoi Son Altesse Royale Iphitos insinue une telle intention ? Par jalousie ? Je ne sais que penser de tout cela…
Mélinda soupira en pensant à sa première rencontre avec Démosthénès. Comme si les pointes des flèches d’Éros les avaient effleuré simultanément. C’était un seul regard et leurs cœurs s’étaient enflammés. Ensuite, c’étaient plusieurs mois de jeu de séduction, de conversations autour d’un verre de vin ou d’eau, des parchemins dans lesquels le jeune docteur déclarait son amour pour elle en des termes très poétiques.
Sans doute qu’il était inspiré par son dieu protecteur, Apollon, se dit-elle, petit sourire nostalgique au coin des lèvres.
L’épouse de Démosthénès toussota pour cesser de divaguer dans ses souvenirs.
Que je revienne sérieusement au cas d’Iphitos… Ce serait, selon ses propos, Hercule qui l’aurait incité à aller devant le lion ?... Pourtant, il est trop altruiste pour faire un acte si bas… Et si Iphitos mentait pour je ne sais quelle obscure raison ? Ah ! Hermès, aidez-moi ! Que je sache la vérité !
Elle sortit de ses pensées par l’arrivée de son mari. Ce dernier, un homme costaud aux yeux bleus, lui sourit gentiment. Remarquant le front plissé de Mélinda, il s’assit sur un klismos et murmura d’une voix douce :
— Mon amour, qu’est-ce qui t’inquiète ?
Elle soupira pour toute réponse et répondit d’un air exaspéré :
— L’âme d’Iphitos…
— Le prince qui est… mort ?
— Oui…
Et elle lui résuma les propos de l’esprit, puis ses réflexions.
Démosthénès murmura d’une voix chaleureuse après un long silence :
— Le plus simple serait de demander à Hercule… Et au Basileús Pélias…
— Pourquoi ? Comme s’il savait ce qui s’était passé ?
— Peut-être, fit-il en haussant les épaules. On ne le sait jamais… Au cas où c’était le basileús Pélias qui avait ordonné à ce que son fils soit présent…
— Ouais… Tu as peut-être raison… murmura-t-elle d’une voix songeuse.
— Ma chérie, laisse-moi demander au Basileús Pélias… Je suis plus à l’aise que toi à l’aborder…
Elle approuva silencieusement. Il l’embrassa furtivement sur les lèvres puis ajouta :
— Dans tous les cas, on se tiendra au courant !
— Oui…
Le médecin enlaça tendrement sa femme puis sortit de sa maison pour se rendre au palais.
***
Devant le palais du roi Pélias,
Démosthénès vit son ami Hercule sortir. Il l’apostropha :
— Hercule ! Que faisais-tu au palais du Basileús Pélias ?
— Je lui expliquai ce qui s’était passé.
— Et alors ?
L’ami du médecin soupira, puis murmura :
— Il insinue que je suis responsable de la mort de son fils Iphitos…
— C’est justement de lui que ma femme, Mélinda, voudrait te parler.
— Pourquoi ?
— Parce qu’elle a discuté avec l’âme du prince…
— Je comprends…
— Tu peux passer librement chez moi… Tu n’auras qu’à te faire annoncer par un serviteur. Dépêche-toi avant que Mélinda ne commence à te chercher partout !
— D’accord ! J’arrive à l’instant !
Et Hercule s’éloigna du médecin pour se rendre au plus vite dans la maison de celui-ci. Démosthénès, lui, se fit annoncer par un garde auprès du roi. Quelques minutes plus tard, le garde, un homme d’à peu près son âge, mais plus musclé, vêtu d’une armure d’or qui brillait par la réflexion des rayons solaires, lui dit que le Basileús Pélias était prêt à le recevoir dans la salle du trône. Démosthénès le remercia d’un signe de tête, trop perdu à retourner en son for intérieur la manière de formuler son propos. En entrant dans le palais, il ne prêta point attention aux fresques murales en or et céramique. Le médecin, lueur de détermination dans ses yeux clairs, arriva enfin dans la salle du trône, dont en son centre se trouvait Pélias. Ce dernier fixait le nouveau venu d’un air sévère, en serrant son sceptre doré dans sa main droite. Démosthénès ne se laissa pas intimider par le roi et il supporta son regard. Il s’inclina devant lui.
Pélias demanda d’un ton autoritaire :
— Démosthénès de Cos, quelle est la raison de votre venue ?
— Basileús Pélias, répondit calmement le médecin sans sourciller, je voudrais savoir comment Votre Altesse Royale Iphitos…
Son interlocuteur l’interrompit par un geste brusque des mains, puis cria d’une voix rauque :
— C’est assez ! Déjà, il est défunt ! Et que voulez-vous savoir ? Tout est clair comme le jour ! C’est sans doute Hercule qui l’a poussé dans la gueule du lion !
Le médecin protesta d’un air assuré :
— Basileús Pélias, ce n’est pas pour la circonstance de la mort de votre fils que je suis venu, mais pour savoir ce qui s’était passé avant.
Le roi se tut, en essuyant prestement quelques larmes qui coulaient sur ses joues. Il demeurait silencieux pendant quelques minutes, le temps de se ressaisir.
Son interlocuteur reprit avec un triste sourire, ses paupières baissées, ses mains tremblantes :
— Je comprends très bien qu’il est difficile de prendre son enfant…
— Très douloureux, en effet… c’est mon pauvre cœur de père qui est brisé…
— Je suis navré…
— Ne le soyez pas, puisque vous n’êtes pas fautif…
Après un long silence, Démosthénès toussota pour se ressaisir puis reprit d’une voix neutre : — Je voudrais savoir si le prince, Son Altesse Royale Iphitos, a accompagné Hercule car telle a été sa volonté ou non.
— Oui, répondit brièvement Pélias. Il a décidé de son propre chef à suivre Hercule.
— Vous ne lui avez pas obligé d’être présent ?
— Je n’oblige rien à mon fils, hormis d’être à la hauteur pour me succéder au trône.
— Merci de votre réponse, Basileús Pélias, conclut le médecin en s’inclinant respectueusement devant lui.
— Vous pouvez vous retirer, Docteur Démosthénès de Cos.
L’homme sortit du palais, accompagné par un garde.
***
Dans la maison de Démosthénès,
Mélinda se dirigea vers la porte d’entrée, où elle vit un serviteur accourir vers elle.
Il s’exclama d’une voix haletante :
— Madame, Hercule de Thèbes est là !
— Il arrive à point nommé ! lâcha-t-elle involontairement.
— Pourquoi, vous le cherchez ? questionna le serviteur.
— Dites-le de venir et retirez-vous immédiatement… Ce ne sont pas vos affaires ! dit sèchement l’épouse de Démosthénès.
Le serviteur s’inclina, puis s’éloigna d’elle, laissant passer Hercule. Les deux amis se saluèrent, puis la femme expliqua ce qu’elle voulait savoir. Le héros répéta le même récit qu’il a fait auparavant au roi. À la seule différence que Mélinda se montrait moins sceptique et plus compréhensive. Après la conversation, Hercule quitta d’un pas léger la maison de Démosthénès.
Le médecin revint chez lui, où il résuma à son épouse les conclusions auxquelles il réfléchissait depuis qu’il eut quitté le palais : le prince Iphitos a décidé, sans que personne ne l’oblige, à suivre Hercule. Mélinda, elle, résuma sa conversation avec leur ami.
Démosthénès, après un long silence, conclut :
— Mél, on dirait que Herc y est pour rien dans la mort d’Iphitos…
— C’est ce que je me dis aussi, approuva-t-elle.
Elle soupira puis ajouta :
— Alors, pourquoi l’accuse-t-il d’être responsable de sa mort ?
— Peut-être par jalousie.
— Ça fait du sens…
— Peut-être parce qu’il n’apprécie pas les sentiments de Herc pour Iole, car il le voit comme un prétendant au trône… On ne le sait jamais…
Mélinda manifesta sa compréhension d’un mouvement de tête, puis s’exclama d’une voix gémissante :
— Comment le convaincre de partie dans l’Hadès ? Comment réaliser sa dernière volonté ?
— Quelle est cette volonté ? De « se venger » de Hercule, alors qu’il n’est pas du tout coupable ? Mais ça ne fait aucun sens !
— Je ne sais pas quoi faire, Démosthénès. Cette histoire me dépasse…
— Ne doute pas de toi ! l’encouragea son époux en l’enlaçant tendrement.
— Mais cette âme semble très… entêtée…
— Mél, laisse-lui le temps de réaliser sa condition. Tu sais toi-même qu’il ne sert à rien de précipiter les choses…
— C’est vrai… Ainsi dit, tu as raison… Pourtant, ça ne change pas à l’impression d’un mauvais coup de sa part…
— Cesse de t’inquiéter et tout ira mieux ! la rassura Démosthénès d’un air chaleureux.
Elle l’embrassa sur ses lèvres en pensant Tu es toujours aussi génial !
Son époux rendit son bisou. La médium ne remarqua que derrière elle, Iphitos la regardait, petit sourire narquois aux lèvres.