Conquête de planète

Chapitre 1 : Conquête de planète

Chapitre final

8643 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/12/2023 15:29

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions.fr, Perdu dans l’espace (mai à juin 2023)



Conquête de planète



Godefroy de Montmirail, un grand homme du Moyen-Âge de trente ans, aux traits délicats et à l’air bienveillant, revêtu de son imposante armure aux armes de la famille, casque de fer sur la tête, cotte de mailles sur le corps, tient dans sa main droite une fiole contenant la potion de Ferdinand Eusèbe — un médium-guérisseur et para-psychologue, lointain descendant du mage enchanteur de mon époque, Eusæbius —, récupérée un peu plus tôt dans la journée. Il maîtrise Jacques-Henri Jacquart accoutré des vêtements de Jacquouille la Fripouille — le premier est le descendant moderne du second, écuyer de Godefroy — , dans une grande chambre. Richement décorée d’un portait de Godefroy de Montmirail dans un cadre doré, un lit spacieux pour un couple avec des décorations dans le style de la Renaissance, des lampes électriques qui imitent des torches dans le style du règne de Louis XIV et deux tables de chevet en bois plaquées or dans le style de la Restauration, la salle est très accueillante pour un petit somme.

Se retournant vers sa lointaine descendance, Béatrice, une élégante brunette trentenaire, présente dans la pièce, il lui murmure :

— Ma petite-petite-petite-filleule, je suys prêt à revenir à mon époque. Je suys très ému de devoir vous quitter. Ce fut une joie de vous voir. Au revoir.

Jacques-Henri Jacquart, un petit homme trentenaire plutôt obèse au regard vif, se débat, refusant de boire la potion, mais le chevalier du Moyen-Âge le maîtrise aisément et le force à boire jusqu’à la dernière goutte du verre la potion bleuâtre encore fumante et peu appétissante. Le descendant de Jacquouille la Fripouille disparaît de la chambre et, à sa place, apparaît un amoncellement de selles.

— Bon retour au Moyen-Âge, illustre ancêtre, premier Comte des Montmirail. Pour moi aussi, ce fut un plaisir, malgré l’incompréhension au début, de vous avoir comme invité.

— Au revoir, Béatrice.

Godefroy, sourire ému sur son austère visage, incline respectueusement sa tête en direction de sa lointaine descendante et s’éloigne d’elle. Assis sur le bord du lit, il prend l’autre coupe fumante et boit d’un trait la potion. Il disparaît dans un faisceau de cristal et de pierres précieuses.



Un peu plus tard, ouvrant les yeux, Godefroy s’attend à revoir un paysage familier : son château, sa bien-aimée Frénégonde de Pouille et son beau-père, mais rien de tel. Étonné, il tourne la tête à gauche et à droite, distinguant son écuyer non loin de lui. Il s’approche de ce dernier, le secoue violemment — le réveillant — et lui ordonne :

— Jacquouille la Fripouille, levez-vous ! Partez en mission d’observation ! Usez de votre flair ! Le paysage m’est absolument inconnu. Où sommes-nous arrivé ?

Jacques-Henri Jacquart, sortant des bras de Morphée, l'interroge :

— Mais, Hubert de Montmirail, de quoi parlez-vous ? …

Il se frotte les yeux et s’étire, puis réalise où il est.

— ... Je ne suis pas votre serviteur, ni votre chien pour obéir à vos mots ! éructe-t-il, très énervé. Je suis le propriétaire du Château devenu hôtel ! Un peu de respect. D’ailleurs, je ne suis pas Jacquouille la Fripouille ! Je suis…

— Taisez-vous, manant ! Observez les environs ! hurle-t-il en tournant son regard à gauche et à droite. Ne voyez-vous pas que la terre est différente, les arbres absents et l’architecture différente ? Ce n’est pas mon château, ni mes terres ce paysage.

Tournant sa tête à gauche et à droite, il remarque un désert ponctué de collines à perte de vue, aucun signe de vie humaine, de feu ou de fumée au loin, pas même des traces de pas ou des sentiers improvisés, aucun chant d’oiseau au-dessus de leur tête, uniquement un soleil brillant dans toute sa gloire, laissant les deux hommes encore plus assoiffés qu’à leur arrivée. Le descendant de l’écuyer est tout aussi perplexe que l’homme du Moyen-Âge et murmure pour lui-même :

— Ce fou à raison, le paysage est différent, ce n’est pas ma France, ce n’est pas Parnans-sous-Montmirail, ni Montmirail, ni Paris, ce n’est pas un monde civilisé connu… Où sommes-nous atterris ? Dans le désert du Sahara ? Mais qu’est-ce que c’est que ce binz ? Une mauvaise farce ? Un film en tournage ?

Soudain, les deux hommes entendent faiblement, puis de plus en plus distinctement, un chant militaire qui rythme la cadence d’un groupe :


« On va conquérir la planète 

мы победим планету »*


— Qu’est-ce que ce bruit ? s’étonne le chevalier, mine inquiète à l’idée d’affronter à lui tout seul une armée.

Haussant les épaules, l’autre lui réplique :

— Pour être honnête, j’ignore, mais ce ne doit pas être bon. Un chant à l’air belliqueux n’est guère bon pour nous. Avançons doucement pour ne pas effrayer ces hommes. Ou plutôt passons inaperçu…

— Mais ayons nos armes près de nous, en cas de nécessité, ordonne Godefroy.

Ce dernier s’agenouille sur la sombre terre stérile, se signe et murmure une prière :

— Que Notre Seigneur Dieu nous aide dans l’épreuve et nous donne la victoire sur ces Maures et sur ces inconnus. Qu’Il nous aide dans notre situation désespérée, Amen.

Il se relève et s’approche du bruit, remarquant l’architecture bizarre des demeures qui apparaissent sous leurs yeux étonnés : toutes étaient ovales et flottantes, aucune fondations. La route même est étrange, ni un sentier en terre battue, ni un autoroute, ni un trottoir, ni une indication de signalisation… Ou plutôt ces signaux routiers sont dans les airs, défiant les lois de la gravité.

Les deux voyageurs du temps prennent une petite route en retrait pour mieux observer les individus qui chantent, un groupe de cent êtres qui marchent en cadence, une unité d’armée :


« Conquête de planète, 

Pas de plan sur comète 

Attaquer le capital a capella 

Niet, niet. »*

Et le refrain répété trois fois en chœur :

« Vamos a conquistar el mundo

On va conquérir la planète 

мы победим планету

ونحن سوف قهر الكوكب »*


Jacques-Henri Jacquart analyse avec méfiance les nouveaux venus : des êtres vêtus de gris rachitiques et grands aux yeux noirs, d’une noirceur indescriptible, comme la nuit pense-t-il, chauve et au crâne déformé, oblong. Des extraterrestres ? pense-t-il. Impossible ! Peut-être viennent-ils d’atterrir au milieu du tournage d’un film d’extraterrestre de bonne qualité ? Hypothèse à ne pas rejeter… Mais comment se sortir du lieu de tournage, rencontrer le directeur et le régisseur ? pense l’homme des temps modernes, fort perdu.

Godefroy, lui, en voyant cette armée étrange, murmure :

— Démons, arrière ! Créatures sorties directement de l’Enfer ! J’ai bien bravement combattu des hommes vêtus de noir avant que ma descendante me reconnaisse dans cet endroit bizarre avec des hommes aux airs de médecins et de mages accoutrés de blanc se camouflant avec les murs… Que Dieu m’assiste dans ma foi inébranlable. Montjoie ! Saint Denis ! ... Dieu le veut ! Que trépasse si je fayblis.

Au moment où il se lève et se précipite vers l’unité dans la ferme intention de les attaquer, épée dégainée, bouclier devant lui, le descendant de son écuyer se jette sur lui, l’immobilisant dans sa chute, malgré qu’il se blesse en tombant. Ce geste étonne le chevalier qui essaie de se libérer, mais en vain. Il lui lance :

— Jacquouille, quelle mouche vous a piqué pour me terrasser ainsi alors que nostre foi est à l’épreuve ? Nous devons combattre ces démons ! Ne voyez-vous pas à quoi ils ressemblent ! Des suppôts de Satan en personne, des Anges déchus ! Une épreuve pour nos âmes et nostre fidélité envers Dieu. Nous avons bien vaincu des sorcières…

— Êtes-vous fou, Hubert de Montmirail ?

— Je ne suis point Hubert, mais Godefroy Amaury De Malfète, dit le Hardi, comte de Montmirail, d'Apromont et de Papimcourt, fils d'Aldebert de Malfète et de Thibaude de Montfaucon, brave serviteur de notre roy Louis VI, dit le Gros, premier de ma famille à porter le titre de comte, s’offusque-t-il, relevant dignement sa tête casquée, lueur de fierté dans ses sombres yeux.

— Ok ! Pas plus vous êtes Hubert de Montmirail que je suis Jacquouille la Fripouille. Je suis Jacques-Henri Jacquart ! s’énerve-t-il.

Au tour de l’autre homme de le regarder bizarrement. Libéré des bras de l’autre, il rengaine son épée et murmure :

— D’accord… Je ne vais pas les attaquer, maintenant. Observez-les. Approchons-nous d’eux doucement, ils n’ont pas l’air très avenant…

— Effectivement, confirme l’autre. Alors que faisons-nous ? On ne reste pas les bras croisés… J’ai faim d’ailleurs.

Se relevant et réajustant son armure et son casque, Godefroy, sourire aux lèvres forcé pour camoufler son inquiétude, après une courte prière, annonce sérieusement à son compagnon d’infortune :

— Nous commencerons par dénicher quelque chose qui ressemble à de la nourriture. Allons-y !



Les deux Visiteurs déambulent dans les « rues » de la ville, tout en prenant le soin d’éviter l’unité militaire qui les sillonne. Ils longent les maisons ovales et volantes à la recherche de nourriture pendant quelques minutes qui semblent des heures pour eux. Godefroy soupire et éructe :

— Que le Christ et Nostre Seigneur nous prennent en pitié ! Dans quel pays sommes-nous arrivé où les arbres sont inexistants et les maisons bizarres, sans nourriture à l’horizon ! Même en arrivant à vostre époque, en 1993, j’étois moins dépaysé !

— Je suis d’accord avec vous, Godefroy de Montmirail… Je dois reconnaître que mes connaissances sont vaines en ce lieu étrange… Moi, j’ai l’impression qu’on vient d’arriver en plein tournage d’un film d’extraterrestres…

— Que voulez-vous dire par ces diableries ? Je comprends plutôt que nous avons affaire à un tour démoniaque de sorcières !

— Je m’explique, soupire, exaspéré Jacques-Henri Jacquart. Le cinéma existe depuis 1895, ce n’est pas une nouveauté. Et il n’y a rien de magique ou de démoniaque, ils sont des comédiens déguisés en extraterrestres.

Godefroy demeure incrédule de l’affirmation du descendant de son écuyer. Penchant sa tête de côté, il observe celui-ci attentivement pour déceler un sourire malin, indiquant une supercherie de sa part, mais en vain, il est sérieux. Le Comte analyse les environs et le sol. La terre est brune, mais rien ne pousse, hormis, parsemées par-ci et par-là, quelques plantes étranges aux larges feuilles. Méfiants, les deux hommes détaillent l’une d’elles. Une plante géante de deux mètres, aux feuilles qui pourraient servir de parapluie, à la tige épineuse et à la fleur jaune.

— Qu’est-ce que cette plante ? interroge, intrigué Godefroy.

— Aucune idée, réplique immédiatement l’autre. J’espère qu’elle n’est pas carnivore ou vénéneuse.

— Comment pouvons-nous le savoir ?

Les deux hommes s’entr’observent, perplexes, mais aussi réticents à prendre une feuille, un pétale ou une racine et le goûter, surtout à l’idée de mourir dans d’affreuse souffrance.

Soudain, vêtu d’une élégante robe richement décorée, le front ceint d’une couronne d’or sertie de pierres précieuses, cachant ses cheveux de jais, air solennel au visage, un extraterrestre très humanoïde avec la seule particularité d’avoir des oreilles pointues et des yeux bleu ciel trop brillants pour l’homme, s’approche des Visiteurs, les ignore et cueille une feuille de la plante en murmurant des paroles en une langue inconnue d’eux. Godefroy, suivi de Jacques-Henri, espionne le mystérieux prêtre. Ce dernier arrive devant une maison ovale gigantesque et élève la feuille pour qu’elle reflète les rayons du soleil, murmurant des paroles en cette même langue inconnue, clairement un rituel. Godefroy, caché par une plante géante non loin de la maison, s’agite et informe son compagnon :

— Nous assistons à un rituel satanique ! Il me rappelle la sorcière de Malcombe que j’ai capturée… Il faut l’interrompre dans son sombre rituel démoniaque et satanique. Il faut arrêter le sorcier. Allons-y !

— Êtes-vous cinglé, complètement dingue, sans raison ? s’offusque Jacques-Henri en le retenant par le bras.

— Pourquoi ? s’étonne-t-il.

— Vous pourrez fâcher l’étrange créature.

— Pourquoi devrai-je m’en soucier ? Dieu est de mon côté, ma foi est à l’épreuve ! Il faut occire le mal sans pitié ! Le bouter de notre chemin ! Ne sommes-nous pas des preux hommes ?

— Comment allons-nous revenir chez nous ? interroge-t-il le Comte en tournant la tête de chaque côté. Ici, nous sommes dans un monde inconnu qui ne correspond à rien, mais strictement à rien, à quelque chose de vaguement familier pour nous. Comment pensez-vous revenir dans un monde que l’un de nous connaît, si nous offusquons la population locale ? Vous imaginez-vous mourir dans ce sinistre endroit inconnu ?

La question est accueillie par un silence. Chacun réfléchit à la question et aux meilleurs moyens pour se sortir de leur étrange situation, mais personne ne trouve de solution satisfaisante.


Au moment où Godefroy voulut sortir de sa cachette et affronter le sorcier, il entend un bruit sourd d’agitation du feuillage, puis des pas. Pris de panique à l’idée d’être découvert, le Comte dégaine son épée pour tomber nez-à-nez avec le sorcier. Jacques-Henri sursaute de peur, recule de plusieurs pas en arrière, protégeant son corps de toute attaque en se cachant derrière le Comte. Le prêtre les fixe de ses yeux bleus inexpressifs sans dire un mot. Le chevalier murmure :

— Montjoie ! Saint Denis ! ... Dieu le veut ! Que trépasse si je fayblis. Je ne peux capituler devant un sorcier.

L’étrange prêtre ouvre la bouche pour demander en ancien français, avant tout mouvement de Godefroy :

— Messieurs les terriens, que faites-vous ici sur notre planète-mère ? Vous êtes ici depuis trois jours.

— Nous ignorons, répond avec un sourire forcé et affable le descendant de Jacquouille la Fripouille, comment nous sommes arrivés sur votre planète… ou plutôt sur votre plateau de tournage.

— Terrien, ne fâchez pas notre Dieu en nous traitant d’irréel ! s’offusque le prêtre. Sinon, vous goûterez l’ire divine et ma propre colère.

— Dites-nous, sorcier, où sommes-nous ? Quel est le nom de vostre peuple ? En quelle année sommes-nous ? Dans le passé, dans le présent ou dans le futur ? Je suis tout confus… Et je pense que rien n’est impossible.

— Vous êtes sur la planète Al Bahir, La Brillante. Nous, les Bahirciens, sommes les habitants de cette planète. Nous connaissons l’existence des habitants de Gaïa, que vous appelez la Terre. Mes compatriotes vous méprisent profondément, vous considérant comme une sous-espèce, mais il y a d’autres semblables, sur d’autres planètes, qui vous haïssent et vous jugent digne cobaye de leur technologie très avancée. Vous êtes très chanceux de tomber sur moi. J’ai une sympathie limitée pour les hommes. Mais n’exagérez pas dans votre comportement ! Sinon, nous sommes en l’an 5787 de notre calendrier, c’est-à-dire… en l’an 2023 après Jésus-Christ. Aussi, je suis Eidi Farzhai, prêtre de Zerach, notre Dieu le Très-Haut.

— Attendez, commente, abasourdi, Jacques-Henri, nous sommes alors dans le futur ! Mon époque est l’an 1993 !

— Une visite encore plus particulière du futur, commente amèrement le chevalier, se souvenant sa première confrontation avec l’époque de sa petite-petite-petite-filleule. Époque qu’il trouve bien bizarre.

— Je le sais que vous êtes des hommes du passé, ajoute le Bahircien, sourire énigmatique aux lèvres. Votre langage et vos manières trahissent votre temps. 

Les deux Voyageurs opinent du chef, perplexes et confus de la réponse, conscients qu’ils ne peuvent refuser une aide inespérée, tout étrange qu’elle paraisse à leurs yeux. Le prêtre les invite dans sa maison volante en la descendant à leur niveau pour qu’ils puissent entrer à pied.


Au seuil de la maisonnée, Godefroy murmure une prière de remerciement à Dieu de les aider dans leur difficile situation. Jacques-Henri ne sait pas trop comment revenir de la planète Al Bahir, qui peut être éloignée Dieu sait de combien années-lumières de la Terre, à son époque sur Terre. Godefroy détaille l’intérieur du vaisseau spatial qui fait office de maison, tout aussi étrange pour lui que la télévision et le téléphone de 1993. L’intérieur est très bien ordonné, simple et sobre. Les murs sont blancs ou beiges avec des grandes fenêtres et des portes automatiques en fer. Les seuls meubles sont une table, des chaises et des étranges boîtes métalliques qui traînent un peu partout les unes sur les autres.

Godefroy remarque que leur amphitryon n’est pas seul, il a femme et enfants à la maison. Le Comte les salue, malgré leurs étranges yeux bleus brillants qui le gênent. Jacques-Henri, dégoûté des yeux étranges de la famille, ne peut cacher une moue de dédain pendant quelques secondes, puis demande poliment à l’extraterrestre :

— Monsieur le Bahircien, je suis affamé, mais j’ignore quoi manger, je ne vois aucun frigo dans votre maison.

— Le frigo, comme vous l’appelez, est à votre gauche. Il a une grande porte métallique avec une seule poignée, répond Eidi Farzhai, amusé, se retenant pour ne pas rire. 

— Merci.

Et Jacques-Henri se dirige vers le réfrigérateur pour trouver de quoi se nourrir et déniche des boîtes diverses avec des caractères dans une langue inconnue. Boîtes qui lui rappelle les conserves de son époque. Godefroy, toujours aussi méfiant, d’un geste de la main, ordonne à l’autre de prendre une bouchée de la nourriture. Il lance un regard interrogateur au prêtre qui répond :

— Nourrissez-vous librement. Dans cette boîte, il y a des fruits, des légumes et des viandes licites.

— Euh… Pourtant, commente Jacques-Henri, éberlué, je n’ai remarqué aucun champ dans les environs…

— Normal, soupire-t-il, ennuyé d’expliquer ce qui est une évidence, les champs sont à une année-lumière de notre planète.

Les yeux de Jacques-Henri s’agrandissent d’étonnement, connaissant vaguement les terminologies astronomiques pour savoir que la distance est inconcevable pour lui; les yeux de Godefroy expriment une méfiance de l’information entendue qui est synonyme de discours obscur couplé à un tour de magie des sorciers et, simultanément, une confiance digne d’un chevalier de son époque. Arme à la main, bouclier dans l’autre main, ne bougeant pas d’un pas de toute la conversation, il lance :

— Étranger, vostre nourriture licite ne nous tuera-t-elle pas ? De quoi est-elle composée exactement ?

— D’épinards, de pommes de terre en robe de chambre, de brioches, d’un morceau de vache et d’un morceau de dorade.

— Délicieux ! bave le descendant de Jacquouille, ouvrant empressement la conserve pour se goinfrer de la nourriture.

— Le manant ! s’offusque Godefroy à Jacques-Henri. Vous n’avez aucune manière ! Vous êtes indigne d’être à table. Mangez à terre même.

La bouche encore pleine, se ravisant d’avaler encore une autre bouchée, il réplique :

— Mais… vous ne pouvez pas me traiter comme un chien ! Je mange à table, comme tout le monde ! N’est-ce pas monsieur l’extraterrestre ?

— Je suis bien d’accord avec le Comte, affirme Eidi Farzhai, exaspéré du manque de bienséance du descendant de Jacquouille la Fripouille. Votre comportement n’est guère digne d’un homme, mais d’une bête.

Sur ces paroles, extraterrestres et hommes mangent en silence, Jacques-Henri assis par terre, maugréant.


Soudain une chanson filtre par les fenêtres entr’ouvertes jusqu’aux oreilles des deux Visiteurs :


« Conquête de planète, 

Pas de plan sur comète 

Attaquer le capital a capella 

Niet, niet. »*

Et le refrain répété trois fois en chœur :

« Vamos a conquistar el mundo

On va conquérir la planète 

мы победим планету

ونحن سوف قهر الكوكب »*


Ils cessent de manger, Jacques-Henri, ne sachant que faire, fixe, terrorisé, la porte; Godefroy, priant brièvement Dieu de l’assister dans la bataille, se lève, prêt à combattre l’ennemi si nécessaire. Le prêtre leur fait signe de rester calme et s’éclipse pendant quelques secondes pour élever la maison dans les airs. Ce mouvement brusque donne un haut-le-cœur à Godefroy, absolument étranger au avion. Jacques-Henri l’assiste, néanmoins inquiet qu’il vomisse son repas sur la belle nappe blanche.

Eidi Farzhai, de retour du centre de commande, sourit amicalement aux hommes et sort de la maison, lévitant, pour rencontrer le groupe militaire. Les deux Visiteurs observent l’extérieur depuis une fenêtre, trop curieux. La discussion entre leur amphitryon et les autres devient très animée, voire s’envenime. Une voix féminine, douce, mais puissante et autoritaire, ordonne :

— Messieurs, ne restez pas stupidement à la fenêtre, cachez-vous. Venez dans un coin de la salle de contrôle et ne touchez à rien. Dépêchez-vous !

Sursautant de peur, se frappant la tête contre la vitre, ils se retournent et suivent docilement l’extraterrestre féminine, malgré qu’ils se défient du conseil d’Anna Farzhai, l’épouse du prêtre, et de la mystérieuse salle de contrôle.


Arrivés dans la salle de contrôle, les deux hommes constatent que l’épouse du prêtre s’est éclipsée, les enfermant dans la petite salle contiguë au salon par un passage à peine visible. Godefroy soupire et promène son regard dans la pièce. Une chaise confortable trône au milieu d’une immense table remplie de boutons colorés, une sorte de fenêtre est en face de la chaise, présentant des chiffres, des mots absolument incompréhensibles pour lui et des images de planètes, images qui se succèdent rapidement. Dans un coin, il remarque une boîte en or à côté d’une en argent. S’approchant de la dorée, alors que Jacques-Henri colle ses oreilles contre la porte pour essayer de capter la conversation, Godefroy pousse un glapissement d’effroi, ressentant une chaleur sortir de sa bague… Lâchant précipitamment la boîte, il se signe et murmure :

— Le comportement de ma chevalière me rappelle lorsque j’étois venu la récupérer à mon château, dans vostre partie consacrée à l’exposition… Ce que vous appelez un musée… Très bizarre ! La bague ne peut être ici et là-bas m’avait dit ma petite-petite-petite-filleule à l’époque… Comment la même sensation peut être présente alors ? Est-il mieux ne point fouiller cette boîte ? Répondez-moi !

— Euh… Je ne saurai vous le dire, bredouille-t-il.

— Je ne l’ouvrirai point, se décide le Comte, déposant la mystérieuse boîte à sa place. Sinon, parvenez-vous à entendre ce qui se dit à l’extérieur ?

— Rien, messire.

Les deux Visiteurs attendent que quelqu’un les délivre de la salle de contrôle. Godefroy, assis sur la chaise, observant minutieusement l’écran de contrôle avec méfiance, comme s’il se trouve en présence d’un tour de sorcellerie, ne cesse de se signer et de prier le Seigneur. Jacques-Henri, lui, est couché par terre, analysant les deux boîtes. Curieux, il ouvre la boîte d’argent décorée d’étranges arabesques et des inscriptions en une langue inconnue et disparaît de la salle. Le Comte est perplexe, refermant la boîte vide. 


Une heure plus tard, Eidi Farzhai revient dans la salle de contrôle et demande à Godefroy :

— Noble Comte, pouvez-vous m’informer où est le descendant de vostre escuyer ? Je ne le vois point.

— L’impudent à ouvert la boîte d’argent et a disparu.

Le prêtre regarde brièvement la boîte, blêmit et murmure :

— Malheureux ! Pourquoi n’ai-je pas détruit ce maudit coffre ? se lamente le prêtre. Que Dieu ait pitié de lui. Il est maintenant un cobaye dans l’unité spéciale Gaïa attaque ! Ces mécréants sans foi, qu’ils brûlent en Enfer pour l’Éternité ! Amin

— L’unité spéciale, est-ce les sorciers gris qui chantaient un air de guerre ?

— Oui, Godefroy de Montmirail.

— Qu’allons-nous faire ?

— J’ignore… Mais nous ne pouvons point rester assis alors que nostre planète est en danger.

Chacun prie son Dieu de l’aider dans leur situation. L’extraterrestre fixe la main droite de l’homme, main où il porte sa chevalière, et lui murmure :

— Vous êtes ainsi nostre mystérieux Voyageur de Gaïa, de la planète Terre… Je vous ai attendu pendant dix ans.

Godefroy lui lance un regard interrogateur, ne comprenant rien.

— Laissez-moi ouvrir la boîte d’or devant vous, j’aurai la confirmation de mon idée…


Eidi Farzhai prend avec beaucoup de précaution la boîte et l’ouvre doucement. Godefroy agite sa main droite et se débarrasse de sa chevalière enflammée, promenant son regard entre sa bague et la boîte, craignant une fusion imminente de l’objet dans la boîte avec sa bague.

En l’ouvrant complètement, une bague d’or, exacte copie de sa chevalière, sort, rapidement comme la lumière, pour fusionner avec sa bague. De cette fusion, le plafond de la salle de contrôle est orné d’un trou de quelques centimètres par lequel la chevalière retombe aux pieds du Comte. Le prêtre murmure un vague alléluia à son Dieu et annonce joyeux :

— Godefroy de Montmirail, vous êtes l’homme que j’attendais ! Vous m’aiderez à délivrer notre planète, Al Bahir, de l’oppression, continue-t-il sérieux. Une guerre inter-planétaire est déclarée depuis un mois avec la ténébreuse planète Al Zalam, La Sombre, alliée de la planète Pluton dans votre système solaire. Et l’unité militaire Gaïa attaque ! est composée des habitants de cette sombre planète, semant la terreur sur la nôtre. Heureusement, ils ont peur de moi et me vouent un minimum de respect.

Le Comte le fixe, étonné et incrédule.

— Dois-je croire à toutes vos diableries, mage ? 

— Je ne vous dis que la vérité ! s’offusque le prêtre, moue mécontente qui déforme son visage, lueur de colère brève dans son regard. Et vous avez intérêt à me croire si vous voulez revenir sur Gaïa, la Terre, et retrouver l’autre Terrien. 

— D’accord, mais ce ne serait pas passer un pacte avec Satan que de collaborer avec vous, murmure à mi-voix l’homme, incrédule et très méfiant, dégainant son épée.

— Non, monsieur. Je ne travaille pas avec le Mal lui-même, que Dieu m’en protège ! s’exclame-t-il. 

Murmurant une courte prière, relevant sa fière tête casquée, il conclut :

— Que Dieu m’assiste et nous assiste dans notre combat, mais avant, passez le Jugement de Dieu, ou ordalie, comme il est d’usage chez nous**.

— Très bien, je vais me plier à votre exigence, soupire le prêtre, ne voulant aucunement s’entêter avec l’homme du Moyen-Âge.

Et le prêtre prend une feuille de la plante qu’il a portée au soleil, murmure des paroles incompréhensibles, donne une plume au Comte et le laisse prier Dieu et écrire les imprécations qu’il passe à l’eau, la rendant amère. Il lui donne cette mixture à boire.

— Eidi Farzhai, noble seigneur, je vous donne cette coupe remplie des pires imprécations destinées au menteur et à celui qui a une pensée fourbe. Que Dieu soit témoin de la pureté de nos intentions. Vous voulez uniquement que je vous assiste, je ne sais comment, pour combattre vos ennemis, j’accepte; je veux seulement retrouvé Jacquouille la Fripouille… non, Jacques-Henri Jacquart a-t-il dit, revenir sur ma planète, dans mon pays, la terre très chrétienne qu’est la France, à mon époque… Retrouvez un mage qui me permettra de revenir à mon époque une fois que je vous aurais aidé. Que celui qui ment ou entretient de pensée fourbe soit puni par Dieu en mourant comme les imprécations écrites le mentionnent. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, Amen. Que Ta volonté soit faite, se réalise et se manifeste, Amen.

Les deux êtres vivants boivent d’un trait leur coupe respective, chacun confiant en son Dieu et en la pureté de leur intention. Chacun se fixe pendant quelques minutes, constatant aucun changement, ils concluent que l’autre est honnête et digne de confiance. Godefroy s’avance vers le prêtre, lui tendant sa main droite pour la serrer en signe de paix et d’entente; l’autre l’accepte, lui annonce :

— Excellent, noble seigneur d’être ainsi honnête et pur. Dieu nous en ait témoin ! Ainsi, expliquez-moi comment à nous deux, voire à nous trois si nous retrouvons le descendant de mon escuyer avant les combats, nous pouvons combattre une armée complète ?

Sourire énigmatique, le prêtre murmure :

— J’ai un plan d’attaque fou, presque suicidaire si nous ratons le coup, mais il est l’unique option. Mon plan est de surprendre ces mécréants par la prière et la lumière de Dieu. Mon cousin d’Atlantide, un prêtre dévoué à Dieu et voyant, m’avait conseillé de combattre l’armée ennemie non pas avec la technologie, mais avec la foi inébranlable en Dieu et la Lumière, le Soleil. Al Bahir possède la plus puissante arme de destruction inimaginable dans l’univers baptisée Armaggedon, capable de détruire toute vie sur une planète en moins d’une révolution planétaire. Je suggère d’anéantir ce monstre technologique pire que les bombes atomiques et missiles nucléaires des hommes. Cette arme est entreposée à la base ennemie.

— Pour être honnête, demande Godefroy, je n’ai point compris vostre discours. Quelle œuvre du Diable venez-vous de me mentionner ? Des horreurs monstrueuses… Sommes-nous au Jugement Dernier, à l’Apocalypse, à la Révélation, tant attendu pour que l’AntiChrist et Satan s’agitent ?

— Je ne pourrai vous le dire… Je n’ai pas une connexion spéciale avec la Terre…

— D’accord. Comment pensez-vous retrouver mon compagnon de voyage ? Où peut-il se terrer ?

— Dans l’infâme base militaire…

— Je vous suis, murmure, à contrecœur le Voyageur. Allons-y ! Et confions nostre mission entre les mains de Dieu. Pater Noster, qui es in caelis, sanctificetur nomen tuum, adveniat regnum tuum, fiat voluntas tua, sicut in caelo, et in terra. panem nostrum essentialem da nobis hodie; Dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris; et ne intreamus in iudicium, sed libera nos a malo. Amen

Il se signe et se relève de sa position de prière avant de rejoindre l’extraterrestre. Ce dernier se signe également, prie son Dieu et fait les adieux à sa famille.

— Où allons-nous maintenant ? l’interroge, lueur d’inquiétude dans le regard, l’homme du Moyen-Âge.

— À la base militaire ennemie, répond invariablement le prêtre. Mais il faut s’équiper de matière réfléchissante : miroirs, lames, épées, or, etc. pour vaincre les Ténèbres.

— Très bien, approuve-t-il. J’ai l’impression, murmure-t-il pour lui-même, que nous sommes en pleine Révélation… Le Jugement Dernier est arrivé ! Combattons, en vrai fidèle de Dieu ! À nous la victoire !


Les deux êtres vivants s’éloignent de la maison du prêtre pour se diriger dans les méandres des rues de la ville. Eidi Farzhai remet à Godefroy des amples vêtements bleus ornés de charmantes arabesques dorées et une large capuche, cachant son visage et son casque. Il les revêt et constate, avec étonnement, qu’il peut léviter comme son amphitryon. Le pauvre homme du Moyen-Âge, complètement déstabilisé par ce nouveau mode de locomotion, vomit deux fois ses repas avant de maîtriser un peu mieux ses déplacements. Et même encore, le terme est généraux pour lui : il titube dans les airs comme un homme ivre à la marche. Le prêtre sourit à sa démarche et le soutient pour qu’il n’attire pas trop le regard de ses compatriotes.


Une heure plus tard, les deux nouveaux compagnons s’approchent de la base ennemie, située au cœur d’un désert immense. L’environnement est sinistre, aucune trace de vie, pas même les plantes géantes, pense Godefroy. Seules des machines démoniaques et bizarres sont décimées à droite et à gauche sans ordre. L’extraterrestre cesse de marcher et tend les oreilles. Au loin, un refrain s’entend :


« Vamos a conquistar el mundo

On va conquérir la planète 

мы победим планету

ونحن سوف قهر الكوكب »*


Le prêtre soupire, observe les environs et réfléchit. Godefroy fait de même, priant en son for intérieur Dieu de l’aider et de l’assister. 

— Comment fonctionne ce lieu satanique ? interroge le Comte, perplexe et déterminé à découdre avec l’ennemi.

— Je l’ignore. Mais, j’ai une idée… Nous devons identifier le point névralgique du bâtiment sans se faire repérer.

Godefroy lance un regard interrogateur et confus.

— Dès que nous savons ce fameux point, nous agirons en conséquent. Pour l’instant rester en-dehors des radars, ces objets lumineux qui balayent le sol à intervalles. 

— Mais ne seroit-il point plus simple de détruire immédiatement ces monstruosités ? interroge-t-il, méfiant, son interlocuteur.

— Et l’occasion d’être repéré par l’ennemi et de mourir dans d’atroce souffrance ! Un suicide direct ! s’emporte le prêtre devant l’insouciance de l’homme du Moyen-Âge. Donc, non ! Nous n’agirons pas ainsi !

Un silence lourd, chargé de la crainte de la mort et de l’espoir de la victoire, plane pendant quelques minutes. Minutes qui s’éternisent pour Godefroy, prenant son mal en patience. 


— J’ai la solution ! murmure, ravi l’extraterrestre. Nous nous concentrons pour entrer par le toit. Voyez-vous la grosse coupole là-bas ?

— Oui, cette coupole qui donne un aspect des plus estranges à la demeure.

— Alors, lévitons jusqu’à cette coupole. Puis entrons, sans nous faire repérer par les autres, pour atteindre le centre de contrôle à la droite. À partir de ce centre, nous localiserons facilement Jacques-Henri Jacquart, nous éteindrons le système général, sortons de l’immonde bâtiment et nous restons là-bas…

Il désigne de la tête le champ libre à leur gauche.

— À partir de ce point, j’appelle mes alliés et, ensemble, nous annihilerons nos ennemis, l’unité Gaïa attaque !

— Êtes-vous certain que tout soit si simple ? lui demande-t-il, très incrédule de la simplicité du plan. Simplicité qui peut receler une fourberie de la part des militaires. 

— Oui, lorsque nous nous projetons mentalement dans la pièce en question, c’est-à-dire en désintégrant pendant quelques secondes les particules de nos corps pour les recomposer à l’endroit voulu…

Godefroy l’observe avec réserve, troublé de l’explication. Sorcellerie que toute l’explication du mage, pense-t-il.

— … Simple, continue-t-il en notant l’air confus du Terrien. Vous visualisez mentalement la salle où vous voulez être et vous vous y accrochez en pensée, créant une désintégration momentanée de votre corps pour se matérialiser à l’endroit voulu. Essayons-le. Visualisez la coupole.

Le Comte, se signant, se prête à l’exercice. Quelques secondes plus tard, il s’étonne d’être sur la coupole. Promenant son regard curieux autour de lui pour repérer le prêtre, il sursaute en le discernant à sa droite. Eidi Farzhai lui sourit gentiment et s’excuse de le faire peur en se téléportant soudainement. 


Les deux hommes se matérialisent dans la salle de contrôle. Immense salle où trois extraterrestres trônent sur leur siège observant les caméras. Le prêtre fait un signe de ne pas bouger et lève la feuille de la mystérieuse plante à bout de bras, reflétant la lumière sur les occupants, les aveuglants. Godefroy, s’avance prudemment vers eux, dégainant son épée, brandissant son bouclier et les jette par la fenêtre. Cette chute aboutit à la mort des trois extraterrestres, ne se téléportant pas à temps. Le Comte, toujours aussi perplexe devant les multiples boutons du centre de commande, balaie du regard la pièce et s’assoit sur l’un des sièges. Le prêtre observe attentivement les différentes caméras, caméras que Godefroy crache à plusieurs reprises en leur direction, se signant et s’étonnant des changements des images générées par les caméras. Eidi Farzhai, quelques minutes plus tard, s’écrie :

— Godefroy, j’ai trouvé où est Jacques-Henri Jacquart ! Il est dans la salle d’expérimentation la plus obscure de la base… La salle interdite, nommée Salle ∃, Je crains le pire. 

— Pouvons-nous nous rendre dans cette salle ?

— Oui, mais il faut être prudent, beaucoup de médecins rôdent constamment.

— Impossible n’est pas français et Dieu nous assiste. Montjoie ! Saint Denis ! ... Dieu le veut ! Que trépasse si je fayblis.

Sur ces mots, il se prépare au combat, examine son épée, sa lance et son arbalète et se concentre pour arriver dans la salle interdite.

— Attendez, Godefroy ! hurle le prêtre. Ne partez pas ! Il faut établir une stratégie.

Il se retourne vers l’homme du Moyen-Âge encore dans la salle, arrête des images sur l’écran principal et continue :

— Vous voyez l’espace ici, à votre gauche… Vous vous rendez exactement à ce point. Moi, je serai là-bas, dans ce coin-ci. Ainsi, nous jouerons aisément avec la lumière pour aveugler nos ennemis.

— J’approuve vostre plan. Que tout soit entre les mains de Dieu. Qu’Il nous aide dans nostre difficile mission, Amen.


Les deux hommes se matérialisent dans la Salle ∃, surprenant les médecins et les infirmières. Godefroy utilise son épée pour réfléchir la lumière de la feuille du prêtre, aveuglant le personnel scientifique. L’extraterrestre, tenant à bout de bras la feuille, murmure des incantations dans sa langue, pétrifiant les individus présents, à l’exception de Godefroy et de lui-même. Eidi Farzhai, suivi de près par Godefroy, rentre à petits pas dans la salle où est enfermé le descendant de Jacquouille la Fripouille. 


La porte geint sur ses gonds, un lourd silence les accueille, un bruit de pas feutré s’entend. Soudain, un cri fuse, déchirant les tympans de Godefroy. Les deux hommes tombent nez-à-nez avec deux Jacques-Henri Jacquart… Deux clones, pense le prêtre. Un tour de sorcellerie des plus bizarres, réfléchit le Comte, hésitant à s’attaquer à l’un ou à l’autre des doubles.

Le premier Jacques-Henri, soulagé de voir ses libérateurs, leur hurle :

— J’ignore qui est ce clone et comment il existe, mais je dois être dans un cauchemar ! Un mauvais film de science-fiction avec une touche d’horreur ! Dans quelle étrange situation suis-je ? gémit-il. S’il vous plaît, ne croyez pas à ce menteur sadique et monstrueux. 

— Ne le croyez pas, articule l’autre Jacques-Henri d’une voix caverneuse, quasi sépulcrale. Il ment. Menteur éhonté, hypocrite sans scrupule. Il se prétend être moi. Je suis Jacques-Henri Jacquart, propriétaire du Château des Montmirail depuis 1992.

Godefroy, perdu, fixe intensément l’un puis l’autre des clones, confus et incapable de déterminer lequel est l’original. Le prêtre lévite au-dessus des clones et murmure une incantation dans sa langue maternelle, écrivant dans les airs des hiéroglyphes insaisissables qui se matérialisent. Écriture qui fonce sur les deux clones, les assaillant. En même temps de l’attaque lettrée, l’extraterrestre lève sa mystérieuse feuille à la lumière dans les airs, réfléchissant toutes les couleurs de l’univers, aveuglant l’assistance. Tous ferment les yeux.


Ouvrant les yeux, Godefroy constate, rassuré, que l’un des clones n’est plus dans la salle. Jacques-Henri, sonné et dépassé par les évènements récents, regard terrorisé, attend que l’extraterrestre lui explique la situation. Eidi Farzhai ordonne aux deux Terriens :

— Messieurs, je vous expliquerais la situation plus tard. Maintenant, il faut se dépêcher de sortir de ce sordide laboratoire. Mais, avant, détruisons l’ignoble machine à votre gauche.

Godefroy frappe solidement l’immense machine à la gauche de Jacques-Henri. L’engin gris ressemble à un démon avec des dents acérés qui avale une substance visqueuse bleue qui devient rouge feu et vert forêt, avec deux vitres similaires à des yeux qui s’illuminent d’une lueur jaune lorsque l’immonde nourriture lui parvient dans sa bouche. Godefroy ne cesse de répéter :

— Montjoie ! Saint Denis ! ... Dieu le veut ! Que trépasse si je fayblis.

Le descendant de Jacquouille, lui, inquiet, ne bouge pas de sa place. L’extraterrestre, paniqué, hurle aux Terriens :

— Dépêchez-vous de vous mettre en sécurité maintenant ! Des soldats de Gaïa attaque ! arriveront bientôt !

Ils opinent du chef et tous s’en vont, sauf le descendant de Jacquouille qui ne savait pas comment se téléporter. Il panique en discernant quatre soldats extraterrestres dans leur uniforme grise caractéristique dans la salle. Ils le ligotent à nouveau et réparent l’immonde machine, pensant que Jacquouille l’a détruite.


Godefroy, dans le salon de son amphitryon, est rongé d’inquiétude et de culpabilité pour le sort de son pauvre compagnon d’infortune, imaginant les pires tortures de l’Inquisition. Le prêtre, faisant les cent pas, essaie de trouver une solution. Le seul bruit qui s’entend est celui de la cuisinière en marche pendant dix minutes, durée qui paraît interminable au Comte.

— J’ai la meilleure solution, Godefroy de Montmirail pour sauver votre compatriote planétaire et pour éliminer cette satanée unité ennemie de ma planète.

L’interpellé le regarde, étonne, l’incitant à développer son idée, très intéressé à connaître son plan.

— Venez avec moi dans la salle de contrôle. Je vous montrerais un plan secret qui sommeille depuis trop longtemps.

Aussitôt dit aussitôt fait, l’extraterrestre montre un bouton doré sur la surface de commande et affirme :

— Ce bouton-ci ne peut qu’être utilisé en dernier recours, mais je pense que c’est la seule solution. Je dirigerai ma maison jusqu’à la base, j’appuierai sur ce bouton. Par contre, nous avons trois secondes pour nous téléporter, sinon nous sommes morts. Ce bouton permet de générer plusieurs tonnes de lumière, comme un petit soleil. Lumière suffisante pour tuer nos ennemis. Je contacterai mes amis de la résistance pour qu’ils soient prêts à attaquer si l’un des monstres échappent au traitement lumineux. Et vous pourrez aider à décupler la force de la lumière de la maison avec votre bague en la glissant sur le bouton maintenant. Par contre, pour le pauvre prisonnier, j’ignore s’il pourra survivre au traitement lumineux… Je pense qu’il devrait survivre, affaibli, mais en vie. Vous n’aurez qu’à le retrouver dans l’infâme salle, puis je vous retourne sur la Terre.

— J’accepte votre plan, tout bizarre qu’il paraisse à mes yeux. Je n’ai guère le choix, soupire, résigné le Comte, malgré qu’il ne soit guère ravi de dépendre de l’étrange prêtre qu’il considère comme un mage, voire un sorcier par moment.

Et il donne sa bague au prêtre qui la glisse sur le bouton doré. Du bijou se dégage une douce chaleur qui s’intensifie en un rayon lumineux qui pénètre le bouton en son centre. Ce bouton devient rouge comme feu avant de reprendre sa couleur. Le prêtre s’assoit et guide la maison dans les airs, demandant à sa famille de quitter immédiatement pour se réfugier chez des connaissances en lieu sécuritaire.


Le lendemain matin, au lever de l’aurore et des premiers lueurs du jours, Godefroy et l’extraterrestre arrivent au-dessus de la sinistre base militaire. Le Comte, confortablement assis sur un siège comme co-pilote observe nerveusement les images qui se présentent à l’écran, jouant avec sa chevalière pour calmer la tension qui monte en son âme. Lorsque le prêtre atterrit sur la coupole de la veille, il donne un signe à son compagnon de s’enfuir maintenant. Il appuie impitoyablement sur le bouton, malgré sa main tremblante et se téléporte auprès de sa famille. Le Comte, lui, se téléporte non loin de la base pour être spectateur de la destruction de la base et pour repérer Jacques-Henri Jacquart. 


La maison, en réalité un vaisseau spatial, s’enflamme, devenant tout feu, ressemblant à un immense soleil, brillant de mille feux. La lumière qui irradie du vaisseau devient rapidement un feu ravageur, un feu qui avale tout sur son chemin à une vitesse vertigineuse, ne laissant aucune chance de survie à l’ennemi. Le Comte, alarmé et inquiet, murmure une brève prière et se téléporte, malgré le mal de tête que lui engendre ce déplacement, dans la mystérieuse salle ∃. Se promenant dans le couloir, angoissé, l’épée dégainée, bouclier au poing, Godefroy avance rapidement vers la chambre où le descendant de son écuyer est immobilisé au lit. Il rencontre deux médecins sur sa route et les met victorieusement en déroute entre des coups d’épée et de bouclier et des coups de lumière de sa chevalière. Mais il est conscient qu’ils sont partis alerter du renfort, il se dépêche de libérer Jacques-Henri Jacquart de ses liens et, ensemble, se téléporte dans la maison de la connaissance du prêtre. Vaisseau visité la veille pour ne pas se tromper lors du voyage. En voyant le descendant de l’écuyer, Eidi Farzhai l’analyse minutieusement et s’exclame :

— Godefroy de Montmirail, vous vous êtes trompé de personne… Il n’est pas votre écuyer, mais un clone, un double sanguinaire et parasite… Il faut se débarrasser de lui. 

Lévitant vers l’homme du Moyen-Âge, il lui murmure :

— Lancez votre chevalière sur lui. S’il est réellement humain, il ne sera pas affecté, s’il est clone, il brûlera instantanément.

Méfiant, celui-ci s’exécute… Et Jacques-Henri Jacquart flambe, ressemblant à une sorcière sur un bûcher. Godefroy se jette à genou et prie Dieu de l’aider dans sa situation, de l’éclairer et de lui pardonner ses péchés. Se relevant, le prêtre ordonne à l’homme :

— Venez, notre ennemi n’est plus dans la base. Nous pouvons la fouiller librement pour retrouver Jacques-Henri Jacquart.

Les deux hommes se rendent à tire-d’aile jusqu’à la base encore fumante du feu récent. Et ils passent au peigne fin toute l’ignoble salle d’expériences, mais aucune trace de l’homme qu’ils cherchent, uniquement des débris et des cadavres calcinés. Perplexes, Godefroy, rongé de culpabilité, murmure :

— Que Dieu me pardonne d’envoyer à la mort le descendant de mon escuyer… Pauvre de moi, je serai voué à l’Enfer à ma mort.

— Non, sauf s’il est devenu cet amas d’ordure dans le coin de la salle.

Intrigué, il s’approche de l’endroit et secoue la tête en signe de négation. Il soupire et supplie le prêtre :

— Pouvez-vous me ramener sur Terre, à mon époque maintenant ? Je suis simplement perdu… Je ne sais plus trop que penser…

— Aucun problème. Allons-y ! 


Deux jours plus tard, alors que toute la ville, voire toute la planète Al Bahir, fête joyeusement la défaite de l’armée ennemie, Godefroy et le prêtre voyagent à la vitesse de la lumière en direction de la Terre. Ce voyage, rapide, donne des nausées au pauvre homme, après le mal des hauteurs de la lévitation et de l’avion, se pointe des maux de tête des changements de la gravité. Lors des sept jours de voyage, le Comte ne cesse de prier Dieu, de se sentir coupable d’avoir échouer dans sa promesse et de s’inquiéter pour le descendant de son écuyer. 


Mais le Comte ignore que Jacques-Henri Jacquart est bien vivant, mais sur une autre planète de notre système solaire, sur Saturne, ne trouvant aucun moyen de revenir sur Terre. Lors de l'incendie de la base militaire ennemie, il n'est pas consumé par les flammes, mais téléporté magiquement sur Saturne. Là-bas, il se lie d’amitié avec une famille d’extraterrestres.


Une fois arrivée sur Terre, au château des Montmirail, Eidi Farzhai salue l’homme et revient dans son galaxie, sur sa lointaine planète. Godefroy soupire et affirme :

— Maintenant, je dois trouver un descendant du mage Eusæbius, fils de Ferdinand Eusèbe, mais où peut-il bien vivre ?

Il prie le Seigneur de l’assister dans son désespoir et déambule dans les rues, à la recherche du mage qui le renverra à son époque.


Sur Terre, en 2023, commence une autre aventure pour Godefroy de Montmirail.




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* Extraits de la chanson 1917 de Soviet Suprem.

** L’ordalie mentionnée dans la Bible — dans l’Ancien Testament plus exactement — est en Nb (ou en hébreu, במדבר, Bamidbar, littéralement « Dans le désert ») 5,11-31, s’applique uniquement pour les cas d’adultère et de soupçon d’infidélité. L’ordalie au Moyen-Âge, aussi appelée « jugement de Dieu » et « épreuve judiciaire », se décline de diverses manières, soit par le feu, soit par l’eau bouillante (aqua fervens) ou froide (aqua frigida), soit par le fer rouge (ferrum cadens), soit par l’immersion, soit par le fromage bénit, etc. Le but de l’ordalie est de soumettre le coupable à une épreuve mortelle pour vérifier sa culpabilité, puisque Dieu l’épargnera lors de l’épreuve, prouvant son innocence aux yeux des juges. Je suis consciente de prêter un autre usage à l'ordalie dans cette fiction en l'élargissant considérablement.

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