Le dernier debout a gagné

Chapitre 1 : Le dernier debout a gagné

Chapitre final

4436 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/04/2019 06:06

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture de [Fanfictions.fr](http://Fanfictions.fr) Nouvel An Chinois (mars 2019).


Niveau 1 : On devait partir d'une idée donnée (entre 2). J'ai choisi de travailler à partir de celle-ci :

Les anciens Chinois croyaient qu’un monstre à moitié lion et moitié taureau, sortait des profondeurs maritimes à la veille du nouvel an, pour venir manger leurs nouveaux nés…”


Niveau 2 : Une métaphore et une hyperbole (elles sont soulignées).


Disclaimer : je ne suis pas l'auteure de la première partie (jusqu'au premier _____). Il s'agit de ma traduction de la scène d'intro de l'épisode 13 de la 3ème saison de la série.


Bonne lecture à tous.




"L'Éternité, c'est long ... surtout vers la fin."

Franz Kafka


La cloche de l'ascenseur sonna et la porte s'ouvrit. Le Capitaine Marcus Pierce sortit de la cabine et appela :

“Lucifer ? – personne ne répondit. Agacé d'avoir été convoqué toutes affaires cessantes dans le luxueux loft de l'ange déchu, il appela de nouveau – Lucifer ! – Toujours rien. – Eh, oh Lucifer ... – Le vrombissement dans son dos ne le fit même pas sursauter. Une tronçonneuse ... Un modèle à essence d'après l'odeur qui se répandait dans la pièce. Le Diable avait parfois des idées tordues mais au moins, il semblait vouloir tenir parole. Pourtant, Pierce savait que ça ne fonctionnerait pas. Il avait déjà essayé ... Être coupé en deux, quelque soit la méthode, n'était, pour lui, pas plus efficace pour mourir que de boire un verre d'eau. Il se retourna et, d'un air blasé, attendit que l'ange déchu, qui relevait son masque de soudeur, se décide à couper le moteur de l'engin pour ne pas avoir à crier. – Si c'était aussi facile de me tuer, je serai déjà mort depuis longtemps !”

Le Diable le regarda et, descendant les quelques marches qui séparaient sa chambre de son salon, répondit :

“Très bien ! Mais avez-vous essayé ... – il se pencha sur la feuille où il avait noté les idées qui lui avait semblé les plus intéressantes – une grenade en travers de la gorge ?”

“Oui.”

Lucifer raya cette proposition.

“Un bain d'acide ?”

“Mmm-hmm.” – approuva Pierce.

“Oh, Seigneur ! Dévoré par des loups ?”

“Oui.”

Pierce sentait que Lucifer n'avait pas la moindre idée originale à lui proposer et, de son côté, le Diable commençait à voir rouge. Il s'énerva :

“Vous jeter sous les pales d'un hélicoptère ?”

“Mmm-hmm. – après une réponse aussi évasive, Pierce précisa – J'essaye de mettre fin à mes jours depuis l'Âge de Bronze. J'ai tout essayé ! Une fois, je me suis même jeté dans un volcan.”

Lucifer le regarda d'un air légèrement étonné.

“Quoi, vous avez survécu à de la lave en fusion ?”

Il y avait du respect dans la voix de l'ex-Seigneur des Enfers. Il faut dire qu'il avait lui-même fait l'expérience d'un bain de roche fondue, des éons plus tôt, au moment de sa Chute. Et *‘Très douloureux’* était un doux euphémisme pour décrire ce qu'il avait ressenti.

“Oui, les six mois suivants ont été plutôt durs à supporter. Mais, quoi que je fasse, je me régénère, tout simplement.”

“Un peu comme un ténia qui aurait des yeux bleus et une mâchoire carrée. Alors, si je vous coupai en deux parties parfaitement égales, est-ce qu'on se retrouverait avec deux Pierce ?”

“Non, une seule des deux moitiés guérirait. Vous voyez, j'appelle ça la théorie de la molécule maîtresse.”

“Oui, oui. C'est comme avec Wolverine. J'ai saisi l'idée. – l'interrompit le Diable avant de s'éloigner de nouveau pour feuilleter un des nombreux livres de sa bibliothèque. – Mais il doit bien y avoir une technique qui fonctionne.”

“Lucifer, pourquoi est-ce que ça vous tient tellement à cœur ?”

“Parce que mon Père vous a maudit pour que vous viviez éternellement. Alors vous tuer serait à mes yeux comme cracher un superbe mollard à la figure de l'Ancêtre.”

Tandis qu'il parlait, les yeux de Lucifer s'étaient posés sur un petit coffret en bois et une idée saugrenue avait germé dans son esprit. Comme Pierce et lui se tournaient mutuellement le dos, il ouvrit le coffret tandis que le capitaine de police continuait.

“Eh bien, vous êtes le Malin, alors vous devez bien avoir un tour terriblement malin dans votre manche.i”

“Mmm, vous voulez dire, euh ... – tout en parlant, il se retourna et lança, de toutes ses forces, ce qu'il tenait en direction du policier – Quelque chose comme ça ?”

La douleur transperça Pierce à quelques centimètres à peine de ses lombaires, le faisant hurler de surprise.

“AOUH ! – Serrant les dents, il ajouta – Merci.”

“Tout le plaisir est pour moi. – lui répondit Lucifer, assez fier d'avoir réussi à le surprendre. Atteignant le manche de l'objet, le capitaine s'aperçût qu'il était en métal forgé. Mais la première tentative pour extraire la dague lui fit comprendre que, si le manche était plutôt droit, ce n'était pas le cas de la lame. Il fallait, pour l'extraire de la blessure, effectuer un mouvement en arc de cercle avec le poignet. Tandis que le policier retirait la lame de son dos, Lucifer continua – Parce que ce vilain petit garnement a été forgé dans les entrailles de l'Enfer. – Après quelques efforts, Pierce parvînt, malgré la douleur, à retirer l'étrange dague qu'il examina un instant. C'était visiblement un alliage forgé. Malgré le sang qui la tâchait, elle était un gris sombre et avait la forme d'une plume stylisée, très recourbée et extrêmement affûtée. Le manche aussi était finement ouvragé. Un travail d'orfèvre. Pendant qu'il détaillait l'objet, Lucifer ajouta – Eh, oui ! De l'acier démoniaque. Mortel, même pour moi. Alors, il est temps de dire au revoir à Hollywood, Pierce.”

L'interpelé le regarda, blasé, en lui tendant la lame.

“Au revoir, Lucifer.”

Puis il s'éloigna en boitant, le nerf sciatique sans doute passablement endommagé par la trajectoire de la lame incurvée. L'ange se retourna sur son passage, incrédule.

“Non, je ne comprends pas ... Pourquoi ça ne fonctionne pas ?”

“J'aurais dû me douter que vous ne seriez pas capable de trouver une solution.”

Tandis que Pierce commençait à se retourner vers la cage d'ascenseur, Lucifer, jovial, tenta de lui montrer le bon côté de la chose.

“Eh bien, la bonne nouvelle c'est que nous avons toute l'éternité pour y arriver.”

Pince-sans-rire, le policier le regarda de nouveau avant de répondre en étouffant un grognement de douleur.

“Pour moi, c'est une mauvaise chose.”

La porte de l'ascenseur se referma entre eux.

_____


Le temps que dura la descente suffit au Premier Meurtrier pour se remémorer certaines de ses nombreuses tentatives pour mourir.

Oui, Pierce avait vraiment TOUT tenté : d'un empalement en plein cœur par le javelot d'Ajax pendant la guerre de Troie *(une blessure cuisante pour le Dieu Thanatos qui se trouvait juste derrière lui ce jour-là et qui avait été transpercé par la même arme ... Le dieu grec de la Mort n'avait pas apprécié d'être “épinglé à un poids mort comme Caïn” le temps que ce dernier revive et l'aide à se décrocher. Ils s'étaient quittés fâchés et ne s'étaient jamais revus.)*, les flammes du Grand Incendie de Rome, sous Néron, l'utilisation de différentes armes au Moyen-Âge, la pendaison et l'empoisonnement au Siècle des Lumières, la décapitation pendant la Révolution Française, la noyade par une grande vague semblable à celle que Hokusai avait rendue célèbre au milieu des années 1830 *(il avait survécu au Déluge en s'embarquant clandestinement à bord de l'Arche de Noé)*. Une soixantaine d'années plus tard, il avait même, comme il venait de l'avouer à Lucifer, tenté de prendre un bain de lave lors d'une éruption de l'Etna ... Les pires six mois de mort de sa vie. Et il avait été à une molécule de réussir ... une seule petite molécule. Mais, cette fois encore, il avait survécu.

Sans compter les guerres auxquelles il avait participé ... sans plus de succès qu'à Troie. Il avait même séjourné à Hiroshima quelques temps après la reddition du Japon, participant, aux côtés des civils désemparés, à la reconstruction de la ville irradiée. L'Ange de la Mort n'avait jamais daigné s'occuper de son cas ...

Et là, pour la deuxième fois en moins de deux semaines, il venait de se faire planter par Lucifer. L'ancien Maître des Enfers n'y était pas allé de main morte, cette fois non plus. D'après lui, la lame en acier infernal pouvait tuer un ange, mais pas lui ... Tout cela parce que, par décret divin, Marcus Pierce, ou plutôt Caïn, était immortel. Et il en avait sérieusement par-dessus la tête de cette éternité.

La main toujours posée sur ses lombaires, il se laissa glisser sur le sol de la cabine le temps de cicatriser un peu plus de cette dernière blessure. La sensation était familière à son corps tout entier. Il ferma les yeux pour tenter de se souvenir de l'origine de cette familiarité. Et soudain, ça lui revînt ... La Chine Antique ... Bien avant que *‘Marcus Pierce’* ne voit le jour ... À l'époque, il se faisait appeler “Zuìhòu Zuì le Vagabond”. C'était à cette époque qu'il avait ...

_____


Zuìhòu Zuì se réveilla en sursaut, immédiatement en alerte. Il faisait déjà jour, en ce matin d'un des derniers jours de l'année. Pourtant, il entendait grogner au loin l'animal qu'il avait traqué sans relâche durant plus d'un millénaire. Il se releva et épousseta ses vêtements avant de se diriger vers l'orée du bois tout proche. Modulant un sifflement grave, il appelait sa brave compagne de route, sa fidèle qilin. Il la vît redresser la tête et la tourner dans sa direction, attentive, avant de gratter le sol du sabot et de se pencher de nouveau en avant. Elle devait être en train de manger. Il s'approcha de sa monture et lui flatta le flanc de la main. Il évitait de caresser les membres postérieurs de l'animal car ceux-ci étaient recouverts d'écailles. Ça lui rappelait un certain serpent dont sa mère lui avait parlé, quand il n'était encore qu'un enfant.

Sous ses doigts, les poils blonds se détachaient de la peau, remplacés par d'autres, plus sombres. Měi muait encore. Environ deux cents ans plus tôt, sa robe avait commencé à passer du jaune, la couleur des jeunes de son espèce, à un brun rougeâtre de plus en plus marqué chaque année.

“Bonjour, Měi, bonjour ma belle.” la salua-t-il en souriant.

Il attrapa une touffe d'herbes sèches et l'arracha pour l'étriller avec. Elle le salua d'un petit cri semblable à un carillon. Il lui avait toujours semblé étrange que lui, il ait pu apprivoiser un qilin. Après tout, ces créatures étaient sensées ne pas se laisser approcher par les gens malhonnêtes ou mal intentionnés. Et lui ... il était le Premier Meurtrier de l'Histoire. Ou alors, elle savait qu'il n'avait rien à se reprocher et qu'il n'avait pas agit par malice mais pour se défendre. C'était son cadet qui avait commencé à chercher la bagarre. Měi piaffait sur place. Tout en continuant à l'étriller de la main droite, il la caressait de la gauche, lui flattant l'encolure. Soudain, il réalisa que, à la faveur de son étrillage, la robe de sa monture avait totalement changé de couleur. Elle arborait maintenant un superbe rouge vif rendu lumineux par les rayons du soleil à travers les branchages. Elle allait lui porter bonheur. Quel dommage, pensa-t-il, qu'une aussi belle créature soit vouée à disparaître dans l'oubli. Car Měi n'aurait pas de descendance. Elle était la dernière femelle qilin. Le dernier mâle autre que son père s'était éteint lors du Déluge et elle était née quelques semaines après le débarquement de Noé au Mont Ararat. C'était encore là une preuve de l'iniquité de Dieu.

Elle dût sentir l'assombrissement de ses pensées car elle lui donna un vigoureux coup de tête dans l'épaule.

“Eh, doucement ! – de nouveau, elle fit entendre son cri de clochette, tout en piaffant. – Oui, oui, on y va !”

Il attrapa une couverture de laine tissée à la main et une corde de trois mètres environ dont les deux extrémités formaient une large boucle. Il posa la couverture sur le dos de l'animal, la laissant plus retomber sur son flanc gauche que sur le droit. En quelques instants, il avait de quoi être en sécurité sur le dos de la qilin. Sachant ce qui allait suivre, depuis le temps qu'elle le connaissait, Měi se coucha à la façon d'un chameau sur le sol. Tout en souriant, son cavalier plaça son pied dans la boucle de la corde, se hissa sans effort et s'installa. D'un double claquement de langue, il lui intima l'ordre de se relever. Elle obéit immédiatement. Il la laissa décider du chemin à prendre car elle le guidait toujours là où on aurait besoin d'eux.

_____


Cela faisait maintenant un peu plus d'une cinquantaine d'heures qu'ils avaient quitté le bois près duquel Zuìhòu Zuì avait entendu le cri de la créature. La veille au soir, ils l'avaient de nouveau entendue alors qu'ils faisaient une halte dans un village. Mais, apparemment personne ne l'avait vue. Des villageois lui avaient conseillé de fuir et lui, en retour, leur avait conseillé de se regrouper à plusieurs familles dans les plus grandes maisons, sans laisser aucune personne être seule, de fabriquer des carillons de bois et des crécelles pour faire du bruit et de ne pas sortir de leurs abris entre le coucher et le lever du soleil. S'ils le pouvaient, il leur conseilla aussi d'accrocher un tissu rouge devant leurs portes et leurs fenêtres.

S'il ne se trompait pas, ce serait pour ce soir. Ils se rencontreraient et s'affronteraient ce soir. Il espérait que la créature résoudrait son problème. Au loin, il aperçût les toits d'un nouveau village. Proximité avec la mer, il devait s'agir d'un village de pêcheurs. Il poussa Měi à accélérer. Il fallait qu'il arrive avant la nuit et le soleil se coucherait dans moins de deux heures. La qilin, qui marchait l'amble, passa rapidement à un petit galop. Un quart d'heure plus tard, ils dépassaient la première maison. Elle était à moitié en ruine pourtant la fumée d'un feu sortait d'un trou dans le toit. Měi s'arrêta à quelques pas de l'entrée.

“Une personne de confiance, ma belle ?” demanda son cavalier.


La qilin s'ébroua dans un son de carillon cristallin. C'est à cet instant qu'il entendit crier une femme. Et ses cris ne laissaient aucune place au doute, elle était en train d'accoucher. L'information tira un fugace sourire au Premier Meurtrier. L'odeur d'un nouveau-né du jour attirait toujours son adversaire comme une fleur les abeilles.

“Apparemment, c'était autre chose qui t'attirait ici. Cet enfant est encore plus innocent que l'innocence elle-même. Et il viendra pour lui, tu as raison. Allons à la maison suivante Měi, nous proposerons nos services aux villageois. Avec une naissance en cours, nous aurons un argument de poids.”

Toujours à l'amble, Měi reprit sa route, son cavalier sur le dos. Ils étaient encore à portée de voix quand ils entendirent le premier cri du bébé. La qilin ne s'arrêta ni devant la maison suivante, ni devant celle d'après et Zuìhòu Zuì la laissa faire. Měi savait mieux que lui trouver les bons endroits. Quand elle s'arrêta enfin, ils étaient face à une masure, beaucoup plus grande que les précédentes, dont la façade était couverte de coquillages multicolores et de toutes tailles. Vu l'état calamiteux de la plupart des autres maisons, celle-ci était un véritable palais de terre séchée aux yeux des habitants du coin. Il s'agissait sans aucun doute de la demeure du chef du village. Zuìhòu Zuì descendit de sa monture et s'approcha en appelant à la cantonade.

“Hé ho, il y a quelqu'un ? Je suis Zuìhòu Zuì le Vagabond. Je viens vous avertir que le Nian attaquera certainement votre village dans cette nuit et vous prop...”

Imitant le grondement sourd du sol près à rompre lors d'un séisme, le cri du Nian prêt à quitter les eaux profondes pour les hauts fonds, confirma ses dires. L'une des fenêtres du palais s'ouvrit et, de l'intérieur, quelqu'un lui lança une pierre, le touchant à l'épaule gauche. En même temps, une voix d'homme lui cria :

“Va-t-en, vagabond de malheur, et emmène ton Nian maudit avec toi ! Tu n'auras rien de nous ...”

“Je ne demande rien, si ce n'est le droit de vous venir en aide en affrontant le monstre pour vous.”

“Nous n'avons pas besoin de toi, le village n'a aucun enfant que le Nian ne voudrait prendre. Il n'y a eu que deux naissances cette année, et les deux enfants sont morts avec leurs parents avant la fin des moissons.” – ajouta la voix dans la maison.

“En arrivant, j'ai entendu une femme dans la maison en ruine. La première, par le chemin du sud.”

“La maudite ! – lança la voix chevrotante d'une femme qui semblait s'adresser à l'homme – Elle n'a pas pu s'empêcher de le faire avant le passage du Nian. Cette fille n'est vraiment bonne à rien à part attirer les ennuis. – la femme ajouta pour Zuìhòu Zuì – Cette femme n'est pas des nôtres, son père, son frère et moi l'avons chassée de notre maison quand elle s'est retrouvée engrossée sans être mariée. Mon époux n'ose plus sortir tant il est mort de honte. Alors si tu veux d'une épouse et que tu n'es pas trop regardant, tu peux la prendre avec toi en quittant le village.”

“Êtes-vous sa mère, madame ?” – questionna Zuìhòu Zuì.

“J'ai eu cet immense déshonneur. – répondit la vieille – Maintenant, pars avec elle et son bâtard de malheur, vagabond ... et ne reviens jamais par ici.”

“Non, je vais rester pour veiller sur vous cette nuit. J'affronterai le Nian pour vous. Je ne vous demande qu'une seule chose en retour ... Pour votre propre sécurité, quoi que vous entendiez durant la nuit, sous aucun prétexte vous ne devez sortir de chez vous. J'irai voir votre fille et, si elle le souhaite, elle pourra me suivre. Si vous acceptez, je repartirai au lever du soleil et vous ne me reverrez pas ...”

La femme resta muette mais l'homme lança d'une voix puissante :

“Je te donnerai deux poissons séchés que tu pourras manger ou vendre si tu survis toute la nuit au Nian. Quant à celle qui fût ma sœur, j'accepte que tu partes avec elle, moi aussi.”

“J'accepte volontiers.” – répondit Zuìhòu Zuì.

_____


Le Premier Meurtrier avait un peu de temps avant que son adversaire n'arrive. Il retourna donc à la première maisonnette. Il s'apprêtait à frapper à la porte quand il entendit les vagissements du nouveau né. Sa mère chantonnait, sur une mélodie triste, les mots suivants :

“Le Nian va venir, le Nian va te prendre. Petit, pourquoi es-tu venu si tôt ? Je voulais te garder et il va t'enlever. Petit, pourquoi es-tu venu si tôt ?”

Zuìhòu Zuì appela de l'extérieur.

“Femme, si je sauve ton enfant du Nian, acceptes-tu de me suivre et de me servir ?”

La réponse fusa, immédiate.

“Oui, mon époux !”

“Je ne souhaite pas t'épouser. Mais je dirai à tous que tu es ma femme si tu m'obéis.”

“Je t'obéirai, mon époux ! Que dois-je faire pour te plaire ?”

“Restes à la maison avec l'enfant. Protèges-le de ta vie. N'ouvres pas la porte avant mon retour. Si le Nian vient, vous serez protégés tant que tu resteras enfermée à l'intérieur mais si tu sors avant que le soleil ne soit au-dessus de l'horizon et que tu survis au Nian quand il viendra pour l'enfant, tu mourras de mes mains. Tu as bien compris ?”

“Oui, époux !”

“Bien, alors je vais l'affronter. À l'aube, femme !”

“Époux ? Je m'appelle Hóng Yè. Puis-je connaître ton nom ?”

“Mon nom ... Je suis Zuìhòu Zuì le Vagabond.”

Celui qui avait changé tant de fois de nom depuis la mort d'Abel s'éloigna, laissant Hóng Yè et son fils nouveau-né sous la garde vigilante de Měi.

_____


Le soleil n'avait pas plongé derrière l'horizon depuis plus d'un quart d'heure quand Zuìhòu Zuì vit, comme chaque année depuis un millénaire, le bouillonnement de l'océan annoncer l'approche rapide du Nian. Bientôt la musculeuse créature jaillirai des eaux et secouerait sa magnifique crinière léonine. Il se prépara à courir, il devait entraîner le Nian le plus loin possible des habitations pour pouvoir agir en toute liberté. Personne ne devait jamais découvrir comment ils s'affrontaient. Il avait si souvent arpenté ces chemins qu'il savait que, à environ mille enjambées du bord de l'eau, en direction de l'intérieur des terres, il y avait une petite rivière qui sortait d'une grotte, et c'était là que le Nian et lui avaient l'habitude de s'affronter, une nuit par an, tous les cinquante ans. Il était probable qu'il connaisse la mère de Hóng Yè depuis son dernier passage dans la région. Elle devait avoir entre vingt et trente ans, la fois précédente. Si jamais elle se rappelait de lui, il pourrait toujours affirmer qu'il était le fils du vagabond dont elle se souvenait. Le grondement qu'il avait entendu un peu plus tôt se transforma en un formidable mugissement lorsque les eaux s'ouvrirent pour laisser le passage à la créature mi-taureau, mi-lion. Les naseaux fumants, celle-ci s'avança et, les sabots au sec, rugit d'un air féroce. Zuìhòu Zuì attira son attention avant de partir en courant le plus vite possible. Si quelqu'un avait, à cet instant précis, regardé par une fenêtre, il aurait pu croire à la lâcheté du vagabond. Le Nian se cabra avant de partir à sa poursuite. C'était un petit jeu entre eux que de se poursuivre jusqu'à la caverne. Quand le Nian y parvînt, Zuìhòu Zuì l'attendait, perché sur un rocher. Il en descendit et ramassa un caillou dans le lit de la rivière et, les mains dans le dos, le fit passer de l'une à l'autre plusieurs fois avant de présenter ses deux poings fermés au Nian.

“Nian ! Choisis une main ...”

“La gauche.” mugit la créature.

Le Vagabond ouvrit la main. La pierre s'y trouvait.

“C'est toi qui commence, Nian !”

“Aussi nombreuses que les jours et tout aussi savoureuses, que sont-elles ?”

“Les graines d'une grenade. À moi ... Gelée dans l'eau, mes baisers sont de feu.”

“Une méduse ... C'est moi qui te l'ai dite, celle-là, il y a dix ans.”

“Je sais ... Je voulais voir si tu t'en souviendrais.”

“Et bien, tu as vu ! Je m'en souviens ... Je fais du bruit derrière ta porte, pourtant, si tu regardes dehors tu ne me vois jamais.”

“Le vent ... ”


Ils se faisaient face, et, comme à chaque fois, ils s'affrontaient tout d'abord dans un duel d'énigmes variées. C'était un petit rituel entre eux. Les réponses comme les questions devaient être immédiates. Celui qui hésitait recevait une pénalité représentée par une petite pierre. Le premier avec cinq pénalités perdait la manche. La nuit commençait déjà à s'éclaircir quand le Nian reçut sa cinquième sur une hésitation dans la formulation de son énigme suivante. De son côté, Zuìhòu Zuì en avait récolté quatre.

La seconde manche de leur affrontement était un peu plus physique puisqu'il s'agissait d'un combat. Mais ce combat avait ceci de particulier que chaque pénalité permettait à l'adversaire de choisir quel type de coups étaient autorisés ou non. Celui qui avait le plus de pénalités était le premier à frapper. Zuìhòu Zuì décida que le Nian ne pouvait ni le piétiner, ni le mordre, ni tenter de l'étouffer sous son poids et qu'il ne pouvait pas non plus protéger son flanc gauche ou sa gorge. Le Nian lui interdit en retour d'utiliser autre chose que ses poings ou ses mains pour le frapper, de se mettre à l'abri en hauteur, de tenter de l'étouffer et s'autorisa à l'encorner. Le combat n'était pas une lutte à mort mais le premier à tomber perdait la bataille.


Le combat commença enfin et, chacun tenta de toucher l'autre sans aller à l'encontre de leurs pénalités respectives. Au bout d'une heure de combat, le Nian parvînt à toucher son adversaire. Celui-ci avait été forcé de lui tourner le dos une fraction de seconde après avoir été touché et le Nian en avait profité pour lui asséner un coup de sabot puissant. Le Premier Meurtrier chancela et le Nian le frappa, d'un coup de tête rotatif dans le dos. La pointe de sa corne gauche traversa le tissu du vêtement et entailla les muscles du dos. L'estafilade mesurait la longueur d'une main. Sous la violence du choc, le Vagabond tomba au sol.

“Tu as gagné ... Pour cette année.” – dit l'homme.

“Je dois partir. À l'an prochain.” – répondit la créature.

_____


Quand l'aube se leva, l'homme retourna au village. Mais de mauvaises surprises l'y attendaient. Sa fidèle qilin était étendue au sol, mortellement blessée par une flèche. Près d'elle gisaient aussi Hóng Yè et son enfant. Si le bébé n'avait rien, sa mère était mourante. Elle n'eût que le temps de lui dire, dans un souffle, que son fils s'appelait Hóng Zhùfú Háizi avant de quitter ce monde. Zuìhòu Zuì prit l'enfant et décida d'en faire son apprenti. Il deviendrait le premier Ultime Pêcheur de l'Histoire.

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