Speak of the Devil

Chapitre 4 : L'hybride aux ailes de nuit

3945 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 25/06/2017 11:30

L'hybride aux ailes de nuit


Amenadiel et Maze

Maze s'était précipitée vers lui en bondissant comme une enfant joyeuse. Elle l'avait attrapé sans douceur par le bras et traîné jusqu'à une table du bar où ils se retrouvaient en de rares occasions depuis la fermeture du Lux. Moins branché et plus calme, il permettait au moins de discuter… Elle avait commandé deux bières d'autorité avec un sourire gourmand pour le barman au fond de la pièce – entre ex collègues quoi de plus naturel ? – puis elle pointa ses yeux langoureux et pétillants sur lui en portant le goulot à sa bouche, après avoir trinqué informellement avec la bouteille qu'il n'avait pas touchée.

— Tu l'as vue ? Oh dis-moi que tu l'as vue ! Elle est incroyable, non ? ! demanda-t-elle avec un rire de gorge heureux et indécemment enthousiaste. Quelle sacrée paire de…

Il supposa à juste titre qu'elle ne pouvait parler que de la femme de Lucifer... Mazikeen semblait être la seule à apprécier la nouvelle de ce mariage intempestif. Mom en avait été catastrophée au dernier degré, découvrant avec horreur cette nouvelle "belle-fille" stupide dont elle ne parvenait à tirer rien d'autre que des embrassades hors de propos et des roucoulades sucrées sans queue ni tête. Il n'était pas informé de ce qui avait eu lieu au poste de police où la rumeur disait que son frère était allé parader avec, mais il lui avait semblé que Linda était assez mécontente. Son ton laconique lui avait semblé froid, derrière une politesse convenue quand ils s'en étaient parlé un peu plus tôt. Il savait qu'ils n'étaient pas censés évoquer la brève liaison entre Lucifer et elle. Lucifer étant ce qu'il était, le bon docteur pouvait-elle être réellement jalouse ? Il en doutait. Il accordait à cette femme un certain crédit et une forme de lucidité supérieure à la moyenne…

Maze lui donna un coup de genou pour le faire revenir sur Terre et qu'il réponde à sa question. Fichtre ! Elle avait les os pointus !

— Oui, je l'ai vue. Et je crois que tu n'as pas compris que ce n'est pas un nouveau jouet qu'il va te prêter, railla-t-il.

— Et pourquoi ça ? s'étonna-t-elle. Depuis que nous sommes ici, nous partageons toujours tout.

— Ça va changer. Pour les humains, le mariage c'est sérieux.

— Et depuis quand ton opinion sur un sujet dont tu ne connais rien, m'importe-t-elle ?

— C'est toi qui m'as appelé. Et tu as insisté pour que je vienne, répondit-il tranquillement en prenant sa première gorgée avec un petit coup d'oeil, satisfait de la remettre à sa place.

— Tu deviens très énervant maintenant que tu passes du temps avec le docteur Linda…

Amenadiel hocha la tête avec l'air de réfléchir quelques secondes à la véracité de cette assertion et puis acquiesça, comme pour reconnaître qu'elle avait raison.

— Maze, pendant très longtemps tu as été l'unique partenaire de Lucifer, et ce de façon indisputée.

— Si t'avais vu la gueule des autres démons en Enfer, ça ne te surprendrait pas beaucoup, commenta-t-elle en roulant des yeux.

— Puis, il est venu ici, et il t'a imposé un nouveau fonctionnement en arguant que vous étiez libres de toute attache, et tu as dit oui pour lui plaire…

— Non, j'ai dit oui parce que j'aime ça aussi, la liberté !

— Maze ! Ecoute-moi. Lucifer est déjà venu ici il y a très longtemps et il a simplement repris ses petites habitudes auprès des mortelles et le goût qu'il a pour elles ne date pas d'hier. Sois franche, est-ce que tu aimes qu'il soit prêt à retourner en Enfer pour l'amour de Chloé, mais pas parce que tu le lui demandes depuis des mois ? Et tu aimes ça qu'il choisisse de se marier avec une femme qu'il va refuser de "partager" avec toi ? Et qu'il t'écarte de plus en plus de sa nouvelle vie ici, en ne pensant à toi que quand tu peux lui être utile ? Je crois que non...

En confirmation, le séduisant visage exotique de Maze s'était renfrogné dangereusement, mais au fond de ses prunelles brillait une forme d'incertitude, un trouble qui lui prouvait que Lucifer et lui n'étaient pas les seules créatures surnaturelles à être graduellement plus affectées chaque jour par leur immersion sur le plan terrestre. Il ne pouvait pas dire ce qu'il en était pour Mom, car elle était là depuis moins longtemps qu'eux et puis parce que c'était une déesse, mais pour les autres, la réalité était que ce monde était tout aussi contagieux que l'Enfer, bien que plus sournoisement.

— Tu n'es pas la première qui a compté pour lui. La plus durable, certainement, mais tu vois ce qu'il en est, hors de l'exil en Enfer ?

— C'est chez moi l'Enfer et ici que je me sens exilée, rétorqua-t-elle pincée. Mais qu'est-ce que ça peut bien te faire, ce que je suis pour lui ou pas ? Pour qui tu te prends de me faire la leçon ?

Amenadiel ferma les yeux et prit une autre gorgée du breuvage à bulles avant de repousser la bouteille, estimant qu'il en avait déjà bien assez consommé. Il préférait décidément les Cosmo, avec beaucoup de jus de cranberries.

— Je me prends pour quelqu'un qui était là bien avant toi dans la vie de mon frère, soupira-t-il. Là quand il y a eu Lilith et Eve… Et tu vois, j'aimerais bien que tout ce qui se passe aujourd'hui avec toi et cette humaine innocente, ne me semble pas aussi déplorablement familier, déclara-t-il les yeux fixés dans le vide.

.

Lilith et Eve ? Quel rapport y avait-il entre ces deux vieilles choses mortes depuis des éons et le fait qu'elle emménage avec Decker et son rejeton ? Maze s'était redressée comme si elle avait été piquée, puis sembla se raviser.

Désormais délibérément séductrice, elle lorgnait ses lèvres, et ses longs cils sombres semblaient avoir récupéré la faculté qu'il avait perdue de ralentir le temps à chaque battement. Il ne voulait pas repenser à sa bouche pécheresse au goût alcoolisé. Il ne savait trop bien que si cela devait le mener quelque part, c'était encore sur une pente plus glissante. Il ne voulait pas penser non plus que Maze l'avait soigné en utilisant la dernière vraie plume des ailes coupées de son frère… Luci avait de bonnes raisons de s'être attaché les services de la féroce démone. Lui non.

— Il n'a jamais rien voulu me dire à ce sujet... Tu sais, le plan "Je ne veux pas parler de la Cité d'Argent, ça ne me concerne plus, qu'ils crèvent tous, ça m'est bien égal"… bla bla bla. Mais moi je voudrais savoir ce qui s'est passé, dit-elle franchement. Ça ne pouvait pas être rien...

Amenadiel hocha la tête une fois, en lui laissant croire qu'il allait accéder à sa requête et répondit seulement :

— C'est légitime. Faudra que tu lui demandes, un de ces jours. Moi, je ne suis même pas censé être au courant.

Elle donna un petit coup d'épaule contre son bras, soudainement plus suppliante. Il n'était pas sûr que la fréquentation de Beatrice Decker lui soit une excellente influence car l'enfant lui apprenait de nouveaux tours de manipulation qui allaient jusqu'à réjouir le Diable...

— Allez, Sexy Grinch, te fais pas prier encore. C'est une coutume chez les humains.

— Quoi ? De faire les commères dans le dos des absents ? s'étonna faussement l'ange en arrondissant les yeux sur la note que venait d'apporter le serveur – non sans le reluquer comme s'il était en chocolat.

— Laisse, c'est pour moi, dit Mazikeen en piquant le feuillet. Non ! Je veux dire, raconter les histoires avant d'aller au lit. Le microbe en exige une tous les soirs… Et je suis sûre qu'on est très traditionnel, de partout, chez les Decker...

— Maze, je crois que ce n'est vraiment pas une histoire à raconter à une si jeune enfant…

— T'es qu'un idiot. Je parlais pas de Trixie… mais de moi. dit-elle en enroulant un bras sinueux autour de son cou large. Je veux bien recoucher avec toi si tu me la racontes...

Amenadiel déglutit et resta très droit, il détacha doucement le bras de Maze d'où il était.

— Non merci, déclina-t-il en se levant. Il est l'heure que j'aille travailler. Merci pour la bière, mais la prochaine fois, c'est moi qui paye !

Il laissa la démone seule et perplexe, se sentant vaguement offensée pour une quelconque raison qu'elle n'identifiait pas bien. Lucifer ne voulait plus d'elle ou très épisodiquement, Amenadiel rechignait… Decker ? Non, Decker pousserait les hauts-cris si jamais elle essayait de trouver un peu de réconfort auprès d'elle.

Elle serra sa bouteille jusqu'à en briser le goulot qui éclata dans sa main… Des sentiments désagréables lui comprimaient la poitrine que le verre brisé avait à peine soulagés. Toute la nuit, elle attendrait un appel de Lucifer l'invitant à faire plus intime connaissance avec sa nouvelle épouse, mais qui ne viendrait pas. Ce monde craignait définitivement si Amenadiel commençait à avoir raison. Soudain la brûlure familière de l'alcool qui lui rappelait tant la chaleur de son vrai foyer lui manqua atrocement. Tout était si froid dans ce monde. Elle appela le barman pour qu'il lui serve un poison plus violent qui réchaufferait enfin ses membres.


.°.


Amenadiel

Amenadiel avait fermé le casier du vestiaire, et c'est en uniforme de gardien qu'il quitta la pièce pour rejoindre le secteur qui lui avait été attribué ce soir. Rien de bien folichon en vérité car il devait se contenter du parking alors qu'il préférait largement patrouiller dans les couloirs pour admirer les œuvres d'art.

C'était la fin de son contrat ici. Il espérait qu'ils le réembaucheraient, si jamais il était tenu de rester plus longtemps. Maintenant que Lucifer était rentré, une partie de lui espérait que leur retour à la maison n'était plus qu'une question de jours. En tous cas c'était ce que disait Mom en soutenant qu'ils avaient déjà la clé en leur possession. Mais c'était peut-être vrai qu'elle lui bourrait le crâne, après tout.

Penser à la Cité d'Argent lui rappela ce qu'il avait appris à la psychologue la dernière fois qu'il était venu avec elle. Il se sentait en confiance avec elle, cela l'incitait à parler, et peut-être un peu trop. Mais pas plus qu'à Maze, il ne pouvait révéler à Linda les tristes conséquences de la jalousie de ses frères envers Samael… La Bible rapportait certains détails transposés à travers l'histoire de Joseph, le fils de Jacob, battu et abandonné par ses frères dans le désert. Comment avaient-ils pu se laisser emporter de la sorte ?

Il commença sa ronde sous des auspices méditatifs. Quelque chose d'étrange se passait en lui. Il savait qu'il en voulait à Lucifer pour ses erreurs, sa rébellion, pour avoir voulu renverser l'ordre divin qui autorisait leur comportement cruel, mais les germes de son ressentiment remontaient à plus loin que cela. En naissant, Samael avait déjà bouleversé leur monde, et les avait instantanément dégradés au rang de "fils non préférés". Alors qu'ils étaient obéissants et craignaient leur père, il avait fait d'eux les premiers pécheurs, en leur apprenant l'Envie, l'Orgueil et la Colère.

Bien plus tard en devenant plus rusé, il leur avait montré une voie hédoniste où certains s'étaient laissés engluer dans la Paresse et la Gourmandise et où d'autres, l'avaient suivi dans ses raids terrestres pour leur faire découvrir la Luxure, les plaisirs de la chair avec des mortelles… Peut-être était-ce là sa première véritable vengeance, pour les punir ? Les rendre faibles et les humilier ? Les archanges avaient su résister, mais un certain nombre de frères et sœurs de moindre envergure avaient été envoûtés. Père n'avait pas pu tolérer cela davantage, car on ne savait trop comment, des enfants étaient nés aux filles des hommes, des géants appelés les néphilims, qui commençaient à vouloir dominer les hommes.

Mais qui avait commencé quoi ? Etait-ce juste de rejeter la faute uniquement sur lui ? Quel était l'aveuglement qui l'empêchait de voir que le Diable n'aurait peut-être jamais eu d'existence… s'ils avaient réussi à l'accepter comme il était sans lui faire payer sa différence ?

Amenadiel commençait à trouver que les livres du docteur Linda agissaient bizarrement sur la tournure de ses pensées.

.

Le jeune Samael ayant fini par comprendre que ses frères aînés ne l'aimaient pas du tout et, dans l'impossibilité de s'en plaindre à ses parents ou de chercher le réconfort de ses sœurs, avait décidé qu'il devait se cacher à tout jamais et qu'on oublie jusqu'à sa présence. Il avait donc quitté la Cité d'Argent pour vagabonder au-delà des remparts, dans le Paradis.

Et pendant quelques temps, il avait erré et pleuré tout seul. Non pas parce qu'il avait peur, mais parce que la solitude était un choc trop important pour lui. Alors qu'il n'était que rejeté par quelques-uns, il s'était senti abandonné de tous. Des animaux venaient rester quelquefois en sa compagnie mais ils s'en allaient trop vite.

Un jour qu'il était tristement recroquevillé dans un tronc d'arbre où il était resté plusieurs jours sans bouger, comme l'un de ces petits bouddhas indiens, il avait vu apparaître devant son nez deux pieds crasseux et deux jambes nues pendant qu'un bâton avait donné des petits coups dans ses côtes pour vérifier s'il était toujours en vie. Intrigué, Samael avait levé les yeux et contemplé un visage barbouillé de terre, où perçaient des yeux très noirs qui ressemblaient un peu aux siens, des cheveux emmêlés tout aussi foncés qui tombaient jusqu'aux genoux. Une ange inopinée aux ailes d'ébène et à la peau pâle se tenait devant lui et il avait l'impression que son visage féroce qui montrait les dents était familier tant il comportait de similitudes avec le sien.

Les ressemblances ne s'arrêtaient pas là. Cette ange appuyée sur son bâton sculpté, n'était presque pas vêtue et ne portait en tout et pour tout qu'un pagne court aux hanches, réalisé avec un vieux morceau de tissu orné de feuilles, et un splendide bijou pectoral qui masquait partiellement les deux globes ronds de sa poitrine.

Samael était sorti de son arbre et l'avait regardée avec un peu d'expectative, tentant de jauger ce que sa présence pouvait avoir comme conséquences immédiates pour lui, puis avait dit poliment :

— Bonjour ma sœur, es-tu venue pour me ramener à la Cité ?

L'ange l'avait toisé de haut en bas et, posté de là où il était, Amenadiel avait bien vu que cet examen le rendait un peu confus. On l'aurait été à moins. Avec le recul qu'il avait maintenant, Am se disait que son jeune cadet avait décidément une sorte de malchance persistante d'être tombée sur elle.

— Ça dépend. Qui es-tu, l'avorton ? Je ne te connais pas.

— Je suis Samael, déclara-t-il spontanément avec un radieux sourire.

— Samael ? Je vois qu'ils ne savent plus quoi inventer… Un ange même pas fini maintenant !... déclara-t-elle mystérieusement. Et bien Samael l'incomplet, veux-tu que je te ramène à la Cité ?

— Non !

L'ange mystérieux avait écarté les dents et soufflé pour rire face à sa réponse vive et sans équivoque qui la surprenait.

— Très bien. Veux-tu rester tout seul ou venir avec moi ?

Samael avait hésité et demandé :

— Pourquoi n'es-tu pas avec mes autres sœurs ? Je ne t'ai jamais vue.

Elle s'était détournée impoliment de lui en haussant une épaule, puis avec un dernier regard équivoque qui s'attardait sur la sveltesse élancée du cadet, son ventre plat et la beauté de ses ailes blanches et pures fièrement déployées, elle se remit en marche.

— Parce que je ne suis pas comme elles.

— Comment ça ? avait crié son frère.

— Je suis le petit projet raté de Papa, déclara-t-elle avec un sourire perturbant.

.°.


Sur le moment, Amenadiel en avait été aussi étonné et perplexe que son jeune frère. En effet, il avait pris sur lui de le filer discrètement, dès qu'il avait réalisé qu'on ne l'avait plus vu dans les parages depuis plusieurs jours. Heureusement, avec ses ailes aveuglantes qui luisaient comme un phare dans la nuit, il n'était pas forcément difficile à trouver si on prenait un peu de hauteur.

Am ne sortait que rarement de la Cité d'Argent, et n'écoutait guère les ragots. Il s'occupait de l'entraînement de ses nombreux frères et cela lui suffisait bien à occuper son temps. Pourtant, il n'était pas sans savoir que Père semblait être préoccupé par de nouvelles choses. Des créatures animales spéciales (qui n'intéressaient que lui, pour être honnête). Il y avait déjà beaucoup d'animaux au Paradis, on ne pouvait pas s'intéresser à tous. Mais dans l'une des mémorables (et retentissantes) disputes qui avaient eu lieu entre Père et Mère, il avait entendu le mot "projet" prononcé avec dédain par Mère.

Tout d'abord, l'ange avait supposé que Mom avait probablement mal pris d'être exclue du processus de création, sans doute déçue que Père veuille essayer des choses sans son concours. Mais en entendant cette inconnue dire qu'elle était un "projet raté", il s'était effrayé de comprendre que peut-être, Père avait cherché à créer de nouveaux enfants tout seul… Cette idée proprement insensée et très iconoclaste avait frappé l'Aîné de Dieu comme la foudre et il en avait été si choqué qu'il avait suivi Samael et la sœur étrange, espérant confusément qu'une explication viendrait plus tard. Il connaissait son cadet et son inépuisable goût pour les questions, et il comptait un peu sur lui pour se faire la voix des siennes propres…

Planant caché très haut au-dessus d'eux, il les avait suivis tandis qu'ils se rendaient à pied jusqu'à l'extrême bordure du Paradis, dans un bosquet touffu et giboyeux. C'était manifestement le lieu sauvage où résidait celle dont personne n'avait jamais entendu parler à la Cité d'Argent. Ça se comprenait si elle n'avait pas été conçue avec Mère… La sauvageonne aux ailes noires, l'avait mené jusqu'à l'entrée d'une caverne de pierre claire où elle vivait. Tout près, il y avait le bras d'un des quatre fleuves du Paradis, que l'on entendait couler entre des rochers.

— Va me chercher un poisson ou un lapin, a-t-elle ordonné en arrivant.

— Pourquoi faire ? avait sursauté son cadet.

Amenadiel avait souri sous cape. Ah, le spectacle allait commencer ! La nouvelle venue avait cillé face à cette réaction qu'elle ne devait pas anticiper et qui réjouissait l'Aîné, il devait bien l'avouer. Si elle s'attendait à être obéie... elle allait voir ce que c'était de gérer le petit frère au quotidien ! Et pourquoi ci, et pourquoi ça ? Non je veux pas faire ça !

— Pour le manger ! répondit-elle après un instant.

Samael s'était récrié en reculant, horrifié.

— On ne mange pas les animaux ! Es-tu folle ?

— Je ne t'obligerai pas à en manger si tu n'en veux pas. Mais moi j'ai envie d'un poisson pour le dîner, et si tu veux dormir dans la caverne près du feu avec moi, tu m'en apporteras un. C'est ma caverne, c'est moi qui décide. Si tu veux la partager, tu dois m'offrir un cadeau en dédommagement.

Le jeune Samael avait ouvert la bouche et s'était empourpré de stupéfaction et d'un autre sentiment bouillonnant qu'il ne connaissait pas. Cette histoire de cadeau était une affreuse perversion de l'hospitalité naturelle.

— Non, je ne vais certainement pas faire ça ! Je ne dormirai pas dans ta sale caverne toute moche s'il faut tuer une créature pour ça ! Et j'ai pas besoin de feu ! Je suis le maître du FEU ! s'était-il entendu dire avec une voix peu crédible qui partait dans les aigus.

Contre toute attente, l'ange mystérieuse s'était mise à rire.

— Mais bien sûr ! On en reparlera quand tes jolies fesses se choperont des engelures, mon chou !

Puis sans transition, s'approcha du bord de la rivière où elle retira son pagne. Nue et impériale entre ses ailes incurvées, elle le regarda droit dans les yeux pour lui commander d'un air supérieur de garder ses affaires pendant son bain.

Et elle y barbota pendant un temps infini en l'ignorant royalement.

Quand elle en ressortit un peu plus tard, Samael qui l'attendait cessa de bouder et admira sans honte sa beauté évidente, maintenant qu'elle était un peu décrassée. Les longs serpents luisants de ses cheveux mouillés, l'ovale de ses joues pleines, le rouge inhabituel de sa bouche ourlée et épaisse, ses épaules et ses bras musclés par l'exercice, la rondeur perchée de ses globes, sa taille étranglée, la suave courbure de ses hanches rondes aux cuisses fuselées…

Cette vision le rendait euphorique et lui rappelait le bonheur qu'il avait d'être avec ses aînées quand il était plus jeune et qu'il vivait avec elles. Dans toutes leurs activités journalières, elles le portaient contre elles ou sur leur hanche, parce que ses jambes étaient trop petites pour les suivre sans fatiguer. Pendant qu'elles vaquaient à leurs travaux domestiques ou champêtres, par commodité et sans y voir le moindre mal, elles le plaçaient souvent dans leur giron, emmailloté d'une écharpe dans un repli de leur col, pour garder les bras libres. Et il s'endormait là, le nez écrasé contre l'oreiller de leur poitrine si douce, bercé par le battement régulier de leur cœur, enivré de leur parfum tendre. Depuis quelques temps, il se désolait de la perte de ce merveilleux sentiment de sécurité et de bien-être qu'il y avait à être lové tout contre un être aimant et protecteur.

— Tu vois quelque chose qui te plaît ? demanda-t-elle avec un sourire bizarre en se retournant face à lui.

Le regard étonné de Samael fut aussitôt attiré par quelque chose de très inhabituel. Une courte petite chevelure soyeuse noire juste à la pointe basse du ventre de l'ange qui contrastait très fort avec la blancheur laiteuse de sa peau, en la rendant difficile à manquer.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? s'intrigua-t-il en tendant le bras. Mes autres sœurs ne sont pas ainsi.

— Je t'avais dit que je n'étais pas comme elles, tu me crois maintenant ?

— Oui, mais qu'est-ce que c'est ?

— Et bien, chéri, si tu es bâti comme tes frères, un truc qui te servira à rien du tout ! soupira-t-elle en refixant son pagne. N'y pense plus, et va plutôt te chercher des fruits ou peu importe ce que tu manges avant qu'il fasse nuit ! Bouge ! Je vais pas le faire pour toi !

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(à suivre)


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