La petite famille dans la Prairie

Chapitre 1 : Burr Oak

1530 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/05/2023 18:26

Bien planté sur ses deux pieds, le large panneau indiquait sobrement : "Burr Oak." L'annotation gravée dans le bois, elle, conseillait : "Étranger, soit tu marches au pas, soit tu passes ton chemin". Fièrement dressée dans les vertes plaines de l'Iowa, encadrée par les cultures, la petite agglomération se targuait d'une moralité irréprochable. Cette moralité, pour tout dire discutable, était, comme bien souvent dans ces temps troublés, garantie par une élite autoproclamée et, sous le couvert de la loi, prévalait sur ce qui était juste. À Burr Oak, les apparences étaient soignées : les rues étaient gravillonnées et les bâtiments importants du petit centre-ville étaient bordés d'un large trottoir de bois traité. L'architecture finement détaillée des bâtiments d'un blanc réglementaire s'harmonisaient avec les chênes fournis qui parachevaient le décor. Il y avait peu de nuage dans le ciel bleu de cette petite ville aux apparences idylliques.

Depuis sa boutique, derrière son comptoir, se tenant droit, les mains dans le dos, vêtu d'une blouse blanche, l'apothicaire observait l'effervescence de la rue, de l'autre côté de sa vitrine. La clochette au-dessus de l'entrée de sa boutique tintât, le sortant de son jugement silencieux. Sous ses fines moustaches grises se dessina un sourire professionnel suivit, par réflexe, de la salutation d'usage :

-Bonjour cher client, en quoi puis-je vous aider ?

Le sourire disparu aussi rapidement qu'il était apparu : un étranger venait de passer la porte de sa boutique. Sous un large chapeau blanc retombait une mèche noire. Les mains sur son ceinturon, le cow-boy au foulard rouge avançait d'un pas tranquille, laissant tomber la poussière de son jean et le bruit de ses éperons dans le calme de la boutique ordonnée du Dr Starr. L'étranger s'accouda à l'épais comptoir de bois ciré comme s'il s'était trouvé dans un bar. Le sourire avenant sous son nez un peu large, il lança nonchalamment :

-Salut toubib, belle journée.

Le chaleureux accueil se mua en un glacial :

-Que voulez-vous, étranger ?

Nullement désarçonné, le cow-boy repris, avec une pointe d'humour :

-Il me faudrait un remède de cheval. Pour les maux de tête.

Levant un sourcil, le médecin commerçant s'enquit tout de même :

-Adulte ou enfant ?

Avant d'avoir sa réponse, le professionnel de santé avait déjà le nez dans les tiroirs du large meuble qui s'étendait derrière le comptoir.

-Je vous l'ai dit : cheval. Adulte, précisa l'étranger.

Se raidissant comme sous l'effet d'une douche froide, le Dr Starr se retourna lentement pour poser un regard sévère sur son client :

-Je ne suis pas vétérinaire. Monsieur...?

-Luke, annonça le cow-boy en se préparant une cigarette. Lucky Luke. Et je soigne mon cheval comme je me soignerai moi-même.

Du bout de la langue, il humidifiat le petit papier qu'il venait de garnir de tabac. Le regard plongé dans celui de l'apothicaire, Luke roula patiemment sa tige. Starr abdiqua et déposa une petite bouteille de verre marron devant lui :

-Alcool de menthe, quelques gouttes en inhalations. Il en faudra un peu plus que si c'était pour vous. Annonça-t-il, désabusé.


Soulagé de quelques dollars, Luke glissa sa bourse dans la poche du veston noir qu'il portait par-dessus sa chemise jaune et quitta l'établissement. Il prit une grande inspiration d'air pure, gratta une allumette et alluma la roulée qu'il tenait pincée entre ses lèvres. De l'angle de l'établissement, une gamine déboula à toute jambe et, regardant derrière elle plutôt que devant, percuta le cow-boy qu'elle n'avait pas vu. Luke rattrapa à temps le médicament, mais sa cigarette lui échappa pour disparaitre entre les lattes du trottoir. La petite se confondit en excuse :

-Pardon M'sieur! Je suis désolée !

Luke regretta quelques secondes la dose de nicotine perdue, puis rassura l'enfant d'un sourire bienveillant :

-Ce n'est rien petite.

La petite rouquine devait avoir une dizaine d'années, était vêtue d'une robe à fleur usée qui devait avoir deux fois son âge. Deux tresses impeccables indiquaient que quelqu'un prenait soin d'elle.

-Où est ta maman ?

Une femme se fit entendre, et apparue à son tour, le teint rouge de colère. Vêtue d'une large robe bordée de dentelles, elle était apprêtée de bijoux, maquillée et arborait une coiffure faite des chignons et des nœuds. Luke cru deviner sans peine une perruque.

-Laura, veux-tu revenir ici!?

D'instinct, Luke se positionna entre l'enfant et la furie. Rouge de colère, cette dernière s'adressa à la rouquine :

-Laura, cesse d'infortuner le Monsieur et rentre tout de suite !

Luke, un sourire en coin, se pencha vers la petite et lui demanda calmement :

-Je me trompe en disant que cette dame n'est ni ta maman, ni ton institutrice ?

-Ça non, m'sieur.

Toujours en ignorant la présence de la pomponnée colérique, Luke continua :

-Et elle est où, ta maman ?

-Dites-moi étranger, s'imposa la femme. Je vous serai reconnaissante de vous emmêler de vos affaires.

Luke se redressa :

-Avant d'emmêler, Madame, j'aimerais démêler : avez-vous, ou non, un lien de parenté avec cette enfant ?

La perruquée pris un air digne, posa sa main droite sur sa poitrine et annonça benoîtement :

-Pas encore.

Du milieux de la rue, une voix interpella à son tour la petite Laura. Attendant le passage d'une diligence pour traverser, la femme avait les cheveux longs bruns légèrement indisciplinés, une longue robe marron en tissus épais orné d'un col blanc. Elle finit par arriver au pas de course, et la petite se jeta dans ses bras. Luke se mit légèrement en retrait, appuyé contre la vitrine. Les mains jointes, tout sourire, la perruquée s'adressa à la nouvelle venue d'une voix mielleuse :

-Nous en avions déjà discuté Caroline, il me semble que cela serait une meilleure solution pour tout le monde, cela épongerait vos dettes auprès de mon époux et je pourrais également intercéder auprès de Mr Bisbee au sujet de votre problème de mensualités.

La mère monta sur le trottoir surélevé et enfonça son doigt dans les côte de la pompeuse :

-Je ne vous céderai pas ma fille pour tout l'or du monde, Miss Starr! Ni aujourd'hui, ni jamais. Maintenant, retournez à votre coiffeuse, ou retournez pleurer dans la blouse de votre charlatan d'époux, cela m'est égal, mais laissez notre famille tranquille !

Pour feindre un peu de fierté, Miss Starr leva si haut le menton qu'elle dut maintenir sa perruque à deux mains pour qu'elle ne tombe pas. N'ayant pas de repartie appropriée, elle disparut derrière la porte en verre de la pharmacie, qu'elle se garda bien de faire claquer.

Laura chuchota quelques mots à sa mère qui salua le cow-boy :

-Merci de cette intervention, Monsieur..?

-Lucky Luke, répondit-il d'un mouvement poli du chapeau, puis il précisa: cow-boy solitaire.

-Caroline Ingalls, mère de famille.

-Passez une bonne fin d'après midi, mesdames.

Lorsqu'elles eurent pris congé. Luke foula les graviers et siffla. Puis siffla de nouveau.

-Mais où est-ce qu'il est passé ?

Des grattements se firent entendre sous les lattes du trottoir, et le chien s'en extirpa. Le cow-boy amusé lui demanda :

-Mais qu'est-ce que tu faisais là-dessous, Rantanplan ?

C'était un bâtard aux longues pattes, au poil raz marron, aux oreilles en pointes, à la large gueule orné d'une grosse truffe ronde. Le plus chevronné des Darwinistes aurait eu bien du mal à déchiffrer l'énigme généalogique ayant donné naissance à Rantanplan. Le chien, lui, se souvenait avec tendresse de sa petite mère, maigre et chauve.

Il s'assit face à Luke, remuant la queue, le regard fier, il déclara :

-J'ai trouvé un bâton.

Luke se pencha, intrigué par ce que son compagnon avait dans la gueule. Rantanplan avait retrouvé son mégot, toujours fumant. Amusé, il le lui retira des babines.

-C'est pas pour les chiens, ça, mon vieux.

Le chien se mit à lui tourner autour, la langue pendante :

-Allez, lance-le! On joue ! On joue !

Le mégot était couvert de bave, Luke le lança au loin avec dégoût. Suivant le mouvement, Rantanplan fila ventre à terre :

-Je vais chercher ! Je vais chercher !

Quelques jours plus tôt, Rantanplan s'était endormi dans un wagon à bestiaux, lors d'un transfert de prisonniers. Le chien avait terminé sa course dans le Minnesota lorsque Lucky Luke l'avait intercepté. Luke, qui se trouvait dans la région après avoir aidé à la transhumance d'un troupeau de Pineywoods, avait trouvé plus judicieux de chevaucher jusqu'à Des Moines, dans l'Iowa : la correspondance suivante pour le Texas n'arrivant que des semaines plus tard. Il n'avait voyagé que jusqu'à Burr Oak, mais le cow-boy n'était pas pressé. Si Luke appréciait la compagnie du chien, ce n'était pas le cas de Jolly Jumper, sa monture, pour qui le voyage commencé à être long. Il ne se doutait pas que le voyage ne faisait que commencer.

Laisser un commentaire ?