La petite famille dans la Prairie

Chapitre 3 : Association de "bienfaiteurs"

1429 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 03/05/2023 11:53

Quittant la chambre à l'étage qu'avait bien voulu lui louer le tenancier, Elliot descendit calmement le vieil escalier grinçant, et traversa le saloon en direction de la porte battante. On n'acceptait pas de servir décemment les chasseurs de primes, mais on acceptait leur argent avec beaucoup moins de scrupules. Après avoir humé l'air frais du matin sur le perron de l'établissement, Belt posa son long manteau et son chapeau noir sur la barre d'attache, qui n'accueillait pour le moment aucun chevaux, et s'agenouilla devant l'abreuvoir. Il remonta les manches de sa chemise et entama une toilette sommaire. Une fois rafraîchi, Belt emporta ses affaires pour les poser sur le dossier d'une chaise du saloon et commander un petit déjeuner. Il était en train de tremper sa tartine non beurrée dans sa flaque de café noir lorsque la cohorte fit une entrée remarquée dans l'établissement, menée par un large bonhomme visiblement mécontent :

-... Depuis des jours, je vous demande de saisir ses chevaux, Shérif ! Et maintenant, vous me dites que ce coupe-foin à mis les bouts?!

L'imposant personnage vêtu d'un costume de velours écarlate avait le visage rougi par la colère. Il était suivi par un petit individu, sec comme une brindille en plein soleil, qui penchait sous le poids de l'étoile qu'il portait à la poitrine :

-La loi ne fonctionne pas ainsi, M'sieur Bisbee, commença le vieillard. Charles vous a signé une reconnaissance de dettes...

L'impressionnant Bisbee se pencha sur le shérif et, lui offrant par la même occasion une douche de postillon, hurla :

-Ça, j'veux pas l'savoir!

Le shérif s'essuya le visage à l'aide d'un vieux chiffon. À sa suite se trouvaient le Dr Starr et son épouse. Tous prirent place autour d'une table, non loin de Belt. Le barman vint y déposer machinalement une carafe de café, des tasses et des petits pains. Bisbee et les Starr avaient leurs habitudes. Elliot Belt tendit l'oreille, écoutant le petit groupe se lamenter sur cette famille qui les avait spoliés de tant d'argent. Argent dont ils ne manquaient visiblement pas, selon l'expertise silencieuse du chasseur de prime.

-J'avais proposé d'éponger leurs dettes en échange de la petite Laura, rappela Miss Starr que le côté inhumain de l'idée n'effleurait même pas.

-Eunice, je vous en prie... soupira son époux, fatigué de l'entendre évoquer la question. Laura est partie, et ce n'est pas notre vieux shérif qui ira vous la chercher.

Le bois d'une chaise grinça derrière eux, attirant l'attention du petit groupe. Mâchant son pain, Belt se tenait à califourchon sur sa chaise retournée :

-Moi je vous la ramène. Moyennant finance.

-Et mes chevaux ? S'enquit immédiatement l'imposant Bisbee. Qui va me les ramener mes chevaux ?

-Ce ne sont pas vos chevaux, Monsieur le Maire.

Le vieux shérif cru bon de devoir rappeler sa position à Bisbee, comme si cela avait pu le pousser à faire montre de responsabilité.

-Ça j'veux pas l'savoir ! Hurla t'il dans un déluge digne de la bible.

L'ancêtre leva la main pour appeler le barman:

-Garçon, une serviette, s'il vous plaît.

Belt, qui ne voulait pas passer à côté d'un contrat, fût-ce t'il malhonnête, s'imposa de nouveau :

-C'est d'une gamine dont parle, n'est-ce pas ? J'vous faut mi-tarif !

Le cœur d'Eunice sauta de joie dans sa poitrine compressée. Elle saisit la manche de la blouse de son époux et la secoua :

-Ho, c'est une honnête proposition, mon amour ! Avec Laura à la maison, nous pourrions congédier la bonne et nous passer de ses sévices!

Âpres avoir reposé sa tasse de café, le docteur Starr, fatigué, soupira de nouveau :

-De ses "services" Eunice, de ses "services"... Mon amour, nous avons autant de droits sur cette enfant que Mr Bisbee en a sur ces chevaux.

L'homme en rouge frappa la table de sa lourde main :

-Et bien, voilà ce que je vous propose : pour le prix des chevaux, je vous fais un certificat d'adoption pour la petite Ingalls ! Officiel, légal et tout le toutime !

Eunice applaudit frénétiquement d'excitation, le Dr Starr sorti son chéquier et Elliot Belt enfila son cache-poussière.

Le shérif se leva, posa son torchon humide sur la table :

-Bon, bah, je vous laisse à vos occupations, moi, je vais bosser…


...


Un matelas avait été disposé à l'arrière du chariot et prenait toute la place. Un livre de contes était coincé entre ce lit de fortune et le rebord de bois. Rantanplan, couché sur la peau de bête qui servait de couverture, était balloté par les secousses du véhicule.

-Pas très réglementaire ce transport de prisonniers, se dit-il.

Les trois chevaux gris tiraient bravement le schooner des Prairies, dont la bâche blanche et arrondie rappelée des voiles. D'une main sûre, Charles aidait les animaux à gérer les dénivelés. Les vastes plaines Minnesota n'étaient que verdure et vallons. Les voyageurs avaient pu quitter l'Iowa avant le levé du soleil, et cheminaient maintenant sous un beau ciel dégagé. Pour laisser un peu d'intimité à Caroline, à l'avant, qui donnait le sein à la petite Grâce, Luke chevauchait à l'arrière pour le plus grand bonheur de trois petites curieuses. Accoudées à la ridelle de bois, les trois frangines se relayaient pour questionner leur nouvel ami :

-Il est beau votre cheval. Comment il s'appelle, M'sieur Luke ? demanda la petite Carrie.

-Jolly Jumper, répondit Luke. Puis il ajouta fièrement en caressant la crinière de son ami : c'est le meilleur compagnon dont on puisse rêver.

D'un air dégagé, Jolly, que la flatterie ne laissait pas indifférent, ajouta :

-T'es pas mal non plus, Cow-boy.

Arborant une adorable bouille ronde, de grands yeux curieux, Carrie était plus jeune que Laura de quelques années. À gauche de Laura se trouvaot leur grande sœur, Marie. Âgés d'une douzaine d'années, ses yeux bleues montraient déjà la même détermination que son père.

-Vous êtes toujours sur les routes, M'sieur Luke ? Demanda cette dernière. Je veux dire : vous avez un foyer ?

Avec un lyrisme ne laissant place à aucune moqueries, Luke déclama avec une sincérité profonde, tout en roulant sa cigarette :

-J'habite dans les plaines et les déserts. Je vis partout et nulle part. Je suis toujours loin de mon foyer et constamment chez moi.

Et Jolly précisa :

-Sur mon dos.

Et Laura, nullement émue :

-Vous avez une fiancée, M'sieur Luke ?

Luke qui venait d'allumer sa cigarette sembla s'étouffer sur sa première bouffée.

-Je t'ai déjà dit d'arrêter ces machins, Cow-boy, lui rappela l'appaloosa.

La voix de Caroline se fit entendre :

-Allez les filles, il est l'heure de faire les leçons.

Elle emmaillota Grâce, qui dormait déjà et la déposa à côté de Rantanplan :

-Bon chien, lui dit elle, avec une caresse sur la tête. Je te fais confiance.

-Vous inquiétez pas : je vais le surveiller vot' délinquant juvénile.

Elle saisit le livre de contes et rassembla ses filles autour d'elle a l'arrière du chariot.

Jolly, d'un galop léger, se mit à la hauteur de Charles.

-Je vous suis reconnaissant pour cette escorte, mais le voyage devrait se dérouler sans encombres.

-C'est tout ce que je souhaite, Charles. Mais il vaut mieux être prudent.

Luke marqua une pause, puis annonça, comme un aveu :

-C'est une bien belle famille que vous avez là.

Le patriarche senti la solitude dans la voix du cow-boy.

-Vous avez quelqu'un qui vous attend, M'sieur Luke ?

Dès que Laura avait évoqué le sujet, il y avait pensé. Il n'avait pas pensé à Jenny depuis des mois. Il s'était efforcé de ne plus y penser. Il se contenta d'un :

-Non.

Aujourd'hui encore, le cow-boy ne saurait pas dire s'il l'avait fuis ou s'il avait simplement choisi ce qui lui semblait juste…

Jolly tendit un peu le cou, et s'adressa au trio qui trimait à l'avant :

-Et sinon, vous faites quoi, quand vous n'êtes pas sur les routes ?

-Le plus souvent, on bosse à la ferme, répondit celui du milieu.

-Et c'est une bonne situation, ça, fermier ?

Le plus proche pris la parole :

-Vous savez, moi, je ne crois pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaise situation. Moi, si je devais résumer ma vie aujourd’hui avec vous, je dirais que c’est d’abord des rencontres…

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