Le début du jeu

Chapitre 6 : Paire de valets

8207 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/08/2020 20:33

Sans passer par la case départ


En dépit des insistances de Clint sur la dangerosité de laisser à leurs ennemis la possibilité de s’échapper, Steve coupa court à ses désirs de réduire leurs agresseurs à un silence définitif. En effet, deux spécimens identifiés de Skrulls envahisseurs, qui plus est issus du laboratoire où se trouvaient fabriqués les Bosons, leur fourniraient sûrement de précieuses informations sur les intentions des extraterrestres. Et Tony avait besoin de tous les renseignements possibles. D’une manière bien plus personnelle, le super-soldat refusait de prendre la vie de qui que ce soit, à moins de ne pas avoir d’autre choix. Que la vie en question soit humaine ou non. Une conception que Clint, doté d’une mentalité bien plus radicale, ne parvenait pas à comprendre.

– C’est complètement idiot, marmonna l’archer en serrant davantage le câble autour d’un des survivants extraterrestre.

Celui-ci, encore sonné par sa rencontre avec le bouclier du Captain, laissa échapper un faible grognement protestataire, proprement ignoré par les deux agents.

– Dès que nous aurons le dos tourné, ils chercheront à nous la faire à l’envers, et nous allons finir un poignard dans le dos ! Enfin, une de leur lame-bras de l’espace.

– Une bonne raison pour les attacher solidement alors, rétorqua son vis-à-vis, bâillonnant les Skrulls.

Néanmoins, il savait que son compagnon parlait d’or, s’il se fiait à la lueur meurtrière brillant dans les yeux sombres de l’extraterrestre. Voir ses compagnons abattus par les traits précis de l’archer lui faisait peut-être renoncer temporairement à se battre, mais dès que la menace immédiate disparaîtrait de son champ de vision, seule la destruction de ceux l’ayant humilié lui importerait.

– Tu es franchement trop gentil, soupira Clint.

– Je suis bien obligé, tu as éliminé tous tes ennemis, je dois bien garder les miens pour l’exemple.

Marmonnant d’incompréhensibles paroles ressemblant fort à des imprécations – hélas trop loin pour que Steve ne puisse le réprimander sur son langage, à coup sûr prétendrait-il que le Captain avait mal entendu –, l’archer se tut enfin, croisant dédaigneusement ses bras sur sa poitrine.

Après une dernière vérification de la solidité des liens, Steve adressa un petit signe du poignet à l’adresse de l’archer. Se décollant du mur auquel il était adossé, ce dernier suivit son homologue, empruntant les escaliers métalliques quittant les cellules exiguës installées dans la soute, le bruit des bottes renforcées claquant contre les murs exempts de toute décoration. Excepté le logo du SHIELD étalé un peu partout, beaucoup plus stylisé que dans le souvenir de Steve. Même en étant le directeur d’une agence aussi connue et pourvu d’un statut connu du monde entier, Tony n’avait pu résister à l’envie d’apposer son empreinte.

– Tu ne trouves pas ça étrange que notre cher milliardaire ait créé des cellules de prison à l’intérieur même du Quinjet ? s’interrogea l’archer. Il n’y en avait pas, dans mon souvenir.

Ouvrant un placard, il en sortit un verre (le super-soldat sourit en constatant que l’objet aussi était estampillé du petit logo sur sa moitié supérieure), tournant le cristal entre ses doigts, pensif.

– Ce n’est pas le moment de se saouler, éluda Steve. Nous avons du travail.

– Tu es déprimant. Et puis, loin de moi cette idée. Quoique, avec le généreux bar fourni par Tony, j’aurais de quoi me débrouiller. Bref, quel est le plan, cher leader associé ?

– Associé ?

– Bah oui, les Avengers ne sont pas reformés, donc tu n’es pas encore redevenu notre chef.

Ne sachant pas vraiment réagir à la remarque de son associé, Steve afficha sa plus belle poker-face, au cas où l’homme choisirait d’insister. Dépité du manque de réaction suite à sa boutade, Barton fit la seule réaction logique en cas de bide aussi flagrant ; comme si cela ne s’était jamais produit, il reposa son verre, empoignant les plans du laboratoire brésilien dissimulés derrière un panneau latéral incrusté dans le mur.

– Combien de cachettes Tony a-t-il fichues dans le Quinjet, à ton avis ?

Le super-soldat saisit le plan plastifié tendu par l’archer, laissant ce dernier ouvrir l’un des tiroir du poste de pilotage, en sortant une paire de jumelles qu’il braqua sur la massive silhouette pierreuse du laboratoire.

– Vu la taille de l’appareil, trop pour qu’on puisse les compter, répondit Steve, pragmatique.

– Tu lui demanderas les plans si je te promets de le convaincre de te rendre ton bouclier en vibranium ?

– Personne ne peux le convaincre de quoi que ce soit s’il n’en a pas envie, déclara-t-il d’un ton neutre.

Exactement le genre de conversation que Steve ne souhaitait guère entretenir au sujet de Tony, évidemment. Il ne regrettait pas d’avoir laissé son si emblématique bouclier aux pieds de l’ingénieur ; comme ce dernier, suite à leur affrontement (1), le lui avait fait remarquer, l’homme ne s’en sentait plus digne. Pas alors qu’il venait d’aider à s’enfuir l’assassin des parents de l’ingénieur (2), parce qu’il était son meilleur ami. Que Bucky n’ait pas une fois été responsable de ses crimes, sous l’emprise du contrôle mental d’Hydra, ne changeait rien aux faits. Un souvenir encore pénible, que Clint venait involontairement de raviver.

Enfin, ses sentiments personnels ne devaient en aucun cas influer sur la situation présente.

Déroulant la carte du laboratoire, après une rapide vérification des environs immédiats, Steve cala les coins avec le verre abandonné par Clint et un livre sur le pilotage. Maintenant le bas du papier avec sa main droite, la gauche engloba d’un large mouvement l’entrée de l’édifice.

– Nous n’avons pas beaucoup de temps. Le retard de nos « gardes du corps » va bientôt alerter leurs collègues. Notre chance, c’est qu’ils nous ont sous-estimés, et qu’ils ne s’attendent pas à ce que nous battions la première escouade. Mais je doute qu’ils commettent deux fois la même erreur.

– Et donc, tu proposes quoi ? questionna l’intéressé sans se retourner. De passer par la porte de derrière ? À vue de nez, j’ai bien l’impression que la voie est libre, mais j’ai un angle mort au niveau du deuxième jardin.

Déplaçant son doigt sur la surface lisse, tout en soupirant intérieurement contre le revêtement aussi glissant qu’une anguille trempée, Steve réfléchit un bref instant. S’il se fiait à l’image péniblement retenue étalée sous ses yeux, de multiples balcons garnissaient les trois étages du laboratoire, environ une dizaine en tout, offrant autant de possibilités d’entrées… offertes à la vue de tous. Sauf si l’arrière se trouvait moins surveillé, avec ses trois plateformes à ciel ouvert, mais là encore rien n’interdisait l’un des scientifiques de soudainement entrer dans la pièce attenante, démasquant sur-le-champ le pot aux roses.

L’issue dont parlait Clint était une porte située dans l’arrière-cour, au-delà des murets délimitant le jardin en parcelles soigneusement organisées, bien que Steve ignore l’utilité d’une telle installation. Une manière pour les scientifiques de profiter d’un peu de calme entre deux recherches, sûrement. Escalader les séparations ne poserait aucun problème particulier, si, ainsi que le fit remarquer l’archer, personne ne montait la garde. Mais si les Skrulls étaient en alerte, ou le deviendraient prochainement, la sortie risquait de se trouver bloquée, laissant le quatuor à la merci de leurs ennemis.

Sa main descendit encore, se perdant dans un réseau de tunnels peu étendus, mais extrêmement concentrés sous la masse schématisée du laboratoire. Entièrement artificielles, et toutes reliées à un endroit ou un autre du laboratoire, ces installations furent construites, d’après Tony, au cas où il serait nécessaire d’évacuer certaines de ses trouvailles en urgence, sans qu’il ne soit possible de le faire par la surface. Hélas, ces précautions ne furent guère suffisantes, songea amèrement Steve.

Mais aujourd’hui, elles seraient suffisantes pour eux.

– Pourquoi ne pas tenter les souterrains ? proposa-t-il, tapotant leur représentation de l’ongle.

Délaissant son poste d’observation, l’archer se pencha à son tour, ses iris pâles acérés parcourant l’écriture serrée de l’ingénieur bien plus rapidement que son homologue, comme s’il prenait une photographie mentale des lieux. Même en tant que fugitif recherché par le gouvernement américain, Clint ne parvenait à se défaire de ses réflexes d’espion du SHIELD, dusse-t-il justement échapper à ses anciens collègues.

– Certains d’entre eux débouchent un peu à l’écart, approuva-t-il finalement, mais nous risquons de rallonger le chemin pour retrouver nos alliés. Surtout s’il faut les chercher à l’aveuglette.

– Je n’ai certainement pas l’intention de perdre autant de temps. Puisque nous ne pourrons pas reproduire leur trajet depuis l’entrée principale, il nous faut un moyen de savoir où ils se trouvent actuellement rapidement. C’est pourquoi nous irons directement dans la salle de contrôle ; le pass que nous a donné Tony nous permet d’entrer quasiment partout, et de là, nous pourrons consulter les caméras et déterminer où sont précisément nos amis. As-tu remarqué beaucoup de surveillants ?

– Bien moins que je ne l’aurais pensé, déclara Clint, ne croyant pas tellement lui-même à ce qu’il disait. Le mouvement se concentre surtout au niveau de l’entrée principale, un grand nombre de Skrulls voyage entre l’extérieur et l’intérieur du bâtiment. Le plus dérangeant, ce sont leurs allées et venues incessantes. Par contre, personne, pour l’instant, ne semble vouloir se diriger vers le Quinjet. J’en ai vu un ou deux regarder dans notre direction, mais rien de plus menaçant.

Ne désirant guère vérifier les affirmations de son compagnon de galère (il connaissait suffisamment Clint pour se fier à son jugement et, plus particulièrement, à son œil de faucon), Steve hésita à se débarrasser des frusques constituant son déguisement, tandis que Clint, de son côté, ôtait déjà la lourde perruque trempée de sueur et, de toute façon, déjà de travers à cause de leur affrontement contre les Skrulls. Un regard sur les cadavres des deux adversaires de l’archer, rapatriés au sein du Quinjet, le convainquit de n’en rien faire. Durant la Civil War, Captain America avait été la figure de proue de la rébellion, l’image que les gens gardaient en mémoire chaque fois qu’ils pensaient à ces tristes évènements. Celui qui s’était volontairement opposé au gouvernement. Et donc, l’homme le plus susceptible d’être reconnu par les Skrulls, et par la population si jamais ces derniers se décidaient à utiliser de nouveau les organes de presse. S’il lui était possible de garder son anonymat encore quelques jours, quitte à supporter ces vêtements moins habilités pour le combat que son habituel costume, il était prêt à faire cet effort. Avec ça, Tony n’avait certainement plus intérêt à douter de sa loyauté !

– Sortons par la porte de derrière, conclut-il sobrement.


Dès qu’ils eurent franchi le seuil métallique de la porte coulissante, prenant garde à ne laisser aucun bruit résonner dans l’air frais du soir dont la morsure piquait déjà les corps aux manches de vêtement courtes, les deux hommes s’assurèrent de verrouiller correctement les issues de l’appareil, Steve vérifiant le procédé par deux fois afin de s’assurer que personne, excepté eux, ne pourraient pénétrer en son sein. Alors que des extraterrestres tentaient plus que probablement de les éliminer, vouloir cacher ses inquiétudes à son camarade en prétextant la prudence était ridicule, mais il n’y pouvait rien. En tant que leader, et ce en dépit des taquineries de Clint, Stark ou toute autre personne, exigeait des responsabilités qu’il comptait bien assumer jusqu’au bout. Y compris envers l’adolescent Peter, tout juste intégré dans leur groupe, enfin pour ce qu’il en savait. Malgré la dangerosité de leurs actions, Clint avait raison sur un point : si un véritable remue-ménage prenait place autour du luisant logo de Stark Industries, fort peu de leurs ennemis s’aventuraient hors du cercle des parcs et jardins, n’accordant aux environs qu’une surveillance minimale.

Se détachant de la coque métallique du Quinjet, Steve s’avança en silence entre les buissons d’apparence desséchés, promptement suivit par l’archer. Rapidement cependant, ils durent s’accroupir, la végétation ne leur arrivant qu’à la taille, à l’affût du moindre son les avertissant que leurs présence serait repérée. La densité du paysage désolé gênait leurs mouvements, les forçant à les ralentir afin de ne pas secouer en tous sens les tiges oscillant doucement au gré de la faible brise balayant les terres abandonnés, soulevant une fine pellicule de poussière que le duo contra en plaçant la main devant leurs nez et leurs bouches. Une solution peu pratique, et d’une efficacité relative, mais cela leur permit de ne pas tousser comme des perdus là où la discrétion s’exigeait.

L’astre solaire entamait sa descente vers l’horizon, se parant d’une lueur chaude safran, sa nitescence prolongée par deux rais horizontaux semblables à une corolle délicate enveloppant son trésor dans un écrin impalpable, et pourtant mortel. Pour le moment, l’absence totale de nuages permettait une luminosité suffisante pour guider les deux hommes à travers la savane brésilienne, cette dernière momentanément parée d’une palette de nuances entre le rose et le rouge, seule réceptacle de la superbe démonstration flamboyante du soleil déclinant, aussi n’eurent-ils que peu de difficulté à se repérer, l’un d’entre eux prenant parfois le risque de relever légèrement la tête afin de vérifier leur bonne direction.

De temps en temps, ils croisaient au détour d’un arbuste à peine de la taille d’un homme un des membres du personnel Skrull, pour l’essentiel des gardes du corps et des domestiques récupérant quelques appareils laissés à l’extérieur dans le but de prendre quelconque mesure, leurs gestes précis mais sondant avec nervosité les environs. Chaque fois, Steve et Clint durent se plaquer contre le sol, progressant en rampant doucement, captant le plus léger bruit susceptible de les faire repérer, ou en restant sur place quand l’ennemi en question se révélait trop proche. Heureusement, dans leur empressement étrange, personne ne les remarqua, repartant de plus belle. Une fois seulement, Steve craignit de devoir éliminer l’un des scientifiques (par précaution, il préférait supposer que les têtes pensantes, capables de maîtriser des technologies inconnues jusqu’à récemment des Skrulls, aient été conservées par ceux-ci au cas où certains calculs nécessiteraient leur concours), s’étant approché à quelques pas seulement des deux hommes, Clint ayant tendu sensiblement la corde de son arc, une flèche encochée au préalable. Mais après un bref instant de tension, durant lequel le scientifique parut scruter les environs, il tourna les talons, jetant fréquemment de furtifs regards en arrière.

Ils continuèrent à progresser d’un rythme soutenu, seulement ralenti par les rencontres impromptues. Au bout d’une bonne dizaine de minutes, ils se retrouvèrent au pied d’une des collines jalonnant si fréquemment le Cerrado, qui plongeait en contrebas du laboratoire. Le vent s’engouffrait entre les parois étroites du fossé, amenant à leurs oreilles un grondement assourdissant couvrant en partie les craquements des buissons alentours quand ils se redressèrent prudemment. D’après les souvenirs de Steve, la trappe menant aux souterrains se trouvait un peu plus en amont, avant que la butte ne se transforme en une pente à-pic remontant brutalement en une petite montagne aux abords si pentus qu’il semblait presque impossible de les escalader.

Les deux hommes descendirent directement vers un petit monticule, tâtant le sol effrité du bout de leurs doigts couverts de minuscules entailles. Enfin, ils sentirent les contours d’une plaque recouverte de végétation, organisée de manière analogue aux champs flottants des Aztèques, n’était qu’au lieu de se balancer sur un lac, celle-ci contenait sa propre réserve d’eau adaptée aux besoins des coupants buissons sous son plateau. Ôtant cette protection, difficile à trouver si l’on ne savait pas exactement ce que l’on cherchait, Steve découvrit une masse de métal léger, peint d’un ocre mat ne reflétant guère les rayonnements du soleil.

Jetant un dernier regard en direction du Quinjet, situés à environ un jet et demi de flèche, le super-soldat grimaça en voyant un petit groupe de silhouettes, sombres dans le couchant, se diriger vers l’appareil, progressant d’un pas rapide. Constatant que Clint avait suivi son geste, l’archer lâchant une injure silencieuse qu’il ne tenta même pas de comprendre, il donna un léger coup de coude dans ses côtes, le ramenant à la situation présente. Après tout, il était peu probable que les Skrulls, s’ils voulaient réellement vérifier le bon déroulement de la mission de leurs frères, ne parviennent pénétrer dans le Quinjet, dont les plans avaient été conçus par Tony Stark en personne. Steve se devait de croire en les capacités vaguement paranoïaques de l’ingénieur. Et ils avaient, pour le moment, plus urgent à penser.

La trappe d’acier n’émit aucun son quand le super-soldat saisit sa poignée, visiblement soigneusement entretenue par les habitants du laboratoire, laissant juste assez d’espace pour que Clint, et lui-même à sa suite, puisse s’y faufiler. Balançant les jambes dans le court boyau menant aux souterrains, l’archer agrippa les barreaux de l’échelle fixée dans la terre battue compacte de l’abri. Sautant au sol, ses bottes souples étouffant la majeure partie du bruit de sa chute, Clint s’avança de quelques pas, vérifiant l’absence d’ennemis aux alentours. La voie étant libre, il adressa un bref signe à l’attention de Steve afin qu’il le rejoigne.

Suivant les traces de son coéquipier, ce dernier veilla à couler parfaitement l’ouverture dans son écrin d’accueil. Ainsi, personne ne pourrait, juste en observant la trappe, que quelqu’un venait de s’introduire au sein des souterrains. Une précaution sensée à laquelle tenait le super-soldat, quitte à perdre quelques précieuses secondes au retour.

L’étroit boyau de simple terre par lequel étaient entrés les deux hommes s’élargissait promptement en une galerie bien plus ornementée. Le sol se trouvait composé de dalles de calcaires, d’un seul tenant pour chaque couloir, d’un blanc qui aurait été aveuglant si les luminaires, disposés à intervalles réguliers, ne diffusaient une lumière tamisée, si bien défléchie dans l’atmosphère que même à pleine puissance, les néons n’éblouissaient guère les visiteurs. Et si l’immaculé n’avait été par endroit teinté de gris et poli par des générations de semelles. Taillés en forme de cubes, les couloirs voyaient leur plafond, dénué d’artifices laissant à nu l’ocre naturel, soutenu par des poutres métalliques aussi épaisses que le corps de Steve, tandis qu’un revêtement de bois clair tapissait les murs, conférant à l’ensemble une ambiance certes confortable, mais cassée par la blancheur impitoyable du sol.

– On dirait que l’architecte a voulu créer un endroit sympathique, mais pas suffisamment cool pour permettre aux scientifiques d'oublier qu’ils sont au boulot, chuchota Clint, résumant la pensée du super-soldat. Tony a vraiment de drôles de goût. Quoique, il s’est montré plutôt sobre sur ce coup : presque aucun logo de Stark Industries.

– Je pense qu’il faut attribuer ce mérite à Pepper, répondit Steve du bout des lèvres. Il ne s’intéresse pas tellement à la décoration, et comme tu dis, c’est bien trop simple pour qu’il en soit à l’origine.

Ne prêtant qu’un intérêt minimal à l’approbation silencieuse de l’archer, il consulta brièvement la carte, tournant sur sa droite quand ils parvinrent au premier croisement de leur expédition. D’après ses lectures, les tunnels des souterrains convergeaient presque tous vers une pièce centrale, pour ensuite déboucher, suite à de nouvelles marches, à divers endroits du laboratoire sus-jacent. Le duo souhaitant accéder à la salle des caméras, il leur fallait obligatoirement emprunter ce chemin, bien trop répandu au goût de Steve. Ils n’avaient pas le temps de se perdre en détours, pas alors qu’ils ignoraient totalement le sort réservé à leurs alliés, à la merci de leurs ennemis. Peu importent les conséquences, il aurait dû accompagner Natasha et la petit, peu importent les consignes de Tony. C’était son rôle, en tant que leader de leur groupe, au lieu de rester stupidement en arrière, bien à l’abri, alors qu’un adolescent inexpérimenté s’aventurait dans le fief même des Skrulls ! Le fait qu’à ce moment, ils n’avaient aucune certitude sur la véritable nature du laboratoire, n’entrait pas en ligne de compte. Il venait de faillir à son devoir de protecteur.

Après de longues minutes de marche sans anicroches, ils débouchèrent enfin au centre symbolique du labyrinthe. De nombreuses autres entrées partaient vers toutes les directions, comme autant de guet-apens propices aux deux intrus… et c’était le seul point commun avec l’endroit décrit par Tony.

– Bah mon vieux, ça craint, souffla Clint, les yeux légèrement écarquillés.

Le super-soldat ne pouvait qu’approuver. L’ingénieur leur avait décrit une salle d’environ quarante mètres carrés, destinée uniquement aux stockages provisoires des pièces les plus importantes du laboratoire, sans se décider à donner plus amples informations. Ce qui s’étalait sous ses yeux se révélait, non seulement quatre ou cinq fois plus grand qu’annoncé, mais ne comportait aucune des caractéristiques que Steve jugeait nécessaire au remplissage de sa fonction première. Une grande table rectangulaire prenait place dans l’espace le plus ouvert de la pièce, des reliefs de repas que le duo ne parvint pas à identifier encore chauds, visiblement abandonnés à la hâte, une dizaine de chaises métalliques plus à leur place dans un bureau que pour un repas disposées tout autour. La partie droite, divisée en compartiments juste suffisants pour qu’un homme s’y tienne debout, accueillait plusieurs rangées de cabines de douches, fermées par des rideaux de plastique unis, un compartiment un peu plus à l’écart suggérant la présence de toilettes. Le coin gauche, au contraire, abritait un ensemble de couchettes superposées, formant un dortoir précaire, mais certainement pas improvisé. Des placards et autres rangements côtoyaient des réserves de nourriture, de petites tables disposées un peu partout dans la pièce, et autres meubles utiles à la vie en communauté.

Tous étaient vidés de leur contenu, sauf pour quelques ouvrages ressemblant à des revues, dans une langue inconnue des deux hommes – et sûrement de la planète entière –, quelques frusques tombées à terre, crayons au sol, rien qui ne fut indispensable. Cependant, une demi-douzaine de piles d’objets divers attendait encore d’être récupérée, déposée sur un plan de travail au fin fond de l’endroit, en partie dissimulé par une sorte de paravent de couleur identique aux murs, sur lequel trônait également de petites bougies exhalant un doux parfum suave. Quelques papiers attirèrent l’œil de Steve, se demandant s’ils pourraient trouver d’intéressantes informations avant que les Skrulls ne reviennent récupérer leurs affaires.

– Ils se sont manifestement confortablement installés, commenta Clint, s’avançant vers le plan de travail. Et pas depuis hier. Et maintenant, on dirait bien que les rats vont quitter le navire.

Son compagnon approuva du chef, le regard rivé au mur situé derrière le meuble, incapable de s’en détacher.

– Ils ont établi leur base dans les souterrains, probablement pour ne pas attirer l’attention au cas où le laboratoire ferait l’objet d’une visite. En surface, rien ne changeait, et puisque personne, en dehors de Tony et quelques chefs de laboratoire, ne sont censés connaître l’existence de ces galeries, personne ne soupçonnerait que quelque chose différait, répondit-il néanmoins. Mais pour une raison ou une autre, notre visite les a décidés à quitter le laboratoire, et le plus rapidement possible. L’arrivée de Peter, à cause de son lien avec Tony peut-être, ou parce qu’une visite du SHIELD constitue le signal de la retraite.

– Je suis d’accord. Et ça, tu penses que c’est qui ?! demanda l’archer, désignant le mur.

Cette fois, Steve prit un moment de réflexion avant de répondre. L’entièreté des lambris, autrefois vierges de décorations, était recouverte d’une gigantesque toile épaisse, tendue à ses quatre coins. Une femme, une Skrull représentée jusqu’à la taille, occupait son milieu, une aura lumineuse peinte en nuance de pourpre, de doré et d’argent jaillissant de son dos en fuseaux artistiquement travaillés, de telle manière qu’il semblait que les lueurs obéissaient à son bon-vouloir, caressant respectueusement les formes généreuses de la protagoniste. Dessinée en légère contre-plongée, le menton relevé et les yeux à demi-clos, il émanait de la Skrull une autorité et une assurance inébranlable, renforcée par l’expression hautaine de ses traits figés. Une femme certaine que le ciel lui obéirait si elle lui ordonnait de changer de couleur, bras croisés derrière son dos, songea Steve. Sa longue crinière ébène retombait librement devant son épaule gauche, soulignant subtilement les généreux attributs dont lui avait fait part la nature. S’étalant de part et d’autre de la Skrull, les mots « Une vague de destruction, le Vide. Et du Vide, tu pourras étendre ton bras et obtenir ce qui a besoin de toi. Ainsi uniquement s'ouvriront pour toi et tes frères les portes du Paradis » s’étalaient en lettres d’or, le tissu froissé et usé à cet endroit comme si des dizaines de mains venaient leur présenter hommage.

Néanmoins, aucune autre information sur l’identité de la femme extraterrestre, ou du « Vide » en question, ne se trouvait à proximité de l’immense toile. Mal à l’aise devant ce qui, pour Steve, ressemblait bien trop aux affiches de propagande des nazis à son époque (3), il parvint tout de même à surmonter sa répulsion, s’approchant de l’idole inanimée afin de balayer brièvement du regard les feuillets étalés sur le rebord de bois. Hélas, ce qu’il trouva ne fit que renforcer son impression première.

– Ce sont des putains de fanatiques en fait, marmonna Clint, bouillant d’envie de planter une flèche dans l’œil de l’inconnue.

– Tu ne crois pas si bien dire. Lis ça, répondit Steve, tendant une feuille délicatement recouverte de poudre d’or. Ce sont des « écrits sacrés », enfin, d’après les Skrulls. Il est question d’une terre promise, et de destruction, d’autres choses analogues en tout cas.

– Par hasard, il n’y aurait pas le plan détaillé des extraterrestres pour nous envahir ? proposa l’archer.

Son vis-à-vis garda le silence, ses sens en alerte. Clint, comprenant que quelque chose clochait, déposa la trouvaille du super-soldat à sa place initiale, pliant les genoux tout en encochant une flèche dans son arc, sans tendre la corde pour le moment. Excepté un crissement par moment, le silence régnait en maître sous la terre, à peine troublé par les ronronnements incessants des purificateurs d’air, ou toute autre technologie inconnue des deux hommes permettant à des êtres humains (ou autres) de vivre sous terre.

Aussi, Steve n’eut-il aucun mal à entendre les bruits de pas résonnant dans le lointain, une fraction de seconde avant que les échos d’une conversation en cours ne parviennent à ses oreilles.

– Bientôt, nous n’aurons plus besoin de nous cacher derrière un masque, déclara une voix féminine, crissant tel le passage d’un serpent sur un tapis de feuilles mortes.

– Peut-être, mais n’oublions pas que les anciens Avengers sont arrivés récemment en ville, et qu’ils vont sans nul doute vouloir venger la mort de Tony Stark, rétorqua une seconde, masculine cette fois. Ils vont sûrement prétendre que notre glorieux retour n’est qu’une invasion de plus de leur planète, mais ils se trompent !

Accroupi derrière un meuble de rangement deux fois plus petit que lui, Steve serra la mâchoire. À quelques couloirs de la salle des caméras, c’était vraiment trop bête !

– As-tu entendu la nouvelle, à propos de notre super-Skrull ? renchérit la première voix, pénétrant dans l’espace ouvert de leur base souterraine.

Assis sur les talons, Steve décrivit un demi-cercle autour des deux silhouettes en pleine discussion, tentant de les contourner par la droite. Il lui fallait absolument éviter l’affrontement, dussent-ils n’être qu’un simple duo d’aliens ; rien ne disait que d’autres contingents ne viendraient pas à sa suite, et tomber sur les cadavres de leurs compagnons d’armes compromettrait fortement la couverture des deux humains.

– Oui, notre impératrice est dévastée, elle prie chaque jour en implorant le pardon des Dieux pour cette erreur. Rien ne l’arrêtera dans son désir de récupérer les terres volées à nos ancêtres, déclara la seconde personne, sa jambe joliment bottée, toujours d’apparence humains, s’approchant dangereusement de la cuisinière derrière laquelle se cachait Clint.

Enfin, il put distinguer dans leur entièreté les silhouettes des Skrulls, l’un vêtu de sa tenue de vigile, le second portant un badge d’assistant de laboratoire. Ils se dirigèrent droit vers le plan de travail, devant l’effigie de la femme extraterrestre, le pas pressé contrastant avec l’intonation presque calme de leurs voix. Une malle de cuir, bien que Steve ait été bien en peine de deviner quel animal fut séparé de son pelage, cernée de noir et d’or, se baladait entre eux, vide comme le suggérait son balancement excessif. Les Skrulls s’arrêtèrent devant l’établi, l’un débouclant les épaisses attaches de l’objet, tandis que l’autre commençait à rassembler les affaires encore éparses au pied de l’étoffe.

Plus aucun doute possible, les aliens quittaient le navire. Échangeant un regard avec Clint, le super-soldat sut en être arrivé à la même conclusion. Tout en songeant qu’il était fort dommage que les extraterrestres ne décident pas, au passage, de quitter une bonne fois pour toutes leur bonne vieille planète.

À présent, Steve se trouvait au dos du meuble derrière lequel il s’abritait, observant du coin de l’œil la progression de son ami, reculant à quatre pattes tout en surveillant attentivement les Skrulls occupés à rapatrier leurs possessions. Une position bien loin des éclatantes missions pleines de panache, et destinées à adresser un avertissement peu subtil aux criminels du monde entier, auxquelles leur fine équipe se trouvait habituée. À croire que Dieu avait décidé de leur inculquer quelques leçons d’humilité… Enfin, à ce niveau, Steve pensait sérieusement que le message était passé, enregistré et régulièrement répété !

Alors qu’il s’apprêtait à tourner les talons, privilégiant toujours la discrétion si nécessaire à leur entreprise, Steve n’entendit que trop tard le faible écho résonnant dans le tunnel. Tout comme il ne s’aperçut pas avant qu’il ne soit trop tard l’avertissement muet brutalement émis par l’archer.

– Des intrus ! cria un troisième extraterrestre, derrière le super-soldat.

Sa clameur s’étouffa dans un gargouillement répugnant, une flèche traversant la gorge si prompt à s’exprimer. Plus rapide, Clint décocha un deuxième trait en direction des déménageurs, mais manqua sa cible de peu, leurs ennemis s’écartant de sa trajectoire. Le vigile sortit son revolver de son holster, n’accordant qu’une fraction de seconde à son camarade s’immobilisant sur le sol, reprenant son apparence d’origine. Il eut le temps de tirer par deux fois, avant que la flèche explosive de Clint ne fasse son office, le projetant lui et son complice contre le mur, sans pour autant parvenir à les éliminer.

Puis tout s’enchaîna. Le son d’une lame ricochant contre le métal retentit sur la gauche de Steve, lui laissant juste assez de temps pour se plaquer au sol, l’épée mi-chair mi-fer sifflant au-dessus de son crâne. Trois hommes venaient d’entrer à la suite de leur comparse décédé ; deux d’entre eux se plantèrent devant Captain America, tandis que le dernier se concentrait sur Clint, rapidement secondé des Skrulls déjà présents. L’archer, pris sous le feu de l’arme de son assaillant, plongea derrière un petit vaisselier, poursuivant son mouvement d’un roulé-boulé lui permettant d’atteindre la porte des douches.

Steve profita de ce qu’il restait de l’effet de surprise, attendant que son premier assaillant se trouve à portée de poing pour lui enfoncer le sien dans l’estomac. Après des années passées à se terrer dans divers pays du monde, sans pouvoir exercer ce métier de soldat qui était le sien, il lui fut agréable de saisir une occasion d’œuvrer à nouveau pour la justice. Pas celle arbitrairement décidée par les gouvernements ayant signés les accords de Sokovie (4), à laquelle il ne croyait guère, mais une qu’il décidait de suivre, et d’appliquer, coûte que coûte, en adéquation totale entre sa morale et son sens du devoir.

L’extraterrestre portait de fins vêtements adaptés à la chaleur, et non à un combat rapproché, domaine dans lequel excellait Steve. Grossière erreur ; son corps tout entier se crispa, alors qu’il émettait un son guttural, entre le râle de plainte et le grognement de colère. Plus prudent que son compagnon, le second Skrull se méfia, s’élançant sur la droite du super-soldat, brandissant sa lame. Steve leva son bouclier, le bois pourtant réputé pour sa solidité craquant sous l’impact alors qu’il déviait le coup sur le côté. D’un geste sec, il releva le bord dur de sa protection, l’enfonçant de toute ses forces dans la gorge de son adversaire, écrasant les cartilages plus délicats à ce niveau. Forcé de lâcher sa proie, le Skrull porta instinctivement la main à la gorge, un éclat mauvais luisant dans son regard, Steve profitant de son éloignement pour asséner un coup de talon dans la tempe de l’autre, le mettant pour un moment hors d’état de combattre.

L’un des murs carrelés des sanitaires se déchira, soufflé par le choc d’une nouvelle flèche explosive de Clint, ce dernier usant à présent de son arc comme un gourdin dévastateur, feintant vers la gauche avant d’esquiver les balles, assénant une frappe faisant vaciller l’extraterrestre au revolver, avant de garder ses assaillants, réduits au nombre de deux, à distance. Croyant Steve trop occupé à s’inquiéter de l’avancée de son ami, son propre adversaire revint à l’assaut. Resté vigilant, Captain America para de nouveau, une entaille de la taille de son avant-bras balafrant son bouclier. Puis il frappa deux fois, une au thorax, l’autre dans le genou, mettant enfin son adversaire au tapis d’un revers précis.

Il se retourna, lançant son bouclier dans les reins du « vigile » agressant Clint, laissant l’archer assommer l’extraterrestre. Le dernier debout, le Skrull censé être scientifique, voyant que le vent tournait, tenta une fuite, courant vers l’entrée du tunnel.

En vain. Ramenant son arc dans son poing, Clint l’abattit d’une flèche en plein crâne, le corps désormais privé de vie s’effondrant mollement sur le sol.

Debout l’un à côté de l’autre, les deux hommes s’accordèrent un instant, reprenant correctement leurs respirations et, l’un ses flèches, l’autre son bouclier.

– Tu crois qu’ils nous ont entendu ? demanda finalement Clint, goguenard.

– Je n’ai pas l’intention de rester pour le savoir, rétorqua Steve. Suis-moi plutôt.

L’archer leva les yeux au ciel, mécontent de voir l’une de ses plaisanteries tomber à plat encore une fois. Cependant, il n’insista pas, emboîtant le pas de la bannière étoilée, gardant une flèche encochée, les sens plus en aguet encore qu’à l’aller.

Le bref affrontement n’ayant pas été des plus silencieux, les précautions prises furent moindres, les deux hommes se contentant de dissimuler à la hâte les corps dans un renfoncement, puis de surveiller les issues tandis qu’ils progressaient au pas de course. Bien qu’il aimât davantage ses solides chaussures tenait correctement ses pieds, Steve regretta de ne pas posséder les bottes souples de Clint (souvenir conservé d’avant la Civil War, estampillé SHIELD, bien évidemment), ne produisant presque aucun bruit, même en pleine course. Peut-être, si au bout de cette histoire une réintégration au sein des Avengers se produisait effectivement, serait-il possible de prévoir des semelles de ce type sur son prochain costume de Captain America ? Encore fallait-il que Tony accepte.

Ils gravirent avec empressement les échelons menant à l’étage supérieur, Steve soulevant de quelques centimètres la trappe les ramenant à l’intérieur du laboratoire à proprement parler, laissant Clint surveiller les alentours le temps que son camarade s’assure de l’absence d’ennemis immédiats.

– La voie est libre, chuchota-t-il juste assez pour que l’archer l’entende.

De l’avis des blonds, la visite commençait à sérieusement s’éterniser, aussi parcoururent-ils le répétitif réseau de tunnels menant à la salle des caméras en un temps record, Steve n’oubliant pas de repérer le moindre détail qui lui permettrait de retrouver facilement le chemin, si les choses tournaient mal au point qu’ils n’aient guère d’autre choix. Et le ciel seul savait à quel point cela lui sembla utile au vu des interminables tunnels transparents jalonnés de portes ouvertes uniquement par badge du personnel. Les recherches menées ici, de la plus haute importance et exigeant une sécurité exemplaire, avaient apparemment déclaré à intervalles réguliers Wilson, et le jeune Peter durant le trajet en Quinjet. Mais pour le moment, rien d’intéressant à observer au sein même des pièces pour la plupart désertées, ou garnies d'une poignée de scientifiques s’affairait à organiser un départ rapide du laboratoire, la plupart des équipements et autres résultats de recherches ayant déjà disparu. Une réalité qui peinerait à coup sûr Tony, particulièrement impliqué dans chacun de ses projets, qu’il se trouve à cinq ou cinq mille kilomètres de sa personne, en plus de détériorer son image auprès de l’opinion public si jamais cela venait à se savoir.

Le super-soldat était, tout en se rapprochant de la première étape de cette mission de sauvetage, en train de réfléchir à un moyen d’empêcher les aliens de s’emparer d’autant de technologie Stark, quand Clint le saisit fort peu élégamment par le col, rejetant le solide américain en arrière. Surpris, Steve suivit du regard les petits disques sombres, à peine de la taille de sa paume, rouler sur le sol pour venir s’immobiliser à une petite dizaine de centimètres du duo.

Sachant déjà à quoi s’attendre, l’homme n’eut pas à attendre quelconque autre signal de son camarade pour s’écarter sur-le-champ. Dépourvus de cibles, les cercles restèrent sagement là où ils étaient tombés, tels d’inoffensifs joujoux en plastique ; pourtant, Steve avait auparavant vu des éclairs atteignant facilement ses genoux en jaillir, électrocutant les malheureux se trouvant, par comble de la malchance, dans leur rayon d’action, les laissant certes vivants, mais sans connaissance et quittes pour une bonne poignée de douleurs.

– Natasha ! C’est nous ! Les pilotes du Quinjet ! souffla Clint, sans toutefois lâcher son arme.

Lorsque Steve se pencha pour observer le couloir, la rousse surgit d’un renfoncement qui, à première vue, n’aurait pas pu contenir plus d’une ou deux souris. Pas trop obèses. De sa démarche féline, elle rejoignit en trois enjambées les garçons, récupérant au passage ses petits disques.

– Qu’est-ce que vous faites ici ? Vous étiez censés rester dans l’appareil, pour nous permettre de décoller dans la minute si jamais les choses tournaient mal, tança-t-elle, sourcils froncés.

– Quatre Skrulls sont venus nous dire qu’ils organisaient une petite fête, et on s’est dit que ce serait dommage de vous laisser vous amuser tous seuls, ironisa Clint. Au fait, tu as bien remarqué qu’il n’y a sûrement plus un seul humain dans le coin ?

– J’ai cru saisir, quand l’un des vigiles censé m’escorter s’est transformé en Schtroumpf vert une fois le nez dans la poussière. Aucun de mes trois accompagnateurs ne pensait qu’il est possible de cacher beaucoup sous une combinaison moulante, précisa-t-elle.

Steve fit un pas en avant, inquiet de voir d’autres extraterrestres surgirent d’un détour, attirés par leur échange, ou ayant découvert les corps laissés dans les souterrains.

– Nous n’avons pas le temps de discuter, coupa-t-il impérieusement. Maintenant que tu es là, sais-tu où se trouve le jeune Parker ? Le temps nous manque pour partir d’ici.

Un sourire moqueur étira les lèvres de la rousse, ses bras se croisant dédaigneusement sur sa poitrine, alors qu’elle adoptait le vouvoiement utilisé au début de sa relation avec Steve, signe qu’elle s’étonnait qu’il doute encore de sa capacité à obtenir toutes les informations utiles à leurs missions.

– Voyons, Captain, pour qui me prenez-vous ?


µµµ


Serrant le poing, puis dépliant l’index et le majeur pour désigner le couloir, Natasha leur fit signe de la suivre, s’engageant toujours plus haut dans l’édifice. Au fur et à mesure de sa progression, le trio vit la transparence des murs disparaître, retrouvant l’opacité bien plus habituelle de la majorité des bâtiments du monde. Peints d’une couleur safran relativement douce, veinée au niveau de son socle de bandes épaisses noires, Steve se demanda si Stark avait lui-même choisi la couleur des étages supérieurs. Auquel cas son bon goût aurait définitivement sauté par la fenêtre. Un calme renforcé par l’absence de présence humaine dans l’environnement pesa lentement sur les épaules de la rousse, les bavardages enjoués des premiers groupes de Skrulls rencontrés se muant progressivement en chuchotements. Plus l’avancée de la nuit marbrait d’obscurité les veines des murs d’acier, plus les étages se vidaient de leurs occupants, semblant confirmer la théorie d’une invasion totale du laboratoire par les extraterrestres. Personne ne paraissait vouloir leur prêter la plus petite attention, néanmoins cela n’empêcha pas le petit groupe de voir régulièrement surgir l’un des membres du personnel au détour de l’un des couloirs d’aspect ovoïde ; et s’ils cherchaient exceptionnellement à contourner autant que possible ces importuns, il arrivait qu’il faille employer de plus radicales méthodes. Dans ces cas-là, les flèches de Clint faisaient des miracles, réduisant ses cibles au silence avant qu’elles n’aient pu donner l’alerte, suivies si nécessaires des disques électrifiants de Natasha, redoutable au lancer. Une seule fois, Steve dut bondir sur l’un des extraterrestres, une main recouvrant sa bouche tandis qu’il lui brisait, sans regrets ni joie particulière, les cervicales.

Enfin, une large vitre ovale se dessina sur la droite du groupe, alors qu’il s’avançait dans un imposant couloir circulaire, les murs se parant d’une blancheur immaculée rappelant la teinte angoissante des hôpitaux… ou des bâtiments réservés à une élite bien loin de partager les soucis du commun des mortels. Une évanescente brume couleur sable, dont l’épaisseur ne permettait pas de distinguer l’intérieur de la salle à plus de trois pas, parcourue d’éclairs pulsant brièvement de mauve, d’émeraude et d’argent (à moins qu’il ne s’agisse du reflet de l’astre solaire sur la lisse surface ?), se trouvait contenue derrière le verre, tournoyant à une lenteur désespérante le long des parois la retenant au sein de ce qui s’apparentait à une gigantesque salle. D’après le plan fourni par Stark, il s’agissait de l’endroit où l’influence des Bosons subissait quantité de tests afin de déterminer leur efficacité ; pourtant, cela ne correspondait guère à la promesse de résolution des problèmes climatiques vendue par l’ingénieur. Au contraire, il se dégageait de l’espèce de tempête interne une impression lourde, pesante, comme si le super-soldat se retrouvait emprisonné au sein même du tumulte, incapable d’atteindre la sortie salvatrice, et que les vents déchaînés enserraient son visage au point qu’il ne puisse plus aspirer l’air. Du moins, était-ce la désagréable sensation qu’il éprouvait face à la vision de ce qui aurait été, sous l’égide de Stark, un outil d’aide humanitaire extrêmement développé.

Natasha suspendit soudainement son pas, jetant un bref regard appuyé vers la droite, là où s’étendait un tunnel qu’elle jaugea s’étendre que quelques dizaines de mètres encore, censé ne contenir que d’énièmes salles d’essais semées dans l’ensemble du bâtiment, comme aimait à l’exiger les laborantins.

– C’est par ici que sont allés Peter et Wilson, murmura l’espionne, arme au poing.


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1 : Dans le film « Civil War », suite à son face-à-face avec Stark, Steve décide d’abandonner son bouclier à l’ingénieur, celui-ci lui ayant fait remarquer que le super-soldat n’en était pas digne


2 : Bucky, le meilleur ami de Steve censé être mort durant la Seconde Guerre Mondiale, a été en réalité capturé par Hydra, et transformé en super-soldat partiellement amnésique, muni d’un bras cybernétique. Placé en cryostase, il ne sera réveillé que par intervalles réguliers pour accomplir ses missions, dont l’assassinat des parents de Tony Stark.


3 : Steve Rodgers était jeune adulte durant la Seconde Guerre Mondiale, en pleine propagande nazie.


4 : les accords de Sokovie, à l’origine de la scission entre les Avengers, stipulaient que les super-héros n’étaient plus membres d’une organisation privée, mais sous le contrôle des Nations Unies, n’intervenant qu’avec l’aval de celles-ci, et quand elles le jugeront nécessaire.


Encore une fois, un grand merci à BakApple, qui a corrigé l’entièreté du chapitre !



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