ARRANGEMENTS AVEC LA REALITE : Prémices.

Chapitre 9 : GRAND CANYON

3649 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/06/2023 11:34

GRAND CANYON

(C'est le jour et la nuit…)

 


 

Un vent léger remonte les bords escarpés d'une interminable falaise de schiste, sur les hauteurs de laquelle sont assis les jardins privés d'une villa somptueuse. Une lumière douce baigne la chambre spacieuse, à peine voilée par les ondulations éthérées des rideaux de soie. Ils bruissent imperceptiblement dans la brise printanière qui s'écoule lentement au travers des baies ouvertes…


Au centre de la pièce immense, un cercle de colonnes veinées d'or ceint le sommet d'un petit escalier de marbre blanc, dont les rares degrés en demi-lune sont caressés par les ombres diaphanes de palmes et de ramures qui frémissent par intermittence...


Au centre de la rotonde, sur une fourrure profonde d'un blanc pur, une poupée millénaire aux allures de nymphe blonde joue innocemment des doigts dans ses tresses scandinaves. Elle se prélasse en négligé de soie émeraude qui ne dissimule rien de ses secrets... Sa taille est cerclée d'une haute ceinture dorée, ornée d'anneaux qui se balancent doucement, portés à bout de gueules de têtes de loups miniatures. La bande de métal noble tend l'étoffe transparente sur ses mamelons en poires dont les pointes dressées glissent lentement contre la trame satinée, chaque fois que sa poitrine se soulève. Elle parait absorbée, dans la contemplation du reflet des ondulations aquatiques du bassin du dehors, qui dansent tout là-haut sur les moulures baroques d'un plafond albâtre.


De petits glands de métal en fusion oscillent le long de fines bandes tibiales, quand la jeune femme remonte langoureusement le long de sa jambe l'une de des sandales compensées nouées de lanières d'or, qui s'entrecroisent sans fin jusqu'à caresser la naissance d'une aine délicate, ambassadrice envoutante de promesses tacites… 


La beauté nordique passe ses doigts aux ongles perlés dans ses cheveux bouclés, puis les remonte des deux mains, avant de les laisser retomber en étirant les bras loin au-dessus de la tête, une moue boudeuse au bout des lèvres. Elle s'affale mollement au cœur d'un monticule de coussins colorés qui égaie de reflets chatoyants le gigantesque lit circulaire aux acajous brun-noir, sculptés de fresques vikings…


Après avoir coulé lentement au fond du cocon textile, elle tend une main lasse pour remplir sa coupe d'hydromel, et repose bruyamment la cruche sertie d'opales sur son plateau d'argent.


Elle souffle longuement, pour libérer ses épaules ingénues d'un fardeau bien plus lourd que les branches d'Yggdrasil :


— ffffffffffffffffff… Tu pars déjà ?


— Je passais te féliciter, Amora.


Les doigts de la Brute soupèsent la chevelure corbeau de la captive hébétée, agenouillée dans les effluves narcotiques rose pâle d'un calice posé au bas des marches, assujettie par d'énormes chaines, et contrainte au silence par le bâillon brutaliste qui lui mange la moitié du visage :


— …Lady Sif… Sa capture en Asgard ne t'aura pas posé problème… sa force rivalise avec celle de Brunehilde et avoisine celle de She-Hulk…


— …Et la mienne les égale… Et ces chaines sont d'Uru... Et l'enchantement qui lie leurs platines au sol ne faillira pas davantage que la substance la plus résistance en cet univers…


— Je te sens tendue… Tu pourras en faire ta chose une fois son rôle rempli, si elle survit…


— Je ne m'intéresse pas aux femmes… Pour être honnête, je ne m'intéresse plus qu'à toi. Toi, toi, toi, toi, toi… Une expérience aussi obsessionnelle qu'irritante !


— Parce que je te résiste.


— Rares sont les hommes à y être parvenu. Tu ne me trouves pas séduisante, à la fin…??


— C'est la raison pour laquelle je ne te cèderai pas. Tu es l'une de mes plus dangereuses alliées. Ton pouvoir de séduction, ta physiologie asgardienne, ta maîtrise des arcanes à faire rougir les Nornes. Tu es une arme redoutable… à multiples tranchants. Je lutte presque pour ne pas succomber… Tu aurais fait, toi aussi, un parfait Leader de Terrain. Mais tu préfères régner sur l'égo pathétique de mâles fragiles, manipulés jusqu'à l'exhaustion pour ta sécurité émotionnelle. C'est ta psychologie qui te bride, Enchanteresse. Tu réaliserais de grandes choses si tu sortais de ta zone de confort…


— Que veux-tu… commander me fatigue. (Elle baille ostensiblement…) Je préfère prendre la vie comme elle vient… m'amuser… Je HAIS l'ennui !


— C'est la raison pour laquelle je t'ai jointe à mon escouade plutôt que de te confier la tienne. A moins que ce ne soit cette attirance malsaine qui m'ait poussé à opter pour ta proximité… Mais tu n'iras pas contre ma volonté. Toi non plus, tu n'es pas insensible à mes charmes. J'exerce sur toi la même fascination morbide que tu opères sur la gent masculine…


— Tu utilises ton philtre sur moi ?


— Philtre ? Non. Comme nombre de mes collaboratrices proches, tu n'es que peu exposée à mon aura... Je ne souhaite pas dénaturer vos capacités tactiques en obscurcissant votre jugement.


— Je crois que c'est encore pire ! Puisque nous jouons cartes sur table… c'est vrai. Je ne veux pas m'éloigner de toi… J'éprouve un besoin pathologique d'obtenir ta reconnaissance, ta validation… Je vis dans la peur constante de te décevoir. Et j'éprouve une jalousie sans borne quand une autre t'approche… Le harem que tu te confectionnes n'est d'ailleurs pas pour ma tranquillité d'esprit... C'est donc ça que j'inflige aux hommes ? Une souffrance permanente ? Une peur omniprésente de déplaire et d'être abandonné pour un autre ?


— A la différence que tu en joues. Tu tortures les hommes, tu les fragilises pour les rendre malléables et obtenir toujours davantage, incapable que tu te crois de construire par toi-même... Tu es un seau percé affectif. Ton propre tonneau des Danaïdes.


— Tu crois que j'aime ça…?


— Davantage que ceux que tu abandonnes une fois vidés de leur substance et dépouillés de leur saveur… Nous sommes fondamentalement différents, Amora. Je ne prends que ce dont j'ai besoin...

et je dois prendre congé."


— Tsss… Quelqu'un te retient…!??


Le titan a déjà tourné les talons que l'Asgardienne l'invite à déguerpir de petits signes du dos de la main, comme on époussetterait le dessus d'une commode. La Brute sort de la chambre après avoir évité de la tête le lustre ostentatoire à l'effigie des Neuf Mondes, qui pend sur sa trajectoire...


Sitôt la porte refermée, l'Ase fulmine et bondit sur ses pieds talonnés, attrapant au passage sa coupe à moitié vide dans une avalanche de bracelets cliquetants, et traverse la chambre en deux enjambées, feulant une grimace de frustration...


— … Raahh… Et ça disparait encore ! Comme si je n'existais pas… !! …"Te féliciter"… Qui te fait croire que j'attends tes félicitations…? Tu n'es qu'une amibe à peine née…!


La Déesse s'immobilise dans l'encadrement de la baie gigantesque et s'enroule dans les rideaux vaporeux en portant nerveusement sa coupe aux lèvres. Ses yeux turquoise sont attirés par un groupe qui descend la voie pavée, par-delà les haies de jasmin des jardins luxuriants, et la piscine d'eau lapis qui scintille en clapotant sous le ciel minéral…


L'écho de voix fragmentées lui parvient, porté par la brise :


— Je m'habituerai jamais… là-haut c'est la nuit, ici le plein été…


— Les cycles sont décalés… Le temps pour la lumière d'être restituée.


— J'avais bien dit qu'on louperait Attilan… c'est toujours les mêmes qui rigolent.


— Tu peux la fermer cinq minutes…? Vous serez à la villa de Warren ce soir ? Il continue sa rétrospective binge… j'aurais pas cru accrocher...


— C'est vrai que la marotte du Chacal a fait pas mal d'émules au fil des semaines… Je crois qu'il termine la projection de Death Note... On s'attrape deux-trois packs et on s'y pose ?


— …C'est 'core la tafiole avec son cahier ?? C'est nase ! J'préférais l'mec qu'explose les têtes à retardement… Il avait l'swag. Dessouder des gars, c'est pas un truc de gratte-papier…


Le quatuor fait un écart prononcé sur la chaussée à flanc de coteaux, pour laisser passer la Brute qui débouche à contre-sens, accompagné d'un homme en combinaison verte, haut du front, qui promène une coupe mulet du plus bel effet, et se dandine d'un pied sur l'autre, les mains vissées dans le dos et la tête penchée sur le côté, dans une attitude autistique perceptible malgré la distance…


Les groupes se croisent et s'éloignent. Les éclats de voix s'estompent avant qu'ils ne sortent du cadre, laissant l'Enchanteresse seule, les boucles au vent, perdue dans la contemplation de la vaste étendue au dehors. Dans l'impossibilité physique de suivre plus loin la silhouette du monstre bleuté qui vient de disparaître derrière les genévriers, elle laisse glisser les yeux le long des profondes dépressions des canyons calcaires jalonnés de monticules de grès striés, qui s'étendent sous ses pieds en rigoles sinueuses de plusieurs kilomètres, jusqu'à un horizon incertain perdu dans la brume...


Ses yeux las et tristes s'attardent sur les parois arides de pierres concaves qui remontent très loin autour d'elle, jusqu'à des centaines et des centaines de mètres au-dessus, où scintille un amoncellement de cristaux de quartz tabulaires qui feraient de l'ombre à des buildings, enchâssés par grappes dans la voûte granitique… Ils tapissent entièrement le sommet du dôme irréel à l'aplomb de la déesse, en une druse de minéraux laiteux dont les arrêtes prismatiques diffusent une lumière si naturelle qu'on la confondrait avec celle du soleil...


Soudain frappée à l'idée que l'une de ces cathédrales octaédriques pourrait se décrocher du plafond de cette géode luminescente assez vaste pour abriter une mégapole, l'Enchanteresse minuscule rentre à l'abri dérisoire des tuiles de terre cuite de ses appartements…

 


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— Les quartiers résidentiels de Citadelle sont achevés à 89,73 % Richards ; Les molloïdes épaulés par tes mystiques se sont surpassés ; Ils seront rejoints d'ici 147 heures et 39 minutes par un contingent de primitifs alpha de la surface quand la reconstruction de ta Nouvelle Attilan sera suffisamment avancée ; La campagne contre les Inhumains a été un succès fulgurant et n'a pas attiré l'attention ; La marge d'erreur due à la tentative d'insurrection rapidement matée suite à l'exécution de la famille royale ne m'autorise pas une précision à la minute mais j'estime que le trône pourra accueillir ta marionnette d'ici 76 heures.


— Je viens de donner des ordres pour sa préparation…


— Tu sais soigner tes troupes ; Tu les loges dans un luxe inespéré ; Tu tiens toujours à exécuter l'Homme Taupe publiquement ?


— Je lui ai offert la reddition, Penseur… il a ignoré ma proposition.


— Il s'est rétracté depuis ; Son indice de fragilité émotionnelle est en hausse de 91,34 % ; Il pleure jour et nuit ; Il a compris que c'était la fin.


— L'instabilité embarquée de l'aréopage hétéroclite réuni ici rend mes mercenaires bien plus difficiles à administrer que les équipes de vigilants de la surface. L'exécution du nain refreinera les ardeurs...


— J'estime à 98,28 % la probabilité d'une décompensation psychotique le concernant dans les 13 heures et 27 minutes…


— La folie ne lui servira pas de refuge. Je réserve à Elder quelque chose de mémorable... Il faut marquer les esprits. Je ne peux pas amputer mes troupes d'éléments qui pourraient m'être utiles, toutes les semaines, à titre d'exemple…


— Prendre Subterranea était un coup de maître ; C'est le couvert parfait pour nos activités ; Y a-t-il d'autres facteurs qui t'aient poussé à choisir cet endroit pour implanter ton quartier général ?


— Si toi aussi, tu commences à poser des questions stupides… Ce mycélium de gouffres sans fin dessert absolument toute la planète. Nous avons des bases avancées partout sous la surface, qui garantissent l'accès aux réseaux d'égouts urbains comme aux endroits les plus reculés... Il n'y a qu'à tendre la main pour se procurer les richesses continentales, de l'île Kaffeklubben à la Terre Sauvage...


D'ici, même les tréfonds des abysses Atlantes nous sont grands ouverts. Nous croulons sous les ressources naturelles, les terres rares, les complexes souterrains à l'abandon, et les vestiges technologiques de civilisations immémoriales. Autant de trésors à mettre à profit. Seule l'énergie rapidement disponible fait encore défaut, tant nous en sommes consommateurs, Passerelle en tête… Mais il existe ici-bas des singularités qui méritent d'être étudiées… Sans oublier que nous jouissons, comme tu l'as évoqué, d'une main d'œuvre intarissable d'esclaves à aiguillonner jusqu'à la mort…


— Précision : Je souhaitais déterminer si des paramètres m'échappaient ; Tu n'as pas peur que les molloïdes se révoltent après l'exécution de leur maître ? J'estime à 29,…


— Ils troquent une hégémonie pour une autre. Ils n'ont connu que les travaux forcés. Ils me serviront.


— Je vois ; Malgré ta politique de grands travaux notre activité demeure indétectable ; J'ai remarqué que tu avais calibré nos interventions d'ampleur pour qu'elle s'alignent parfaitement avec la courbe statistique de la géotectonique ; Vus de là-haut nos essais et excavations passeront pour une recrudescence classique d'activité sismique.


— Le cas échéant, l'Ile aux Monstres constitue le réservoir d'une force de frappe sous-exploitée. J'exerce une emprise sur ces créatures. Elles gardent déjà chacun des accès qui desservent Citadelle.


— Assertion : La proximité relative de la surface pourrait tout de même poser problème ; Ici-bas nous ne sommes pas limités aux deux dimensions du plancher ; Nous avons la possibilité quasi-illimitée de nous étendre en profondeur ; J'ai projeté que…


— Tes projections incluent bien évidemment le gradient géothermique... Il nous empêche de nous implanter trop profondément. C'est une technopole tentaculaire que nous bâtissons ici. Je compte à terme exploiter la quasi-totalité des ressources accessibles... Tous nos résidents ne sont pas à même d'encaisser les conditions qui règnent à grande profondeur. Nous nous cantonnerons aux parties très superficielles de la lithosphère. Le terrain de jeu est suffisamment vaste… Je suppose que tu n'as pas envie de continuer tes "projections" par 900 degrés sous le manteau…


— Contre-argument : J'ai bien entendu inclus cette variable et la notion de pression dans mes calculs ; Mais nous pourrions compenser…


— Au prix d'une énergie qui me fait déjà défaut. Nous n'en sommes qu'aux balbutiements. Nous sommes bien assez profond, et d'ici peu, nous n'aurons plus besoin de nous cacher... Nous passerons prochainement à l'offensive.


— Incohérence : Le gradient géothermique augmente en moyenne de 27,2618 degrés par kilomètre de profondeur ; Même dans mes calculs les plus optimistes notre sang devrait bouillir en ce moment même…


— Tu cherches désespérément à rejoindre l'Homme Taupe…? Il est impossible qu'il t'ait échappé que les galeries des molloïdes sont un chef d'œuvre d'adaptation. Elles ventilent le réseau et y maintiennent une pression et une température stables. Ils n'ont pas choisi de s'implanter ici par hasard. Nous sommes proches d'une anomalie que j'espère avoir le loisir d'étudier… Même l'ancien maitre des lieux ne sait rien de ce qui git sous nos pieds… Parle-moi plutôt de tes travaux.


— Inférence : … non… bien sûr : Le Projet LYFE accouchera d'ici 1837 minutes du fleuron de ma production ; Un être à la croisée de l'Adaptoïde et de mes androïdes les plus aboutis ; Le fragment de cube cosmique autour duquel le Sorcier et Modok m'ont aidé à le mettre en culture nous assure qu'il sera bien assez puissant pour servir de Chaperon à l'une de tes escouades ; J'étais réticent à l'idée de partager mes connaissances mais je dois avouer que les contributions de Gilbert et Horton ont été capitales ; J'étais plus suspicieux encore quant à l'apport de Diablo et du Maitre des Maléfices mais force est de constater qu'ils m'ont permis d'accomplir des miracles...


— Bien entendu, tu as résisté à l'idée d'implanter des contre-mesures qui te permettraient de circonvenir une directive de ma part…


— …Je… n'aurais pas osé… Les membres de Brain Death ont bien compris que tu anticiperais tout écart d'alignement... Personne ne songe à te trahir…


La Brute scrute un instant le Penseur Fou, puis s'en détourne pour considérer, une dizaine de mètres plus loin, la jeune femme à la démarche maîtrisée, qui débouche de l'une des artères orthogonales qui jalonnent les enfilades de villas, plus luxueuses les unes que les autres… Elle lève sur eux des yeux menthe glaciale. Ses cils démesurés effleurent la frange épaisse de la coupe hime qui projette une ombre délicieuse sur des traits subtilement hautains. Le blond cendré du carré plongeant qui encadre ses pommettes épouse les volumineuses épaulettes de fourrures nivéenne, qui ornent la cape tout aussi pale dont le balancé rythmé dérange la poussière du sol…


Elle tend le cuir blanc au-dessus de son nombril, pour réaligner les lacets d'un corset éclatant, avant de passer dans l'ombre pesante de la créature bleutée… Elle jette un œil en arrière, une fois croisés les deux hommes, mais continue sa route sans émettre un mot…


Elle n'a pas fait trois pas qu'elle se ramasse sur elle-même, les mains sur les tempes, dans un cri de douleur, comme ensevelie sous le poids effarant d'un déferlement invisible… Elle reprend l'équilibre puis s'immobilise, les genoux fléchis, les doigts blanc-craie crispés, et ses pupilles s'étrécissent quand la voix de la Brute éclate :


— ÉMMA.


La jeune femme n'ose pas affronter le titan indigo, les jambes en marmelade…


— …Est-ce que tu viens d'essayer de me sonder…?


La poitrine pigeonnante se gonfle trop rapidement quand elle trouve, à regret, la force de pivoter sur ses talons escarpés, alors que les mots s'étranglent dans sa gorge :


Je… ne pensais pas à mal… je voulais juste…


— Approche.


Les jambes hésitantes de la mutante pèsent des tonnes quand elle se résout à rejoindre la Brute, qui lève lentement le bras à sa rencontre, pour immobiliser sa main monstrueuse à hauteur du visage décomposé… Pendant une éternité, les doigts titanesques se déplient comme les pétales d'une fleur gigantesque, avant que la sentence ne tombe :


— Place ta tête dans ma main.


— Je... je t'en prie… pas ça… je ne suis pas comme Octavius… j…


— Ne m'oblige pas à me répéter.


La jeune femme tétanisée obtempère, et place lentement l'arrière de sa boite crânienne dans le creux de la paume colossale en plissant les yeux. Deux rides verticales barrent le dessus de son nez parfait pendant qu'elle produit d'inconscientes dénégations de la tête…


— Plus près.


La femme rentre la tête dans les épaules en grimaçant, et sens ses cheveux soigneusement lissés entrer en contact avec l'épiderme rugueux dont la courbe épouse à la perfection l'arrière du visage paniqué... Livide, les traits tirés, elle ferme finalement les yeux dans l'attente de son sort, quand les doigts rêches et calleux se referment et que le pouce énorme vient se poser sur son front crêpé de terreur.


— Tu n'auras jamais autant mérité ton titre de Reine Blanche…


J'… J'ai été curieuse, j'en suis désolée… VRAIMENT…!


— Tu es l'une des femmes les plus puissantes de ce monde… et l'une des plus désirables... Tu as l'honneur de faire partie de mon harem, et j'ai apprécié nos moments autant que les informations auxquelles tu m'as donné accès… mais ce qui se passe là-dedans ne te concerne en rien.


La pression du pouce s'accentue encore, au point que la femme sent l'os frontal s'incurver sous la poussée… Le cartilage qui relie ses mâchoires se distend douloureusement sous la contrainte… Quand elle ressent le stress intolérable subi par la fibre musculaire dans sa nuque au moment où ses pieds quittent le sol, elle se met à implorer, les mains agitées :


— A… ATTENDS !!! Je t'en supplie…!! J'ai-commis-une-erreur-ça-ne-se-reproduira-plus… Tu auras tout de moi. Absolument TOUT.


La brute amène à lui le visage d'Emma Frost, dont les yeux terrorisés semblent reculer à l'abri de la frange platine, enfouie tout au fond de la paume écrasante… Les grosses lèvres aubergine articulent à quelques millimètres du gloss nacré…


— J'ai déjà tout ça, Émma. Tu n'es pas en position de marchander. Un cerveau si brillant… il serait dommage de le voir rejoindre celui de Doom… Tu es une pièce maîtresse de ma composition… je refuse que tu te blesses en pénétrant mes défenses…


…Plus jamais... Plus jamais…


— Tu sais ce que tu as à faire… Allez la préparer.


La pression se relâche alors que les jambes ballantes sont reconduites au sol. La jeune femme sitôt libérée enserre ses cervicales distendues de ses deux mains gantées, le menton en avant. Elle se mord la lèvre inférieure, les traits perclus de douleur…


Les deux hommes abandonnent la télépathe à la contemplation de ses pieds, dans l'état émotionnel d'un conducteur qui vient d'éviter un frontal avec un trente-huit tonnes...


Incapable de relever la tête, elle enfonce profondément une main dans sa bouche pour réprimer l'envie de hurler, les phalanges écartées en travers d'yeux trop ouverts, dans cet état de lucidité exacerbée qui vous assène sans fard l'évidence refoulée que tout bascule en un instant.


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