Sur un son de gramophone

Chapitre 1 : os

2225 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/11/2023 19:40

Dans les années 30, Steve avait regardé Bucky danser un nombre incalculable de fois. Les bals étaient choses communes, même si on y venait plus profiter de la musique et oublier la misère de la Dépression que pour s’amuser aux nombreux stands animés ou perdre le peu d’argent qu’on avait au bar.


Il se souviendrait toujours des yeux bleus de son meilleur ami le chercher pour y lire une lueur de malice s’étendre à chaque fois que leurs regards se croissaient enfin.


De nombreuses filles avaient passé les bras de Bucky sans qu’aucune n’y reste bien longtemps. Alors à chaque nouvelle fois qu’ils allaient au bal, que ce soit en double rendez-vous galant ou simplement parce que le corps de Steve lui permettait de profiter des douces soirées de printemps, d’automne ou d’été, le blond regardait son meilleur ami danser avec son sourire aux lèvres.


They say oh my God I see the way you shine


Take your hand, my dear, and place them both in mine


Il se rappelait aussi le nombre de fois où Bucky lui avait tendu une main, sous le son du gramophone qu’ils avaient pu bidouillé grâce aux nombreux soirs de boulot en plus - de trop - du brun et la gentillesse infinie du couple de petit vieux du cinquième qui ne comprenait rien à cette technologie.


Steve avait beau secouer la tête dans tout les sens pour ne pas à subir cette torture qu’était la danse, le plus vieux allait jusqu’à chercher la première main qu’il trouvait à porter pour le tirer de leur semblant de canapé.


Et ce, même si ses deux mains étaient cachées sous son propre corps (sois-disant c’était lui la tête de mule hein).


Toutes ces soirées où Bucky avait essayé de lui apprendre à danser, se mettant dans le rôle de la jeune fille follement amoureuse qui était prête à lui pardonner de se faire marcher sur les pieds, le blond s’en souviendrai toujours.


Parce que c’était probablement sur ces pas de danses, sur ce son de gramophone et les rires de son ami d’enfance, qu’il en était profondément tombé amoureux.


You know you stopped me dead while I was passing by


And now I beg to see you dance just one more time


Durant la guerre, danser était significatif de permission. Ou de soirée à boire au bar le plus proche du camp qu’ils avaient monté à la va-vite durant la pluie et le vent. Ou le feu qui crépite pendant que, eux, les Howling Commandos, quasiment tous bourrés, chantent – hurlent – et dansent – gigotent debout – alors que la lune était haute dans le ciel.


Ces souvenirs-là, il en ricanait encore. Parce que voir Bucky tourner sur lui-même avec Gabe ou Dum Dum, heureux et rouge d’effort et d’alcool, le cherchant par dessus les épaules de l’homme avec qui il tournait, ça lui rappelait juste les soirs de bals où le brun le cherchait des yeux par dessus les épaules rondes de sa fille du moment.


Certaines choses ne changeaient jamais.


Ou, dans un hurlement et une main dans le vide, changeaient à jamais.


Ooh I see you, see you, see you every time (And oh my I, I, I like your style)


You, you make me, make me, make me wanna cry


And now I beg to see you dance just one more time


Quand Peggy le retrouva dans ce bar détruit et abandonné par la guerre, il se sentait dans le même état que l’établissement en pièces. Il s’imaginait les lieux encore sur pied, toutes lumières tamisées, rires à n’en plus finir, alcools à flot et chants terriblement faux qui lui faisait toujours grincer des dents de rire et d’horreur.


Et il imaginait Bucky au milieu de tout ça, prenant le peu de place libre entre les tables pour offrir un show de danse comme il l’avait si souvent fait sous les sifflements à moitié rieurs, à moitié impressionnés, de leurs camarades, sous leur applaudissements rythmés aussi.


Il se souvenait des peu de fois où le brun l’avait entraîner avec lui, le tirant sous les hurlements et sifflements de leurs compagnons de guerre, en hurlant qu’il fallait pas que lui, le Captain America, ne sache plus danser pour sa future épouse en rentrant au pays. Que c’était un entraînement obligatoire soldat.


Quand Peggy le retrouva dans ce bar détruit et abandonné par la guerre, ce bar au sol et en mile-et-un morceau, il était sûr que, même s’il le voulait – il ne le voulait pas -, il aurait été incapable de danser un seul pas qu’il avait appris avec Bucky.


Même pour cette femme magnifique qu’était Peggy.


Il voulait, de toute façon, seulement danser avec un fantôme.


So they say Dance for me, dance for me, dance for me, oh, oh, oh


I've never seen anybody do the things you do before


They say move for me, move for me, move for me, ay, ay, ay


And when you're done I'll make you do it all again


Un suicide héroïque dans la glace pour sauver la population de son pays ? Pfff. C’était rien. Simplement son devoir.


Se rendre compte qu’il avait littéralement voyagé dans le temps grâce au fait qu’il avait plongé un avion dans la glace ? Que presque toutes les personnes qu’il a connu sont mortes ou possiblement trop vieilles pour se rappeler de lui ? Que le monde avait fait un bon technologique si violent qu’il était à lui tout seul le petit couple de vieux du cinquième qui ne comprenait pas comment fonctionnait un gramophone ?


Un rendez-vous de tous les jours dans l’agenda du Captain America.


Se battre contre une menace alienne ? Apprendre qu’il existe des Dieux, d’autres mondes, populations, cultures ? Faire équipe avec le SHIELD, agence que la femme de sa vie – d’après l’exposition sur lui au musée – avait construite ?


Une vie normale pour le protecteur de l’Amérique.


Apprendre que son combat contre Hydra n’avait pas réellement mené à leur fin ? Qu’ils avaient continuaient à faire leurs monstrueuses expériences et avaient infiltré l’oeuvre d’une vie ? Qu’ils avaient presque le contrôle du monde qu’ils avaient tant voulu dans les années 40 ?


Qu’ils avaient torturé pendant des années Bucky ?


Il voulait retourner dans ce bar d’il ne savait plus quelle ville d’il ne savait quel pays où il avait essayé de boire jusqu’à oublier son nom – celui de Bucky, son visage, son rire, ses yeux rieurs et tendres, sa main dans la sienne qui le tirait pour danser, la chaleur de celle-ci une fois sur son torse -.


Parce que tout ce qu’il avait vécu depuis qu’il était sorti de la glace ce n’était rien. Rien. Comparé à l’immense culpabilité de n’avoir pas su, de ne pas avoir cherché, de ne pas l’avoir trouvé.


De ne pas l’avoir sauvé.


Donc ouais. Sam lui avait dit que Bucky n’était pas une type qu’il fallait sauver mais arrêter. Possiblement. Il avait trop vécu peut-être. Mais cela n’allait pas empêcher Steve d’essayer.


Parce qu’il voulait une nouvelle fois entendre le rire de Bucky. Parce qu’il voulait une nouvelle fois voir les yeux bleus se moquer de lui alors qu’il lui marchait sur les pieds. Parce qu’il voulait une nouvelle fois, pitié une dernière fois s’il le fallait, apprendre à danser avec le brun.


I said oh my God I see you walking by


Take my hands, my dear, and look me in my eyes


Just like a monkey I've been dancing my whole life


But you just beg to see me dance just one more time


Retrouver Bucky. C’était son corps en autopilote. Il ne se souvenait même plus depuis combien de temps, combien de temps il s’était passé depuis le moment où il avait vu les yeux bleus redevenir ceux qu’il avait toujours connu durant une seconde avant d’être gâché par la terreur et la culpabilité.


Gâché n’était pas le bon mot non plus. Mais il n’aurai aimé voir que le moment où les iris l’avaient reconnues. Cette lueur si honnête pleine de chaleur et de reconnaissance.


C’était sur ce moment qu’il s’accrochait quand lui et Sam perdaient toutes traces du brun pendant des mois. Et sur ces milliers de chansons, de danses qu’il savait Bucky allait adorer une fois qu’ils pourraient enfin les écouter ensembles. Danser ensembles. Ou apprendre.


Il ne lâcha jamais le morceau. Comme un affamé. Un affamé par la chaleur du corps de cet homme qu’il avait crû perdu à jamais dans les neiges autrichiennes. Cette chaleur contre son corps alors qu’il essayait de faire de son mieux sur un son de gramophone.


Retrouver Bucky. C’était comme une bouffée d’oxygène. Qu’il reprenait enfin après tant d’heures d’apnée, à en devenir aussi bleu que le jour où avait été sorti de la glace.


La suite ne sera pas facile. Bucky devait encore retrouver sa mémoire éparpillée, répondre de ses actes – non-actes – auprès de la justice, arriver à faire confiance aux autres et ne pas sursauter à chaque fois que quelqu’un hausse le ton.


Mais, une fois que les portes de la tour Avenger se fermèrent sur eux, les faisant enfin rentrer à ce qui était leur maison à présent, Steve se permit d’espérer que cela irai. Qu’ils iraient.


Qu’ils danseraient à nouveau en riant de sa maladresse.


Même si cela ne serait pas sur le son d’un gramophone mais celui d’une enceinte bluetooth dont il n’avait pas encore totalement compris le fonctionnement.


Ooh I see you, see you, see you every time


And oh my I, I like your style


You, you make me, make me, make me wanna cry


And now I beg to see you dance just one more time


Rien n’était facile dans la vie d’héros. Que ce soit les combats qui éloignaient toujours Steve de la tour. Les cauchemars et souvenirs horribles des actes que le brun avaient commis sous les ordres d’Hydra. Les mauvais jours où Bucky était incapable de sortir de son lit à cause de l’envie d’en finir avec son existence ou le poids de sa conscience. Ou les combats intérieurs que le blond essayait de cacher toujours plus, les enfouissant comme dans les années 30, au moment où ce genre de sentiments étaient bannis du monde.


Rien n’était facile dans la vie d’être humain. Mais les bons jours, oh les bons jours, Steve les adorait.


Ces jours où il entendait Bucky rire. Ceux où le brun lui demandait si un bout de mémoire de leur enfance était réel. Ceux où il revoyait le jeune homme avec qui il avait toujours vécu, quand il était encore dans un corps maladif et trop petit pour lui, quand ils étaient encore au coeur de Brooklyn à danser dans les bals.


Ces jours où Bucky découvrait une musique, un style, une danse, qui faisait que ses yeux s’illuminaient et cherchait la main de Steve pour le tirer debout, à essayer de refaire les pas que les gens sur youtube faisaient. Sous le regard des autres de la tour qui corrigeaient, aidaient, souriaient et rejoignaient le tout avec patience et une chaleur que Steve n’avait plus ressenti depuis le train.


So they say


Dance for me, dance for me, dance for me, oh, oh, oh


I've never seen anybody do the things you do before


They say move for me, move for me, move for me, ay, ay, ay


And when you're done I'll make you do it all again


Dans les années 30, Steve avait regardé Bucky danser un nombre incalculable de fois.


Dans les années 2000-2010, Steve l’avait énormément regardé aussi. Mais il avait aussi beaucoup dansé avec lui. Sur n’importe quelle musique le brun pouvait bien mettre, sur n’importe quelle chanson qui passait à la radio ou dans l’endroit où ils étaient.


Il l’avait vu danser avec Natasha, avec Wanda, avec des filles dont ils n’avaient su le nom. Avec Clint, Tony – bourrés tous deux -, Sam. Toute l’équipe. Et des hommes inconnus au bataillon. Et il avait dansé avec lui.


Il l’avait vu danser sur le sol du salon commun dans la tour. Dans l’appartement qu’ils partageaient. Dans leur chambre. Un bar, une boîte, du béton un soir d’été pour un bal.


Sur un char de la gay pride.


A leur mariage.


Et il avait dansé avec lui, la chaleur de sa main sur son torse, le sourire aux lèvres, les yeux rieurs, alors qu’il faisait exprès de lui marcher sur les pieds. Pour continuer à s’entraîner jusqu’à la fin de leur route.


And when you're done I'll make you do it all again


All again

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