Alpha

Chapitre 1 : Un bruissement

1608 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 15/09/2017 16:52

Un bruissement. Le son du feuillage qui frétille dans le vent qui le traverse. Puis plus rien ; pas piaillements d’oiseaux, pas de cris d’animaux.


Son monde est absent de voix humaines mais pas de bruits. Elle sait que le silence est souvent synonyme de mort dans la nature et l’odeur, qu’apporte à nouveau le vent avec lui, confirme la mauvaise nouvelle : elle n’est plus seule dans ses bois.


Elle flaire la sueur et la poudre. En silence elle suit la piste, ses pieds nus effleurant à peine le tapis végétal dans sa course, sous couvert des ombres que les arbres lui procurent. Le crépuscule est un choix de moment malheureux pour pénétrer son territoire.


A quelques mètres, deux hommes en treillis militaire avancent lentement vers sa position, leurs armes collées contre leurs torses, tenues par des mains en métal. Ils sont grands et baraqués et donc lents. Dans cette pénombre, la distance entre eux est juste suffisante pour que la bête ait l’avantage. Alors que l’un d’eux dépasse l’arbre qui la cache, elle projette sa main, toutes griffes dehors, contre sa gorge, coupant net sa respiration. Avant que le râle attendu ne s’échappe, elle referme sa main, joignant ses doigts derrière la trachée et tire, l’arrachant dans un bruit spongieux.


Lorsque le deuxième homme comprend que c’est le corps inerte de son collègue qui vient de s’effondrer sur le sol, la bête est déjà sur lui. Il tombe à genoux en hoquetant, les yeux éberlués, essayant de retenir avec ses mains le sang qui s’écoule de son cou béant.


Un grésillement puis une voix émanent de l’homme :

-Equipe trois, au rapport.


Quelques secondes puis il recommence, une pointe d’impatience dans la voix :

-Equipe trois…


Soudain les feuilles craquent sous les lourdes bottes des assaillants qui courent derrière elle. Ils sont encore au moins quatre et trouvent les deux corps sans vie. Sans un mot, ils se dispersent, leurs armes levées à hauteur du visage, et inspectent les alentours. Mais c’est son territoire et l’insistance de ces intrus à s’y imposer l’enrage.


Un des hommes approche d’un enchevêtrement de branches et de feuilles, intrigué par une furtive lueur dorée, avant de percevoir un léger grondement. Le bruit devient bientôt guttural et le fait précipitamment reculer de plusieurs pas.


L’ombre qui jaillit devant lui en grognant le fait trébucher et tomber lourdement sur le sol, les bras devant son visage, juste à temps pour retenir la mâchoire qui se plante dans son avant-bras. L’ombre enserre son cou mais il a déjà crié, et les autres rappliquent, déchainant une multitude de flash et de détonations alors qu’ils tirent sur la silhouette qui serpente entre les arbres.


Ils la poursuivent mais peinent à la discerner parfois parmi la végétation dense et la luminosité presque totalement éteinte. Elle peut voir des torches s’allumer et s’agiter au bout de leurs canons tandis qu’ils accélèrent derrière elle.


La fuyarde s’apprête à bifurquer lorsqu’une crosse percute sa tempe, la projetant violemment au sol. Secouant la tête pour faire taire le pouls qu’elle y sent battre, elle n’a pas le temps de se relever que des doigts en métal saisissent son cou et la retiennent au sol. Par réflexe elle tente de détendre la prise en saisissant le bras de son assaillant de ses deux mains mais est freinée dans son élan par la voix enjouée de l’homme, la même que dans la radio :


- Doucement bébé, dit-il en pointant le canon de son pistolet sur son visage.


Elle distingue des yeux bleus rieurs qui la regardent et un sourire insolent orné d’une dent dorée. Mais elle sent aussi que la prise se relâche légèrement. Elle lance ses jambes en l’air et les noue autour du bras qui la maintient, effectuant une clé assez ferme pour le déséquilibrer et dévier ainsi l’arme qui la tenait en joue. L’assaillant tente de retirer son bras mais elle s’accroche et il la soulève du sol à la place. Elle enveloppe avec ses bras la main bionique qui la tient toujours par le cou et parvient à le faire lâcher d’un mouvement circulaire de ses mains, tordant le métal du poignet.


L’homme la lâche en hurlant de rage, non de douleur. Elle cherche une issue, elle recule contre un arbre, mais il est trop tard, ils sont tous là, autour d’elle, pointant leurs armes et les lumières aveuglantes de leurs torches sur son visage qu’elle tente de protéger de ses bras.


Ils halètent bruyamment. L’homme qui la maintenait se redresse et regarde son poignet de métal déformé d’un air contrarié. Il soupire, il peine à maitriser sa colère, se mordant la lèvre inférieure, le regard sombre sous ses sourcils froncés. Puis il dégage les mèches blondes tombées sur son front et lève un doigt de chair devant lui, les sifflements des respirations cessent autour de lui.


- Alors… Qu’est ce qu’on a là ? dit-il en ponctuant chaque mot.


Tandis qu’il s’avance, les lumières qui aveuglent la bête s’abaissent. L’homme entrevoit alors devant lui une silhouette féminine habillée d’un pantalon sombre et d’un simple tee-shirt de la même teinte, surmontée de courts cheveux noirs en bataille. Elle l’observe à travers ses doigts griffus, couverts de sang et de morceaux de chair, qui masquent encore son visage.


C’est lui qui commande. Même elle peut ressentir l’autorité qui émane de lui, qui d’un simple doigt levé peut faire cesser jusqu’à votre souffle.


Elle laisse retomber doucement ses mains le long de son visage. L’homme fait soudainement un dernier pas plus ample que les précédents et l’attrape à nouveau par le cou, l’épinglant contre l’arbre derrière elle. La prise est moins puissante qu’avec sa main artificielle, mais elle est suffisante pour la tenir en respect.


- On s’est trouvé une chatte de gouttière on dirait, lui aboie-t-il hargneusement au visage.


- Va te faire foutre, crache-t-elle.


- Oh… et ça parle ! dit-il d’un ton enjoué. Puisque t’es d’humeur, chérie, tu vas me dire si tu es la seule jolie chose qu’on peut trouver dans le coin.


- Va t…


La main se resserre sur son cou. Il sourit mais son regard n’exprime aucune bienveillance.


- Oh non… Ne dis pas ça encore une fois ou je vais laisser mes gars s’amuser un peu avec toi, hein… Alors ?


La captive le fusille du regard mais peine à inspirer avec cette main qui lui écrase la trachée.


- …Je suis seule…, avoue-t-elle péniblement.


L’homme relâche un peu la pression et affiche un sourire victorieux.


- Ca c’est une gentille fille.


C’est le moment qu’elle choisirait pour lui prouver le contraire, si une petite voix dans sa tête ne l’en dissuadait pas, disant que cet homme était particulier.

Il adresse un signe de tête à un de ses hommes qui s’avance et sort une paire de menottes de derrière son dos.


-T’as le droit à un cadeau, bébé, il ajoute, tandis que l’autre lui entrave les mains.


Au contact sur ses bras, ses lèvres, tachées de sang encore frais, se retroussent en une grimace féroce, dévoilant deux paires de canines anormalement longues et pointues pour un être humain.


-C’est quoi ce sourire, bébé ?


L’homme se rapproche encore et raffermi sa prise sur son cou. Son visage n’est plus qu’à quelques centimètres et elle peut sentir le souffle de sa respiration sur sa joue, tout près de sa bouche. Son pouls s’accélère et sa mâchoire se resserre, cette proximité la trouble et provoque un frisson qui lui parcourt l’échine.


- Si jamais il te prend encore l’envie de mordre quelqu’un, je te ferai personnellement avaler tes putains de dents.


Sa voix n’est plus qu’un murmure et ses paroles ne sonnent pas aussi menaçantes qu’elles le devraient. Il reste encore tout près d’elle, fait glisser ses doigts sur sa gorge jusqu’à saisir son menton. Elle peut presque toucher ses lèvres, entrouvertes dans un semblant de sourire duquel il semble ne jamais se départir. Pendant des secondes qui s’allongent, il scrute son visage et voit la fureur céder la place à la perplexité et au doute dans ses yeux singulièrement jaunes.


 Elle voudrait réagir, le repousser, lui arracher ses yeux clairs qui la transpercent. Mais son corps ne lui obéit plus, ses membres sont comme engourdis et laissés au bon vouloir de cet homme.


Son esprit, lui, est clair et lucide. Elle ne le réalise pas encore et elle ne comprend pas non plus tout ce que cela implique mais elle sait ce qu’est cet homme. Elle sait que c’est lui, le mâle Alpha.

 


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