Sauver la Terre

Chapitre 4 : France enflammée

5056 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 19/06/2021 22:45


Comme lors des profondes nuits polaires, un véritable blizzard frappait le nord de la France. Un déluge de flocons ardents déferlait d'un ciel d'encre, sans jamais trouver le repos. C'était là le résultat du brasero d'un continent entier soufflé par les coups de bombes, dont les explosions titanesques repandaient ses cendres aux quatre coins du monde. Pour mener a bien sa mission, l'escouade Phénix s'y était enfoncée au risque de s'y perdre. Face à une telle déferlante de fausse neige, elle renonça à avancer à l'aveugle et se retrancha sous la structure fragilisée d'une église en attendant l'accalmie.


Haut perché sur le clocher décapité de la vieille cathédrale perdue au milieu de la campagne, Aaron s'adossait sur un muret de briques qui menaçait de s'écrouler. Sa respiration étiolée résonnait dans le filtre de son casque saturé de poussières et de cendres. Voilà une quinzaine de minutes qu'il y était, et la moindre parcelle de son corps se nappait déjà d'une fine couche de poudreuse opaque. Il balaya du pouce la suie étalée sur sa visière, puis pianota sur le clavier de son omnitech. Il s'efforça a écouter chaque fréquence radio qu'il captait, à la recherche d'une ligne stable, ou simplement utilisable. Il emplifia le signal de transmission grâce à l'émetteur intégré dans son armure puis dit.


_ Fawkes pour Base Liberty, répondez Base Liberty ! appela t-il par deux fois avant de changer de canal, résigné.


Mais comme à son habitude, seul un crachin de grésillement perdurait. Pourtant un pressentiment le poussait à continuer, par crainte de couper sa radio au moment où quelqu'un réponderait. On lui avait longtemps répété que l'Angleterre était le dernier bastion de l'humanité, et qu'au delà de ses frontières, chaos, morts, Moissonneurs et désolations n'étaient que monnaie courante. Les minutes se métamorphosaient doucement en heures à mesure qu'il hésitait à raccrocher pour de bon, et ce qu'on lui avait dit, s'annonçait vrai. Il lui restait une dernière fréquence à essayer. Avant de lancer son appel il patienta, la tête levée vers le ciel endeuillé, avec l'espoir au ventre d'entendre un son, ou un simple soupire. Mais rien. Alors il règla son émetteur, puis dit.


_ Base Liberty ici Fawkes pour contrôle radio, répondez Base Liberty...S'il vous plaît !


_ Tu perds ton temps, rogna la voix métallique de Yankee au travers de son scaphandre, on est tout seul dans ce pays de merde.


La sniper prenait son tour de garde à côté de lui. Assise en tailleur avec son imposant fusil de précision bercé dans ses bras, et un tissus de camouflage blanc comme neige sur les épaules se fondant dans la pluie de cendres, elle jetait ses yeux bionique à l'extrémité du champ de blé, mort et marécageux, encadrant l'église.


_ C'est le quatrième contact radio qu'on loupe, s'accabla Aaron, on est pas si loin pourtant.


_ On crèvera en solo sans personne pour nous regretter, c'est comme ça, vaut mieux t'y faire ! martela t-elle sans enthousiasme


Il s'apprêtait a couper sa radio, mais c'est alors que le signal vascilla comme un coup de fouet. Il chercha à clarifier la communication. Le crachin se mua en bourdonnement puis s'estompa. Il tapota vainement sur son clavier. Mais rien.

Yankee abandonna sa posture de prédateur embusqué, et scruta au travers de la lunette de son fusil. Une ombre massive se frayait un chemin jusqu'à eux. Mais au travers du brouillard de poussière, sa nature restait imperceptible. Elle passa en vision thermique puis reprit d'un ton macabre.


_ Réveil le Capitaine !


Sans perdre de temps, Aaron dévala l'escalier du clocher, en bois grincheux, quatre par quatre au point de trébucher sur les dernières marches. Il traversa la Nef à grandes enjambées, le tapement de ses bottes éclatait comme mille dans l'enceinte dévastée de l'église. Il glissa en catastrophe jusqu'au Croisillon nord, où s'était installé le Capitaine Terrens. A sa surprise, Athena et le Lieutenant Zeroius étaient là également et préparaient, autour d'une table, l'approche finale de la mission. Avant d'avoir expliqué la raison de sa venue, on lui demanda : "Et la radio, ça marche ?" Il répondit non timidement, puis comme il restait planté devant la porte, on lui somma de parler ou de retourner à son poste. Il dévoila alors ce que Yankee avait repéré. Le Capitaine Terrens attrapa son casque, posé en bord de table, et dit d'un ton ferme.


_ Tu commences par ça la prochaine fois.


☆☆


Le Capitaine Terrens s'appuyait sur le porche en pierre effritée de la cathédrale. D'un œil aiguisé, il concentrait son regard au travers d'une fissure dans le bois calciné de la large porte d'entrée. Fusil à l'épaule et la respiration sereine, il guettait l'avancée d'un rugissement monstrueux qui fendait le silence nocturne de la France enflammée. D'une série de geste précis, il déploya son escouade. Athena et Aaron couvraient les arrières du bâtiment par leur vigilance. Jaws, équipé de sa mitrailleuse, écarta quelques briques du mur pour s'en faire un nid couvrant la basse cour devant l'église. Les jumeaux Baginski, traversèrent la cinquantaine de mètre de cour en un éclair, jusqu'au portillon du domaine, là où le Carnage était garé. BB sauta sur la tourelle de calibre cinquante, et Pyro se tint en embuscade couteaux entre les dents.


Un coup de tonnerre éclata tout proche. C'était un mastodonte d'acier, fort d'un canon pricipale si massif qu'il ridiculisait celui du Carnage au niveau d'un vulgaire pistolet à eau, qui rampait jusqu'aux portes de l'église. Surélevé sur ses quatre groupes de chenilles, il roulait lourdement sur un sol qui se déchirait à son passage. Large comme trois camions, il débordait d'une épaisseur le misérable chemin de terre et s'en alla, sans forcer, bousiller le portillon métallique à l'entrée pour pénétrer dans la basse cour. Quand au moteur qui enclenchait toute cette machinerie, il sifflait et soufflait telle une bouilloire de soixante-dix tonnes prête à exploser, et précédait de très loin la source de son brouhaha dans un concert de ferrailles broyées. L'immense machine recracha un geyser de flamme quand elle tomba à l'arrêt. Et de sa coque en fusion rougeoyante se dégagea un brouillard ébouillanté.


Après un bref silence, le Capitaine Terrens s'avança seul, au pas de rat. Il descendit les quelques marches du hall d'entrée une par une, et stoppa net lorsque la trappe du cockpit émoussé s'ébranla. Une silhouette, dissimulée sous une tenue T3P, dépassa comme une taupe hésitante à sortir de son trou. Sans mouvement brusque le Capitaine rangea son fusil dans son dos, bien conscient que les monstres des Moissonneurs n'utilisaient pas ce genre d'engin. Il indiqua à son escouade, d'un geste tout aussi calme, de baisser leurs armes. La silhouette balaya les environs du regard puis s'extirpa du cockpit. Elle retira son étanche masque à oxygène.


_ Finalement vous êtes pas des "pourris". s'étonna t-elle. Moi qui pensait devoir vous baiser la gueule en passant !


C'était une femme qui se démasqua, dont un rideau de sang recouvrait le visage. Elle sauta lourdement du flanc de son char, se rattrapa sur la coque, puis s'y accouda pour tenir debout. Elle força son regard sur le logo N7 greffé sur le plastron du Capitaine, puis s'étonna.


_ Des N7...je vous croyais tous morts !


Le Capitaine Terrens prit un instant avant de répondre. Il jaugeait la nouvelle venue du regard. Un morceau de drapeau tricolore fondait sur le blindage du char. Elle, tout comme sa terrible machine de guerre avaient connu d'intenses combats, mais apportait-elle dans son sillage un ennemi en quête d'achever son travail ? Par le silence qui régnait, il en conclut que non. Il fit alors un deuxième signe en direction des champs alentours ; le lieutenant Zeroius et ses six soldats Turiens se dévoilèrent tour à tour comme des épouvantails surgis des broussailles. Puis il s'avança d'un pas décidé.


_ Si j'étais vous, je m'arrêterai là ! prévint le tankiste français d'une pénible voix essoufflée.


Le Capitaine cessa son mouvement et rétorqua.


_ Vous êtes ?


_ Major Céline Leclerc, du 8e RD...


Ses jambes flanchèrent. Elle s'aggripa sur la coque de son char d'un réflexe précipité.


_ ...en garnison sur Paris... réussit-elle à dire avant de se racler la gorge


Elle retrouva un souffle partiel, puis reprit.


_ Si j'étais vous, je chercherai pas à aller plus au sud...


Une toux cristalline l'interrompa. Elle rechercha à nouveau sa respiration, puis dégueula un litre de sang noir et gélatineux. La force dans ses jambes l'abandonna. Elle s'effondra, avalée entière par l'océan de cendres qui nappait le sol. Le Capitaine sauta pour l'assister. Et découvrit que du sang s'écoulait par tous les orifices de son visage.


_ Qu'est-ce qui vous est arrivé ? demanda t-il en indiquant à Athena de préparer la trousse de secours.


_ Vous devriez partir... c'est pas sûre ici...


Elle perdit connaissance dans ses bras, alors il l'emporta à l'intérieur de l'église. Il la déposa sur un stalles qui pouvait encore supporter du poids. Athena découpa la tenue de protection T3P du soldat français et osculta son corps, en s'étonnant qu'elle soit toujours en vie. Son abdomen était surdimensionné mais aussi flasque que de la gélatine. Toutes les veines de son corps s'hypertrofiaient à la limite de la rupture. Et sans qu'on puisse les retenir, ses ongles, quelques unes de ses dents, et ses cheveux se décrochaient pièce après pièce. Athena lui injecta deux doses de Medi-gel dans l'épaule, mais son cœur cessa de battre. Elle lui enfonça alors une seringue d'adrénaline dans la poitrine. Et le soldat français revint à la vie.


_ D'où venez-vous ?


Questionna vivement le Capitaine, assis, les mains jointes. Le soldat peinait à respirer et répondit avec une voix étouffée par la douleur.


_ Paris...ils étaient trop nombreux...on ne pouvait pas gagner...on ne pouvait pas...


_ Racontez moi ce qu'il s'est passé.


_ C'est fini...on a perdu...si on peut pas sauver notre monde...dit elle entre deux rôts ensanglantés. Autant le foutre en l'air...


A ces mots, un sinistre tableau se dessina dans l'esprit du Capitaine. Il s'en redressa sur son banc, silencieux, soucieux. Du bout de son gantelet il examina la tenue de protection contre les attaques chimiques, bactériologiques, radiologiques et nucléaires, appelée T3P, que portait le soldat français. L'évidence était là mais il refusa d'y croire. Il appela Aaron. Celui-ci qui avait à son poignet un omnitech dernier cri, scanna le soldat avec son compteur geiger. Le relevé obtenu était sans appel.


C'est alors que les pensées du Capitaine furent absorbées bien loin dans son passé. Dans un temps où il se forgeait une force de caractère auprès de son premier commandant d'unité, lorsqu'il suivait l'entraînement intensif des tous premiers commandos N7. Les mots d'ordres étaient : "La galaxie est vaste, sombre et hostile. L'humanité ne peut y voguer seule. Le devoir de tout N7 est de défendre les intérêts de la Terre et de toutes ses colonies, qu'importe le prix !" Ces mots qu'il trouvait absurde à ses débuts, prirent un tout autre sens avec les années, puis l'invasion des Moissonneurs. Ils animaient son courage à chaque bataille qu'il avait à disputer depuis lors.


Alors quand il observa le taux de radiation révélé par l'omnitech de son subordonnée, et qu'il entendit résonner les paroles du soldat allongé sous ses yeux, il libéra un long soupire agacé. Le serment qu'il avait prêté trente ans plutôt, le même qu'il imposait à ses hommes, aux quatre-vingt-seize tombés au combat depuis le début de cette guerre et aux six qui lui restait sous son commandement, tout cela était balayé par l'inconscience et l'extrémisme d'autres combattants. La Terre n'appartenait pas uniquement à l'humanité, elle "représentait" l'humanité. Comment pouvaient ils s'abandonner à de telles solutions ?


Il se pencha alors légèrement, ôta son casque, puis verrouilla son regard étincelant sur le soldat français. Et il affirma d'une froideur qui lui était propre.


_ Nous sauverons la Terre. Ou nous tomberons avec elle. Mais jamais nous n'abandonnerons, jamais.


Le soldat français suffoca avant la fin de sa phrase. Elle vomit un pâté de sang sur son torse, puis perdit connaissance à nouveau.


_ Géniale. ironisa Athena. C'est quoi l'plan maintenant ?


_ On continue. répliqua sereinement le Capitaine. Si la région est irradiée, autant finir la mission sans plus tarder !


_ Comme si les Moissonneurs suffisaient pas ! pesta Athena pour elle-même, puis elle reprit un ton plus haut. On fait quoi avec elle ? Elle va claquer d'un instant à l'autre !


Le Capitaine Terrens bondit de son banc. L'esprit pensif il demanda à ce qu'on adoucisse les derniers instants du soldat français. Puis il rejoint le lieutenant Zeroius pour lui faire part des dernières nouvelles.


Athena ria doucement en injectant une dernière dose de Medi-gel dans le bras du soldat évanoui, puis peu à peu, elle se laissa emporter par un fou rire nerveux ; Elle qui croyait qu'après avoir survécu à toutes les batailles, elle pourrait finalement s'en sortir sans casse. Pour la première fois en huit mois de guerre, ce n'était pas les Moissonneurs qui la menacer d'une mort immédiate, mais bien ceux avec qui et pour qui elle se battait. L'ironie la fit éclater de rire. Mais avec un pincement au cœur, comme un sentiment de trahison qu'elle ne comprennait pas. N'acceptait pas.


☆☆☆


Un petit cimetière, délimité par une fragile clôture de pierre, surplombait l'église. Le lieutenant Zeroius et ses soldats Turiens s'y étaient installés pour éviter d'attiser les tensions avec certains membres de l'escouade Phénix. Le Capitaine Terrens s'y rendit à pieds légers. Il informa ses alliés de la tournure des événements dans le pays.


_ Sur votre propre monde... se consterna le lieutenant Turien avec un visage de marbre.


Le lieutenant chercha dans le regard du Capitaine un signe de faiblesse, mais en vain. Il appela alors son second, le Sergent Martik, pour qu'il lui apporte la carte papier de la région. Il posa son index sur la zone industrielle de la ville d'Amiens, à moins d'une heure de route de leur position, et affirma que son vaisseau s'y était écrasé. Puis il précisa qu'avant d'avoir rejoint l'Angleterre, deux cents de ses compatriotes sont morts au combat, juste en tentant d'échapper aux créatures moissonnées infestant la ville. Ces événements dataient du début de l'invasion, et l'expérience du Capitaine lui indiquait qu'une fois la ville minutieusement "nettoyée" de sa population, les forces ennemies s'étaient dispersées dans la région. Un facteur inconnu troublait cependant sa froide confiance : Y avait-il un vrai Moissonneur dans cette ville ? Les possibilités étaient aussi simples que dramatiques ; Si non, la mission se déroulerait avec un minimum d'accroche. Si oui...il ne poussa pas sa réflexion plus loin.


☆☆☆☆


D'une seconde à l'autre, l'orage de cendres qui sévissait pendant plus de quatre heures, lâcha ses derniers flocons gris et chauds, et ne laissa derrière lui qu'un désert sombre, hanté par le sillonnement d'une brise lointaine. L'horizon était à peine visible comme si au bout des champs de blé entourant l'église, il n'y avait qu'une maigre forêt d'arbres morts et qu'au delà, plus rien n'existait. Assis sur un bloc de pierre dans la basse cour de l'église, Aaron regardait les petites flammes du feu de camp s'animer avec élégance. Il retira le filtre de son casque, et le tapa sur son plastron pour en déloger un demi-kilogramme de poussières. D'un coup d'œil oblique il vérifia le compteur geiger sur son omnitech. Celui-ci indiquait : 97 mSv. Sentant son cœur tambouriner sur ses tympans, il décida d'ôter entièrement son casque, et le laissa tomber à ses pieds. Il prit alors une profonde inspiration. L'air n'avait pas l'odeur de charogne comme en Angleterre, mais celui-ci était bien plus mortel. Il s'était résolu à cette réalité.


Jaws treffouillait dans une caisse, à côté de lui, à la recherche d'une ration. Le grand gaillard, natif de Terra Nova, sortit deux boîtes en conserve et demanda à son compagnon laquelle il préférait entre magret de canard et Saumon fumé.


Devant un tel choix, Aaron indiqua du doigt la première boîte, puis la surveilla tranquillement se réchauffer dans le feu. Derrière lui, BB soulevait le capot du char fraîchement arrivé. Au premier coup d'œil, il avait listé point par point les caractéristiques qui rendaient ce blindé : le meilleur de sa catégorie. Sous ces seize centimètres de blindage, il y avait un moteur thermo-nucléaire si puissant, que son autodestruction aurait l'effet d'une bombe H. Quand au canon de ce véritable monstre, il n'était pas en reste, puisqu'il pouvait bombarder la surface de la lune. Voir une telle machine de guerre de ses propres yeux le faisait sursauter surplace. Mais c'est alors que son entrain s'estompa, quand il conclua en bougonnant sur l'origine de cette technologie. Il cracha par terre, puis claqua le capot. Car le char de guerre de la classe "Shagohod" était une technologie purement Turienne.


_ Des poulets ont inventé cet engin. Ça me dégoûte rien que d'y penser ! beugla-t-il avec son accent polonais qui déformait un mot sur deux.


Il vint s'asseoir sur la caisse de ration autour du feu, et s'alluma une cigarette. Il en proposa une à Aaron, qui refusa poliment. Puis à Jaws qui repoussa le paquet en expliquant qu'il avait fait la promesse d'arrêter, et qu'il comptait bien la tenir jusqu'à qu'il rentre chez lui. Le rire sarcastique de Pyro éclata alors. Il plongeait la tête dans la trappe du cockpit, au sommet du char, et s'extasia.


_ Putain c'est plein de macchabés là-dedans !


Il se relèva d'un bond. Détacha la boucle de sa ceinture et se soulagea le colon à l'intérieur. Il exprima sa joie d'un long soupire.


Jaws embrocha la ration en conserve avec son couteau et déversa des portions à ses camarades. Aaron vit une coulée de magret de canard empestant le poisson oublié au fond de son gobelet en métal.


_ Un festin digne d'un roi ! ajouta Jaws en reniflant la soupe. Et c'est pas un alien qui t'as cuisiné ça. Cent pour cent humain !


Pyro renversa une caisse de munitions d'un coup de pied, rattacha son pantalon, et s'asseya entre son frère et Aaron. Il regarda au fond de son gobelet en grimaçant.


_ T'es sérieux, je donne même pas ça à un clébard ! s'emporta-t-il en se débarrassant de sa part.


BB récupéra le gobelet dans le feu, et ramassa les morceaux qui s'en était échappé. "Pas de gaspillage, on est pas à la carte." murmura t-il. Pyro le regardait chercher des miettes de nourriture comme un rat affamé. Puis il lui lâcha en polonais.


_ Vas-y engraisse toi, gros porc !


_ C'est comme ça que je vais survivre !


Réaffirma BB en laissant fondre une miette de viande sur sa langue avant de l'avaler. Pyro lui déroba sa cigarette et reprit dans une langue que tout le monde comprenait.


_ Mon cul, c'est moi qui te fait survivre ! Si j'étais pas là, dit-il en comptant sur ses doigts chaque membre de l'escouade qu'il avait sauvé au combat, vous seriez tous morts dix fois. Même le vieux m'en doit une !


Là-dessus, Jaws acquiesça vivement de la tête. Il fit le signe de croix et adressa une prière pour remercier le ciel de lui donner un repas avec ses frères. Et en accorda une deuxième pour tout ceux qui n'étaient plus là pour le partager.


_ Ah ouais, grommela BB, j'ai vu quatre de nos gars se faire plomber comme des pigeons et toi t'étais où ? T'as fait quoi quand j'avais leurs tripes sur la gueule ?! T'as fait quoi ?! répondit il en montant sa grosse voix à chaque mot.


Aaron mastiquait difficilement un morceau de sa ration et tentait de suivre la discussion. Mais plus l'échange s'éternisait moins il était compréhensible. Ils parlaient ou s'insultaient en polonais tous les deux mots. Pas un jour depuis son arrivée, ne contenait pas un échange de noms d'oiseaux entre frères. C'était là routine. Mais là, l'engueulade tourna en faveur de Pyro lorsqu'il énonça : "l'aile noire" entre un juron incompréhensible et une longue explication. BB bougonna en hochant la tête, désapprobateur, et vida cul sec son gobelet de soupe.


_ Cette merde n'existe pas. Arrête de faire chier ! menaça-t-il le poing serré


Pyro se leva le corps insufflé d'énergie biotique.


_ Je l'ai vu, l'aile noire existe ! Et elle me suit.


BB démentit de nouveau en haussant la voix. Il prouva le contraire en gueulant que son "aile noire" n'était qu'un Cicosaure parmi des millions. Il était impossible que ce soit un spécimen précis qui le pourchasse.


A ces mots, incapable d'exprimer sa colère autrement, Pyro balaya la caisse de ration où s'asseyait son frère, d'une impulsion biotique. BB s'écroula lourdement. Il se relèva le regard aussi noir qu'un buffle prêt à charger. Son imposant corps entouré également de biotique, il fonça tête en avant. Les deux frères se percutèrent de plein fouet, en dégageant une onde de choc bleuté. Aaron était au milieu comme figé, et fut soufflé. Jaws l'attrapa par le col, le tira sur dix mètres, et ils assistèrent sans intervenir à un énième duel fratricide. Pyro utilisait la même technique de combat que contre les monstres des Moissonneurs. Il tournait autour de son ennemi à la vitesse du son, grâce à ses capacités biotiques, et assènait une pluie de coups de tous les côtés. Une fois au visage. Une deuxième dans les jambes. Une dernière dans le dos. BB, trop lent, frappait dans le vide. Encore. Et encore. Il ne touchait que le résidu bleuté laissé dans son sillage. Son frère était insaisissable. Assaillit et incapable de répliquer, il concentra son pouvoir de lévitation au bout de son bras. C'est alors que le char d'assaut français s'entoura d'une fine aura blanche, et mouva discrètement. La vieille carcasse s'éleva à dix centimètres du sol. Puis un mètre. Alors qu'il était proche d'assouvir sa riposte, un cris sourd bien connu, l'interrompa.


Athena sortit en trombe du cœur de l'église. Alors qu'il était en pleine course, elle neutralisa Pyro d'un coup pied au ventre. Il roula de douleur, à bout de souffle. Elle sauta ensuite sur BB. Elle le sonna d'une paire de crochet, puis le projeta par terre avec une technique de lutteur. Le char qui était en lévitation s'écrasa au sol avec lui, dans un bruit de tonnerre, en soulevant une tempête de poussières.


_ C'est la dernière fois. Compris ! menaça t-elle d'une voix appuyée de son regard assassin


Les jumeaux gesticulaient au sol comme des infirmes. Pliés par la douleur. Elle envoya Pyro monter la garde à l'arrière de l'église, et BB de l'autre côté. Chacun se relèva avec des séquelles. L'un aux côtes, l'autre à la mâchoire. Sans protester ils exécutèrent les ordres. Alors qu'ils croisaient leur chemin, ils se tapèrent dans la main, sans rancune.

Athena vint s'asseoir la mine bredouille autour du feu, désormais éteint. Elle s'essuya le visage à deux mains, puis souffla sa frustration enfouit. Aaron lança un regard en biais pour Jaws. Ils la rejoinrent, soulagés.


_ Pyro à encore parlé de l'aile noire. révéla Jaws en enjambant son siège de fortune


_ Qu'est-ce que c'est en faite, l'aile noire ? interrogea Aaron en ramassant son gobelet de soupe


_ Un Cicosaure. murmura Athena. Une saloperie de Cicosaure ! répéta t-elle submergée de mauvais souvenirs


Jaws engloutit sa ration cul-sec. Recracha le jus sur le côté, puis dit.


_ Beaucoup des nôtres sont morts à cause d'un Cicosaure. Pyro pense que c'est le même qui s'acharne sur nous, mais...tu sais comment il est !


Aaron compatit, même s'il était persuadé de ne jamais en avoir vu. La tête inclinée, il chercha dans sa mémoire. Mais rien. Athena ramassa un gobelet par terre, demanda une part de ration puis reprit en sirotant.


_ C'est la pire merde qu'j'ai jamais connu. Les Zombies on peut les buter. Les Exterminateurs on peut les battre. Même les Brutes on peut les gérer ! enchaîna t-elle avec une gorgée de soupe. Mais les Cicosaures, ils nous enculent sans qu'on les voit !


_ On les entend arriver, de très loin. précisa Jaws en sortant sa petite gourde en aluminium. Puis ils nous survolent, une fois, deux fois. Les bombes pleuvent et à la fin, très peu restent debout.


Sur ces mots, Aaron comprit. Il se souvint d'un jour, d'une bataille, d'un instant. Un souvenir surgit du passé aussi net dans son esprit que la réalité face aux yeux. Il était encore à Glasgow, en patrouille avec son ancienne escouade. Le vent lui sembla brusquement tourné, comme aspiré dans un gouffre sans fond. Puis à peine eut il le temps de faire quoique ce soit ; qu'il était le seul survivant, au milieu des corps et des flammes. C'était un miraculé. A ce moment là, il gagna son surnom : "Lucky." Il n'avait pas vu la chose qui les avait attaqué, mais il comprit. C'était forcément un Cicosaure.


Quand il ressortit de ses souvenirs, Athena s'interrogeait sur les dires du soldat français. Elle se demandait si ce n'était pas la bonne stratégie face aux Moissonneurs. "Ils viennent nous moissonner, alors si on laisse rien, y aura rien à moissonner !" s'exprima t-elle d'un ton convaincu.

Jaws démentit, persuadé qu'il y avait une autre solution. Il fit un signe de croix, et embrassa la chaîne autour de son cou. Il évoqua alors l'espoir. L'espoir du retour du "Grand Commandant Shepard ". Athena fonda en rire.


_ Tu crois que c'est c'fils de pute qui va t'sauver ? dit-elle d'une voix beaucoup plus sérieuse. J'étais à Vancouver le jour de l'invasion. J'ai vu ton "Grand héros", exagéra t-elle agacée, tailler la route en nous laissant dans la merde !


Aaron baissait les yeux mais écoutait chaque mot. Il sentait la colère monter dans la voix d'Athena. Celle-ci carressait inconsciemment la bague pendant à son cou, puis reprit.


_ Mais j'lui en veux pas. avoua t-elle les larmes au bord des yeux. J'aurais fait pareil à sa place ! Quite à crever, autant l'faire au soleil avec une pute sur les genoux !


Jaws tournait peu à peu son regard et ses pensées sur sa petite gourde, posée entre ses mains. Les prénoms de sa famille y étaient gravées. Son épouse, sa fille et son fils. Ils étaient tous sur Terra Nova, loin de la Terre, loin de la guerre, sûrement en sécurité. Chaque jour il leur envoyait une prière, jurant de les retrouver. Mais il adressait aussi pour le Commandant Shepard, il était persuadé que le plus grand héros de l'humanité allait vaincre les Moissonneurs. Jamais il n'en avait douté. Même après des mois sans la moindre nouvelle.


_ Il nous a abandonné. continua Athena tout en sirotant sa soupe. L'Capitaine a raison, soit on gagne tout seul, soit on crève. Pas la peine d'espérer des renforts !


Elle se tourna alors vers Aaron.


_ C'est comme ça qu'vous avez gagnez à Edimbourg, pas vrai ?


Aaron avala de travers submergé. Les images épileptiques fusaient dans son esprit comme les tirs incessants qui hantaient ses nuits. Il serra le gobelet dans ses mains tremblantes et reprit d'une voix grelotante.


_ Gagner ? Ce n'est pas le bon mot...


"J'étais dans la garnison de Glasgow, sous les ordres du Général O'Maley, et nous formions la dernière armée de l'écosse libre. Croyez le ou non, mais depuis le départ des gros Moissonneurs, _contre qui on avait aucune chances,_ la garnison de Glasgow avait repoussé cinq fois l'invasion d'Edimbourg. Cinq fois ! Après chaque victoire l'euphorie changeait notre espoir en force. La force décuplait notre courage. Et de notre courage... se dégageait une certaine arrogance.

Alors quand les communications avec Edimbourg furent coupé pour une sixième fois, nous étions douze milles à partir pour la défendre. Si vous pouviez l'imaginer, marchant sur des ruines au rythme des cornemuses, et chantant à plein poumons notre volonté de vaincre. Nous nous sentions invincible...


"O' flower of Scotland,

When will we see,

Your like again,

That fought and died for,

Your wee bit hill and glen and stood against him,

Proud Edward's army,

And sent him homeward,

To think again."


C'était de la folie. Mais j'y croyais. Nous le croyons tous. Voilà comment a débuté la bataille d'Edimbourg. La toute dernière..."


Un long silence s'imposa alors que de ses joues s'écoulaient des larmes.


_ Et comment ça s'est fini ?


Murmura Jaws qui restait optimiste quand à la réponse. Aaron prit une bouchée de sa ration. Il donna un coup d'œil à chacun de ses compagnons autour de lui et conclut.


_ Un peu comme Paris...


_______________ A suivre..._______________


Voilà, un chapitre 4 un peu plus long que les autres, et que j'ai mis du temps à refondre. En tout cas la passion est toujours là, et je compte bien terminer cette histoire. Un jour ou l'autre. Voilà c'est tout ce que j'ai à dire à ce sujet. A bientôt pour la suite.

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