Fusions

Chapitre 2

4850 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 22/05/2020 14:30

Il était midi lorsque l’omnitech de Liara l’arracha à son travail en s’allumant spontanément. La scientifique leva le nez de son datapad, une fois de plus elle avait perdu toute notion du temps et, à en croire la notification de son appareil, elle n’avait rien mangé depuis vingt-quatre heures.

Elle s’étira longuement, reprenant peu à peu conscience de son environnement. Tout semblait en ordre, de ses artefacts étiquetés aux livres annotés, en passant par son matériel d’analyse et ses revues scientifiques. Seul manquait toujours à l’appel son spectromètre, l’unique outil abandonné sur Therum lors de sa fuite, qui n’avait pas été encore remplacé après son transfert sur le Normandy.

La jeune asari décida de s’octroyer une micropause pour manger quelque chose. Elle ouvrit un de ses tiroirs pour en sortir un sandwich récupéré le matin même en cuisine. Depuis l’épisode humiliant des égouts, elle évitait autant que possible les sorties de son laboratoire. Elle mangeait donc à son bureau et non au mess du vaisseau, pour ne pas prendre le risque de croiser le commandant. Elle le voyait déjà suffisamment, au moins une fois par semaine lors du debrief hebdomadaire. Toujours avec les autres membres de l’équipage, jamais en tête à tête, elle y veillait personnellement. Après le fiasco de leur premier rendez-vous et le silence radio de Shepard qui avait suivi, il était clair pour l’asari qu’elle devait passer à autre chose. Et c’est ce qu’elle faisait.

Elle mangea un morceau de son sandwich tout en se penchant une nouvelle fois sur la traduction de son datapad. Voilà plusieurs heures qu’elle bloquait sur le même passage. Un paragraphe entier sur l’asservissement, ou bien l’éducation, la langue prothéenne ne faisant apparemment pas de distinction entre les deux concepts. Les symboles à déchiffrer l’absorbèrent de nouveau et elle replongea dans ses propres notes, bien déterminée à traduire ce texte qui l’obsédait depuis des semaines.

C’est le moment que choisit la pièce d’à côté pour faire un raffut de tous les diables. Plusieurs personnes venaient d’entrer au centre médical, des personnes pressées et énervées à en croire l’agitation voisine. Elle soupira d’exaspération, encore une fois les humains du Normandy allaient la déranger en plein travail pour se faire panser une blessure, ou plutôt remettre une côte en place dans le cas présent. Les humains faisaient trop de bruit pour une simple blessure.

La scientifique taciturne n’avait pas choisi d'atterrir dans un vaisseau militaire ni d’être affectée à l’unique salle adjacente au centre médical. Elle en avait pourtant fait son laboratoire tout en ignorant du mieux qu’elle pouvait les sons des instruments médicaux, les cris et l’odeur des antiseptiques provenant de la pièce d’à côté. À force elle s’était même résignée à travailler dans ces conditions. Aussi ne releva-t-elle même pas la tête lorsqu’elle entendit le docteur Chakwas courir en urgence vers ses outils pour soigner ses patients va-t-en-guerre excessivement bruyants.

L’asari se contenta de fixer son datapad tout en réfléchissant à un moyen d'isoler un peu mieux les cloisons. Elle pourrait demander à Tali de lui bricoler quelque chose. Sans en parler au commandant bien sûr.

À côté des voix étouffées s’élevèrent et Liara reconnut malgré elle celle du docteur Chakwas sans parvenir à comprendre ce qu’elle disait. Elle semblait inquiète, comme d’habitude. Presque aussitôt elle entendit Shepard… gémir ? Et la panique la gagna immédiatement. Délaissant son travail, elle s’approcha de la petite vitre du sas séparant les deux salles pour observer discrètement ce qui se tramait de l’autre côté.

Shepard lui faisait pratiquement face et était assise sur un des lits de l’infirmerie. Le docteur lui soignait une plaie en haut du front, juste au niveau de la naissance des cheveux. La blessure avait beaucoup saigné, au point qu’une traînée rougeâtre était descendue jusqu’à sa lèvre inférieure. Le lieutenant Kaidan Alenko était présent également mais il ne semblait pas blessé. Il se tenait près de Shepard et discutait avec elle. Le sujet devait être houleux, ils ne semblaient pas d’accord.

Liara aurait aimé pouvoir les déranger pour comprendre la situation (et vérifier l’état de santé de la militaire), mais le risque qu’elle se ridiculise une nouvelle fois la coupa net dans son élan. À défaut de mieux elle tenta de rassembler mentalement les informations actuellement en sa possession.

Elle savait que le Normandy était en orbite depuis plusieurs jours autour d’une lune. Shepard et Alenko devaient sans doute en revenir et, à en croire l’énervement qui régnait dans la pièce d’à côté, les choses ne s’étaient pas déroulées comme prévu. Sans doute avaient-ils croisé le chemin de Cerberus, Liara avait cru comprendre que l’organisation terroriste les traquait depuis leur départ de la Citadelle. Elle regretta soudainement de ne pas savoir grand-chose, elle aurait aimé partager ce genre d’information en pareille occasion. Malheureusement son rôle se cantonnait à répondre aux mails, analyser des données et faire des recherches à la demande du commandant. Et de temps en temps elle accompagnait Shepard sur le terrain lorsque ses pouvoirs biotiques étaient requis. Ce qui n’était pas arrivé depuis leur passage dans les égouts.

Elle comprenait maintenant pourquoi en regardant Kaidan, l’humain biotique, tout près du commandant.

Dans la pièce d’à côté le docteur s’affairait maintenant à cautériser la plaie nettoyée et désinfectée de Shepard. Le sang avait complètement disparu de son visage et sa veste d’uniforme avait été enlevée. Le commandant était désormais en débardeur et Liara put constater avec soulagement qu’aucune autre blessure n’était visible sur son corps.

Chakwas s’écarta de sa patiente pour rejoindre une autre table et Shepard vacilla, en proie à un malaise très certainement. Liara s’agita derrière sa vitre mais Kaidan fut plus rapide, elle le vit enserrer la taille de la militaire pour l’empêcher de tomber. Ils restèrent ainsi collés un instant, comme deux amants, avant que le docteur ne revienne sur ses pas et les sépare pour terminer son examen.

Liara s’écarta du sas, consciente qu’elle en avait trop vu pour espérer bien dormir cette nuit. Ce Kaidan lui inspirait des choses qu’elle n’arrivait pas à rationaliser. Des choses violentes.

Elle retourna à son bureau pour finir de traduire son texte et pour se forcer à penser à autre chose. L’analyse de ses propres émotions demandait un temps qu’elle ne possédait pas. Elle avait bien trop de travail, des recherches à mener et des articles à écrire. Elle mangea un nouveau morceau de son sandwich avant de fixer son attention sur ses notes, bien déterminée à ne plus se laisser distraire.

Sa détermination fut balayée deux minutes plus tard lorsque le volume sonore de la pièce d’à côté monta encore d’un cran, l’obligeant à lâcher des yeux son travail. Une dispute semblait avoir éclaté dans l’infirmerie entre Kaidan et Shepard. Liara resta à sa place, priant pour qu’ils partent le plus rapidement possible.

Et puis soudain le silence.

Un silence inquiétant.

Liara se décala légèrement pour oser un regard à travers la vitre du sas. Aussitôt elle changea de couleur. Shepard et Kaidan se dirigeaient droit vers le laboratoire, droit vers elle. L’asari en panique eut à peine le temps de cacher son sandwich et de faire semblant d’examiner une gravure, qu’elle tenait à l’envers, que déjà la porte de son labo s’ouvrait.

- “Parfait Liara vous êtes là !” s’exclama Shepard en apercevant la concernée. “J’ai besoin de vous !

- Attendez commandant”, se précipita derrière elle Kaidan. “Je veux être là quand vous lui poserez la question !

- Vous avez peur que je triche ?

- Qu’est-ce qui vous en empêcherait ?

- Vous êtes un grand malade lieutenant !”

Liara prit peur, les deux militaires énervés n’étaient plus qu’à quelques mètres de ses précieux artefacts et menaçaient de les renverser tels des krogans dans un magasin de porcelaine.

- “Commandant, lieutenant”, les salua-t-elle rapidement avant de se positionner stratégiquement devant ses affaires. “En quoi puis-je vous aider ?

- T’Soni ! J’ai besoin que vous fusionniez avec moi pour ensuite rapporter à Alenko les mots précis que j’ai prononcés hier matin !

- Pa...pardon ?

- C’était vers 10 ou 11 heures, j’étais dans le hangar à ce moment-là, vous devriez vite trouver.”

Liara sentit ses genoux flancher en même temps que le bleu lui montait au visage. Avait-elle bien entendu ou s’agissait-il encore d’un de ses rêves tordus ?

- “Par la déesse”, bredouilla-t-elle, abasourdie que l’humaine tente de lui refaire le même coup aussi vite. “Shepard, il faut vraiment que nous ayons une conversation sur la réelle fonction de la fusion asari.

- Je ne vous demande pas d’aller aussi loin, juste d’extraire de ma mémoire quelques mots.

- Les mots précis !” précisa Kaidan.

- “Les mots précis de quoi ?” s’agaça Liara en ayant la furieuse impression de parler à des enfants. “La fusion n’est pas un jeu ni un outil pour combler vos trous de mémoire. Il y a les blocs-notes pour ça.

- Liara, je ne vous le demanderais pas si j’avais eu l’idée de le noter sur mon omnitech. Personnellement je sais très bien ce que j’ai dit mais la mauvaise foi du lieutenant m’oblige à le prouver. Ça sera rapide pour vous, je vous le promets. J’étais avec lui dans le hangar hier, on parlait baseball et j’ai pronostiqué un résultat.

- Hé pas si vite ! Vous allez l’influencer ! Laissez-là nous rapporter vos mots exacts toute seule !”

Un pari. De mieux en mieux.

Une fois encore le malaise s’empara de l’asari. Elles ne s’étaient pas vraiment reparlé depuis l’épisode des égouts, et voici donc la discussion que Shepard avait choisie pour leurs “retrouvailles”. Liara ne sut pas dire avec précision ce qui lui retournait le plus l'estomac entre la désinvolture manifeste de la militaire et le fait que Kaidan ait été invité. La réponse se trouvant sans doute un peu au milieu.

Une fois encore elle se sentit désarçonnée face aux bizarreries humaines, n’avaient-ils pas été tous recrutés dans le but d’accomplir une mission d’intérêt galactique ? Que faisaient les humains réellement de leurs journées à bord du vaisseau ? Elle était perdue, et légèrement vexée aussi, en plus d’être sans doute la seule à travailler sérieusement, elle était peut-être aussi la seule à espérer autre chose de sa relation avec Shepard. De toute évidence cette dernière s’en fichait, au point de se moquer d’elle, alors elle décida de mettre un peu de distance en détournant la conversation.

- “Que vous est-il arrivé à la tête ?”

Shepard fit un geste en direction de sa fine blessure que le docteur avait refermé au laser.

- “Je me suis cognée dans la soute.

- Dans la soute ?

- Oui dans la soute”, insista la militaire sous le regard suspicieux de son interlocutrice.

Liara sentit la colère monter, tout ceci n’avait aucun sens, à moins que.

- “C’est vous qui l’avait frappée ?” demanda-t-elle sèchement au lieutenant.

- “Grand dieu non ! On suivait le match quand le commandant s’est levée brusquement et s’est cogné la tête contre l’armature du mur.

- Je vois.”

Liara accusa le coup. Une fois de plus elle était à côté de la plaque, et pas qu’un peu. Voilà donc ce que faisait Shepard de son temps libre. Les matchs sportifs pour Kaidan et la torture de vortcha pour Liara.

Son visage se ferma et Shepard s’en rendit compte. Bien qu'un peu tardivement.

- “T’Soni, ce n’est pas vraiment comme ça que ça s’est passé.

- Bien entendu, j’imagine que lui aussi s’est rendu malade pour vous aider.

- Ce n’est pas très juste, les conditions n’étaient pas exactement les mêmes.

- Tiens donc, vous avez remarqué vous aussi ?”

Shepard serra la mâchoire pour s’empêcher de répondre à la provocation, bien consciente qu’elles n’étaient pas seules et qu’il n’était pas nécessaire que son lieutenant l’entende râler sur la jalousie déplacée de l’asari.

Heureusement pour elles le lieutenant avait d’autres priorités en tête, à commencer par son argent.

- “On peut commencer la fusion ?”

Liara lui jeta un oeil mauvais et dût une nouvelle fois se maîtriser, tant l’envie de le balancer dans le vide était grande. Malheureusement pour elle ce n’était pas la seule émotion à gérer. Elle s’appuya contre son bureau pour éviter de trembler, son corps était en train de réagir à l’idée d’une fusion avec l’humaine et c’était loin d’être désagréable.

Elle n’avait pourtant pas l’intention de céder. Elle n’était pas à la disposition des humains et de leurs caprices. Si elle avait été diplômée de l'université de Serrice après quinze années d'études et avant presque cinquante années de fouilles et de recherches archéologiques, ce n’était pas pour jouer à des jeux stupides mais pour résoudre les grands mystères des civilisations aujourd’hui disparues.

- “C’est d’accord”, s’entendit-elle répondre.

Deux minutes plus tard les trois coéquipiers étaient en place. Shepard et Liara se faisaient face tandis que Kaidan se tenait debout près du sas verrouillé. Liara, tendue comme jamais, se rapprocha du commandant.

- “Fermez les yeux Shepard.

- Il me faut les mots précis hein”, rappela lourdement Alenko. “Je ne me contenterai pas d’une approximation.

- Taisez-vous lieutenant !” perdit patience l’asari. “J’essaye de me concentrer.”

Et de la concentration, elle allait en avoir besoin pour contrôler ses émotions une fois la fusion entamée. L’expérience avec le vortcha avait confirmé les sensations qu’elle avait connues dans sa jeunesse avec sa mère. La fusion fonctionnait dans les deux sens et, s’il avait été très désagréable de sentir l’esprit du terroriste s’infiltrer dans le sien, il ne faisait aucun doute qu’elle accueillerait Shepard différemment. La tentation de sonder toute la mémoire de l’humaine serait également très forte, elle devait faire attention à ne pas déraper et à ne pas toucher aux zones sensibles, Shepard n’apprécierait sûrement pas. Et pour compliquer la tâche, elle devait également faire en sorte de garder à distance ses sentiments les plus gênants pour que l’humaine ne les trouve pas. Il était hors de question qu’elle lui montre les quelques rares pensées idiotes qu’elle nourrissait à son égard, elle était déjà bien assez ridicule comme ça.

Liara expira une grande bouffée d’air pour se donner du courage avant de se rapprocher de Shepard.

- “C’est bon on y va”, lança-t-elle fébrilement en même temps que ses yeux habituellement bleus viraient au noir.

Et l’asari sombra.

Lorsqu’elle s’extirpa du cerveau de Shepard avec une extrême délicatesse quelques instants plus tard, elle sut qu’elle était fichue. Elle avait fait un excellent travail avec l’humaine, trouver l’information avait été plus facile que prévu, tout comme la cloisonner dans la zone voulue. Sa mère aurait été fière d’elle, elle apprenait vite.

Cependant l’expérience avait été intense. Bien plus que prévu.

Elle rouvrit lentement les yeux et tomba nez à nez avec Kaidan.

- “Alors ?

- Alenko”, intervint Shepard un peu sonnée. “Laissez-lui le temps de reprendre ses esprits.

- Ce n’est pas nécessaire”, répondit Liara qui commençait à avoir l’habitude.

- “Alors ?” répéta le lieutenant

- “Shepard vous a traité de crétin hier matin.

- “Et après ?

- Elle vous a dit que les Red Eagles gagneraient le championnat avec 16 points d’avance.”

Kaidan frappa la cloison du plat de sa main avant de quitter le laboratoire furieux. Liara entendit Shepard le suivre précipitamment et une nouvelle dispute éclata dans l’infirmerie. Le sas se referma derrière eux et elle se retrouva de nouveau seule. Épuisée, elle recula contre son bureau pour tenter de faire le point et calmer son léger vertige. Elle avait fait un excellent travail, Shepard semblait en pleine forme.

Elle ne pouvait malheureusement pas en dire autant d'elle-même.

La fusion avait été très symbiotique, comme avec le vortcha, et tout comme avec lui, Liara avait dû lutter avec la même force pour ne pas se laisser entraîner. Mais la comparaison avec le vortcha s’arrêtait là. Elle avait lutté pour repousser l’esprit invasif du terroriste alors qu’avec Shepard elle s’était empêchée in extremis de coucher avec.

Son propre système nerveux était entré en résonance avec celui de l’humaine et le cyclone émotionnel que cela avait engendré l’avait engloutie sans aucune résistance de sa part.

Son corps, encore sous l’effet de la fusion, était moite. Elle n’avait même pas touché Shepard qu'elle se sentait déjà au bord du gouffre sans vraiment comprendre ce qu’il lui arrivait.

- “Tout va bien ?”

L’asari releva la tête et tomba sur Shepard qui la regardait d'un air inquiet. Maudites chaussures humaines en cuir souple, elle ne l'avait pas entendue entrer.

- “Ça va, je suis juste un peu fatiguée", répondit Liara en cachant tant bien que mal son embarras. "Où est le lieutenant ?

- Chakwas nous a mis dehors alors j’ai envoyé Kaidan au mess.

- Très impressionnant, je rêverais de pouvoir en faire autant.”

Shepard se mit à rire avant d’hésiter, le regard soudainement fuyant.

- “Liara, je voulais te remercier, et m’excuser aussi.”

L’asari se figea à l’utilisation du tutoiement. L'atmosphère devint soudainement plus intime. Il n’en fallut pas plus pour réveiller son palpitant.

- “Je n’ai pas été à la hauteur ces derniers jours. Je passe beaucoup de temps avec les membres de l’équipage, parce que c’est important pour la cohésion du groupe, ils ont besoin de ces moments sans aucune pression pour pouvoir donner le meilleur d’eux-mêmes sur le terrain. Il n’y a qu’avec toi que je n’y arrive pas. Sans doute parce que je suis trop émotionnellement investie pour… enfin… je veux dire...”

Shepard se passa une main dans les cheveux et ce simple geste déclencha chez Liara une irrépressible envie de la plaquer contre un mur. Quelque chose se réveilla dans son cerveau, comme un vase qui déborde, Shepard continuait de parler, de s’excuser, mais Liara ne l’écoutait plus, elle n’entendait plus rien. Son attirance pour la militaire était en train de la submerger au point d'assourdir tous les bruits ambiants. Et ça l'effraya aussitôt. La fusion avait été suffisamment éprouvante, elle n’avait pas besoin qu’elle en rajoute une couche avec son air gêné et ses gestes hésitants. Tout ceci la rendait bien trop touchante et vulnérable, bien trop accessible. D’autant plus qu’elle était toujours en débardeur et si Shepard semblait l’avoir oublié, ce n’était pas le cas de tout le monde.

Liara eut soudainement envie qu’elle parte, elle avait besoin d’être seule pour tenter de gérer le flot d’émotions qui l'envahissait. Tout ceci la dépassait, elle n'avait pas l'habitude de perdre le contrôle d'elle-même, ce n'était pas correct. Elle était une scientifique, elle connaissait par coeur les mécanismes d'attractions chez les êtres vivants, une vulgaire communication entre le cortex préfrontal et le noyau accumbens, avec un peu de chimie moléculaire tout au plus. Elle ne pouvait pas se laisser dominer par de la chimie. Elle était au-dessus de tout ça, et quand bien même ce n'était pas le cas, elle avait su trouver une solution à chaque fois par le passé. Il suffisait qu'elle fasse preuve de rationalité, une fois de plus.

Mais Shepard ne semblait pas vouloir partir, bien au contraire, elle continuait de parler et de lui montrer un peu plus à quel point elle l’empêcherait de dormir cette nuit. Alors Liara baissa les bras, tant pis pour son combat contre la chimie, elle avait toujours préféré les sciences physiques de toute façon. Et elle laissa la tension grimper à sa guise. Sa conscience s’égara sur des détails trop longtemps ignorés tels que la taille fine du commandant qu’elle imaginait musclée sous le débardeur moulant, ou la teinte hâlée de sa peau faisant ressortir ses magnifiques yeux verts, ou encore la moiteur de son propre entrejambe qu’elle sentait palpiter au même rythme que les battements de son coeur. Et tout bascula, l’urgence fut soudainement évidente, son corps lui hurlait d’approcher Shepard, de la toucher, de la sentir. Alors c’est ce qu’elle fit. Elle franchit les quelques mètres qui la séparaient du fruit défendu, se pencha en avant et sans réfléchir plaqua ses lèvres contre les siennes.

Shepard garda les yeux grands ouverts de surprise, les mots de son laïus inachevé s'étouffèrent dans le baiser, laissant son discours à tout jamais en suspens. Elle n’avait pas l’habitude qu’on soit si entreprenante avec elle, aussi fut-elle encore plus désarçonnée lorsque Liara l’attrapa par la ceinture pour la forcer à se coller contre elle. Alors seulement leurs langues se touchèrent et le sol se déroba. Shepard s’accrocha à la nuque de Liara et se pencha un peu plus en avant pour être au plus près d’elle. Elles s’embrassèrent alors sans retenue, sans peur de se faire surprendre, comme si c’était la chose la plus naturelle au monde. La seule qui comptait, en réalité.

Le baiser prit fin, le temps pour elles de reprendre pied avec la réalité et, dans le cas de Liara, de paniquer. L’asari n’eut cependant pas l'occasion de réfléchir à ce qu’elle venait de faire, en face d’elle la réaction fut immédiate. Shepard posa une main sur sa joue et la ramena à elle pour l’embrasser de nouveau. L’humaine ne semblait pas vouloir s’arrêter là, elle en voulait davantage. L’envie qui la pressait depuis des mois trouvait enfin une occasion pour s’exprimer et elle ne comptait pas la laisser filer. Le baiser fut plus violent, plus fiévreux. Son autre main passa dans le dos de Liara pour la guider tandis que son corps entier la poussait en arrière. Les fesses de l’asari touchèrent le bureau avant de se poser dessus sous l’impulsion de Shepard et de ses reins. Plusieurs objets tombèrent par terre mais le couple ne les entendit pas, à la place Shepard s’engouffra entre ses jambes et elles s’embrassèrent de nouveau comme si leurs vies en dépendaient.

Liara lâcha prise, consciente que son esprit habituellement si rationnel et analytique avait fichu le camp depuis belle lurette, laissant la place à une masse nerveuse ultra sensible s’allumant telle une guirlande à chaque fois que Shepard effleurait un endroit sur sa peau. Demain elle se traiterait sûrement d’idiote mais à cet instant son corps mourrait que Shepard ne s’arrête un jour. Par chance l’humaine n'en avait pas l'intention et elle le confirma en glissant ses mains sous sa combinaison, caressant du bout des doigts la peau de ses hanches avant de remonter et d’enfoncer légèrement ses ongles dans son dos. Liara poussa son premier soupir avant de passer ses mains dans ses cheveux courts tout en lui appuyant sur la nuque pour approfondir le baiser. Du haut de son expérience peu significative elle décida de se laisser complètement guider, et tant pis si elle passait pour une débutante. Une chose en revanche était évidente, l’humaine était douée pour embrasser. Si bien qu’elle se demanda un court instant combien de femme ou d’homme avait eu la chance de se trouver à sa place. Et puis Shepard lui mordilla le lobe de son oreille et toute pensée rationnelle quitta définitivement son esprit.

- “Tu es si belle”, souffla la militaire avant d’aller chercher une nouvelle fois ses lèvres.

Le compliment acheva les dernières résistances raisonnables de Liara qui entama alors une lente ascension vers l’objet de tous ses fantasmes, le soutien-gorge noir du commandant. Elle chercha à le dégrafer une première fois et sentit Shepard se tendre. Elle ne comprit pas l’avertissement et revint à la charge une seconde fois mais elle fut gênée par sa partenaire qui se dégagea légèrement de ses bras. L’incompréhension la gagna et presque aussitôt elle se pencha pour l’embrasser de nouveau, mais Shepard la repoussa cette fois plus clairement, la main sur son ventre. Le doute n’était plus permis, quelque chose clochait.

- “Qu’est-ce qu’il y a ?” s’inquiéta-t-elle le souffle court.

- “On devrait arrêter.

- Quoi ?”

Sa mine déçue fit sourire la militaire.

- “Si on continue nous allons faire l’amour sur ton bureau et, même si j’en ai très envie, je ne suis pas certaine que ça soit une bonne idée.

- Oh”, se figea Liara avant de comprendre. “Tu préfères qu’on aille dans ta cabine ?”

Cette fois Shepard se mit à rire pour de bon.

- “Non Liara, je préfère qu’on prenne notre temps.”

L’asari accusa le coup pour la deuxième fois de la journée. Voilà bien la première fois qu’elle entendait cette expression dans la bouche d’un humain. Toujours impatients et sûrs d’eux, elle n’imaginait pas qu’ils puissent ralentir un moment. Et encore moins durant ce genre de moment.

- “Prendre notre temps”, répéta-t-elle en ramenant douloureusement ses mains le long de son corps. “Tu as sans doute raison.

- Je t’apprécie Liara, vraiment. Mais je ne veux pas me précipiter.”

Pas comme avec les autres aurait-elle pu ajouter mais ça aurait fait désordre.

- “Je t’apprécie aussi”, hésita Liara soudainement gênée par l’image qu’elle était en train de renvoyer. “Et je m’excuse si je t’ai semblé trop… entreprenante. Ce n’est vraiment pas dans mes habitudes et...

- Et c’est bien dommage.”

Un sourire immoral éclaira le visage de Shepard. Jamais elle n’aurait soupçonné que l’asari fasse le premier pas, et encore moins avec cette fougue et cette audace qui l’avaient littéralement laissée sur le carreau.

- “Je n’aurais pas su faire mieux.”

Le visage de Liara s'empourpra pour de bon cette fois.

- “Il vaudrait mieux que tu partes maintenant.

- Juste après ça.”

L’humaine se pencha pour l’embrasser une dernière fois et Liara ne chercha pas à l’en empêcher. Le baiser fut très vite suivi d’un deuxième, puis d’un troisième mêlé à des sourires, avant que la militaire ne parvienne à s’arracher du corps chaud de sa partenaire. Une fois dégagée elle tourna les talons sans un regard et traversa le laboratoire.

- “Et que ça vous serve de leçon T’Soni”, lança-t-elle à l’attention du docteur Chakwas pendant qu’elle traversait le sas. “La prochaine fois c’est vous qui m’accompagnerez en ville !”

Derrière elle la jeune asari esquissa un sourire, cette fois elle ne laisserait pas passer sa chance, ce futur deuxième rencard serait le bon.

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