Fusions

Chapitre 3

5353 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 22/05/2020 14:30

- “Je passe un très agréable moment.

- Je te l’avais dit, rien de tel qu’une sortie en ville pour s’amuser.

- Je ne m’amuse pas du tout, Shepard.”

La militaire se retourna du mieux qu’elle pu et aperçu derrière elle Liara accroupie qui la suivait tant bien que mal à travers le conduit de ventilation de la mine. Dieu merci l’asari n’était pas en robe, elle avait dû sentir le coup venir et avait préféré porter une veste et un pantalon chics en polymère qui, depuis peu, dégageaient une vieille odeur de cambouis mélangé à de la rouille.

Shepard l’éclaira à l’aide de sa mini lampe torche, leur unique source de lumière. Son regard joueur se heurta à celui de l’asari, bien moins enjoué. Un vrai mur de glace aux allures inquiétantes accentuées par les ombres dansantes projetées par la lampe torche.

- “Ne me regarde pas comme ça”, se plaignit le commandant avant de se retourner et de reprendre la marche. “Je n’ai pas eu le choix.”

Liara leva les yeux au ciel et rongea son frein en silence, l’endroit était vraiment trop exigu pour amorcer une énième dispute stérile. L’humaine était de toute façon bien trop têtue. Un point qu’elles avaient malheureusement en commun.

L’étrange duo continua d’avancer péniblement dans le conduit de ventilation, accompagné seulement par le bruit des chaussures frappant le métal et des vêtements, de moins en moins chics, frottant les parois de plus en plus glacées.

Liara frissonna et se rendit soudainement compte qu’elle dégageait de la vapeur à chaque expiration.

- “Pourquoi fait-il aussi froid ?

- Ça vient du sol”, expliqua Shepard sans s’arrêter. “Nous sommes juste au dessus des conduits qui acheminent l’hélium liquide vers les sites d’excavation.

- Ils refroidissent leurs foreuses à l’hélium ?”, s’étonna la jeune archéologue plutôt habituée aux sites de fouille de seconde zone. Le genre à mettre deux jours entiers à refroidir un simple laser de minage et six mois pour accorder un badge d'accréditation à une asari experte en civilisation prothéenne.

- “On parle d’une mine appartenant à Nos Astra, ils ne vont pas payer leurs rats de laboratoire à attendre.

- Parce que leurs scientifiques sont payés par la compagnie en plus ?

- Tu leur enverras un CV plus tard, le froid va finir par nous tuer si nous ne sortons pas d’ici très vite.

- Wrex ne devrait plus être très loin.

- Je crois que je le vois.”

Liara pressa le pas pour rattraper l’humaine, elle se retrouva alors dans une nouvelle salle dans laquelle se déversait une dizaine d’autres conduits vides à des hauteurs variées. L’endroit exigu n’était pas des plus accueillants mais au moins il leur permettait de se tenir debout. Au-dessus d’elles tournait au ralenti une énorme pale d’aération, et juste en face, dans un des autres boyaux, une forme massive et rampante se dirigeait vers elles. Wrex était manifestement trop imposant pour se déplacer accroupi, sa bosse dorsale l’obligeait à progresser sur le ventre à une vitesse d’escargot.

- “Heureusement pour vous que je suis déjà à moitié stérile”, gronda le krogan arrivé à leur hauteur. “Ce sol est en train de me geler littéralement les couilles.

- Bonjour Wrex.”

Shepard appuya chaque syllabe sans que cela ne provoque la moindre réaction chez le mercenaire, trop occupé qu’il était à sortir du conduit et à grogner.

- “Vous avez nos affaires ?” se précipita Liara au bord de la surgélation.

Le krogan hocha la tête avant de leur tendre un sac. À l'intérieur des pièces d’armure que les deux femmes se mirent à enfiler par dessus leurs vêtements.

- “Vous avez été repéré ?” lui demanda Shepard au bout d’un moment.

- “Pas que je sache.

- J’ai du mal à croire que vous ayez pu passer inaperçu.

- Ça grouille de mercenaires krogans là-haut, ils m’ont pris pour l’un des leurs et m’ont laissé passer.

- Des mercenaires krogans ?" répéta le commandant en fronçant les sourcils. "Qu’est-ce qu’ils font là ?

- J’sais pas, ils avaient l'air de préparer une attaque. Ils m’ont vu arriver et m’ont donné un flingue.”

De plus en plus absurde.

- “Ils vous ont armé ?

- Ils m’ont dit d’attendre, attendre quoi j’sais pas, j’ai pris le flingue et je suis parti vous rejoindre.

- Ça sent vraiment pas bon.

- Ça dépend, quand je vois la taille du flingue je me dis que la chose qu’ils cherchent à tuer doit être vraiment marrante.

- Wrex, nous sommes là pour voler un artefact. Discrètement. Nous n’allons tuer personne.

- Qu’est-ce que je fais là alors ?

- Qu’est-ce que c’est que cette lumière rouge ?” les coupa Liara les yeux rivés sur l’énorme pâle au-dessus d’eux.

Ses deux coéquipiers levèrent la tête et furent éblouis par un gyrophare écarlate accroché au plafond. Ils restèrent un court instant à l’observer jusqu’à ce qu’une alarme assourdissante les sorte brutalement de leur torpeur.

Au même moment l’omnitech de Shepard s’ouvrit sur le visage paniqué de Garrus, l’humaine accepta la communication avant de se boucher une oreille avec sa seule main disponible.

 

Et la mission d'infiltration bascula en opération de survie, vingt minutes plus tard.

 

- “On y est presque !” cria Shepard et Liara la crut sur parole.

Le commandant courait à en perdre haleine à travers le dédale des tunnels de la mine. Essayant tant bien que mal de la suivre, Liara ne cherchait plus à comprendre. Depuis l’appel de Garrus et l’attaque-surprise, elle courait aveuglément derrière l’humaine sans se poser de questions, tout comme Wrex courait derrière l’asari.

- “Ils essayent de nous contourner !” cria Shepard pour couvrir les bruits des tirs derrière eux.

Liara jeta un coup d’oeil sur la passerelle sur sa gauche et y vit des chiens motorisés déboulant d’un sas ouvert. Les éclaireurs étaient déjà là, ce qui signifiait que l’armée geth à leur trousse n’était pas bien loin derrière.

Shepard jeta un énième coup d’oeil sur son omnitech, le plan complexe de la mine y était affiché avec ses noeuds électriques de raccordement par milliers. Chaque noeud commandant une porte, un éclairage, un système de refroidissement ou encore une sonnerie pour indiquer aux employés la pause déjeuner. Elle analysa rapidement leurs nouvelles possibilités de fuite avant de s’engouffrer dans un sas qu’elle venait de pirater et d’ouvrir à distance.

Bifurquant dans la même direction, ses deux coéquipiers la suivirent en évitant de marcher sur les cadavres des mercenaires krogans qui jonchaient le sol. Un vrai parcours du combattant constitué de flaques d'organes en bouillie, de boyaux visqueux et d'une promesse de vous envoyer dans le décor si vous aviez le malheur de poser un pied dessus. Les geths n'avaient pas fait dans la dentelle, comme d'habitude, les mercenaires n'avaient eu aucune chance.

Wrex et Liara passèrent le sas et se retrouvèrent sur un pont de singe en métal surplombant une autre partie de la mine. En dessous d’eux, le vide abyssal aussi obscur qu’une nuit sans étoiles. Liara le vit sans le voir vraiment, préférant raccrocher son regard sur l’unique point fixe dont elle avait besoin pour avancer : le dos de l’humaine devant elle.

Une balle siffla près de son oreille, puis une autre. Les geths se rapprochaient.

- “Amenez-vous stupides tas de ferraille !”

Liara entendit Wrex faire volte-face derrière elle et charger un groupe de machines. L’asari continua sa course malgré le feu dans ses poumons, elle devait passer le pont si elle voulait aider le krogan. Elle vit Shepard se positionner de l’autre côté et dégainer son fusil de précision pour le couvrir. Liara la rejoignit bientôt et fit de même avec son pistolet lourd.

- “Wrex !” appela Shepard avant qu’il ne soit submergé par les ennemis.

Le krogan tira une dernière fois avec son fusil à pompe avant de fuir sur le pont. Derrière lui le sas se mit à vomir un flot continu de geths, telle une brèche dans un barrage retenant un océan entier.

Wrex courut sur la passerelle tandis que Liara claqua une bulle de stase juste derrière lui, en plein milieu du pont, pour empêcher les machines ennemies de les suivre. Le trio reprit sa course folle à travers un nouveau sas avec en tête de proue Shepard qui reprit son rôle de guide.

- “La navette nous attend au bout”, affirma-t-elle en pointant un point lumineux au bout d’un énième tunnel.

Le groupe se précipita à l’intérieur, ignorant le fracas des pas ennemis dans les tunnels adjacents. Shepard ferma à distance plusieurs sas se déversant sur leur position sans toutefois réussir à empêcher le passage de quelques geths. Une nouvelle fusillade éclata entre les machines et le groupe qui se replia machinalement derrière l’asari. Les balles furent absorbées par le bouclier de Liara qui, d’un geste, les encastra dans le mur en face d'eux. L’escouade gagna ainsi plusieurs secondes de calme et avala rapidement les derniers mètres qui les séparaient de l’air libre.

La lumière des deux soleils les accueillit à la sortie de la mine, en même temps que la navette en contrebas et de Garrus qui les attendait à l’intérieur.

Le groupe piqua un dernier sprint jusqu’au turien en se frayant un chemin à travers le champ de roches. Sous leurs pieds le sol bourdonnait, comme pour annoncer l’arrivée imminente de la marée faite de métal et d’armes qui commençait déjà à se déverser de la mine. La progression fut lente mais efficace et bientôt le groupe entier se retrouva dans la navette qui s’éleva dans les airs immédiatement.

Les trois marathoniens enlevèrent presque en même temps leur casque pour reprendre leur souffle. Wrex s’écroula au pied de Garrus et Liara se laissa tomber contre la paroi de la navette, tous les deux au bord du malaise. Shepard s’assit sur le sol, la tête à l’avant pour mieux respirer.

Le turien les regarda inquiet, en fin de compte le groupe lui avait servi de diversion pendant qu’il jouait l’éclaireur. Ce n’était pas ce qui avait été prévu par le plan initial de Shepard mais ce n'était pas non plus la première fois qu'ils y arrivaient en improvisant dans l'urgence.

- “Tout le monde va bien ?”

Le groupe prit le temps de s’examiner à l'exception de Wrex qui préféra répondre par un rire guttural avant de tousser du sang.

- “Rien à signaler”, répondit Shepard après avoir vérifié l’état de son armure.

- “Je vais bien aussi”, confirma Liara.

- “Quel beau merdier”, conclut Garrus avant de dévoiler l’artefact qu’il tenait tant bien que mal en main. “Si j’avais su que cette chose allait déclencher tout ça, je ne l’aurais sans doute pas volée.”

Shepard se releva péniblement pour observer l’objet rond et lisse. La couleur et la texture ressemblaient trait pour trait au mercure liquide, à l’exception que la sphère ne “coulait” pas et qu’elle était très dense malgré sa petite taille, moins de dix centimètres de diamètre et pourtant près de vingt kilos sur la balance.

- “À votre avis qu’est-ce que c’est ?” demanda Wrex encore assis sur le sol.

- “Aucune idée”, répondit Shepard. “Mais ça ne ressemble pas à un objet geth.”

L’humaine tendit la main vers la sphère qui se solidifia immédiatement au point de contact.

- “Ce n’est peut-être pas une bonne idée de la ramener sur le Normandy”, intervint Garrus. “Imaginez que cette chose puisse leur indiquer notre position.

- C’est un peu tard pour se poser cette question”, râla Liara d’une voix faible. “Maintenant que nous l’avons nous devrions l’examiner avant de prendre une décision.”

Shepard l’évalua du regard avec méfiance, l’archéologue asari étant bien connue pour sa passion maladive pour l’examen des antiquités, quitte à mettre au second plan la sécurité d’un équipage au complet.

- “Vous pensez que c’est prothéen ?

- Possible, ça expliquerait la débauche de moyens que les geths ont mis en place pour la récupérer. Et accessoirement ça expliquerait également l’implication de Cerberus et la présence des mercenaires krogans. Mais ça pourrait être bien plus ancien, impossible à dire sans un examen plus approfondi.

- Très bien Liara”, répondit Shepard après un temps de réflexion. “Vous examinerez la sphère dès notre retour à bord. Je veux un rapport journalier et si Garrus a raison, si cette chose est dangereuse ou qu’elle suscite le moindre doute, je veux que vous la balanciez immédiatement dans l’espace.

- Entendu.

- Bien, vous avez tous quartier libre jusqu’au prochain debrief.”

Et l’habitacle de la navette se mit à vrombir légèrement, signe qu’elle venait de pénétrer dans l’atmosphère du Normandy. Quelques instants plus tard, les portes s’ouvrirent sur le hangar du vaisseau. Wrex déchargea péniblement la sphère tandis que les autres se dirigèrent vers l’armurerie pour y déposer leurs équipements. Liara les informa vouloir examiner l'artefact au plus vite et ne déposa que son arme avant de filer en vitesse dans l’ascenseur.

Adossée contre la paroi, elle appuya sur l’étage de son laboratoire et vit les portes se refermer lentement. Trop lentement au goût de l’asari qui vit dans l’interstice Shepard avancer vers elle. L’humaine se tourna de profil et entra dans la cabine juste avant que les portes ne se referment complètement. L’ascenseur démarra et le silence s’alourdit davantage. Liara jeta un coup d’oeil discret vers le second occupant et croisa immédiatement en retour son regard contrarié. L’humaine était en train de la dévisager et semblait attendre quelque chose de sa part. Alors Liara soupira et tenta quelque chose.

- “Si tu viens t’excuser pour cette journée encore ratée ce n’est pas la peine, je savais...

- Je ne suis pas là pour ça.”

Et Shepard stoppa l’ascenseur en appuyant sur le bouton d’arrêt d’urgence. Aussitôt la cabine trembla avant de s’immobiliser. Liara fut légèrement déséquilibrée tandis que Shepard ouvrait son omnitech pour passer en mode privé leurs deux oreillettes qui émirent un message les en informant. Désormais elles étaient coupées du réseau de communication du Normandy et ne pouvaient pas être dérangées. Le commandant se retourna alors vers elle, l’air toujours aussi mécontent.

- “Pourquoi n’avoir rien dit au sujet de ta blessure ?

- Quelle blessure ?

- Te fiche pas de moi, j’ai vu ton bras saigner dans la navette.

- Ce n’est rien du tout, je t’assure. Une simple égratignure.”

Shepard fronça les sourcils et attrapa d’un geste vif le bras gauche de l’asari alors qu’elle tentait de le cacher derrière son dos. Elle suivit ensuite les traînées de sang séchées depuis la main, lui remonta la manche en ignorant les gémissements de douleur, et tomba enfin sur la blessure juste au-dessous du coude. Une balle avait traversé l’avant-bras de part en part. La plaie n’était pas belle à voir mais elle ne saignait plus grâce à la couche de médigel qui avait été appliquée grossièrement dessus.

- “Et tu comptais aller où avec ton égratignure ?

- Travailler sur la sphère, comme je l’ai dit.

- Tu es blessée Liara et tu vas aller te faire soigner auprès du docteur Chakwas, c’est ton unique priorité actuelle.”

Liara baissa les yeux de honte, voilà la première fois depuis des semaines qu’elle accompagnait Shepard sur le terrain et elle venait, en trente secondes, de ruiner ses chances de lui prouver qu’elle valait bien mieux que l’agaçant lieutenant Alenko.

- “Comment c'est arrivé ? Ta barrière est capable d’arrêter des roquettes, comment une simple balle a pu t’atteindre ? Tu es souffrante ?”

L’asari sentit ses dernières forces l’abandonner face au regard inquiet et profondément sincère de la seule humaine qu’elle aurait aimé ne jamais décevoir.

- “Non je suis simplement stupide”, répondit-elle avant de rassembler le peu de courage qui lui restait pour lui avouer la suite. “J’ai oublié d’enclencher ma barrière comme la pire des imbéciles.

- Je ne comprends pas. Je croyais qu’elle était toujours active chez les asaris.

- C’est normalement le cas chez les adultes oui, c’est la base de notre éducation militaire. Il n’y a que nos jeunes qui n’ont pas encore acquis ce réflexe, celles qui n’ont pas encore l’âge d’aller à l’école.”

Et Shepard échangea sa mine surprise contre un regard grave, ne sachant plus quoi dire. Une erreur pareille aurait pu leur coûter très cher, à commencer par la vie des autres membres de l’équipage s’ils s’étaient réfugiés derrière sa barrière désactivée. Le genre d’erreur qui pouvait faire basculer à elle seule l’issue d’un combat, voire plus. Et le genre d’erreur qui entraînait la responsabilité de Shepard bien entendu.

Liara attendit la sentence qui peinait à arriver, sa panique grandissant à mesure que le silence s’éternisait.

- “Je comprendrai que tu ne veuilles plus de moi sur le terrain.

- Tu as raison, comme ça la prochaine fois tu mourras sans doute pour de bon.

- Je l’aurais certainement mérité aujourd’hui.”

Liara termina à peine sa phrase qu’elle fut interrompue par un cri de douleur. Son cri. Shepard venait de lui serrer le bras au niveau de sa blessure, et ça lui fit un mal de chien. Elle releva la tête dans la foulée avec la douloureuse impression d’avoir raté un chapitre.

- “Ça fait mal ?”

Et la colère la gagna.

- “Évidemment que ça fait mal !

- Tant mieux, j’avais peur que tes longs mois d’isolement dans ton labo t’aient fait oublier la sensation.

- Mes longs mois d’isolement ? Parce que tu crois que je m’amuse, je ne m’isole pas, je travaille !

- Tu travailles trop, tu n’es pas assez sur le terrain et tu en oublies les bases les plus élémentaires. On ne peut pas continuer comme ça, tu es trop à l’abri sur le Normandy et…”

Et Liara comprit avec sidération vers quel dénouement s’orientait la conversation. Encore quelques secondes et elle allait très certainement s’entendre dire que ce n’était pas de sa faute. L’idée la fit sortir de ses réserves, c’était bien trop vexant et infantilisant. Alors elle lui coupa la parole.

- “Tu n’es pas responsable Shepard, j’ai fait une erreur et je compte bien en assumer toutes les conséquences, même si elles me conduisent à quitt…

- Je n’ai pas fini, laisse-moi parler bon sang !

- Non, ce n’est pas à toi de me materner...”

Et Shepard dû une nouvelle fois lui faire mal pour la faire taire.

- “Liara, si tu ouvres encore la bouche je te promets que je t’arrache le bras. Je ne te materne pas, la réalité c’est que je te laisse trop de liberté. On se bat contre des ennemis surentraînés et déterminés, on ne peut pas se permettre de ne pas être au meilleur de nos capacités, toi y compris. Donc dorénavant tu m’accompagneras systématiquement. Je ne te ménagerai plus jamais, pour ton bien.”

Les mots claquèrent avec force dans le petit espace confiné au point de faire reculer l’asari contre la paroi de l'ascenseur.

- “Et à partir de maintenant, je veux te voir toutes les semaines dans le hangar lors des entraînements.”

Et Liara hocha la tête, silencieusement. Et puis elle osa un regard direct et croisa celui de sa supérieure, dur et menaçant. Ses yeux verts s’étaient assombris et pourtant on ne voyait toujours qu’eux dans cette petite cabine d’ascenseur. Liara aurait aimé s’exprimer, c’était le bon moment, soit pour s’excuser soit pour la remercier, mais les mots restèrent noués au fond de sa gorge. La honte, la colère envers elle-même et la fatigue, tout se mélangeait avec confusion dans sa tête. Une certitude émergea cependant, elle avait failli mourir aujourd'hui et cette éventualité avait mis son commandant en colère.

- “Va voir le docteur”, ordonna Shepard avant de lui lâcher le bras.

Et puis elle ouvrit son omnitech et remit leurs deux oreillettes sur le réseau du Normandy avant d’appuyer sur le bouton pour ouvrir les portes. Elles étaient arrivées au premier pont et le commandant quitta l’ascenseur sans attendre que Liara réagisse. Cette dernière attendit qu’elle disparaisse de son champ de vision, puis elle appuya à contre coeur sur l'étage supérieur.

Shepard le saurait si elle n'obéissait pas et elle était assez furieuse comme ça contre elle pour en rajouter une couche. À moins qu'elle ne soit furieuse contre elle-même. Ce qui revenait au même, elle était furieuse, point. Et Liara se sentait responsable.

L’examen du docteur Chakwas fut aussi pénible que prévu. Le docteur dû décoller en partie le médigel posé en urgence, et mal, avant de soigner les chairs brûlées par le projectile en fusion. Tout en serinant sa patiente sur les dangers des armes geths. Liara sortit du centre médical une heure plus tard avec une boîte de pilules antidouleur, des compresses propres et l’ordre formel de se reposer. Elle rangea les trois dans un placard avant d’entreprendre l’examen de la sphère que Wrex lui avait déposée dans son labo. Elle fut contactée quelques instants plus tard par Tali qui avait entre-temps récupéré toutes les données trouvées par Shepard sur les terminaux de la mine. La quarienne lui détailla ce qu’elle avait déjà réussi à décrypter et ce qui lui restait à faire. Elles travaillèrent ensemble par intercom tout le reste de la journée jusqu’à ce que leurs premières constatations soient suffisamment solides pour les présenter au commandant. Il fut alors décidé d'organiser un débriefing dans le laboratoire.

- “Ça n’a aucun sens”, râla Shepard après avoir écouté la scientifique et l’ingénieur lui présenter leurs conclusions. “Ça signifierait que les geths étaient là avant que les ouvriers de la mine ne découvrent l’artefact. Comment pouvaient-ils le savoir ?

- Ça pourrait n’être qu’une coïncidence”, essaya Tali sans trop y croire.

- “Ou bien Garrus a raison et cette chose communique avec les geths d’une manière ou d’une autre, ils savaient que la sphère se trouvait là et ils ont eu le temps de se déployer pour être fin prêts le jour où elle sortirait de terre."

Liara posa sa blouse sur le bureau.

- "C’est possible”, répondit-elle en évitant autant que possible le regard du commandant. “Mais si cette chose a su communiquer un jour elle en a perdu la capacité il y a bien longtemps. Ce n’est plus qu’une masse inerte.

- Vous en êtes sûre ?

- Les résultats sont formels, elle ne dégage aucun rayonnement.”

Shepard sembla soulagée, ses épaules se relâchèrent. Elle osa un regard vers l’objet flottant dans sa bulle de confinement avant de poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis son arrivée dans le laboratoire.

- “Qu’est-ce que c’est alors ?”

Tali et Liara se regardèrent, incertaines.

- “Nous en sommes pas encore sûres”, répondit la quarienne. “Les rapports que vous avez trouvés sur place montrent que la sphère réagit quand elle est exposée à un certain type de rayonnements, notamment électromagnétiques.

- Liara disait pourtant que ce n'était qu'une masse inerte.

- A l’extérieur oui”, enchaîna l’asari en lui passant un datapad. “Mais l’intérieur est bien plus agité. Les chercheurs de Nos Astra ont mesuré une quantité impressionnante de signaux électriques entre différentes parties internes de la sphère.

- Électriques et chimiques”, observa Shepard en analysant les diagrammes du datapad. “Alors quoi, on a affaire à un cerveau miniature ?

- Non”, affirma l’asari qui n’aimait pas du tout l’idée ni le regard que lui lançait présentement l’humaine. “Le raccourci est simpliste, il nous manque bien trop de paramètres pour conclure quoi que ce soit. À commencer par la source d’énergie qui semble manquer à l'appel.

- Pourtant le rapport montre que ça ne l’empêche pas de réagir comme le ferait un réseau de synapses.

- Pour tout vous dire c’est aussi la conclusion de Nos Astra”, précisa Tali. “Même si leurs chercheurs sont morts avant d’avoir pu le prouver.”

Liara s’agita nerveusement, le terrain devenait bien trop glissant à son goût et le regard de Shepard sur elle bien trop appuyé.

- “Il est encore trop tôt pour se prononcer”, répéta-t-elle un peu sèchement. “Nos Astra n’a pas eu le temps d’effectuer tous les calculs et la moitié de mes appareils ne donneront leurs résultats que dans deux ou trois jours. D’ici là l’activité neurologique de cette chose, si tant est qu'elle existe, ne sera peut-être plus d’actualité.

- Vous venez de parler d’activité neurologique.

- Et de son caractère sans doute très éphémère.

- Elle pourrait disparaître ?

- Bien sûr Shepard, ce genre d’artefact ne reste jamais actif à l’infini. Surtout sans source d’énergie.

- Et donc vous suggérez d’agir rapidement ? Dès ce soir peut-être ?”

Liara sentit le piège se refermer sur elle avec la délicatesse d’un hachoir à viande. À quoi jouait Shepard au juste ? Si elle cherchait à se venger elle s'y prenait très bien, Liara était à deux doigts du malaise.

- “C’est impossible, ce n’est pas un cerveau, ça fonctionne sûrement différemment et je… je manque cruellement de données.

- Nous avons toutes les données qu’il nous faut”, insista Shepard avant de s'avancer sur sa chaise. “Allons T’Soni vous savez parfaitement qu’on ne retrouvera pas de sitôt un artefact pareil, ça vaut le coup d’essayer vous ne croyez pas ?

- Essayer quoi ?” hésita Tali qui avait l’impression d’attraper au vol une conversation sans l’avoir suivie depuis le début, ce qui était bizarrement le cas pourtant.

Liara s’appuya contre son réacteur à combustion, en proie à une tempête intérieure. Est-ce que Shepard était en train de la tester ? Parce que ce serait vraiment cruel si c’était le cas. Évidemment qu’elle mourait d’envie de connaître ce que la sphère, sans doute prothéenne, cachait en son centre. Et évidemment que la possibilité que la sphère disparaisse avant qu’elle n’y arrive l’effrayait au plus haut point. Tout comme il était évident que l’unique sentiment qui la freinait encore s’appelait la peur et qu’il n’était pas envisageable de le formuler à haute voix. Pas devant Shepard, pas après l’épisode de l’ascenseur.

- “Très bien”, souffla-t-elle en s’armant de courage. “Je vais essayer de fusionner avec.”

La quarienne eut un rire nerveux, peu habituée à entendre l’asari plaisanter. Elle échangea tout de même un regard avec elle et ce qu’elle vit ne la rassura pas. Liara ne semblait pas d’humeur à rire, tout comme Shepard qui haussa les épaules quand elle la questionna du regard. Tali comprit alors où elle avait mis les pieds. Ce n’était pas une blague, elles étaient sérieuses.

- “Liara vous ne pouvez pas faire ça !

- Nous n'avons pas d'autres solutions.

- C’est de la folie, personne ne vous demande d’aller aussi loin. Nous ne sommes même pas sûres de ce que c’est, commandant dites-lui.”

Et Shepard croisa les bras.

- “Si Liara s’en croit capable alors elle doit le faire. Cet artefact est peut-être une balise prothéenne nouvelle génération, on ne peut pas se permettre de passer à côté.

- Et s’il s’agit d’une arme ? Que va-t-il se passer quand Liara forcera ses barrières ? Elle pourrait très bien ne jamais en revenir et nous non plus !

- Je ne vais rien forcer. Juste discuter avec une espèce de système nerveux vieux d’au moins cinquante mille ans.

- C’est de la folie”, répéta la quarienne qui comprit qu’elle n’arriverait à convaincre personne. “Je refuse de regarder ça, je retourne au réacteur au cas où vous feriez exploser le vaisseau. Peut-être que je pourrais y sauver les ingénieurs ou mieux, m’échapper.”

Shepard et Liara regardèrent Tali sortir précipitamment du laboratoire. Ce qu’elles ne savaient pas c’est que la quarienne filait tout droit aux systèmes d’armement pour y alerter Garrus, avec de la chance il réussirait à convaincre les deux inconscientes. Ce qu’elle ne savait pas en revanche c’est que le turien ferait tout l’inverse en les encourageant à poursuivre.

- “Si je t’apporte une boîte grise”, demanda Shepard après que Tali les ait quittées. “Tu penses que tu pourrais y transférer tout ce que l’artefact te montrera ?

- Les humains ne s’arrêtent jamais n’est-ce pas ?

- Comment veux-tu qu’on transmette notre découverte si tu es la seule à l’avoir dans le crâne ? Tu veux fusionner avec tous les amiraux de l’Alliance et les membres du Conseil ensuite pour le leur montrer ?

- Par la déesse non !” s’offusqua l’asari en réalisant qu’elle aussi avait des limites. “Apporte-moi ta boîte grise, je vais improviser… une fois de plus.

- Parfait je vais te chercher ça !”

Shepard quitta le laboratoire presque en courant tandis que Liara regarda fixement un point lointain, situé sur le mur entre sa robe universitaire suspendue et son diplôme de doctorat sous verre.

Un jour ou l’autre, de gré ou de force, elle devra apprendre à lui dire non.

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