Fusions

Chapitre 5

6309 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/06/2020 19:25

Liara se réveilla en sursaut vers cinq heures du matin avec une étrange sensation de mal-être. Instinctivement son regard chercha un point d’ancrage sur lequel se raccrocher mais il se perdit dans l’obscurité. Il n’y avait malheureusement rien de spécial à observer dans un dortoir en pleine nuit, alors elle attendit en silence que les battements de son coeur se calment. Au bout de deux minutes elle reprit pied avec son environnement et elle commença à les entendre… les autres membres de l’équipage. Elle n’avait pas besoin de les voir pour connaître leurs emplacements précis, il n’y avait qu’à suivre leurs divers grognements à la trace. Les humains appelaient ça le sommeil mais Liara, elle, percevait plutôt des moteurs.

Elle se releva légèrement dans son lit, en prenant appui sur ses coudes, et s’aperçut que sa tête lui tournait. Elle avait dû faire un mauvais rêve sans s’en rendre compte, ou bien elle était malade, dans les deux cas son mystérieux malaise l’avait réveillée et elle savait qu’elle ne retrouverait pas le sommeil pour cette nuit. Pas dans ce dortoir aux allures de salle des machines. Alors elle décida tout naturellement de faire ce qu’il y avait de mieux à faire, retourner travailler.

Elle releva sa couverture et réalisa qu’elle tenait toujours son datapad lu la veille. L’appareil s’alluma et lui indiqua qu’il lui restait cent soixante-trois pages à lire, sans les annexes. De quoi occuper ses prochaines heures. Elle le prit avec elle puis, sans réveiller les autres, elle enfila un pantalon et une veste avant de sortir discrètement du dortoir.

À l'extérieur la passerelle baignait dans le ronronnement régulier et lourd du réacteur Tantale, tout juste entrecoupé par les bruits et cliquetis des rares techniciens encore debout. Liara en croisa deux en se dirigeant vers son laboratoire, juste avant qu’un nouveau malaise ne la prenne de court. Sauf que cette fois elle sentit en même temps le vaisseau entier vibrer au rythme de ses pas tandis qu’un vrombissement sourd ondula le long du sol et des cloisons. L’asari comprit que le Normandy était en train de préparer un saut à travers un relai cosmodésique, elle prit alors les devants en appuyant sa main contre une des parois en métal. Le vertige anticipé arriva comme prévu et elle en fut déstabilisée un instant. Elle vit les deux autres techniciens continuer leur route, le sourire aux lèvres, et elle se mit à les envier. Contrairement à eux, elle ne digérait toujours pas les cabrioles du Normandy et ce malgré les nombreux mois passés à son bord. Liara compta les secondes comme s’il s’agissait de minutes, et elle dut attendre la quatrième pour que le vaisseau termine sa traversée. L’asari souffla en sentant son vertige disparaître aussi vite qu’il était arrivé. Elle rouvrit les yeux et fit aussitôt le rapprochement avec la sensation qui l’avait réveillée quelques instants plus tôt. Et elle commença à se poser des questions.

Qu’il y avait-il de si urgent pour que l’équipage traverse, au minimum, deux relais coup sur coup, à cinq heures du matin ? Deux conclusions s’imposèrent à elle, Shepard était réveillée et elle était pressée de rejoindre un endroit précis. Pour quoi faire ? La question la traversa sans s'arrêter. Elle le saurait bien assez tôt, elle n'avait qu’à attendre la prochaine affectation.

Elle prit donc le chemin du laboratoire en se préparant à recevoir d’ici peu un message de leur commandant l’invitant à rejoindre le pont principal. Son armure se trouvait dans son bureau en ce moment, autant gagner du temps en l’enfilant tout de suite. Le timing ne l’arrangeait pas, elle avait accumulé beaucoup de retard dans ses recherches ces derniers jours et avait espéré pouvoir le rattraper ce matin.

Elle passa devant l’escalier menant au pont de commandement et entendit sans le vouloir la voix artificielle de l’IV à travers le haut parleur de l'étage supérieur.

- “... de bord. Le commandant a quitté le vaisseau, l’officier Pressly prend le commandement.”

Liara continua sa route comme si de rien n’était. Shepard venait de quitter le Normandy. En pleine nuit. Et sans elle. La situation était étrange mais pas plus que d’habitude. Par la force des choses, elle avait finit par s'habituer aux fantaisies humaines, si bien qu’il lui en fallait désormais davantage pour dépasser le simple stade du haussement de sourcils. Une partie d’elle fut même soulagée, elle ne partait plus en mission aujourd’hui, elle aurait plus de temps à consacrer à son travail personnel.

Ses pas l’emmenèrent devant la réplique holographique de la carte galactique située sur le pont de commandement. Elle ne voulait pas vraiment connaître l'endroit où le Normandy se trouvait mais son laboratoire était juste derrière l'hologramme, ça ne lui coûtait rien d'y jeter un coup d'oeil. Par simple curiosité.

Elle était en train d'observer la carte translucide, légèrement bleutée, quand une voix familière la fit sursauter.

- “Inutile de regarder, vous ne nous trouverez pas.”

Joker venait d’apparaître dans son champ de vision, les traits tirés. Le timonier avait quitté son poste de pilotage et avançait vers le dortoir en clopinant. Liara jeta un nouveau regard sur la carte et n’y vit effectivement rien, aucune zone affichée ni de trajet planifié. Shepard n’avait manifestement pas souhaité inscrire quoi que ce soit dans le plan de vol.

Elle tourna légèrement la tête vers Joker. Sa curiosité venait d’évoluer en quelque chose d’autre. Quelque chose qui dépassait le haussement de sourcil.

- “Où est partie le commandant ?

- Nous sommes en orbite autour d’Oméga donc d’après mes calculs je dirais Oméga.

- Qui l’accompagne ?”

Sa voix était tendue, elle ne voulait surtout pas entendre le nom du lieutenant et elle pria la déesse pour ça.

- “Je n’ai réveillé personne donc je dirais... personne ?

- J’ai compris Monsieur Moreau.

- Allez vous coucher, il y a de fortes chances qu’elle revienne énervée et qu’elle vous balance tous sur une mission suicide.”

Et Liara se força à sourire. Sans y parvenir tout à fait.

- “Je vais y penser.

- Moi j’y vais en tout cas, demandez à l’IV si vous cherchez un taxi.”

Joker la dépassa en boitant, pressé de regagner le dortoir pour y dormir enfin, et Liara rejoignit son laboratoire, de manière plus flegmatique.

Elle traversa le premier sas, celui du centre médical heureusement vide à cette heure-ci, puis le second, correspondant à son labo. La lumière inonda la pièce presque instantanément et Liara fut soulagée de retrouver ses affaires en ordre. Un vrai luxe sur un vaisseau peuplé d’humains imprévisibles.

Elle fit le tour de l’artefact-cerveau, inactif depuis trois jours, et vint s’asseoir dans le fauteuil placé devant son bureau. Un rapide coup d’oeil vers son omnitech lui rappela qu’il lui restait encore une bonne heure avant que l’équipe de jour ne se réveille et transforme le calme actuel en ouverture de foire. Alors elle replia sa jambe sous ses fesses avant de reprendre la lecture de son datapad interrompue la veille.

Les premiers paragraphes défilèrent et Liara se mit à analyser chaque note saisie dans la marge du document. Elle s’arrêta notamment sur l’une d’entre elles faisant référence à un manque de solution entre deux électrodes “fâchées”. Une blague ringarde de scientifiques qui la fit néanmoins sourire. Et puis elle passa à la note suivante qui lui conseillait d’utiliser une autre échelle de graduation sur le paragraphe surligné en rouge. La remarque était pertinente et Liara l’ajouta dans ses favoris afin de la retrouver plus tard.

Une page s’écoula et, une nouvelle fois, elle se félicita de s’être levée tôt et d’avoir échappé à une mission surprise qui l’aurait empêchée de faire quoi que ce soit d’autre. Elle pouvait remercier Shepard pour ça. Shepard qui était partie seule, on ne sait où, et qui avait falsifié ses rapports de vol pour tenir sa hiérarchie à l’écart de ses faits et gestes.

Liara plissa les yeux et se concentra pour comprendre ce qu’elle lisait. Le paragraphe précédent venait de lui échapper, elle le lut une seconde fois. Le texte n’était pas très difficile à appréhender, elle le connaissait par coeur. Elle avait mis six mois à le rédiger et son confrère, le docteur Garret Bryson, en avait mis deux pour l’annoter. Le texte était important, il s’agissait de sa nouvelle thèse démontrant l’existence de la technologie prothéenne à une époque antérieure à leur civilisation. La découverte était majeure et allait très certainement faire grand bruit dans la communauté scientifique, Bryson ne s’y trompait pas et ses notes non plus. Elles emplissaient de plus en plus les marges à mesure que Liara exposait ses preuves. Il n’y croyait pas et demandait à ce qu’elle lui envoie ses données brutes pour vérifier. Les preuves étaient pourtant là, alignées sur le bureau de l’asari, quand elles ne terminaient pas au sol les jours où Shepard était trop pressée pour lui faire l’amour ailleurs. Shepard qui avait remis ça la nuit dernière, à moins que ce ne soit elle. La faute à une séance d’entraînement nocturne dans le hangar particulièrement éprouvante, au point de se terminer dans la cabine du commandant. Liara n’avait évidemment pas pu y rester dormir et avait dû rejoindre discrètement le dortoir commun.

Mais peut-être que le docteur Bryson n’avait pas besoin des détails.

L'asari se reconcentra sur son datapad et se rendit compte, une nouvelle fois, qu’elle n’avait pas retenu grand-chose. Elle reprit son texte pour la troisième fois, relisant les phrases qui refusaient de s’imbriquer dans sa tête. Mais à mesure que les mots défilaient elle en perdait aussitôt le sens, ce qui l’agaça prodigieusement.

Elle était inquiète, elle l’avait bien compris. Et sans doute un peu jalouse aussi. Il n’y avait pas trente-six personnes sur Oméga à aller retrouver en urgence en pleine nuit, Shepard était avec Aria. C’était évident, comme il était évident qu’elle faisait bien ce qu’elle voulait. Peu importe à quel point leur relation avait évolué au cours de ces dernières semaines, ni combien le sexe était fabuleux avec elle, ça ne lui donnait aucun droit sur la liberté d’action de l’humaine. Elle le savait. Elles couchaient ensemble, point. Et peut-être que cela suffisait à Shepard. Ou peut-être pas. Elle n’avait pas encore trouvé le temps de lui demander son avis.

Et elle ne comptait pas le faire aujourd’hui. Les réponses aux notes de Bryson n’allaient pas s’écrire toutes seules, alors elle reprit son datapad et recommença sa lecture depuis le début avec rigueur et méthodologie, deux qualités qui ne lui avaient jamais fait défaut en cent-six ans d’existence.

Et la matinée s’écoula. Puis l'après-midi. Puis la soirée.

Shepard fut de retour sur le Normandy vers vingt-deux heures. Soit dix-sept heures après son départ précipité et deux heures avant la journée suivante.

Dès son arrivée sur le pont de commandement elle passa voir l’officier Pressly. Ce dernier la gratifia d'un salut militaire avant de lui faire un rapport sur les événements passés en son absence. En d’autres termes, il lui parla de l’avancée des travaux en cours, c’est-à-dire le nombre de fuites d’eau réparées dans le plafond du hangar. Rien d’autre ne s’était produit aujourd’hui et heureusement car elle ne se sentait pas d’humeur à faire autre chose que dormir dans les prochaines heures.

Elle remercia son officier après lui avoir demandé de mettre le cap sur la Citadelle, lieu de leur prochaine mission, ordre de l’amiral Hackett lui-même (mais qui devra attendre le lendemain).

Shepard prit ensuite congé et regagna sa cabine pour s’y changer. Elle remplaça son armure par un pantalon militaire et un sweat noirs. Des vêtements amples qui ne la gêneraient pas si jamais elle venait à s’endormir avec. Et puis elle lança de la musique depuis sa chaîne avant de s’atteler à la tâche qu’elle exécrait le plus, la consultation de ses mails. Assise devant son terminal, les pieds sur la table, elle cliqua sur sa messagerie en même temps que les premières notes de musique retentissaient à travers les enceintes de la cabine.

Deux cent cinq messages non lus depuis sa dernière connexion qui datait de ce matin. Elle nota pragmatiquement ce nombre quelque part dans sa mémoire afin de le ressortir à Hackett la prochaine fois qu’il lui refuserait sa proposition de budget. Elle avait besoin de recruter un quartier-maître dédié aux tâches administratives, et elle était désormais prête à le payer de sa poche si l’Alliance persistait à lui refuser les crédits nécessaires.

Un instant elle fut tentée de tout supprimer et de faire croire à une panne réseau. Avant de se rappeler que les pannes réseau n’existaient plus depuis l'invention de l'extranet secondaire.

Elle sélectionna le premier message tandis que le chanteur dans ses enceintes entamait un solo de guitare après avoir crié un très à-propos “down the hole”.

Au bout du soixante-et-onzième mail elle décrocha. Il lui fallait une tasse de café pour continuer, pour ne pas dire une carafe, la musique s’était arrêtée et elle piquait du nez. Elle se frotta les yeux avant de se lever et de quitter la cabine. Deux minutes plus tard elle arriva au mess et se dirigea instinctivement vers le bar discrètement agencé derrière la salle principale. L’endroit préféré des hauts officiers était vide, enfin presque.

Shepard repéra en premier la machine à café placée sur le bar, avant d’apercevoir le dos de Liara, assise devant elle, face au comptoir. Elle vérifia par deux fois qu’il s’agissait bien d’elle, tant la présence de l’asari dans un endroit pareil lui semblait incongrue. De deux choses l’une, soit Liara dormait et l’équipage lui avait fait une nouvelle mauvaise blague, soit le distributeur d’eau du laboratoire était cassé, ou vide.

- “Liara ?”

L’asari ne dormait pas et elle ne se retourna pas non plus. Elle n’en avait pas besoin pour savoir qui venait d’entrer. Il n’y avait que les voix de Shepard et de sa mère pour la faire tressaillir ainsi, sous autant d’émotions contradictoires. Et sa mère était morte.

- “Shepard.”

Le ton employé informa tout de suite le commandant qu’elle était de mauvaise humeur. Alors cette dernière n’insista pas immédiatement et surtout, elle laissa tomber sa moquerie sur les verres d’eau.

Elle s’approcha du bar et enclencha la machine à café après y avoir déposé une tasse. Et elle attendit patiemment qu’elle se remplisse avant de s’installer sur un tabouret, à gauche de Liara. Le café brûlant entre ses mains, elle l’observa du coin de l’oeil. Liara était assise entre elle et la cloison et semblait absorbée par le contenu de son verre... vide.

- “Dure journée ?” demanda la militaire pour la forme, elle connaissant déjà la réponse.

- “On peut dire ça.

- Ton travail avance comme tu veux ?

- Pas vraiment. Je suis encore dessus là.”

Et Shepard, étonnée, chercha visuellement le travail dont elle parlait. Il n’y avait rien sur le bar excepté leurs deux verres et un datapad, posé sous une liqueur de cerise.

- “Tu parles du dessous de bouteille ?

- Je ne voulais pas tacher le comptoir.

- Tu as raison, c’est capital."

Shepard s'empêcha de rire. Son adorable docteur vivait vraiment dans un monde à part.

- "Et toi, ta journée ?" relança le docteur sus-citée.

- "La routine.”

La réponse ne sembla pas plaire à Liara, à moins que ce ne soit le haussement d’épaules désinvolte accompagnant la réponse, ou les deux. L’effet fut en tout cas immédiat, elle se referma aussitôt dans la contemplation de son verre. Et puis au bout d’un long silence et sans prévenir, elle fit mine de se lever pour partir. Sauf qu’à la place elle s’emmêla miraculeusement les jambes autour du pied de son tabouret tout en chancelant dangereusement vers le sol.

- “Hé !” s’écria Shepard tout en lui attrapant l’épaule pour lui éviter la chute.

Puis fermement elle la fit se rasseoir tout en conservant une main dans son dos, tant pour la maintenir que pour vérifier physiquement qu’il s’agissait bien de Liara T’Soni, la buveuse d’eau. Sa Liara T’Soni.

- “Combien de verre as-tu bu au juste ?

- Je ne sais pas.

- Apparemment assez pour ne plus tenir debout.

- Sans doute.”

Shepard sentit la moutarde lui monter au nez. Trente secondes, il avait fallu seulement trente secondes pour que l’asari ne soit plus adorable du tout. Record battu.

- “Liara ce n’est pas sérieux, tu ne peux pas faire tout ce que tu veux ici. Il y a des règles et le flagrant délit d’ivresse n’en fait pas partie.

- Je ne suis pas ivre.

- Tu veux que je te pousse un peu pour vérifier ?”

Liara soupira avant de se dégager de la main humaine dans son dos. Déesse qu’elle n’aimait pas se faire materner par eux. Et encore moins par elle.

- “Je ne suis pas ivre”, répéta-t-elle sèchement. “J’ai juste un peu moins d’équilibre, mon système vestibulaire est en train d’absorber l’alcool, les vertiges sont mécaniques, ils disparaîtront quand mon endolymphe sera rééquilibrée.

- Je suis sûre que tu racontes n’importe quoi.

- Appelle le docteur Chakwas si tu ne me crois pas, elle te le confirmera.

- Bonne idée, elle pourra ainsi mesurer ton alcoolémie sur ton lieu de travail avant de le consigner dans un rapport.”

Liara ne répondit pas, préférant replonger son regard dans son verre vide. Le silence s’installa de nouveau et Shepard en profita pour se calmer et analyser la situation le plus objectivement possible. Encore une fois l’asari la mettait dans une position très inconfortable, en plus de lui provoquer des noeuds au cerveau. Si elle avait surpris un de ses hommes dans le même état, elle l’aurait sanctionné pour faute grave, elle n’aurait pas eu le choix.

Mais il s’agissait de Liara. Et elle n’allait visiblement pas bien.

Alors elle rangea son costume de commandant, encore une fois. A vrai dire, comme toujours avec elle.

- “Liara si tu as un problème tu peux m’en parler, je peux sans doute t’aider.

- Où étais-tu aujourd’hui ?”

Et l’asari se mordit la lèvre, elle venait de poser la question qu’elle s’était promis de ne pas lui poser.

- “J’étais sur Oméga, mais quel rapport il...

- Avec Aria ?

- Oui… enfin non… pas tout à fait. J’ai croisé énormément de monde aujourd’hui et je n’ai pas vraiment eu le temps de mémoriser tous les noms.

- Tu as aidé Aria.”

L'affirmation était juste mais un peu hors sujet. Shepard passa une main dans ses cheveux, de plus en plus perplexe.

- “Si tu me disais tout de suite ce qui ne va pas au lieu de tourner autour du pot.

- Je ne comprends pas pourquoi nous traitons encore avec elle.

- Sûrement parce qu’elle contrôle la moitié des mercenaires des systèmes Terminus ? Et qu’il vaut mieux s’en faire une alliée plutôt qu’une… attend une minute… c’est à cause d’elle que tu es dans cet état ?”

Si Liara avait été dans son état normal elle en aurait bleui de honte.

- “Je me suis inquiétée”, balbutia-t-elle avant de détourner le regard.

Shepard se tut avant de poser son coude sur le bar pour mieux la regarder. Elle s’était inquiétée pour sa sécurité ou bien elle s’était inquiétée parce qu’elle avait passé la journée avec une autre asari ? La militaire ne le lui demanda pas, de peur de devoir assumer ensuite sa réponse. Le terrain devenait glissant. Elle n'était pas encore prête pour poser des mots sur leur relation. Pas ce soir. Et pas devant Liara. Alors elle esquiva le sujet en utilisant avec soin les mots les plus neutres possible.

- “Tu n’aurais pas dû t’inquiéter, il ne s’est rien passé. Je n’ai fait que parler avec des chefs de gangs toute la journée pour les convaincre de participer à une sorte de table ronde, pour négocier. Tu te serais ennuyée à mourir si tu avais été là.

- Une chance que tu ne m’aies rien dit alors.”

Et l'asari tendit le bras pour saisir la bouteille, aussitôt arrachée de ses mains par Shepard qui la reposa à son exact opposé.

- “Va te coucher Liara, si possible sans te faire remarquer par l’équipage. Nous reparlons de tout ça demain, quand tu iras mieux.

- On s’est vues hier soir”, pensa l’asari en murmurant. “Et la nuit d’avant, et certainement celle encore avant, ce ne sont pas les occasions qui ont manqué. Elle aurait pu m'en parler de nombreuses fois, mais elle ne l'a pas fait. Moi je l'aurais fait.

- Tu veux tenir mon agenda maintenant ?

- Je voudrais juste qu’on parle. Sérieusement.”

Liara venait de tourner la tête dans sa direction pour la fixer de son regard bleu intense et brillant. L’alcool ne lui réussissait pas. Il la rendait bien trop émotive et possessive. Et adorable aussi. De nouveau. De quoi couper toute envie de discuter avec elle.

- “Liara…", la consola Shepard en posant sa main sur son bras. "Et si tu arrêtais pour une fois de te poser autant de questions ? Tu devrais essayer de vivre les moments comme ils viennent, sans tenter de tout analyser jusqu'à t'en rendre malade.

- Est-ce que tu vois quelqu'un d'autre ?

- À ton avis ?"

Et Shepard se rapprocha pour l'embrasser de manière appuyée sur la joue.

- "Ce n'est pas une réponse.

- Peut-être que je m'y prends mal alors, laisse-moi réessayer.

- Ce n'est pas ce que..."

Mais Shepard était déjà lancée, elle prit appui sur le bar à l’aide de sa main gauche, avant de se pencher vers elle et de l’embrasser. Elle sentit aussitôt l’alcool de cerise sur sa langue et se fit la réflexion que ça lui allait plutôt bien, finalement.

- “Tu m’as manqué.

- Shepard, ne fais pas ça.

- Tu m'as vraiment manqué.”

Et elle l’embrassa une deuxième fois, puis une troisième. Liara se retrouva dos à la cloison, Shepard penchée sur elle, la main gauche toujours sur le bar, la droite déjà sous ses vêtements. L’odeur enivrante de l’humaine la noya presque aussitôt malgré ses efforts pour diriger sa concentration ailleurs. Si bien qu’elle sut qu’elle n’allait pas tarder à sombrer si elle n’agissait pas dans la seconde. Elle avait désespérément besoin de réponse ce soir et savait désormais qu’elle ne les obtiendrait pas de Shepard. Alors elle décida de les lui arracher et de réfléchir aux conséquences plus tard, quand l'alcool se sera dissipé.

Lorsque Shepard la regarda de nouveau elle tomba sur ses yeux noirs, sans iris. La panique la gagna une demi-seconde seulement, le temps pour la fusion asari de la faucher.

Les deux femmes se retrouvèrent une nouvelle fois dans le même corps, à revivre les souvenirs de l’humaine. Liara savait exactement ce qu’elle cherchait et elle le trouva rapidement.

Quand la fusion prit fin, elles étaient toujours dans la même position. Shepard contre ses lèvres et Liara contre la cloison. Mais ça ne durera pas. Aussitôt libérée, l’humaine se dégagea d’elle et quitta son tabouret.

- “Tu l'as embrassée.”

Aucun reproche dans la voix de l’asari, seulement un constat froid et douloureux.

- “Tu n’aurais pas dû faire ça, Liara.

- Tu l’as embrassée.”

Le nom d’Aria ne fut pas prononcé et pourtant il flottait tout autour d'elles.

- “Et toi tu dépasses les bornes”, chancela Shepard encore sous l’effet comateux de la fusion. “Tu ne peux pas entrer dans ma tête à ta guise, ça ne se fait pas !

- Tu ne m’as pas vraiment laissé le choix.

- Ça ne te donne pas le droit de t’essuyer les pieds sur ma vie privée. Je ne suis pas ta chose !

- Et je ne suis pas davantage la tienne. Si tu n’es pas capable de me parler ni de t'empêcher de m'humilier de la sorte alors je pense que nous devrions en rester là.

- Quoi ?

- Bonne nuit Shepard.”

Hébétée elle vit Liara se lever et se diriger vers la sortie avant que son cerveau ne percute. L’asari était-elle en train de... la plaquer ? Une alarme retentit dans sa tête, elle devait faire quelque chose maintenant, mais quoi ? Déjà la retenir, elle verrait la suite après.

Ses jambes se mirent en mouvement. Elle traversa difficilement l'espace qui les séparait, tout tanguait autour d’elle, si bien qu'elle crut qu'elle n'y arriverait pas. Elle tendit le bras pour attraper le poignet de Liara mais elle ne rencontra que du vide, comme si le poignet venait de se dédoubler. Et puis elle percuta quelque chose de gris et de dur, et son corps se plia avant de chuter au sol dans un bruit désespéré.

Liara soupira en entendant le fracas derrière elle. Sa sortie en colère ne rimait plus à rien si son coupable finissait à l'infirmerie par sa faute. Alors elle changea de stratégie et se força à se retourner. Shepard était par terre, en train de se relever tout en luttant avec une table et le pied d'une autre.

- "Est-ce que ça va ?" lui demanda l'asari d'un ton pas très convaincu.

- "Qu’est-ce que tu m’as fait, je ne tiens plus debout.

- La fusion peut être éprouvante pour les humains, tu devrais te reposer un peu.

- Me reposer un peu ?" s'éberlua Shepard en repoussant la main tendue venue l'aider. Elle reconnaissait parfaitement bien la sensation familière qui l'envahissait et ce n'était pas de la fatigue. Il fallait être profondément naïf ou s'appeler le Docteur T'Soni pour ne pas savoir faire la différence. "Je ne suis pas fatiguée Liara, bon sang je suis ivre !

- Oh."

L'asari ne s'y attendait pas à celle-là.

- "Je vois", ajouta-t-elle avec la posture du scientifique sur le point de formuler la découverte du siècle. "Ca signifie que j'ai sans doute un peu trop bu, tout compte fait.

- Sans blague !

- Je suis désolée, je ne connaissais pas cet effet secondaire, je ne savais pas que la fusion nous ferait partager ça aussi.

- Tu es complètement inconsciente ! Je ne peux pas être bourrée sur mon vaisseau, c'est... c'est juste pas possible !"

L'argumentation était très mauvaise, Shepard s'en rendit compte tout de suite. Avant de s'apercevoir qu'il y avait plus grave, elle ne se rappelait déjà plus de ce qu'elle voulait dire. La suite allait être difficile si elle n'était pas fichue de se concentrer plus de dix secondes.

- "J'ai dit que j'étais désolée", s'excusa Liara d'un ton qui indiquait le contraire. "Je ne pouvais pas savoir que je tiendrai si bien l'alcool, ni que ça te retomberait dessus. C'est toi la spécialiste autoproclamée des fusions je te rappelle, pas moi.

- Je devrais te virer, bon sang je devrais le faire !

- J'imagine que tu n'auras pas à chercher bien loin pour trouver une remplaçante."

Shepard grommela tout en se détachant de la table qui la maintenait debout. Elle se rendit alors compte qu’elle voyait son interlocutrice légèrement floue.

- “Arrête avec ça, tu l’as bien vu comme moi, tu étais dans ma tête. C’est moi qui... non... c'est elle qui s’est jetée sur moi, ce n’est pas toi... elle... ce n'est pas moi qui l’ai embrassée !

- Tu ne l’as pas vraiment repoussée.

- Elle m’a eu par surprise, il faut croire que je fais ce genre d’effet sur les asaris.”

Cette fois le bleu monta aux joues de Liara, à moins que ce ne soit parce que Shepard commençait à la voir en double. Et puis ses oreilles s'assourdirent et elle rata une bonne partie de la réponse de la scientifique.

- “... veux pas me demander à chaque fois si tu compares ce que nous faisons avec ce que tu fais avec elle. Comme ce baiser, tu passes un moment avec elle et puis ensuite avec moi. Le même jour.

- Je ne compare rien Liara, je ne savais même pas que tu te trouvais là ce soir. Enfin merde tu te rends compte que tu agis exactement comme elle souhaite que tu réagisses ? Ce baiser ce n’est qu’une provocation, une de plus, et toi tu tombes dans le poteau !"

Liara fronça les sourcils, pas certaine d'avoir bien compris où Shepard voulait en venir. À moins que ce ne soit son traducteur qui ait manqué une expression humaine.

- "Pourquoi chercherait-elle à me provoquer ?

- Parce que c'est Aria, elle flirte et joue avec tout le monde, c'est sa manière d'occuper ses journées.

- Il faut être deux pour flirter, Shepard."

Et la militaire fut prise de court. Elle chercha un mensonge dans sa tête embuée, quelque chose de crédible, n'importe quoi qui puisse la faire passer pour l'innocente qu'elle était ou qu'elle croyait être. Elle chercha intensément dans la gelée de cerise qui lui servait de cerveau, tandis qu'en face d'elle l'asari croisait les bras, d'un air soupçonneux. Pourquoi était-ce si dur de lui avouer qu'elle aussi flirtait avec tout le monde mais qu'il ne fallait pas en faire un drame ? Surement parce qu'elle n'était pas assez ivre pour accepter de se faire gifler.

- "Shepard ?

- Je ne sais pas", balbutia la concernée avant de partir en roue libre. "Tout ne se contrôle pas... je suis humaine, j'ai certains... heu... réflexes... peut-être que j'ai laissé sous-entendre à Aria... enfin sans faire exprès parce que je n'ai toujours pas bu mon café... et j'ai mal au crâne... je ne sais pas ce que je fais là... j'ai une mission à préparer et... qu’est-ce que tu fais ?

- Je perds patience.”

Et Liara l'attrapa par le col pour la rapprocher d’elle. Alors seulement la militaire remarqua ses yeux sombres avant de basculer, impuissante, dans une nouvelle fusion.

- “Tu peux arrêter de faire ça ?” supplia l'humaine une fois libérée, vingt secondes plus tard. “Je peux répondre à tes questions, inutile de me laver la tête !

- Je devais vérifier quelque chose."

Liara la toisa de son regard froid et Shepard sut qu’il était temps pour elle de partir. En espérant qu’il ne soit pas déjà trop tard.

Elle ne gagnerait pas ce soir. Liara pouvait faire d'elle ce qu'elle voulait avec son fichu don, et si habituellement elle était trop polie ou timide pour en profiter, ce soir l'alcool lui donnait l'assurance et l’aplomb nécessaires pour la mettre à genoux.

- "Ça suffit, je m'en vais", lâcha la militaire saoule en raccrochant son regard vers la sortie. "Tu es complètement timbrée."

Une autre façon, moins humiliante, pour dire que Liara lui fichait la trouille.

- "Tu ne veux pas savoir ce que j'ai été vérifier ?"

Et Shepard regretta aussitôt de ne pas être partie plus tôt.

- "De quoi tu parles ?

- Je t'ai laissé un petit souvenir."

L'asari était calme et Shepard commença à s'inquiéter, si bien qu'elle la laissa se rasseoir au bar pour se resservir un verre, sans broncher. Peu lui importait désormais qu'elle finisse sous la table, ivre morte, et tant pis également si elle-même devait partir d'urgence en mission dans son état actuel. Elle décida de gérer un problème à la fois, en commençant par le plus préoccupant.

- "Liara, qu'est-ce que tu as fait ?

- Est-ce que tu penses encore à Aria ?

- Décroche un peu avec ça", s'énerva l'humaine en se rapprochant du bar, non sans trébucher. "Ça vire à l'obsession ton truc !

- Je ne te conseille pas d'y penser.

- Arrête la liqueur de cerise, parce que je ne comprends rien à…”

Et Shepard se mit à penser à Aria et son cerveau lui renvoya mentalement l’image associée, celle d’un accouchement vortcha. Le faux souvenir était aussi net et vivant qu’écoeurant, comme si elle y était.

En gros plan et en odorama.

Avec tous les détails tels que les bruits de succion et de frottement de chairs à vif, l’odeur de sang mêlée à celles des fluides hormonaux, le tout accompagné par les éclatements sonores et visuels des grappes de cellules contenant le liquide nutritif.

Définitivement ce n’était pas Aria, l’association n’était pas la bonne.

- “Oh seigneur”, souffla-t-elle au bord de la nausée. “Qu'est-ce que c'est que ça ?"

Liara reposa son verre devenu vide sur le comptoir en se faisant la réflexion que c'était toujours aussi mauvais.

- "Un petit coup de pouce pour t’aider à ne plus flirter avec elle.

- Tu... tu m’as hacké le cerveau ?

- Tu avais une représentation mentale un peu trop avantageuse, alors je l'ai remplacée par une autre... un peu plus personnelle.

- C'est.. c'est du piratage... cérébral !"

Sans doute un des crimes les plus sévèrement puni de tous les systèmes judiciaires de la galaxie. Même chez les peuples n'en ayant pas.

Shepard chercha ses mots, assommée par l'audace débridée de l'asari. Une audace qu'elle eut soudainement envie d’annihiler à coup de grenades à plasma.

- "Tu vas me retirer ça tout de suite de la tête !" ordonna-t-elle à deux doigts d'appeler son équipage pour la mettre aux arrêts.

- "Il te suffit de ne plus penser à elle, je ne voudrais pas te fatiguer davantage avec une troisième fusion.

- Je ne plaisante pas Liara, je pourrais t’arrêter sur le champ et t'envoyer en prison pour ça !

- Au moins maintenant tu sais ce que j'ai pu ressentir, estime-toi heureuse, je ne te forcerai pas à coucher avec."

Shepard tapa son poing contre la surface du comptoir. Elle le savait, elle ne pouvait pas gagner ce soir. Alors elle abandonna son café froid et se dirigea vers la sortie avant que l'envie irrépressible de tout briser dans le bar ne la submerge.

- "Où tu vas ?" l'appela Liara d'une voix détachée.

- "Chercher une autre asari pour m’effacer tes conneries de la tête !

- Bonne chance.

- Tu les en crois pas capables ?'

Et Shepard dû s'arrêter une nouvelle fois quand elle se cogna contre un plateau en métal. Une table, encore. Combien y en avait-il au juste dans ce foutu bar ?

- "Capables elles vont l'être", expliqua l'asari en détachant chacun de ses mots, comme si elle parlait à une enfant de dix ans. "Et elles seront également ravies de partager tous tes petits secrets militaires... avant de les vendre au plus offrant.

- C'est pas un problème !" cria Shepard de rage en s'apercevant que Liara avait tout à fait raison. C'était effectivement un problème. "Je n’aurai qu'à les tuer ensuite !

- On se reverra en prison alors.

- Parfait !

- Parfait."

La table vola contre le mur et Shepard quitta le bar, énervée comme jamais.

Plus jamais elle n’essaierait de la réconforter. Plus jamais.

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