Beyond the Stars

Chapitre 27 : Chapitre vingt-sept

11136 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 22:06

Chapitre vingt-sept

« Shepard, communication en provenance de Sur’kesh. »

Le Commander haussa un sourcil. Presalia venait à peine de les quitter. Étrange. Elle laissa alors Kaidan converser avec Legion et reçut l’appel sur son Omnitool. Mais ce ne fut pas l’image de la chercheure qui apparut. Non, c’était l’Amiral Kirrahe qui semblait fébrile. Plus fébrile que d’habitude.

« Amiral », salua Shepard mais ce dernier ne lui rendit pas son salut. Le son de la transmission était très mauvais et il fallut qu’EDI passe plusieurs filtres pour nettoyer le bruit. Cela ne présageait rien de bon. La détérioration des communications était mauvais signe. Shepard anticipa l’annonce de ce qu’elle venait de pressentir. Kirrahe confirma. Les Reapers venaient d’apparaître dans le ciel de Sur’Kesh.

« Situation désespérée. Invasion brutale. Non prévisible. Prépare immédiatement l’évacuation du docteur Presalia vers la Citadelle. 

— Avez-vous besoin de renforts ? » demanda Shepard. Même s’il fallait quelques heures pour arriver à la planète natale des Salarians, mieux valait tard que jamais.

— Non, non, non, répondit précipitamment l’Amiral. Vous avez une autre mission. Nous tiendrons le front. Réceptionnez Presalia. Priorité absolue. »

Shepard se mordit l’intérieur des joues. Très bien. Elle s’occuperait de Presalia.

« Je vais mettre le Normandy en attente près du Relais de Pranas.

— Très risqué, très risqué ! »

Le Salarian s’interrompit et tourna la tête vers l’arrière. Shepard entendit alors quelqu’un appeler Kirrahe.

« Amiral, des vaisseaux de Cerberus viennent de violer l’espace aérien ! »

Shepard sentit son sang se figer. Elle regarda Kaidan qui s’était approchée d’elle pour écouter la conversation. Cerberus… Voilà qu’ils frayaient avec les Reapers.

« Sécurisez le laboratoire ! éructa Kirrahe. Une escorte pour le vaisseau de Presalia ! » Il reporta son attention sur Shepard.

« Il vaudrait mieux que vous veniez chercher Presalia. Cerberus va empêcher toute fuite. »

Cerberus… Voilà qui était clair. Ils s’intéressaient sans doute à ce que l’équipe sur Sur’Kesh était en train de fabriquer ! Ils avaient donc eu vent des avancées des recherches et du fait que le prototype était désormais capable d’affecter les Reapers… Voilà ce qui devait aller dans le sens de ce que recherchait l’Homme Trouble. Le contrôle. Et le prototype allait sûrement l’aider à assouvir son projet complètement mégalo. Qu’est-ce qu’elle aimerait pouvoir le mettre hors d’état de nuire, lui et son armée personnelle ! Il était décidément coriace et en effet, perdre Omega et Sanders ne l’avait pas affaibli.

Jamais Shepard n’aurait pensé que Cerberus allait devenir aussi gênant. Depuis l’assaut de la base des Collecteurs, cela avait été l’escalade. L’Homme Trouble devait sans doute fomenter son coup depuis un très long moment. Qu’elle eut été un pion dans son jeu rendait le Commander folle de rage. Elle ne rêvait que d’une chose, planter une balle dans le crâne de cet être assoiffé de pouvoir qu’était ce type. Trop dangereux. On ne savait même pas qui il était et de plus, même Liara ne parvenait pas à mettre la main sur son identité, même des indices !

Le commander serra le poing.

« Bien reçu, Amiral, dit-elle. Je pars pour Annos Besin. 

— Kirrahe out. »

La transmission se coupa. Shepard jeta un coup d’œil à Kaidan. La négociation avec Legion attendrait. Il y avait désormais urgence. Le Commander fonça dans le cockpit après avoir demandé à Joker de préparer la procédure de départ de la Citadelle.

« Kaidan, prévenez le Conseil qu’il va falloir désormais trouver un nouvel endroit pour que Presalia termine ses recherches. Je vais donner les coordonnées de la destination à Joker. »

Le Major hocha la tête sans dire un mot. Il abandonna Shepard au niveau de l’élévateur tandis qu’elle traversait d’un pas précipité le CIC.

Joker n’avait pas entendu cette démarche depuis un moment. Celle qui annonçait une bonne dose d’adrénaline. Une mission périlleuse. Il en trépignait d’impatience. Rester à quai trop longtemps n’était pas pour lui. Shepard affichait sa tête des mauvais jours. A voir sa mâchoire crispée et ses narines frémissantes, il pouvait lire son état d’esprit et voir que ceux qui se mettrait en travers de son chemin allaient dérouiller sévère.

« On part pour le Relais d’Annos Basin. Approche discrète. On reste en stand-by en attendant d’être contactés par Presalia. Les Reapers sont là bas.

— Oh, Joker réajusta sa position sur son fauteuil. On va se jeter dans la gueule du loup ?

— Cerberus profite de la situation pour mettre la main sur Presalia.

— OK. Mission d’escorte ou plutôt de sauvetage ? »

Le Commander hocha la tête.

« Les deux, j’en ai bien peur… » Elle n’arrivait pas à rester concentrée. Putain de Cerberus ! Ca faisait chier.

Joker sentait sa colère. Il connaissait suffisamment le Commander pour reconnaître un état de grande agitation. Shepard ruminait et quand elle faisait ça, ce n’était pas de bon augure. En général, elle arrivait à calmer sa colère sur le champ de bataille, en tirant sur l’ennemi avec une rigueur et une méthodologie froide qui foutait les jetons. Omega avait quelque peu atténué son ébullition sanguine. La mort de Sanders avait allégé le poids sur ses épaules. Mais le fait que Cerberus leur mette encore des bâtons dans les roues… Ça, il pouvait comprendre que ça foutait les nerfs. Lui aussi commençait en avoir plus qu’assez de ces fauteurs de trouble. Même si, au fond de lui, il devait reconnaître qu’il était redevable à l’organisation terroriste. C’était Cerberus qui lui avait donné une seconde chance. Mais cela ne pouvait pas être excusable. Car, tout de même, Shepard était le fruit d’une expérience dont l’éthique était plus que discutable.

Cerberus allait trop loin. Ce qui au départ était un groupe terroriste qui prônait la suprématie de l’humanité était devenu une menace pour cette même humanité. Comme si l’Homme Trouble avait perdu les pédales. En suivant la thèse de l’endoctrinement, c’était compréhensible. S’ils avaient su… Oh… Personne n’aurait pu le savoir. Joker réprima le soupir qui lui fendait la gorge. Il n’était pas forcément pessimiste. Mais la situation était mauvaise. On comptait un peu trop sur Shepard… Et cette dernière se mettait une telle pression sur les épaules…

Il osa poser sa main sur la sienne, pour qu’elle s’apaise. Pour lui dire qu’il était là. Elle n’était pas seule. Désormais… Désormais il était là, elle pouvait compter sur lui, plus que jamais. Plus que s’il n’était qu’un simple soldat sous ses ordres. Il aurait bien aimé qu’elle se repose un peu plus sur lui. Il se sentait capable d’être cet appui. Elle en avait vraiment besoin. Il ne pouvait pas la couvrir sur le champ de bataille, ni supporter son poids quand elle flanchait et qu’elle était blessée. Mais il pouvait partager un peu de ce poids psychologique. Pour qu’elle sourie un peu. Même s’il était bien conscient que la situation n’autorisait que peu de légèreté. Mais le mental était important. Et ce, pour n’importe quel soldat. Et les plus gradés portaient le plus de poids. Shepard aussi. Même si Anderson et Hackett, par exemple, devaient avoir aussi une pression énorme sur les épaules. Joker se demanda comment ils faisaient pour ne pas craquer. Sans doute ne pensaient-ils qu’à leur combat. C’était difficile de concevoir Shepard comme eux. C’était un cas à part. Pas que Joker veuille lui prêter un statut qu’elle n’avait pas. Mais c’était la réalité. Shepard était différente. Car elle portait ce combat depuis le début. Parce qu’elle était le symbole. Et être un symbole impliquait une grande responsabilité. Elle était difficilement interchangeable. C’était la réalité de Shepard. Et ce qui rendait son combat bien plus lourd.

La main de Shepard ne rejeta pas la sienne. Il sentit même que la respiration de la jeune femme se calmait. Comme s’il l’avait sorti de cet état de colère interne qui ne laissait pas de place à l’extérieur. Une véritable décharge électrique. Elle posa les yeux sur lui, comme si elle réalisait qu’il était là.

« On les aura ces salauds… » lui murmura-t-il.

Des pas approchèrent du cockpit. Kaidan.

Shepard retira vivement sa main et la mâchoire de Joker fut secouée d’un spasme. Non… Il comprenait. Personne ne devait savoir. C’était quelque chose qu’il avait eu du mal à assimiler au début, trop heureux, il aurait voulu montrer à la face du monde combien il était heureux. Puis cela lui avait semblé complètement futile. A quoi bon ? Allait-il simplement se vanter d’avoir été celui qui avait fini par mettre le grappin sur Shepard ? Comme s’il avait gagné une compétition. Finalement, que ce soit secret lui semblait sans importance. Si Lucy préférait que ce soit ainsi, il s’y conformerait. Il comprenait ses motivations même s’il se foutait un peu de ce que pouvaient penser les autres. Même la hiérarchie. Le Normandy faisait cas de figure à part, réintégré dans l’Alliance mais comme Shepard était un Spectre, elle pouvait ne pas suivre les rangs. Mais la discipline était quelque chose à laquelle elle tenait. Pourtant, rien que le fait de ne pas admettre publiquement qu’elle avait fraternisé avec un de ses subalternes était un peu hypocrite de sa part. Mais il comprenait. Et il n’allait pas gâcher ce qu’ils partageaient à cause de ça. Toutefois, parfois, cela l’agaçait un peu. Ce n’était pas comme s’ils s’exhibaient. Il avait juste posé sa main sur la sienne. Il n’était pas en train d’avoir une attitude déplacée. Ce n’était pas comme s’ils s’envoyaient en l’air dans le cockpit….

Il ne put empêcher un sourire tordu de se former sur ses lèvres. Le faire dans le cockpit était son fantasme numéro un. Mais ce n’était pas demain la veille qu’il allait le réaliser. Pour l’instant, cela restait dans ses fantaisies personnelles.

« Le Conseil préconise qu’au vu de la dégradation de la situation actuelle, il vaut mieux que le docteur Presalia poursuive ses recherches à la Citadelle. »

Kaidan répondait à une question de Shepard que Joker, absorbé dans ses pensées, n’avait pas entendue.

« C’est ce qui me paraît le plus judicieux, approuva le Commander. Il va falloir la ramener à tout prix. Cerberus n’a pas intérêt à nous souffler trop dans les plumes… Nous sommes prêts à partir, Joker ?

— Plus que prêt, m’dame ! » répondit le pilote en pianotant sur ses tableaux de commandes. « C’est quand vous voulez ! »

Shepard donna le signal et le Normandy, libre de ses entraves, s’élança dans l’espace.

« Je monte voir Garrus. Le Thanix risque de servir, autant voir s’il est prêt. » Shepard se détourna et repartit vers l’élévateur.

Joker se retrouva donc avec Kaidan. Ce dernier ne disait pas un mot. Joker n’osait pas se retourner pour regarder son visage. Il ne se sentait plus vraiment à l’aise avec son ancien collègue. Maintenant qu’il était Major, il ne pouvait pas se permettre de le taquiner comme avant. D’autant plus avec ce qu’il s’était passé sur Horizon. Et ce qui avait suivi avec son histoire de « traque de Shepard. » Il y avait des limites.

Kaidan ne semblait pas décidé à partir. Joker le sentait dans son dos et cela le rendait vraiment nerveux. Le silence relatif du cockpit lui parut pesant. Pourquoi n’allait-il pas voir ailleurs ? Joker avait l’impression d’être surveillé et cela ne lui plaisait pas du tout. Il se sentait mal à l’aise. Étrangement, alors qu’il aurait dû n’en avoir rien à faire, il se sentait mal vis-à-vis de celui qui s’était pris un râteau monumental par Shepard. Joker aurait dû se sentir fort, il avait gagné… Mais c’était prétentieux. Et ce n’était pas comme si Shepard était le prix d’un concours… Et il se sentit horrible de penser comme ça. Qu’est-ce qu’il lui arrivait ? Ah, stupide jalousie. Qu’est-ce qu’elle pouvait le rendre crétin.

« Shepard est vraiment tendue, hein ? »

Entendre la voix de Kaidan le fit sursauter.

« Hein ? Ah, oui… Oui. En même temps, c’est un peu normal, non ? répliqua-t-il.

— Oui, certainement, reprit le Major d’une voix posée. Mais elle n’a pas changé… Toujours cette tendance à tout garder pour elle jusqu’à explosion. »

Joker ne répondit pas. Il préférait attendre que Kaidan continue pour voir où cette conversation mènerait. Cela lui semblait être une situation de déjà-vu. Kaidan qui s’inquiète de l’état mental de Shepard, qui lui reproche de ne pas plus se reposer sur eux… Et cela qui avait fini par une sorte de confession à demi-mot sur des sentiments qu’il aurait à son encontre… Et là, le Major était en train de lui resservir la même soupe… Joker serra les dents et se raidit. Il attendait.

« Elle devrait pourtant le savoir… Qu’elle peut se reposer sur nous autres. Garrus, par exemple… Il a toujours été fidèle. Il semble d’ailleurs avoir vraiment un profond respect… Bien plus que ce dont je me souviens… Enfin… Le temps a passé…. »

Si Kaidan était là pour juste exprimer ses pensées à haute voix, il pouvait le faire ailleurs. Joker pouvait suivre le fil conducteur. Voilà que Garrus entrait dans la conversation.

« Garrus considère Shepard comme un compagnon d’arme, une amie », dit-il cependant pour défendre le Turian avec qui il avait fait la paix intérieurement depuis qu’il avait compris cela. « C’est pas ce qu’on peut croire. »

Kaidan s’approcha de Joker. Il arqua un sourcil. 

« Ah ? Pourtant… Sur Menae…

— Disons qu’il n’est pas dans les habitudes des Turians de vanter les mérites d’un Humain. » C’était une question de fierté. Garrus était un peu au-dessus de ces considérations qui dataient de la Guerre de Premier Contact.

« Garrus apprécie beaucoup Shepard… Enfin, je pense que c’est plutôt de l’admiration.

— Et depuis quand tu joues les psychologues ? »

Le pilote se retint de sortir une remarque acerbe. Ce n’était pas parce qu’il n’était pas quelqu’un de sociable qu’il était incapable de faire preuve de psychologie. Justement, comme il ne se mêlait que peu aux autres, il passait son temps à les observer. A chercher à comprendre ce qu’il voyait. Les comportements, les expressions, les tics… Ce n’était pas parce qu’il montrait cette misanthropie permanente qu’il était complètement fermé. Mais il s’abstint de le faire remarquer à Kaidan. Il préféra être franc.

« Parce que je lui ai demandé. » Il marqua une pause savamment étudiée avant de reprendre ses explications. « Après Menae et ce qu’il a dit.

— Et tu y as cru ? Je ne te savais si naïf. »

Joker pianota quelques instants encore avant de répondre. Oui. Il avait cru Garrus. Parce que Garrus, ce n’était pas le genre de type à mentir sur certaines choses. Parce qu’ils avaient vécu suffisamment de choses ensemble pour que Joker sache quand le Turian le menait en bateau. Parce qu’ils étaient camarades. Mais ça, Kaidan ne pouvait pas le comprendre. C’était lui qui avait tourné le dos aux autres. Et revenir ne lui ferait pas rattraper ce temps perdu.

Joker ne daigna pas donc répondre. A la place, il poussa le bouton de l’intercom et informa Shepard qu’ils allaient passer le Relais de Masse.

Le Commander remonta à toute vitesse vers le cockpit. Elle fut quelque peu surprise de voir Kaidan encore là. Elle pensait qu’il n’arrivait plus à être dans la même pièce que Joker sans que l’un ne saute à la gorge de l’autre. Elle avait eu vent des tensions entre eux deux, mais n’avait pas voulu en parler au pilote car elle craignait qu’il ne prenne ça mal. Jeff était un grand garçon et elle pouvait lui faire confiance. Suffisamment pour qu’elle sache qu’il n’allait pas se vendre lui-même. Elle comprenait bien qu’il devait être contrarié de voir le Major déambuler librement dans le Normandy après tout ce qu’il avait fait. Mais il était loin d’être stupide. C’était pour le bien de la mission et il n’allait surtout pas compromettre cela. Il savait faire la part des choses.

Elle savait aussi que cela devait le démanger de régler ses comptes avec Kaidan. Pour le poing dans la figure, Horizon ou encore son canular. Il rongeait son frein, ça, elle le voyait bien. La tentation de lui balancer qu’il était avec elle devait sûrement être grande. Mais il ne le ferait pas. Pas comme ça. Et c’était bien mieux ainsi, il ne fallait pas rompre cet équilibre précaire qu’ils avaient apparemment trouvé avec ce passager à bord.

« Passage de Relais dans trois, deux, un… » La secousse habituelle se fit ressentir dans tout le vaisseau. Inconsciemment, Shepard retint son souffle. Elle se doutait un peu de ce qu’elle allait trouver de l’autre côté mais c’était quelque chose à laquelle on ne s’habituait pas. Impossible. Se retrouver projeté dans un échange de tirs fusant de toute part et ces immenses créatures qui cernaient des planètes, leurs tirs déchirant des vaisseaux en deux…

Joker manoeuvrait avec habileté. Ce n’était pas évident car la sortie d’un Relais demandait toujours un temps d’adaptation à la situation, aux nouveaux paramètres spatiaux. Dans la fureur d’un combat, la fenêtre de temps pour se fondre dans le décor était très limitée. Mais prenant avantage du camouflage optique, le Normandy put rester à bonne distance des échanges. Et Shepard d’analyser rapidement la situation qui s’étalait devant ses yeux. Il fallait vite repérer qui était qui. Cerberus, les Salarians, les Reapers… Tous les vaisseaux s’entremêlaient, zigzaguant, se poursuivant, explosant et se répandant en myriades de petits bouts de ferraille calcinée.

La priorité était de retrouver parmi cet amalgame d’engins et de tirs le vaisseau de Presalia. En espérant qu’il puisse réussir à s’extirper du combat sans exploser en vol. C’était horrible. Shepard sentait son cœur battre furieusement dans sa poitrine. Là, dans cet enfer, il y avait leur seul espoir. Si Presalia et ses recherches étaient détruites, c’en était fichu de tout. Il n’y aurait plus d’espoir. Plus rien à faire. Tout ce qu’ils avaient réussi à mettre en place serait réduit à néant. Et ça… Il fallait l’éviter, à tout prix.

Pourtant, le Normandy ne pouvait pas se lancer dans la bataille. Trop prématuré. Il fallait entrevoir l’ouverture, le meilleur moment. Y aller à l’aveuglette, c’était risquer de ne pas réceptionner le vaisseau qu’ils recherchaient. Le risque était trop grand. Il fallait que l’escorte des Salarians tienne le coup pendant un moment. Ensuite, arroser la zone de tir, se rapprocher du vaisseau qui abritait le précieux chargement, le couvrir et le ramener jusqu’à la Citadelle. Facile à dire. La pratique allait s’annoncer périlleuse.

Dans le cockpit, la tension s’était accrue. Kaidan ne disait rien mais Shepard savait qu’il analysait la situation tout autant qu’elle. Joker attendait le signal, les mains suspendues au dessus des commandes. Même EDI ne clignotait plus. Sans le ronronnement du vaisseau, on aurait pu entendre les respirations des trois personnes qui étaient tendues, crispées, guettant un signe, quelque chose qui puisse leur faire dire qu’il fallait y aller.

Et Shepard l’aperçut la première. Là, un mouvement qui tranchait avec les autres, une trajectoire non logique par rapport au reste des engins qui se poursuivaient, là, entouré par des vaisseaux qui explosaient les uns après les autres, la navette de Presalia.

« Go ! » Le cri fendit la gorge de Shepard, il était presque étranglé mais Joker l’entendit et lança le vaisseau à toute vitesse. Négocier la trajectoire, éviter les tirs, profiter de l’effet de surprise. Le Normandy fendit le tumulte, fonça à travers le chaos pour rejoindre sa cible.

« Cerberus. » lâcha Kaidan entre ses dents serrées. Shepard les vit, ces vaisseaux orné de cet infâme logo jaune qui les narguait encore et toujours. Qu’est-ce qu’elle aurait donné pour tous les anéantir. Mais la priorité était de sortir Presalia de ce merdier. S’ils pouvaient faire exploser quelques vaisseaux du groupe terroriste, ce serait un petit bonus.

Joker ne dit rien. Il était concentré à l’extrême sur sa manœuvre. Il opta pour une approche rasante, la trajectoire la plus directe, celle qui minimisait la probabilité de se prendre un tir. Le Normandy pouvait résister à plusieurs salves, mais il valait garder le bouclier intact le plus longtemps possible. Le vaisseau de Presalia était là, tout près. Il pouvait le voir au centre de ses écrans. Du coin de l’œil, il observait les lignes de calculs de commande qui défilait rapidement. Mais il y était habitué, il pouvait déceler la moindre erreur très rapidement. Pas autant qu’EDI mais il ne voulait pas se reposer entièrement sur elle. C’était contre ses habitudes de pilotage. Et un risque de perdre la main.

Le Normandy avait été conçu pour intervenir rapidement sur un champ de bataille. C’était exactement le genre de configuration pour lequel le vaisseau existait. Joker le fit plonger de plusieurs degrés pour esquiver un tir perdu. « EDI, arme les petites mitrailleuses, on va nettoyer un peu la place. »

Le pilote était entièrement dans son élément. Il avait oublié qu’il y avait d’autres personnes autour de lui. Il était pleinement focalisé sur la cible et les ennemis. Les curseurs bougeaient rapidement, il fallait avoir de bons réflexes et une concentration qui ne souffrirait d’aucune interruption. Là, il pouvait agir. Là où personne ne pouvait le faire. C’était pour ça qu’il était le meilleur. Même Kaidan ne pouvait rivaliser avec lui sur ce plan là. Personne ne le pouvait.

« Vrille. » Il disait ça par habitude de se parler à lui-même plutôt que d’informer les autres. Toutefois, Shepard se cramponna à son fauteuil et Kaidan raidit les jambes. Avec les champs d’effet de masse, la vrille n’affecterait personne mais c’était un réflexe corporel normal. Le corps anticipait quelque chose qui n’arriverait pas. Instinct primaire.

Quelques tirs frôlèrent les boucliers. Cerberus commençait à comprendre que le vaisseau qui venait d’arriver n’était pas de son côté. Un peu lents à la détente. Le Normandy arriva sur les flancs du vaisseau de Presalia et, balayant encore deux vaisseaux qui l’avait pris en chasse, effectua un looping pour se retrouver dans le même sens que la navette.

« EDI, mets-moi en contact avec eux. » Shepard reprenait un peu le contrôle de la situation. Elle se sentait toujours impuissante dans les combats aériens. Elle n’avait rien à ordonner à Joker qui connaissait mieux le boulot qu’elle. Et il s’en sortait très bien.

« Ici le Normandy, se présenta-t-elle comme s’il y avait encore besoin.

— Ici le Lieutenant Tolan, STG. » D’après le débit de parole et l’identification comme appartenant au Groupe des Taches Spéciales, Shepard sut qu’elle avait affaire à un Salarian.

— Nous avons pour ordre de vous escorter jusqu’à la Citadelle.

— Suis au courant. Suivre le Commander Shepard. Ordres de Kirrahe. »

Très bien. Ils étaient sur la même longueur d’ondes.

« Continuez à avancer, nous nous occupons de Cerberus et des Reapers.

— Bien reçu. »

Shepard se pencha vers Joker.

« Priorité à l’extraction de ce vaisseau. On continue à le couvrir.

— Aye, m’dame. »

Tout en conservant la même trajectoire, Joker fit en sorte de continuer à arroser la zone de tirs.

« Ennemi à douze heures. »

Et quel ennemi ! Un des Reapers, de petite taille, certes, se trouvait sur leur chemin et au vu de sa posture allait leur tirer dessus. Joker appuya sur l’intercom et demanda à Garrus de laisser tomber ses calibrations car le Thanix allait tirer.

Sans doute était-il inutile d’utiliser le canon sur l’ennemi, mais ce serait un moyen de le distraire un temps le temps de s’approcher du Relais pour le saut.

EDI se chargea de l’opération. Le canon tira. Et le tir ne fit rien. Il fallut esquiver le tir du Reaper tout en évitant ceux des vaisseaux de Cerberus à leurs trousses.

« Shepard ! »

C’était la voix de Presalia qui retentit à l’intérieur du cockpit. « Ne vous occupez pas du Reaper. Chargez-vous de Cerberus. »

Allons bon. Le Reaper était la plus grande menace entre les deux.

« Qu’est-ce que vous racontez ? , prit le temps de demander le Commander.

— Faites-moi confiance. Je m’occupe du Reaper. Par contre, ces mouches de terroristes nous gênent. »

Shepard se mordit la joue. Que mijotait Presalia ? Il y avait une telle assurance dans sa voix que la jeune femme savait que discuter serait complètement stérile. Autant essayer de lui faire confiance. La situation était critique.

« Très bien. »

Elle reprit position derrière Joker.

« Vous êtes sûre qu’ils peuvent faire quelque chose ? Ce n’est qu’une navette ! objecta Kaidan.

— Le Normandy n’est pas capable de se charger de tout, Major. »

Et merde. Finalement, laisser le Normandy y aller seul n’était pas une bonne idée. Certes, c’était le genre de mission où le vaisseau excellait mais une escorte plus consistante aurait été bienvenue. Une mission d’extraction… Dans des conditions pareilles. Mais il était trop tard pour que la Citadelle envoie des renforts. L’objectif était de faire le saut entre les Relais. Cerberus ne les suivrait pas. Ils n’osaient pas encore se frotter au cœur de la Galaxie. Quand aux Reapers, leur stratégie échappait à Shepard, mais elle savait d’instinct qu’ils n’attaqueraient pas la Citadelle. Pas encore. Quand ? Elle ne pouvait pas le dire, mais pas pour le moment.

« Virez-moi tout ça. » dit-elle à Joker qui hocha la tête avec un sourire.

Qu’est-ce que c’était jouissif ! Même s’il n’y avait pas de quoi se réjouir d’être pris entre deux feux, qui plus était avec les Reapers, cela le soulageait de pouvoir faire exploser les vaisseaux de Cerberus. Le pilote se doutait, qu’un étage plus bas, Garrus devait s’en donner à cœur joie.

Shepard ne prêtait pas attention à leurs poursuivants. Elle avait le regard fixé sur le vaisseau de Presalia qui s’était élancé vers le Reaper. Mais qu’est-ce qu’elle foutait ? Le docteur avait vraiment perdu la tête ? Elle avait quand même conscience que sa vie était la chose la plus précieuse à cet instant ? Elle avait finit par comprendre que l’Asari était une tête brûlée, qu’elle était foutrement têtue, mais dans des cas comme ça, il ne fallait pas jouer les téméraires.

Puis, Shepard finit par se faire la réflexion qu’elle était un peu pareille. Presalia n’aurait jamais demandé cela si elle n’avait pas une idée derrière la tête. Elle avait sûrement un plan. Et si…

« Le prototype… Elle a sans doute terminé le prototype… » murmura le Commander, ayant soudainement une illumination. Comment ? Elle avait assuré quelques heures auparavant qu’elle n’était pas encore à la phase terminale… La jeune femme se fit la réflexion que dans des situations désespérées, on pouvait faire des miracles. Et c’était ce qu’elle espérait. Voir un miracle se produire devant ses yeux.

Kaidan aussi fixait droit devant lui. Il oubliait même de cligner des yeux.

Un tir ricocha sur le bouclier du Normandy et Joker poussa un juron. EDI lui assura de son ton habituel qu’il n’y avait rien de grave. D’ailleurs la riposte ne se fit pas attendre et l’auteur du tir passa devant eux avec une trajectoire si oblique qu’on ne pouvait que deviner qu’il allait se désintégrer quelque part.

Face à eux, le Relais. Toujours aussi brillant. Il n’était plus loin d’eux mais bon sang, que cela s’avérait difficile de l’atteindre ! Il ne fallait pas louper l’insertion sinon, ils se retrouveraient propulsés n’importe où ou pire réduits en miettes. Et ce Reaper qui se dressait sur leur chemin !

« On ne peut pas l’esquiver ? » demanda finalement Kaidan.

Ce n’était pas si simple. Les tirs s’intensifiaient et Shepard vit que les petits vaisseaux attachés aux Reapers venaient de les prendre également en chasse. Ils étaient dans la merde.

EDI annonça un taux d’échec à ne pas négliger.

« Oh, ferme-la ! », éructa Joker. Il n’y avait pas besoin en plus de savoir ce genre de choses-là. Elle voulait leur miner le moral ou quoi ? Mais qu’est-ce qu’une IA pouvait y comprendre à la notion de stress ? Pour elle, ce n’était que statistique. Maudits soient les synthétiques ! Ou bienheureux étaient-ils…

Shepard sentit son pouls s’accélérer. Elle savait qu’elle ne pouvait pas faire grand-chose. En fait, elle n’y pouvait rien. Elle n’était pas à terre, elle n’avait pas son fusil, elle ne pouvait pas éliminer l’ennemi. Elle devait intégralement se reposer sur Joker, EDI et Presalia. Sur d’autres. Elle qui avait toujours apprécié être maîtresse de la situation… elle n’aurait pas imaginé un jour se sentir aussi impuissante. Que pouvait-elle faire ? Elle ne pouvait pas encourager Joker, il était concentré et le moindre dérangement, la moindre diversion, serait fatale.

Kaidan avait pâli. Le Major non plus ne pouvait rien faire. Tous deux Spectres. Tous deux inutiles… Le Commander serra les dents et ses muscles se crispèrent. Elle devait garder son sang-froid. Même si elle ne pouvait dire des paroles encourageantes à son pilote, elle était là, présente et elle espérait que cela lui suffise. Qu’il les sorte de là. Mais qu’il les sorte de là.

Personne d’autre n’en était capable.

Le tir du Reaper les rasa de près et Kaidan jura. Lui qui était toujours propre sur lui venait de dire une grossièreté qui aurait fait rougir Jack. Shepard n’osait même pas prendre des nouvelles des autres, répartis dans le ventre du vaisseau. Sans doute en train de serrer les fesses autant qu’elle, cramponnés à leurs fauteuils. Personne n’osait remonter la passerelle. Ce n’était pas une bonne idée et tous le savaient.

Le Reaper se préparait déjà à une autre salve. Shepard, inconsciemment, se mit à compter le temps qui s’égrenait entre les deux tirs. Elle connaissait la fenêtre exacte. Plus que dix secondes…

Et le miracle se produisit.

Le cœur rouge qui s’était mit à briller, clignota. Le Reapers fut pris de spasmes inquiétants. Mais il n’y avait pas de temps pour s’extasier sur ce comportement inédit. La voix de Presalia retentit dans le cockpit du Normandy. Elle leur hurlait de prendre le Relais de Masse. Ils s’y dirigeaient déjà de leur côté.

Shepard vit le vaisseau de Presalia se faire happer par le Relais. Joker enclencha la procédure, décompta à voix basse et le Normandy disparut d’Annos Basin.

Sauvés.

La Citadelle s’offrit presque instantanément à leurs yeux. Shepard n’avait jamais été aussi heureuse de voir cette forme qui faisait penser à une fleur en train d’éclore. Le vaisseau de Presalia les précédait toujours.

Shepard secoua la tête, reprit les rênes de la situation. Elle tapa avec reconnaissance sur l’épaule de Joker et demanda à EDI de les mettre en contact avec l’Alliance pour la procédure d’amarrage. Elle précisa qu’elle avait un vaisseau Salarian dans son sillage et qu’il fallait aussi lui prévoir un emplacement. Pas de quarantaine. Pas le temps. Le chargement devait s’opérer dans l’urgence.

Joker procéda à la manœuvre qui parut durer des heures. Les secousses cessèrent quand le Normandy fut parfaitement à quai. Shepard se précipita dans le sas, talonnée par Kaidan. La procédure de sortie faite, les deux Spectres coururent vers le quai où le vaisseau de Presalia s’amarrait.

La porte s’ouvrit sur le Lieutenant Tolan, un Salarian de haute stature. Il salua Shepard et Kaidan avant de faire son compte rendu à la vitesse de la lumière. Shepard l’interrompit quand il n’eut plus de souffle.

« Merci, Lieutenant. Quels sont vos ordres pour la suite ?

— Assurer la protection du docteur Presalia. » Il ne montra rien mais Shepard décela une lueur de déception dans son regard. Il aurait bien aimé retourner sur le front. Elle comprenait bien ses sentiments mais sa mission était tout aussi importante. Il y avait l’enjeu de la survie de tous. C’était quelque chose de très honorable. Avant qu’elle ne puisse continuer, Shepard entendit la voix familière de Presalia qui aboyait des ordres tout azimut.

« Déchargez-moi ça. Cette caisse est fragile, attention ! Raidon, occupez-vous de ça. » Elle n’arrêtait pas, vociférant quand on ne faisait pas comme elle le voulait, déléguant les tâches ingrates à ses assistants. Au moins, elle était efficace. Le vaisseau fut déchargé rapidement et l’Alliance commença l’acheminement vers le nouveau laboratoire de l’Asari.

« Ah, Shepard ! » l’Asari daigna enfin voir qu’elle était là. « Vous avez vu, n’est-ce pas ? Belle avancée sur le prototype.

— Je pensais qu’il n’était pas terminé, lui répondit Shepard en espérant intérieurement que le Docteur allait lui annoncer qu’elle pourrait enfin se rendre dans le Système Solaire.

— Mais c’est le cas ! Pour l’instant, il immobilise le Reaper mais en aucun cas, il n’est détruit. Vu le nombre de ces êtres et leur résistance, il faudrait plusieurs flottes pendant des mois voire des années pour venir à bout de tous. C’est là que la partie ingénierie intervient. » Tout en devisant, Presalia, Tolan, Shepard et Kaidan, se dirigèrent vers les élévateurs. « D’ailleurs, vous m’aviez parlé d’un Geth.

– Oui, Legion. Cependant, nous n’avons pas eu le temps de parler avec lui, nous avons été contacté par Kirrahe et sommes immédiatement partis.

— Oui, oui. Ce serait vraiment une avancée sans nom s’il acceptait de nous aider. Je compte sur votre… diplomatie. » ajouta Presalia avec un sourire.

Shepard hocha la tête. Elle espérait que Legion lui facilite la tâche. Sinon, elle ne savait pas du tout comment négocier avec les Geths. Legion était son seul espoir. S’il avait réussi à retrouver les non-hérétiques, il y aurait en plus une force armée non négligeable. C’était un espoir auquel se raccrocher.

« Ne pouvons-nous pas déjà utiliser votre prototype pour ralentir la progression des Reapers ? demanda Kaidan.

— Je ne crois pas, non, dit Presalia d’un ton lugubre. Voyez-vous, l’utiliser deux fois a déjà été de trop.

— Que voulez-vous dire ?

— Les Reapers ont la capacité de s’adapter rapidement ; je pense que déjà avoir dû l’utiliser pour nous enfuir a joué en notre défaveur. Qui sait s’ils n’ont pas déjà réussi à trouver une contre mesure ?

— Mais justement, ne faudrait-il pas les immobiliser rapidement ? »

Presalia secoua la tête.

« Les immobiliser n’empêchera pas le fait qu’ils chercheront à développer une résistance. La seule solution viable est que notre arme les détruise entièrement. Je ne veux pas prendre le risque de voir tous nos efforts réduits à néant parce qu’on n’aura fait que retarder le problème. »

Shepard n’avait pas pris part à l’échange et se contentait d’écouter. Agir trop vitre semblait être risqué et elle ne pouvait qu’être d’accord avec la scientifique. Si les Reapers finissaient pas trouver le moyen d’anéantir les effets du prototype alors tout ce qui avait été fait jusque là n’aurait servi à rien et ils n’avaient plus le temps de mettre au point une nouvelle arme pour contrer les éventuelles adaptations faites par les Reapers. Non, il fallait une arme absolue, complète qui ne laissait dans son sillage que des Reapers bels et bien anéantis.

L’élévateur s’ouvrit et Tolan les guida à travers le dédale de couloirs tous parfaitement identiques. Les assistants de Presalia s’agitaient dans tous les sens, installant le plus rapidement possible le matériel afin de reprendre au plus tôt les recherches. A peine Presalia entra dans les lieux qu’elle reprit son flot d’ordres donnés dans tous les sens, laissant Shepard et Kaidan.

« Nous devons reprendre le travail le plus vite possible ! » éructa l’Asari. Shepard et Kaidan s’entreregardèrent. Elle n’avait pas tort. Eux n’avaient pas leur place ici. Ils avaient menés la mission à bien et devaient laisser les experts continuer cette tâche qu’ils ne pouvaient assumer. Ils prirent congé de Presalia et redescendirent vers les quais de l’Alliance. Shepard s’était au moins assurée que la chercheur ne manquait de rien.

« Il faut que Legion coopère », commenta Kaidan en regardant les étages défiler sur l’écran de l’élévateur. Il s’obstinait à ne pas la regarder, pensa Shepard en détaillant son profile rigide. Étrange. Elle le sentait tendu… Pas mal à l’aise mais c’était comme si quelque chose le dérangea. Comme s’il brûlait de lui dire quelque chose, mais n’osait pas. Et ce quelque chose ne semblait pas être plaisant. Mais comme il ne semblait pas disposer à parler, elle n’allait pas lui demander s’il avait un pet de travers.

Elle reporta son attention ailleurs, se disant que décidément, les élévateurs de la Citadelle étaient d’une lenteur infinie. Et là, pas de Garrus pour détendre l’atmosphère en racontant des anecdotes ou en faisant des remarques amusantes. Le silence était lourd. Le Commander se demanda d’ailleurs pourquoi il n’y avait plus de musique. Cela rendait l’attente moins inconfortable.

Alors qu’elle se faisait cette réflexion, elle sentit le regard de Kaidan peser sur elle. Elle ne bougea plus un muscle. Allons bon, qu’est-ce qu’il avait ? Pas envie de le savoir. Pas envie d’être le réceptacle de ses malheurs. La fois où elle avait montré un peu d’attention envers lui, il avait cru que c’était autre chose, qu’elle s’intéressait à lui plus qu’aux autres. Certes, les choses avaient changé, maintenant Kaidan savait à quoi s’en tenir. Mais franchement, elle ne voulait pas. Parce qu’elle s’était montré trop gentille et n’avait obtenu que mépris de sa part. Même s’il s’était excusé. Elle était quelque peu rancunière. Beaucoup, même.

Et puis, s’il ne voulait pas dire ce qu’il avait, elle n’allait pas le lancer sur un sujet qui semblait le préoccuper. Mais s’il pouvait arrêter de la fixer comme ça, ce serait mieux pour ses nerfs. Et bon sang, quand est-ce qu’il arrivait cet élévateur de malheur ?

Malgré leur trêve, leurs relations n’étaient pas meilleures. Cordiales, certes mais pas franchement amicales. Kaidan semblait vouloir effacer ses actions, elle avait vu cela sur Menae. Mais qu’il était maladroit ! C’était vraiment surprenant de la part d’un homme qui avait un physique plutôt avantageux, une loyauté envers l’Alliance indéfectible. Un type bien, dans le fond.

Avec soulagement, elle entendit le tintement des portes qui s’ouvrirent sur les quais de l’Alliance. Le dock fourmillait de soldats. Il y avait des navettes endommagées qui stationnaient dans les quais, d’autres attendaient. Un bouillonnement fiévreux s’était emparé de tous.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? » demanda Kaidan dont le regard se perdait dans la foule grouillante. Les mines n’étaient pas graves, mais pas joyeuses non plus. Shepard sentit un immense soulagement dans le visage des soldats. Elle attrapa le premier venu et lui demanda ce qu’il se passait pour qu’il y ait autant de vaisseaux de l’Alliance sur la Citadelle et surtout dans cet état.

« Commander Shepard. » salua le soldat en la reconnaissant. C’était un bleu, cela se voyait à son regard et à la rougeur sur ses joues derrières les taches de son.

« Vous n’êtes pas au courant ? s’exclama la bleusaille en écarquillant les yeux. « C’est… Nous venons... » Il se reprit et mains derrière le dos, droit comme un i, il expliqua que ces vaisseaux revenaient du front Batarian. L’ennemi avait enfin cédé sous la pression des forces coalisées. La bataille n’était pas encore gagnée, mais la percée avait permis à une partie des forces mobilisées et dont les dégâts étaient importants de se replier le temps de réparer le plus gros.

Shepard en resta coïte. Alors que depuis des semaines, le front Batarian était dans une situation de statut quo qui commençait à être pesant, il y avait enfin une avancée. Elle sentit une bouffée d’espoir la saisir. Il y avait enfin une brèche, quelque chose de positif. Si l’Alliance continuait sur sa lancée, alors le front Batarian serait de l’histoire ancienne et toutes les forces pourraient alors converger vers le véritable ennemi.

Elle s’étonna que Hackett ne l’ait pas encore contactée. C’était quelque chose qu’il n’aurait pas gardé pour lui. Puis elle se fit la réflexion qu’il devait être suffisamment occupé pour avoir le temps de lui parler. Après tout, elle n’avait pas à tout savoir tout le temps. C’était se donner trop d’importance. Le Commander chercha un haut gradé afin d’avoir un compte-rendu plus détaillé de la situation. Talonnée par Kaidan, elle avisa un personnage qui donnait des ordres en cascade. Il s’arrêta quand il la vit arriver.

« Commander Shepard. Major Alenko. »

Il se présenta comme le Vice-Amiral Johnson, chef de la sixième escadrille de la Troisième Flotte. Shepard lui demanda donc ce qu’il en était de la situation sur le front Batarian. Le Vice-Amiral expliqua qu’avec l’arrivée des renforts d’Omega, il avait été plus facile de tenir face à l’ennemi. De plus, les Batarians faisant partie de l’aide apportée par Aria connaissaient bien la stratégie menée par leurs semblables. Beaucoup de la réussite de l’opération avait reposé sur eux. Le Vice-Amiral semblait vraiment concéder ce point et Shepard fut quelque peu rassurée de voir qu’un Humain pouvait très bien redonner tout le mérite qu’il revenait à ceux qui avaient eu le courage de se retourner contre leur propre patrie. Une position plus que délicate. Le Commander se demanda si le bras droit d’Aria avait été de la partie. Elle n’avait jamais eu une grande sympathie pour ce genre-là, il fallait dire qu’ils étaient plutôt brutes et sans finesse, mais après avoir combattu avec certains d’entre eux pour reprendre Omega, elle avait dû revoir ses à-priori. Par contre, elle n’était pas sûre de revoir son jugement sur les Vorchas. Ils étaient vraiment un cran en dessous, ceux-là.

C’était bien que l’on commence à voir les choses différemment. Après tout, les Batarians cultivaient bien des secrets. Leurs affaires n’étaient pas forcément très nettes, mais les Volus non plus. Peut-être que… Peut-être que s’ils s’en sortaient… Après tout, les Batarians n’auraient pas volé une place dans les races concellaires. D’ailleurs, on leur aurait accordé cette importance depuis longtemps, la gestion de l’affaire de Barak aurait pu être différente. Avec plus de diplomatie et pas une guerre qui avait divisé les forces de la Citadelle.

Mais bon, ce qui était fait était fait, et cela ne servait à rien de ressasser sans cesse les mêmes choses. Shepard se réjouit tout de même de la situation. La fin de cette bataille s’annonçait proche. Johnson lui confirma que ce n’était plus qu’une question d’heures avant que les Batarians ne se rendent complètement. Ainsi, les forces engagées seraient dispersées sur les principaux fronts contre les Reapers.

Wrex avait rempli sa part du marché. Il pourrait à présent s’en retourner vers Tuchanka pour se battre afin de récupérer sa planète natale. C’était tout ce que la jeune femme pouvait lui souhaiter. Quand Preselia aurait terminé l’arme, ce serait à elle, Shepard de tenir sa parole.

Pour l’instant, son rôle était de convaincre les Geths de se mêler à la guerre. Et eux aussi auraient à se battre contre les leurs.

Des Batarians contre des Batarians.

Des Geths contre des Geths.

Des Humains contre des Humains.

Toute l’absurdité de la situation lui sautait à la figure. Le véritable ennemi était les Reapers. Mais comme certains intérêts particuliers primaient sur l’essentiel… Shepard n’était pas naïve. Mais il lui arrivait parfois de penser que les choses auraient été bien meilleures si certains comportements étaient moins aberrants. Elle qui avait toujours servi l’Alliance, qui avait grandi en son sein, fille de militaires, elle avait toujours mis ses intérêts de côté, avait effacé ses propres envies pour la cause. Oui, parfois, elle avait envie de foutre tout en l’air parce qu’elle était épuisée, parce qu’elle en avait plus qu’assez de n’être qu’un pion dans le système. Parce que parfois, la femme enfermée dans le soldat avait envie de vivre sa propre vie. Mais elle se reprenait. Parce qu’il y avait des choses bien plus importantes que ses envies personnelles. Qu’elle aurait le temps après. Mais l’après, dans cette guerre, n’était qu’une immense interrogation. Alors, elle avait un peu mis d’eau dans son vin. Avait fait des concessions avec elle-même. Elle avait laissé un peu de son moi profond faire surface. Mais ce n’était que peu de choses à ses yeux par rapport à la mégalomanie de l’Homme Trouble ou le désir de bataille des Batarians. Les Geths étaient différents. Parce que Shepard ne savait toujours pas ce qui les poussait à vouloir se battre contre leurs créateurs. En risposte à ces derniers ?

Cela lui fit penser à Tali dont elle n’avait pas eu de nouvelles et dont elle s’inquiétait même si elle avait toujours à penser. Anderson non plus n’avait pas rappelé. Shepard avait tellement hâte de se jeter dans la bataille.

Prenant congé du Vice-Amiral, Kaidan et elle retournèrent d’un pas vif vers le Normandy. Et s’arrêtèrent net sur le quai. La silhouette très reconnaissable de Legion les attendait.

« Legion ? »

Le Geth releva la tête vers eux. Les clapets de cette dernière cliquetèrent quand il salua Shepard.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda le Commander.

— Shepard Commander. Nous avons assimilé la situation. Il semblerait que nous puissions vous venir en aide pour combattre les Reapers. »

La jeune femme vit Kaidan lui jeter un regard de biais. Elle se tut, attendant que Legion ait fini de parler.

« Nous avons fait consensus. Nous pensons qu’apporter notre aide pour la construction de l’arme destinée à anéantir les Anciennes Machines est la solution la plus efficace dans la situation actuelle. »

Savoir que statistiquement, miser sur l’arme de Presalia était la meilleure chose à faire avait quelque chose de rassurant. Même si d’expérience, elle savait que les probabilités pouvaient être démenties.

« Alors, vous vous joignez au projet du Docteur Presalia », intervint Kaidan qui s’impatientait sûrement, peu habitué à la manière de parler du Geth.

Ce dernier pointa son œil lumineux sur le Major, cliqueta un peu avant de reporter son attention sur Shepard.

« Exactement. Shepard Commander. Nous sommes parvenus à isoler les Hérétiques de notre consensus. Nous pouvons aider sans qu’ils ne n’assimilent les données. »

En effet, les Hérétiques constituaient un problème mais puisque Legion semblait affirmer que les Geths sains avaient trouvé une solution pour les tenir éloignés de leur propre système, elle savait qu’elle pouvait lui faire confiance. Elle n’entendait pas grand-chose à la manière dont les êtres synthétiques fonctionnaient, mais à force de côtoyer Legion, elle avait saisi quelques principes de base. Il lui semblait bien que Legion ne savait pas lui mentir. Après tout, l’instinct de survie pouvait aussi exister chez les Synthétiques. EDI manifestait parfois cette impression de ne pas vouloir être débranchée ou altérée. Cet instinct était ce qui avait poussé les Geths à chasser les Quarians quand la guerre entre eux avait éclaté. Pourquoi persisteraient-ils à vouloir tuer leurs cibles ? Les êtres vivants fonctionnaient pareillement sur ce point-là. Vouloir survivre à tout prix. Ne pas disparaître. C’était ce qui les reliaient tous face aux Reapers. Et qui motivait aussi leur ennemi commun.

Shepard pianota sur son Omnitool. Elle informa Tolan qu’il devait venir chercher Legion. Le Geth avait beau être amical, les personnes qu’il allait croiser ne l’entendrait sans doute pas de cette oreille. Elle ne voulait pas qu’on s’en prenne à lui.

« Très bien Legion, finit-elle par dire en hochant la tête. Votre aide est précieuse. Merci. »

Elle ne savait pas quoi dire. S’adresser à Legion était toujours particulier. Oh et puis zut, elle le considérait comme un membre de son équipe.

Talon arriva quelques minutes après l’appel. Il était temps de se séparer. Legion tourna la tête vers la jeune femme, son orbe bleu qui lui servait d’œil fixé sur elle. Les clapets cliquetèrent.

« Shepard Commander. »

Elle hésita puis lui tendit la main. Le Geth la regarda avant de s’en emparer et de la serrer.

« Merci encore, Legion. Bonne chance. » Après tout, c’était un équipier comme un autre. Elle sentit ses doigts métalliques sous les siens. Juste un peu différent, mais il était l’un des leurs.

« Bonne chance, Shepard. »

Elle eut un sourire puis lâcha la main. Le Geth se détourna et suivit le Salarian vers l’élévateur. Du regard, le Commander suivit la silhouette particulière du Geth qui s’effaça au loin. Elle soupira. Elle n’avait pas penser ressentir cela, mais le Geth allait lui manquer. Cela allait faire un vide même s’il ne brillait pas par sa présence dans le Normandy. Il passait son temps fourré dans le Core d’EDI, sa conversation n’était pas toujours élaborée ou compréhensible, mais c’était un des leurs.

Sans un regard pour Kaidan qui la fixait, elle se rendit d’un pas lourd vers le Normandy. C’était la meilleure chose à faire. Legion serait bien plus utile avec Presalia. C’était sa place, désormais. Shepard avait hâte que tout cela se termine. Son équipe se réduisait à peau de chagrin. Elle se sentait lourde, oppressée. C’était au plus noir de la bataille qu’elle ressentait le besoin d’être entourée de ceux qui avaient vécu ce bordel avec elle.

Elle monta vers sa cabine. Elle avait besoin de se reposer un peu. Elle se sentait nauséeuse.

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