Les Ombres et les Murmures
Le retour de Tyler à Nevermore avait créé une véritable fissure au sein de l’école. Certains élèves, méfiants, le regardaient encore comme une menace. D’autres, plus indulgents, voyaient en lui quelqu’un qui essayait de changer. Moi, je ne me posais pas de questions : nous avancions main dans la main, soudés malgré les regards.
Je ne remarquais pas ce que tous voyaient déjà : mon ventre arrondi. Des chuchotements circulaient dans les couloirs, mais je restais aveugle, prisonnière de ce déni qui me protégeait de la vérité.
Un après-midi, dans la cour, Mercredi rompit le silence avec sa voix glaciale :
— Ce n’est pas un enfant. C’est une malédiction que tu portes.
Je restai figée, ne comprenant pas vraiment ce qu’elle insinuait. Autour de nous, les élèves se turent.
Tyler bondit aussitôt devant moi, son regard brûlant fixé sur Mercredi.
— Ça suffit ! Tu dépasses les bornes. Tu n’as pas le droit de lui dire ça.
Mercredi haussa un sourcil, implacable.
— Je ne fais qu’exposer ce que tout le monde voit.
Tyler serra les poings. Sa voix trembla d’émotion, mais resta ferme :
— Elle ne voit pas, justement. Elle fait un déni de grossesse. Elle ne se rend pas compte de son état, et toi, au lieu de la soutenir, tu l’écrases.
Un murmure parcourut la foule. Certains élèves échangèrent des regards indignés. Bianca s’avança la première, le regard dur.
— Mercredi, tu vas trop loin.
Enid la suivit aussitôt, protectrice.
— Tu crois toujours avoir raison, mais là, tu blesses vraiment quelqu’un qui n’a rien demandé.
D’autres élèves hochèrent la tête. L’atmosphère devint lourde, presque hostile envers Mercredi.
Je restai silencieuse, confuse, sans vraiment saisir toute la portée de leurs mots. Mais je sentais Tyler serrer ma main plus fort, comme pour m’ancrer dans la réalité. Son regard tendre se posa sur moi, contrastant avec la colère qui l’avait animé un instant plus tôt.
Depuis le début de ma grossesse, quelque chose avait changé en lui. Plus de crises, plus de transformations incontrôlées. À mes côtés, il semblait apaisé, presque… libre. Comme si notre amour, et ce secret qui grandissait en moi, avaient réussi à dompter le monstre qui sommeillait en lui.
Il m’embrassa sur le front, ignorant les murmures autour de nous.
— Je t’aime, dit-il simplement.
Et à cet instant, malgré les jugements et les tensions, je crus que rien ne pourrait nous séparer.
La journée avait été longue, trop longue. Depuis le retour de Tyler, les regards ne cessaient de se poser sur nous. Et Mercredi… elle ne lâchait rien. Toujours avec ses mots tranchants, ses phrases acérées.
— Tu devrais peut-être commencer à t’habituer, dit-elle avec ce sourire glacé. Quand ce bébé en aura fini avec toi, il ne restera plus grand-chose.
Un frisson glacé traversa mon dos. C’était le sarcasme de trop. Mon souffle se coupa, ma vision se troubla. Je sentis mes jambes se dérober sous moi.
— Hé ! s’écria Bianca en me rattrapant de justesse.
Ajax surgit à son tour, aidant à me soutenir. Tyler, le visage décomposé, se précipita vers moi, ses bras tremblants cherchant à me ramener à lui. Enid arriva en courant, la panique dans ses yeux.
— Elle s’évanouit ! Vite !
Je perdis conscience entre leurs mains, ma tête reposant contre l’épaule de Bianca qui serrait mes doigts comme pour m’ancrer.
Quand je rouvris les yeux, la lumière crue d’une chambre d’hôpital m’aveugla. Tyler était là, assis près de moi, son visage marqué par l’angoisse. Bianca et Enid étaient restées aussi, refusant de partir.
Le médecin entra, un dossier en main. Son expression était grave.
— L’enfant… il porte des gènes particuliers. Des gènes qui ne viennent pas seulement de vous, mais de Tyler.
Le silence s’abattit dans la pièce. Tyler se redressa d’un bond.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
Le médecin soupira.
— Que ce bébé n’est pas un fœtus ordinaire. Son développement est lié à la malédiction que vous portez. Et il nuit déjà à sa mère. Si ça continue, sa vie sera en danger.
Tyler pâlit, ses mains se crispant sur les draps de mon lit.
— Non… je ne laisserai pas ça arriver.
Bianca posa une main ferme sur son épaule, tandis qu’Enid serrait la mienne. Elles étaient devenues mes piliers, mes alliées, même dans cette épreuve que je ne comprenais pas encore.
Mon souffle était court, ma gorge serrée. Les mots du médecin résonnaient encore dans ma tête : en danger de mort.
Et pour la première fois, je compris que ce bébé n’était pas seulement une partie de moi… mais aussi une part du monstre que Tyler essayait de contenir.