La mauvaise habitude

Chapitre 1 : La mauvaise habitude

Chapitre final

2371 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 22/08/2019 17:06

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture de Fanfictions.fr : Vacances, j’oublie tout (juillet-août 2019).


La mauvaise habitude



Mikael était enfin arrivé. Ses valises avaient été posées dans sa chambre et il était descendu sur la plage au pied des bungalows. C’était une des nombreuses criques des îles de la Barbade. Cette plage n’avait rien à voir avec les plages de Suède. Le sable était fin et chaud, les palmiers surplombaient les roches. Mikael se dit combien c’était stupide d’avoir mis une piscine dans la résidence alors que l’eau de la mer était certainement plus pure et plus authentique. L’île de la Grenade était un havre de paix, ses paysages sauvages, ses habitants accueillants. Pourtant peu de clients se trouvaient à cette période de l’année dans les bungalows. Novembre était un mois où les vacanciers travaillaient. Mais Mikael, lui, avait besoin de repos. Le procès de Lisbeth étant fini, Millénium et la Suède devraient survivre sans son incroyable talent de journaliste. Et puis, il était plus facile de se lancer dans l’écriture d’un nouveau livre criant au scandale avec un cerveau reposé. Certes en novembre il pleuvait beaucoup dans cette région du monde, mais les températures descendaient rarement en dessous de 25 degrés. Bien plus que ce dont un suédois comme lui a besoin.

Ce jour-là, la météo était plaisante, Mikael avait donc décidé de ne pas prendre le temps de ranger sa valise et d’aller immédiatement piquer une tête dans cette sublime eau. L’insertion se fit des plus aisément. Quelques autres touristes avaient pris la même décision que Mikael. En tout et pour tout, ils devaient être dix dans l’eau, quinze sur la plage. Mikael ne leur prêta pas attention et fit quelques brasses pour atteindre un rocher qui semblait avoir été posé au milieu de l’eau par des êtres divins. Rendu sur celui-ci, il jeta un regard rapide sur la plage d’où il venait. C’était vraiment un magnifique endroit. Alors qu’il s’apprêtait à détourner le regard, quelque chose le retint.

C’était elle. Certes métamorphosée. Mais c’était elle. De loin il pouvait l’observer être une autre femme. Elle était dans un bikini bleu clair, pas noir. Sa couleur noire semblait s’être éclaircie, rendant ses cheveux plus brillants. Ceux-ci étaient surplombés d’un chapeau de paille. Lisbeth Salander, jeune punk à l’esprit brillant et au comportement asocial, n’avait rien à voir avec cette Lisbeth-là. En Suède elle avait même effrayé les gens à cause d’une photo d’identité publiée dans les journaux montrant son pire visage. Ici, elle n’aurait repoussé que les punks dans son genre. Ici, on l’appellerait « Madame » avec respect, et on lui servirait un cocktail sans se demander si après ce cocktail cette cliente nous viderait notre bar.

 

Mais si un changement physique important avait eu lieu, ce n’était rien comparé à la métamorphose comportementale qui s’était opérée en Lisbeth. Un soir, il y avait dans le village en bas des bungalows une fête Années 1980. Mikael s’était dit que ce serait amusant de voir comment ces années de jeunesse avaient été interprétées dans ce coin du globe. Mais la surprise fut immense dès son entrée dans la salle des fêtes.

Une Lisbeth déchaînée en pantalon à pâtes d’éléphants, avec un haut aussi pailleté qu’une boule à facette, et un maquillage tout droit sortie d’une série B chantait Gimme! Gimme! Gimme! d’ABBA. Le spectacle était stupéfiant. Mikael se demanda même où une punk comme elle qui écoutait pour unique musique du hard rock – quand elle en écoutait – avait appris les paroles d’un titre pop connu à l’international. Elle invitait même des locaux à la rejoindre sur scène pour recréer la fameuse chorégraphie du groupe mythique suédois. C’était risible à un tel point que Mikael en oublia de filmer pour pouvoir après la narguer d’avoir un tel dossier d’elle.

Où était donc passer la Lisbeth Salander asociale et limite gothique qu’il connaissait tant ? Il ne savait pas laquelle des deux il préférait. Mais une chose était sûre, ce souvenir improbable ne s’effacera pas si facilement.

 

***

 

C’était étonnant. Lisbeth n’arrivait pas à croire que le temps était passé si vite. Cela faisait presqu’un mois qu’elle n’avait pas ouvert son ordinateur. Pour une hackeuse comme elle, cela relevait du miracle. La seule chose geek qu’elle avait continué de faire était de lire ses revues scientifiques et mathématiques, son étrange passion. Trois heures par jour elle s’asseyait sur la plage et plongeait le nez dans les nombreux calculs. Elle avait passé presque cinq jours sur ce qu’on appelait « L’énigme la plus difficile du monde » :

 

   « Derrière trois personnages A, B et C se cachent les dieux Vrai, Faux et Aléatoire. Vrai répond toujours la vérité, Faux répond toujours le contraire de la vérité, et Aléatoire choisit ses réponses au hasard. Votre tâche est de dévoiler les identités de A, B et C en posant uniquement trois questions dont la réponse est vraie ou fausse. Les dieux comprennent le français mais ils répondront à vos questions dans leur propre langue, c'est-à-dire par da et ja. Vous ne savez pas à quoi ces réponses correspondent. »

 

Les revues mathématiques étaient ses magazines people à elle. En Suède, lorsqu’elle était envahie de tous ses problèmes elle n’essayait de résoudre aucune énigme, aucun autre problème que ceux dont elle avait déjà dans sa vie personnelle. Mais l’été elle aimait se mettre au défi et résoudre des problèmes qui jamais ne viendront se mêler à elle.

 

Lors d’un des nombreux après-midis qu’elle avait passé en compagnie du créateur de l’énigme, George Boolos, quelqu’un vint vers elle. C’était une jeune femme habitant sur l’île. Sa peau bronzée donnait presqu’envie à Lisbeth de la jalouser.

La jeune femme s’assit aux côtés de Lisbeth sans prononcer un seul mot. A son tour, elle sortit un livre de mathématiques où elle avait fait de nombreuses notes. Lisbeth daigna finalement poser un léger coup d’œil vers la femme bronzée. Celle-ci se justifia immédiatement :

_ J’arrive mieux à travailler quand d’autres travaillent à côté de moi !

_ Je ne travaille pas, répondit alors Lisbeth.

_ Tu révises donc ?

_ Non… Je m’amuse.

Lisbeth s’était attendue à ce que la jeune femme explose de rire, se moque de son étrange hobby. Mais finalement elle tendit son livre de mathématiques et demanda :

_ Cela fait trois ans, que j’essaies de créer une énigme plus difficile de celle de George Boolos.

Ces yeux pétillèrent étrangement à cette phrase. Lisbeth comprit immédiatement que la jeune femme était une passionnée. Elle était une geek des mathématiques. Au cours des journées suivantes, elle et Lisbeth essayèrent de mettre au point ce nouveau défi. La journée avait un rythme bien défini.

 

Le matin Lisbeth piquait une tête dans la mer et visitait les coins touristiques de l’île de la Grenade. Parfois Cécile, la mathématicienne, faisait la guide touristique et Lisbeth prenait des photos de tout mais surtout de n’importe quoi. Lisbeth n’avait en rien l’âme d’une photographe et elle s’était dit qu’en prenant une centaine de clichés elle arrivait à avoir une dizaine de bons. Christophe Colomb, Richelieu, Commonwealth, esclavagisme… L’histoire de l’île était plutôt passionnante, mais Lisbeth prenait un certain plaisir aux longues promenades. Rien que mettre ses chaussures de randonnées lui procurait une vague de joie.

L’après-midi elle retournait à ses énigmes et aidait Cécile du mieux qu’elle pouvait. Souvent elle le faisait sur la plage et sirotait des cocktails avec ou sans alcool. Une à deux fois il avait tellement plu qu’elles avaient travaillé dans la chambre d’hôtel de Lisbeth et avait fini dans le lit. Jamais Lisbeth ne se posait de question. Ici, tout semblait simple. Rien ne la gênait ni le lui rappelait la dure réalité suédoise. C’était comme un rêve éveillé. Elle aurait souhaité rester ici pour l’éternité.

Le soir elle le passait au bar du village. Peu de touristes s’y trouvaient et elle avait commencé à faire connaissance avec les locaux. Certains d’entre eux étaient un peu lourds vu que rarement une jeune femme les accompagnait, mais jamais ils n’allaient trop loin. A un moment de la soirée elle finissait toujours par dépasser la dose acceptable d’alcool dans son sang et chantait. Le barman lui avait demandé si elle voulait être chanteuse dans le groupe de rock de son fils.

_ Tu as le physique, la voix et la hargne, avait-il dit.

_ Tu sais Tommy, il ne faut jamais me demander de participer dans des projets. Je ne suis pas assez sérieuse pour ça. Et puis, tout le monde finit par regretter ma compagnie.

_ Ouais, t’es un électron libre quoi !

Tommy était vraiment sympathique. Jamais il ne posait de question sur la vie de Lisbeth. Ni à propos de ses tatouages, ni pourquoi elle était là. Il la laissait boire, tant qu’elle payait, et lui indiquait des endroits à visiter. Pas plus, pas moins. Zéro emmerde.

 

***

 

Mikael commençait à culpabiliser. Ses habitudes de journaliste n’étaient pas toujours un cadeau. Ce qu’il faisait en observant Lisbeth était de l’espionnage, voire même, il la stalkait. L’homme de quarante-huit ans prenait son pied à observer sa jeune amie dans un autre milieu… et il commençait à avoir des remords.

Il avait tenté de s’occuper comme s’il avait été un touriste. Après tout, ce n’était qu’un hasard pur qu’il s’était trouvé sur la même île que Lisbeth. Si jamais elle le croisait il aurait feint la surprise et l’ignorance. Peut-être même aurait-il fait la blague de « Mais tu me suis dit donc ». Mais les remords étaient bien trop gros. Jamais il n’aurait aimé qu’Erika ou même Lisbeth l’observe ainsi.

Mais c’était leur relation, à Lisbeth et à lui-même, Lisbeth avait enquêté sur Mikael en fouillant son ordinateur personnel et Mikael était, à son tour, entrer dans la vie de Lisbeth après une enquête approfondie sur sa personne. Mais là, c’était différent, il l’observait sans réel objectif. Il aimait juste l’observer. C’était à la limite du voyeurisme.

Le mercredi de sa deuxième semaine de vacances Mikael avait mal dormi. Les remords le rongeaient et il ne trouvait pas le sommeil. Il s’était dit qu’il devait prendre l’avion, rentrer en Suède et oublier cette semaine de vacances qui avait mal tournée. Mais il se sentait coupable et un vieux dicton lui revint alors à l’esprit.

Faute avouée, à moitié pardonnée.

C’est alors que le lendemain il se décida et pris la direction de la plage, où Lisbeth était une nouvelle fois plongée dans ses livres scientifiques. L’autre jeune femme n’était pas là. Une chance. Il souffla et tapota sur son épaule.

 

Comme un chiot coquin est pris sur le fait, Lisbeth se mit en position de défense lorsqu’elle se retourna vers le journaliste. Mikael n’arrivait pas à former les mots pour s’excuser.

_ Qu’est-ce que tu fous là ? fit-elle, agressive.

Le comportement de Lisbeth était de nouveau différent. Immédiatement elle s’était renfermée, immédiatement elle redevint sombre et, comme si elle était celle qui contrôlait la météo, deux énormes nuages gris vinrent obscurcir le ciel d’habitude si clair.

 

***

 

Qu’est-ce qu’il foutait là ? Elle avait presque réussi à se détendre totalement. Comme quoi, elle avait bien eu raison, durant toutes ses années, de rester sur ses gardes.

Le visage de ce parfait Foutu Blomkvist semblait hésiter. A ces yeux, elle devinait qu’il regrettait quelque chose.

_ T’es là depuis quand ? lui aboya-t-elle.

_ Une semaine et demie…

_ Et depuis quand tu sais qu’on se trouve sur la même île, et qui plus est, dans le même hôtel.

_ Une semaine et demie…

_ Je n’ai pas besoin d’un père, ni d’un garde du corps !

_ Je te jure que c’est un pur hasard !

_ Ah ouais ? Et pourquoi tu n’es pas venu vers moi si c’est un pur hasard ?

_ Tu… Tu avais l’air si bien, totalement détendue, je ne voulais pas te déranger… Mais j’avoue t’avoir… observée.

_ Tu es un taré. C’est toi qui aurais dû passer ton enfance dans un asile. Tu sais que tu as un sérieux problème, hein Foutu Blomkvist ?!

_ Lisbeth, je suis dé…

D’une main dédaigneuse, Lisbeth rejeta les excuses de celui qu’elle avait aimé, admiré et haï. Toujours fouineur. Quel être insupportable. Elle regrettait une fois de plus avoir fait des recherches sur cet homme. Il avait été la cause de tellement de ses ennuis... mais aussi, elle devient bien se l’avouer, la résolution de beaucoup d’autres.

Cécile arriva sur la plage et se stoppa. Lisbeth l’observa d’un regard noir, limite triste et déclara à haute voix de manière à ce qu’elle aussi l’entende :

_ Fin des vacances, les emmerdes reviennent.

 


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