Sous l'affiche d'un film pornographique

Chapitre 22 : Chapitre XXII

4158 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/01/2021 14:46

Chapitre XXII



Les choses seront-elles plus simples si je me plains ?

Seront-elles plus simples si je pleure de tout mon soûl ?

Me sentirai-je mieux si je dis que j’ai envie de mourir ?

N’aurais-je pas envie de faire un pas hors d’ici ? *

Écrasé par un ciel vide – amazarashi

Une voix tira Valentine de ses pensées. Une voix qu’elle ne connaissait que trop bien.

« Eh ! Eh ! Vous ! »

Elle tourna sa tête en direction du balcon. Elle n’avait même pas fait attention de l’endroit où elle s’était rendue ; elle avait à peine reconnu le quartier. Il fallait dire qu’elle était rarement passée par les toits pour venir dans ce coin-là. Mais à présent qu’elle avait été vue, elle ne pouvait plus faire marche arrière.

Elle se releva et, en voyant Thomas sortir du hall de sa résidence, haletant, s’approcha du bord du toit sur lequel elle s’était installée pour profiter de l’air frais. Sous le regard ébahi du jeune homme, elle se laissa tomber, les bras écartés, les pieds joints, et la tête la première. De quelle hauteur venait-elle de sauter ? Elle l’ignorait, mais qu’importait la hauteur tant qu’on eût l’ivresse de la chute.

Elle se réceptionna sans un heurt après une pirouette aérienne, avec toute la souplesse d’un félin, la seule trace de son atterrissage étant un léger enfoncement de ses talons dans le goudron du trottoir. Elle toisa de loin le jeune homme qui l’attendait, sa barbe non taillée et ses yeux fatigués lui donnant un air désespéré. Elle lui fit signe de s’approcher, sans pour autant quitter son côté de la route, que Thomas traversa en jetant de rapides regards à droite à gauche.

Une fois face à elle, elle fut surprise par l’éclat qui brillait dans ses yeux noisette ternis. Alors comme ça, il était vraiment désespéré…

« J’espérais te… vous revoir, souffla-t-il. Je voulais reparler de l’autre soir…

– C’était toi ? fit-elle d’un air faussement étonné. Je te remercie de m’avoir aidée.

– C’est pas ça. Je… – Il sembla chercher ses mots, et peinait à trouver les bons. – Pourquoi moi ? Pourquoi chez moi ?

– J’ai dû avoir vu de la lumière, et dans un élan de désespoir, suis venue frapper à la porte. »

Elle avait haussé les épaules avec dédain, et pris un air dépité, comme si ce qui s’était passé avait été tout à fait normal.

« Je m’appelle Thomas, articula le jeune homme sans démordre. Thomas Dompeyre. Est-ce que ce serait malpoli de vous inviter à monter chez moi pour vous offrir quelque chose ? J’aimerais parler avec vous.

– Tu n’as pas peur de moi ? De ce qu’on raconte sur moi ?

– Pourquoi aurais-je peur de vous ? C’est d’ailleurs étonnant que vous teniez debout. Vous êtes guérie ? »

Elle posa sa main gauche, celle qui était simplement gantée de tissu, sur son épaule, et lui adressa un large sourire. Ses cheveux bruns flottaient, leur nuance rousse brillant sous les lumières des lampadaires.

« Parlons-en dans un endroit plus intime, glissa-t-elle en plissant ses yeux sobrement maquillés. Nous y serons mieux. »

Il déglutit, quelque peu intimidé par la prestance de cette femme, et lui demanda de le suivre. Ils montèrent les nombreuses marches des escaliers, jusqu’à atteindre le troisième étage. Valentine se retint d’afficher quelques grimaces ; l’essence de Roarr ne suffisait pas à calmer la douleur, qui ressurgissait par moments. Peut-être lui en demandait-elle trop ? Après tout, le Tigre n’était qu’un kwami mineur, comparé à la Coccinelle ou au Chat Noir.

« C’est ici, chuchota-t-il en tirant de sa poche un trousseau de clés, dont il glissa la plus grosse dans l’ouverture de la serrure, avant de la faire tourner. Je vous en prie, entrez. »

Instinctivement, la jeune femme étendit le bras vers l’interrupteur, s’apprêtant à voir s’illuminer la pièce entière. Elle se reprit au dernier moment, comprenant que cela allait bêtement la trahir. Elle attendit juste qu’il le fît lui-même, et avança de quelques pas à travers le salon.

« Je vous serre quelque chose ? De l’eau ? Du jus de fruits ?

– Ce que tu veux. Et tutoie-moi, Thomas. Ce serait gênant si seule moi tutoyait. »

Il se confondit en excuses à nouveau, et se dépêcha d’ouvrir le réfrigérateur et d’en tirer une bouteille de verre remplie d’eau, ainsi qu’une autre comportant du sirop de grenadine. Il versa le tout dans un grand verre, comme il l’avait toujours fait pour Valentine. Il n’avait fait que reproduire les mêmes mouvements instinctivement face à son invitée ; s’il avait su qui se cachait sous ce « masque », il aurait certainement ri.

« Vous… Tu peux t’asseoir sur le canapé, si tu veux. J’imagine que ces bottes sont fixées et ne peuvent être enlevées ?

– Bien vu, rit-elle doucement. Je passerai un coup de balai si ça te dérange.

– Ne dis pas n’importe quoi ! C’est moi qui ai insisté pour te faire venir… »

Il était étonnamment poli. Elle ne l’avait connu comme ça qu’au début de leur relation, lorsqu’il tentait encore de l’impressionner, sans savoir qu’elle était d’ores et déjà attirée par son physique. Il était presque mignon. S’il n’y avait pas eu ce malaise qu’elle ressentait à son égard, elle aurait presque pu se laisser tenter par la situation.

« C’est vraiment par pur hasard que tu es venue frapper à ma porte ? C’est pas rien, de monter trois étages avec une plaie pareille. Encore heureux, il n’y avait pas de sang dans les locaux communs, sinon les voisins se seraient posés des questions…

– Ça aide, d’avoir un petit diable dans la poche, sourit-elle en sirotant sa boisson, avant de reprendre, sous le regard confus de Thomas. Nos bijoux, les Miraculous, sont habités par, dirons-nous, de petites divinités, à l’image d’animaux.

– Comme une coccinelle et un chat noir, devina-t-il, amusé.

– Un tigre, pour ma part.

– Ça expliquerait les pouvoirs magiques, réfléchit Thomas à demi-voix.

– Ça explique beaucoup de choses, » renchérit Valentine en baissant les yeux vers le contenu de son verre.

Elle le vida d’une traite, et le posa sur la table basse, en veillant à bien le poser sur une des petites plaquettes en liège qui faisaient office de dessous de verres pour ne rien abîmer.

« Mais pour répondre à ta question, c’est du pur hasard, oui. J’étais à peine consciente tellement j’avais mal.

– Qu’est-ce qui s’est passé ? C’est pas tous les jours qu’on se fait planter comme ça dans la rue, encore moins quand on est… je veux dire, quand on est « Tigresse ».

– Quand on est moi, on a un sacré paquet d’ennemis, crois-moi. Certains n’hésitent absolument pas. Comme celui qui m’a planté sa canne.

– Une canne a fait ça ? J’y crois pas.

– Et pourtant… »

Il y eut un silence, durant lequel il étudia Tigresse sous toutes ses coutures, tout du moins, le plus possible. Elle ne ressemblait à personne qu’il ne connaissait, mais quelque chose dans son attitude ne le laissait pas impassible, et faisait hurler une voix dans sa tête, qui répétait inlassablement qu’elle lui disait quelque chose, sans parvenir à mettre de nom dessus.

Il avait bien eu un doute en apercevant Valentine au loin les jours précédents. Elle prenait souvent des cachets, bien qu’il ne pût dire ce dont il s’agissait, et boitillait par moments. Il avait aussi remarqué qu’elle se tenait le flanc à quelques reprises, du même côté que celui auquel avait été touchée Tigresse. Il devait bien admettre que l’idée ne lui avait pas paru tant que ça saugrenue.

Mais à la voir de plus près, ce soir-là, il constatait qu’il avait eu tort. Pour commencer, elle était nettement plus petite que Valentine, même si elle portait des talons. Sa peau, bien trop foncée, ne correspondait absolument pas à celle de son ancienne amante, il l’avait bien remarqué autour de sa plaie après l’avoir nettoyée que ce n’était absolument pas du maquillage. Les yeux avaient une forme plus arrondie, plus proche de l’amande, et il n’avait pas remarqué de lentilles de couleur. Et ses cheveux… Non, jamais une perruque n’aurait pu être d’aussi bonne qualité et réaliste. La voix était le dernier critère, et jamais la jeune femme n’aurait pu modifier son timbre d’une telle manière, et garder cette voix factice dans la douleur.

Quelque part, cela l’avait rassuré. Il s’était interrogé, se demandant ce qu’il ferait s’il découvrait que Valentine et Tigresse n’étaient qu’une seule et même personne. À en croire les preuves qui tournaient sur les réseaux sociaux, Tigresse n’était pas un enfant de chœur. On l’avait vue s’en prendre ouvertement à Ladybug et Chat Noir, et s’attaquer violemment aux deux héros qui ne faisaient que faire leur travail et se défendre. Était-il le seul à l’avoir vue dans une telle position de faiblesse ? Aurait-il mieux fait de lui arracher son Miraculous et de la forcer à se rendre aux autorités alors qu’elle était gravement blessée ? Était-elle vraiment la méchante dans cette affaire ? Quelque part, il refusait d’y croire.

« Quel est ton but ? » demanda-t-il finalement.

Elle tourna vers lui un regard surpris.

« Mon but ? répéta-t-elle.

– Ladybug et Chat Noir protègent la ville et tentent de stopper le Papillon, par exemple. Toi, tu possèdes un bijou comme eux, non ? Pour quoi tu te bats ?

– Pour faire justice moi-même et punir ceux qui ne l’ont pas été. Une fois ma tâche complétée, je rendrai le bijou à son véritable propriétaire. »

Thomas soupira, et croisa ses yeux. Sa parole manqua de dépasser sa pensée de peu.

Qui es-tu vraiment ?

« Mais les choses sont plus compliquées qu’il n’y paraît, reprit Tigresse en s’étirant ; son dos émit un petit craquement, et les différentes parties des épaulettes de métal s’entrechoquèrent dans un léger cliquetis. Je voulais régler ça rapidement. Et voilà que le temps passe, les semaines aussi, et je me fais retarder par une stupide blessure de guerre. C’est drôle comme rien ne va jamais comme on veut. »

Il ne put qu’acquiescer. Il était bien placé pour le savoir.

« Tu vis seul ? demanda-t-elle finalement en balayant la pièce du regard.

– Depuis un paquet d’années maintenant. Dans cet appartement.

– Et il n’y a vraiment que toi ? »

Il comprenait les sous-entendus, mais rechignait à y répondre. Cela ressemblait tout bonnement à de la provocation.

« Il y a une veste de femme sur le porte-manteau. J’ai juste remarqué ça, je pose des questions, c’est tout, fit Tigresse nonchalamment.

– Il y avait bien quelqu’un. Mais elle m’a quitté. Ta curiosité est satisfaite ? »

Il avait pris un ton irrité. Il regrettait subitement avoir laissé entrer cette femme chez lui. Il voulait juste mettre certaines choses au clair, mais s’était finalement plus senti attaqué par l’attitude sans-gêne de la jeune femme. Il n’avait qu’une envie, c’était de la voir partir d’ici.

« C’est sûrement elle le problème, non ? T’es pas méchant, t’as pas hésité un seul instant à me sauver la vie.

– Je sais pas si c’était elle ou moi, ou même si c’était pas nous deux. On était juste pas sur la même longueur d’ondes. »

Il baissa soudainement la tête, et ses épaules s’affaissèrent. Presque recroquevillé sur lui-même dans cette position assise sur le bord du canapé où il avait passé tant de bons moments avec Valentine, il s’abandonnait à cette vague d’émotion qui lui serrait le cœur et asséchait sa gorge.

« Je l’aimais, et elle… – Il sentit une boule se former et lui prendre tout le cou. – Elle dit qu’elle me voyait comme un simple…

– Ami ? compléta « hasardeusement » Tigresse en se penchant vers lui, un air doux se dessinant sur son visage.

– Même pas comme un ami, soupira-t-il en secouant la tête. Elle dit que c’était juste physique. Mais je suis sûr qu’elle ment. On était presque un couple, bordel. »

Il essuya d’un revers de manche les larmes qui commençaient à déborder de ses yeux, et se leva pour faire quelques pas, avant d’aller se servir un verre d’eau et de l’avaler cul sec. Son souffla rauque, alors qu’il tentait de reprendre sa respiration, lui gratta désagréablement la gorge, comme s’il avait avalé de la poussière, et il tenta de faire passer cette sensation déplaisante en buvant à nouveau.

« Désolé, fit-il en se rasseyant. Je sais pas pourquoi je parle de tout ça d’un coup.

– C’est de ma faute, glissa Tigresse en posant sa main gantée sur celle de Thomas. Pardon. »

Cette excuse sonnait étrangement sincère. La jeune femme s’en étonnait elle-même. D’un côté, Tigresse s’excusait de l’avoir conduit à se confier à ce sujet. De l’autre, Valentine s’excusait de lui avoir causé autant de tort.

« Laisse-toi le temps. Ne cherche pas à tout régler par toi-même. Si elle ne revient pas vers toi, c’est qu’elle n’en valait pas la peine.

– J’ai l’impression de m’entendre quand je consolais mes potes qui venaient de se faire larguer, ricana-t-il amèrement. Mais merci. »

Elle écarta les bras, donnant l’impression de vouloir l’y accueillir. Aussi étrange cela pût-il paraître, il s’abandonna à cet instant d’amabilité, et vint s’y réfugier. Elle défit le support de métal qui retenait sa cape, qui retomba dans un bruit sourd sur le canapé moelleux, et l’invita à venir s’y blottir. Le tissu qui couvrait son corps était incroyablement doux, et difficilement identifiable. Une odeur boisée s’en échappait, comme celle qui s’accrochait à ses vêtements lorsque, encore enfant, ses parents les rangeaient dans son armoire en chêne, dans sa chambre parcourue par des poutres apparentes.

Il posa son menton sur l’épaule de la jeune femme, et osa glisser ses mains dans son dos, avant d’être surpris de constater qu’une partie de ce dernier était nue. Elle ne lui laissa pas le temps de se rétracter, et l’enserra à son tour, prenant garde à ne pas que son gantelet vînt le gêner. Elle posa affectueusement sa tête contre la sienne, et resta de longues minutes dans cette position.

Le malaise qui l’emplissait – après tout, n’avait-il pas là des contacts rapprochés, voire intimes, avec une femme qu’il connaissait à peine et qui pouvait être un danger sans pareille ? – se dissipa rapidement. Il émanait de cette personne une aura bienveillante, qui ne s’était dévoilée qu’après de longues discussions. Et ce n’était pas du tout déplaisant.

« Mon but, souffla-t-elle dans le creux de son oreille, mon vrai but… C’est de ramener quelqu’un que j’ai perdu. Seuls les Miraculous de Ladybug et Chat Noir me le permettront. »

Elle semblait sûre d’elle, au ton de sa voix. Mais il percevait aussi une sorte de tristesse et de mélancolie. Il croirait presque qu’elle éprouvait des regrets quant à ses actes…

« Au final, mon but n’est pas si éloigné de celui du Papillon. Lui aussi les désire, au moins autant que moi. Grâce à leurs divinités, ces bijoux nous permettraient d’exaucer un seul et unique vœu. Le prix à payer en retour m’importe peu. Je ne suis plus rien, sans elle. Tu comprends, non, Thomas ? »

Il acquiesça timidement. Cette histoire dépassait l’entendement. Des divinités qui permettraient d’exaucer des vœux ? Le Génie d’Aladdin devait bien venir de quelque part, non ? Bizarrement, cela le faisait rire.

« Et si ces dieux voulaient ta vie en échange de la sienne ? demanda-t-il. Serais-tu prête à cesser d’être pour retrouver une personne disparue ?

– Je la leur donnerai sans hésiter. Une vie comme la mienne, sans lui, ne mérite pas la peine d’être vécue. Si tu as déjà perdu un proche, tu dois sûrement comprendre ce sentiment. »

Il secoua doucement la tête de haut en bas, et sentit l’étreinte de la jeune femme se resserrer brusquement. Il lui sembla qu’elle tremblait.

« Tu ne dois en aucun cas être mêlé à ces histoires à cause de mes stupides actions inconscientes. Je t’en ai sûrement déjà trop dit. Ne deviens jamais un pion du Papillon. Garde le contrôle de tes émotions et sentiments, et tout ira pour le mieux. »

Elle s’éloigna de lui, et se releva. Elle se pencha pour récupérer sa cape et l’équipement de métal, qu’elle fixa de nouveau sur ses épaules. Comme si elle était ravie de retrouver sa propriétaire et de ne faire qu’un avec elle de nouveau, la cape claqua l’air, comme emportée par une bourrasque hardie venue de nulle part. Tigresse aussi semblait s’être reprise, et affichait de nouveau cet air distant qu’elle avait adopté lorsque Thomas était venu à elle.

« Fais attention à toi et tout ira bien, ajouta-t-elle dans un sourire réconfortant.

– Que pourrait-il m’arriver ? soupira Thomas en haussant les épaules, signe de son désabusement. Je ne suis qu’un civil sans histoire.

– Crois-moi, tu n’as pas envie de te retrouver sur ces champs de bataille. Ils sont tous sans pitié, et finissent par ne plus savoir qui est leur allié et qui est leur ennemi.

– De qui tu parles ? Du Papillon et Mayura, de Ladybug et Chat Noir, ou bien alors de toi ? » grimaça-t-il avec un semblant d’amertume qu’elle ne releva pas.

Elle prit la direction de la porte d’entrée, et posa sa main sur la poignée. Il la vit hésiter un instant avant de faire pression pour l’ouvrir, et en profita pour lui poser une dernière question.

« Est-ce que je peux au moins savoir quel est ton nom ? Je n’aime pas t’appeler « Tigresse », ça donne l’impression que tu es sanguinaire et cruelle.

– C’est amusant, cette remarque, fit-elle en se retournant. Bien entendu, je ne vais pas te dévoiler ma véritable identité, ce serait dangereux pour moi sinon. Mais si ça peut te faire plaisir… »

Elle appuya sur la poignée. La porte grinça quelques secondes.

« Tu peux m’appeler Éléonore, susurra-t-elle en dressant son index devant ses lèvres en lui adressant un clin d’œil amusé. C’est un joli prénom, non ? »

Elle disparut en un instant dans le couloir, sans qu’il ne pût la rattraper. Lorsqu’il se pencha à la fenêtre, espérant pouvoir apercevoir sa silhouette une dernière fois, il ne vit que l’obscurité de la nuit, et n’entendit que le silence de la ville. Tigresse s’était volatilisée, laissant derrière elle un bien maigre indice.

« Éléonore… » répéta inlassablement Thomas en fermant les volets et les battants de sa fenêtre, tentant de percer le mystère de cette bien étrange femme qui l’intriguait beaucoup trop pour que ce fût anodin.

*

« Bien. »

Roarr virevolta dans la pièce, s’assurant que Valentine dormait paisiblement. La respiration régulière et le visage de la jeune femme profondément enfoui dans l’oreiller le lui prouvèrent. Elle s’était roulée en boule sous sa couette, ses vêtements sales jonchant le sol, à peine rangés ; elle avait prestement enfilé son pyjama ce soir-là, avant de se faufiler dans son lit et de s’endormir.

Le tigre l’avait longuement observée, feignant le sommeil. Elle-même étendue sur sa minuscule couche posée près de la fenêtre, Roarr n’avait cessé de scruter chaque détail du corps de sa porteuse tandis qu’elle s’apprêtait à se coucher. Les traits tirés, plus que d’ordinaire, ses yeux ternes trahissaient une lassitude sans pareille, elle semblait fortement désespérée. Cela avait sûrement à voir avec leur sortie nocturne ; Roarr n’avait pris conscience du temps passé transformée qu’en voyant l’horloge afficher une heure horriblement tardive.

Voilà que certains voisins du quartier commençaient à quitter leurs appartements. Les lumières éclairaient faiblement la rue à travers les volets clos, le vrombissement des moteurs qu’ils démarraient avant de partir au travail – lorsqu’ils disposaient d’une voiture – perturbait la tranquillité de la rue. À quelques carrefours de là, le bruit des rames de métro passant par les souterrains s’échappait des bouches d’entrée.

« Que diras-tu lorsque tu réaliseras que tout n’était pas comme tu le désirais ? demanda-t-elle en plissant les yeux, guettant la moindre réaction de la Valentine endormie qui se présentait à elle. Quand tu comprendras que, depuis le début, tout ça avait déjà été décidé sans que tu n’aies réellement à prendre toi-même de décisions ? »

L’ironie était belle. Valentine avait « fait » tous ces choix, « pris » toutes ces décisions en restant convaincue qu’elle était maîtresse d’elle-même. Mais tous n’étaient que les personnages d’une histoire, dont le destin et la conclusion n’étaient décidés que par une seule entité.

Ce « dieu » auquel la jeune femme voulait faire appel… Ce « grand frère », ou même « père », dont Roarr ne voulait se souvenir du nom… Serait-il clément ? Elle savait qu’il les observait en ce moment-même, elle se doutait bien qu’il devait rire à gorge déployée.

Cela n’avait pas été un hasard que, cette fois-ci, le rejet de Ladybug eût abattu Chat Noir au point qu’il se laissât posséder par le Papillon et ses démons. Ce n’était pas un hasard si Ladybug s’était montrée à Valentine « par accident » et, ainsi, lui avait révélé le secret de ces bijoux magiques. Ce n’était pas un hasard si Valentine était si vite remontée à la source, au Gardien, et avait mis la main sur Roarr plutôt qu’un autre.

Le hasard faisait bien les choses, encore eût-il fallu qu’il fît quelque chose.

Là-haut, au-delà des frontières perceptibles de leur monde, Il devait bien s’amuser. Ce devait être un grand divertissement de voir ces vies grouiller, s’entremêler, se briser…

Il fallait qu’elle retrouvât sa liberté. Une fois séparée de l’asservissement de ce maudit bracelet, Roarr pourrait à nouveau vivre comme elle l’entendait, sans être contrainte par Lui. À moins qu’elle ne se trompât. Il était impossible pour les créatures de monde autres que Lui de prendre la moindre décision après tout. C’était Lui qui avait choisi que tout se passerait ainsi.

Il ne fallait qu’attendre de voir la fin qu’Il avait prévue pour leur histoire.

Si toutefois il décidait d’y mettre un terme un jour.

*

« Il serait temps d’amorcer la fin. Que cette histoire trouve sa conclusion en ma victoire. »



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*『弱音を吐いたら楽になるか

泣くだけ泣いたら楽になるか

死にたいと言えば気持ちいいか

そこから踏み出したくはないか』


「空っぽの空につぶされる」 - amazarashi

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