Sous l'affiche d'un film pornographique

Chapitre 33 : Épilogue

Chapitre final

4066 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 18/05/2021 15:08

Épilogue

 

 

La jeune fille attend toujours quelqu'un, 

sous l’affiche d'un film pornographique. *

 

Sous l’affiche d'un film pornographique – amazarashi

 

 

« Où suis-je ? »

 

Ce fut la seule pensée qui traversa son esprit.

Un mélange d’inquiétude et de curiosité gagna peu à peu sa conscience, animant son corps d’une étrange force qui la poussa à se redresser. D’une position couchée sur le dos, sur un sol plat et solide, bien qu’il ne s’en dégageât aucune forme de chaleur ni de fraîcheur, elle passa à une position assise, d’abord sur le séant, puis sur les genoux. Enfin, elle se mit debout, et observa les environs.

Bien qu’elle sentît sous ses pieds nus qu’elle se tenait sur un sol – la sensation lui évoquait du verre ou bien du métal, mais il était impossible de le décrire précisément tant cela semblait irréel –, elle ne le vit pas. Tout n’était que blancheur, sur sa droite comme sa gauche, devant comme derrière elle. Il n’y avait pas non plus de ciel, et rien n’indiquait qu’il y eût des murs, ou alors elle devait se trouver dans la pièce la plus immense qui devait exister. La lumière émanait de partout, il n’y avait pas la moindre ombre sur sa peau, et son corps n’en projetait aucune lui non plus.

Elle fixa un instant ses mains. Là où d’ordinaire se trouvaient des bijoux, dont une parure argentée, apparaissaient à présent des taches, semblables à des gouttes. Comme s’il en pleuvait d’un nuage invisible, elles se dessinaient les unes après les autres, recouvrant rapidement la chair d’une couleur rouge écarlate. Celle du sang.

Elle eut un mouvement d’effroi, qui la fit reculer. Lorsqu’elle regarda de nouveau ses mains, la couleur ne les avait pas quittées, bien au contraire. Le sang coulait à présent, ruisselant le long des jointures, emplissant chaque petit creux de sa peau. Le liquide qui débordait s’échappait mollement, gouttant peu à peu vers l’infini, traversant ce sol sur lequel reposaient pourtant ses pieds.

La jeune femme sentit une nausée la prendre, et sa tête commença à tourner. Son premier réflexe fut de porter sa main droite à son front, mais l’idée de se colorer le corps de rouge ne l’enchantait guère. Elle ferma les yeux, attendit que cela passât.

Mais cela ne passait pas.

 

« Valentine Marceline Éléonore Leclerc, » appela une voix.

 

Non, ça n’était pas une voix. Mais un mélange de plusieurs, d’hommes comme de femmes, d’adultes comme d’enfants ou de vieillards, qui énonçaient toutes son nom, de plusieurs intonations, de plusieurs façons. Elle reconnut celle de sa mère, et son ton autoritaire. Celle de son père, doux comme toujours. Celle de ses deux petits frères, agaçantes au possible. Celle de Thomas, affectueuse. Celle d’Ash, celle de Quentin, celle de Caline, et toutes les voix des autres personnes qu’elle avait côtoyées à un moment ou un autre. Plus elle était proche de l’individu qu’elle entendait, et plus sa voix se faisait forte. Et deux d’entre elles rivalisaient pour se faire le plus entendre. Son père, et Thomas. Ils écrasaient toutes les autres.

Jusqu’à ce que l’une d’entre elles se fît entendre, bien plus féroce, et inhumaine.

 

Roarr.

 

« Roarr ! » cria-t-elle, et cherchant une réponse au-delà de l’écho de sa propre voix.

 

Mais il n’y eut que le silence de l’immensité pour lui répondre, à peine troublé par ses paroles, qu’il enveloppa jusqu’à faire disparaître en un court instant.

À quoi s’accrochait-elle encore ? L’endroit où elle se trouvait n’avait rien de réel, et elle était seule, perdue là, sans savoir où aller ni quoi faire, frappée par ces voix qui l’assaillaient de toutes parts. Impossible de voir d’où elles provenaient, si tant fût qu’elles résonnaient ailleurs que dans sa propre tête.

Elle eut beau réfléchir, elle ne parvenait à se remémorer les événements qui avaient précédé son « réveil » en ces lieux. Elle avait la sensation d’avoir fait quelque chose d’horrible, mais sans pouvoir mettre le doigt dessus. Et elle détestait ça.

 

Elle voulut appeler de nouveau, espérant que quelqu’un ou quelque chose lui répondît. Mais elle remarqua alors les flammes qui naissaient à ses pieds, et autour d’elle, glissant et ondulant le long de sa peau, sans pour autant la brûler. Leur couleur violette la surprit ; à sa connaissance, il était impossible que le feu ne prît cette couleur. Une autre preuve que ce qu’elle voyait là, et vivait, n’était pas réel.

 

« Le fait est que vous ne vivez plus, Valentine. »

 

Elle se retourna, à la recherche de cette voix au ton moqueur qui venait de s’adresser à elle. À présent face à elle, les trois yeux de Nüll, qu’elle reconnut immédiatement, la dévisageaient, sans cligner.

 

« Vous êtes dans ce que certains d’entre vous nomment le « Purgatoire ». Ni au « Paradis », ni en « Enfer », vous vous trouvez dans l’entre-deux, où je comptais vous garder pour l’éternité par simple plaisir d’admirer votre âme tourmentée par vos actes.

– Tu comptais ? répéta-t-elle, faisant mine d’ignorer la fin de sa phrase, tandis que les souvenirs remontaient les uns après les autres, désagréablement, à la simple vue du kwami. Qu’est-ce que tu veux dire ? »

 

Il sembla soupirer ; il en donna l’impression cependant. Sa tête se pencha légèrement en avant, ses épaules s’affaissèrent, avant qu’il ne se remît droit, de toute sa fierté.

 

« Il semble que vos sentiments d’Humains soient contagieux, dit-il avec un semblant de dédain. Pourtant, je ne vous aurais côtoyés que peu. Et regardez-moi. Voilà que j’éprouve de la pitié, et des remords. »

 

Elle haussa un sourcil. Les bras croisés sur sa poitrine, elle attendait une réponse qui la satisfît. Mais Nüll semblait bien embarrassé, et plutôt réfractaire à l’idée d’admettre ce semblant de faiblesse qui le parcourait.

 

« Quoi qu’il en soit, je vous libère. Vous ne m’apporterez que moins de divertissement sous cette forme qu’en étant vivante.

– Qu’est-ce que c’est que ça encore ? grommela-t-elle.

– Ne me tentez pas, Valentine. Vous savez pertinemment que j’ai la mainmise sur votre vie et votre destin. »

 

Elle voulut rouler des yeux, mais se retint de justesse. Elle n’avait pas envie de croire à ces histoires de Purgatoire comme il disait ; elle qui ne croyait en rien, elle était peu ravie par l’idée de voir que les chrétiens avaient vu juste : il existait bien un dieu suprême qui se permettait de les juger, et d’orienter le quotidien des Hommes. Et ce fameux jugement, dans un lieu empli de flammes purificatrices, n’était pas non plus une simple invention visant à effrayer les fidèles pour assurer qu’ils agissent selon les préceptes de leur religion. Ces flammes arboraient plusieurs couleurs, probablement en lien avec l’état d’âme de l’esprit qu’elles consumaient, et même si elle commençait à s’y faire, la jeune femme gardait un œil méfiant sur celles qui tentaient de se glisser le long de son corps.

 

« Qu’est-ce qu’il va advenir de nous ? De moi, de ce que j’ai fait, de ceux que j’ai tués ? demanda-t-elle finalement en frottant doucement sa main gauche le long de son avant-bras, comme pour faire disparaître une gêne venue l’assaillir. Un kwami peut réécrire l’histoire selon son envie ?

– Ne croyez pas que l’évolution des Humains n’est que pur fruit du hasard. J’ai tenté bien des chemins avant de paver le vôtre. Et si je décidais de tout recommencer demain, cela se ferait en un claquement de doigts, pour reprendre vos expressions.

– C’est effrayant, murmura-t-elle.

– Pas autant que de voir combien le pouvoir et la vengeance peuvent changer une personne, » se permit de commenter Nüll.

 

Les yeux clairs de la jeune femme esquivèrent son regard, bien trop honteuse pour admettre ce dont elle était coupable. Ses souvenirs lui suffisaient à éprouver des remords, elle n’avait pas besoin des reproches du kwami noir comme la nuit. Elle voulait que tout cela cessât au plus vite.

 

« Vous avez été un excellent sujet de test. Je n’aurais pu être plus fier de vous. Vous avez joué votre rôle à la perfection.

– Tout est relatif, grimaça-t-elle. J’aurais préféré que les choses se passent autrement.

– Est-ce là votre désir ? »

 

Il se rapprocha d’elle. Encore une fois, son visage n’était qu’à quelques millimètres du sien, frôlant sa peau dans une sensation électrique plutôt désagréable. Elle aurait bien désiré reculer, mettre un semblant de distance entre le kwami du Néant et elle, mais quelque chose l’en empêchait. D’une part, ses jambes refusaient de lui obéir et de bouger, et de l’autre, elle se doutait que si elle tentait de s’éloigner d’une quelconque façon, Nüll reviendrait l’assaillir, peut-être même pour se mettre toujours plus près d’elle. En tant que kwami, il devait certainement être intangible, tout comme les autres ; dans ce cas, il pouvait aisément traverser son corps comme bon pouvait lui sembler. Cette simple idée la fit frissonner.

 

« Quant à ce qui va advenir de vous… Plusieurs choix s’offrent à moi. Je vous proposer de me donner votre avis ; à vous de faire pencher la balance en votre faveur. »

 

Il l’invita d’un geste à s’asseoir. Un coup d’œil en direction des flammes la dissuada d’accepter cette proposition. Hors de question de s’installer à même le sol, même si elle savait que jamais elle ne serait brûlée. Elle gardait, d’une certaine manière, sa raison.

Nüll sembla hausser des épaules, mais n’avait pas l’air plus dérangé que cela ; ça n’était pas lui qui se fatiguerait en restant debout. Même si, il fallait l’avouer, la fatigue n’avait plus tellement de sens là où elle se trouvait.

 

« Quels choix ? s’enquit-elle finalement, priant presque intérieurement pour que rien ne fît s’aggraver le sentiment d’inquiétude qui s’ancrait un peu plus en elle.

– Le premier est de laisser les choses telles qu’elles sont. Votre père a repris sa vie, il ignore que vous vous êtes sacrifiée pour lui rendre la sienne. Thomas ne vous a pas dénoncée à la police, et il aide à présent le Gardien ; il semblerait que ce dernier aspire à en faire son successeur. La vie a repris son cours, si je puis dire.

– Je vois. »

 

L’idée la rassurait, et en même temps, elle ressentait un pincement au cœur plutôt désagréable. Elle s’était pourtant jurée de ne pas regretter son choix final. Elle avait eu ce qu’elle voulait, après tout…

 

« Et les autres ?

– Je pourrais tout détruire, annihiler votre espèce et votre monde, faire en sorte que vous n’avez jamais existé. Remplacer les êtres humains par quelque chose d’autre, une autre espèce dominante douée de conscience qui, cette fois, ne songerait pas un instant à asservir les kwamis et les autres puissances divines pour leurs propres intérêts. Ce pourrait être très intéressant. »

 

Il devait être particulièrement exalté par cette idée, puisqu’il se mit à voltiger plus vivement, avec plus d’entrain. Il aimait, semblait-il, la destruction. Pour peu, il aurait pu rivaliser avec Plagg, se dit alors la jeune femme.

 

« Il doit bien y avoir un entre-deux, non ? fit-elle en fronçant les sourcils, mais en gardant un ton doux et étrangement calme, comme si cela ne l’affectait, finalement, pas plus que cela. Je suis sûre que les Hommes ont encore beaucoup de facettes intéressantes qui pourraient te divertir. C’est ce que tu cherches, non ? »

 

Il acquiesça. Les yeux continuaient de la fixer, se mouvant sur la tête comme si leur placement était totalement libre. Elle frissonna, bien qu’elle ne ressentît ni chaleur, ni fraîcheur, et bien qu’il n’y eût aucune brise non plus.

 

« Pensez-vous pouvoir m’apporter ce que je désire ?

– Je l’ignore. Mais ne penses-tu pas que les choses auraient pu en être autrement ? Je veux dire… »

 

Elle se mordit la lèvre inférieure, et détourna le regard un instant. Les tremblements de son corps s’accentuèrent ; elle tenta de les réprimer en inspirant profondément.

 

« Je regrette mes actes. À moitié. Mais je suis sûre qu’il aurait pu en être autrement. Si c’est si simple pour le kwami du Néant que d’effacer des pans entiers de l’histoire, peut-être pourrais-tu trouver ton bonheur en orientant les choses différemment ? Si, par exemple, Chat Noir n’avait pas été akumatisé ce jour-là… Les choses en auraient été totalement différentes.

– C’est bien vrai, fit Nüll en opinant du chef à nouveau, ses bras croisés sur son thorax. J’avais envie de voir ce qu’il adviendrait de vos petites vies.

– Peut-être que des choses intéressantes se produiraient alors. De ce que j’ai pu voir, le Papillon avait l’air drôlement acharné dans son combat. Il pourrait facilement surprendre un observateur silencieux. »

 

Le kwami leva la tête, et plongea une nouvelle fois ses trois iris glacés dans ses yeux. Elle frémit. Quelque chose lui déplaisait.

 

« J’ai pris ma décision, » dit-il enfin.

 

Il laissa durer le suspense, et planer le silence qui s’imposait dans le même temps.

 

« Vous aurez droit à une seconde chance. Voyez ça comme un geste amical de ma part. »

 

Nüll vola de nouveau, s’élançant un peu plus haut dans les airs, laissant dans son sillage une légère traînée argentée.

 

« Vous êtes bien trop intéressante pour que je vous garde captive ici. J’espère que vous saurez me ravir, et confirmer mon choix.

– Qu’est-ce que ça veut dire ? »

 

Un vent de panique la gagnait. Une sensation bizarre naissait en elle, quelque chose comme une flamme venait la dévorer de l’intérieur, littéralement. Elle sentait ses organes se déchirer, fondre sous la chaleur. Et pourtant, aucune douleur ne venait la plier en deux.

 

« C’est la vie qui vous rappelle. Embrassez-la, partez. Vous n’avez plus rien à faire ici. »

 

Ses paupières devenaient de plus en plus lourdes, et garder les yeux ouverts n’était plus qu’un douloureux effort vain. Avant que son esprit ne se perdît dans un flou mémoriel, une idée saugrenue la poussa à tenter de laisser une dernière trace de son passage, comme une gravure sur un coin de rocher qui disait « Valentine est venue là », une épitaphe qui, l’espérait-elle, survivrait longtemps. Elle concentra ses pensées sur le peu de choses qui l’avaient rendue heureuse à travers toute cette aventure. Son adoration pour son père, la chaleur des sentiments de Roarr, et Thomas.

Puis ce fut le noir complet.

 

 

Nüll contempla la silhouette disparaissant dans les flammes d’un blanc des plus purs qu’il n’avait jamais vus. L’âme avait affronté le « Purgatoire » avec brio. Quel dommage qu’elle ne pût se rendre au « Paradis » désormais.

Elle en garderait quelques bribes de souvenirs. Ce que les Hommes appelaient « déjà-vu » n’était qu’un fragment de son pouvoir. La capacité de réécrire l’univers, de surpasser l’écrasant passage du temps. La possibilité de transcender les univers pour les laisser coexister le temps d’un rêve.

La faculté de pouvoir se laisser succomber à la simple envie de recommencer à écrire la même histoire, de relancer la partie encore et encore, jusqu’à y trouver la fin tant désirée, celle qui lui laisserait ce goût plaisant en bouche, celui d’avoir accompli ce qu’il avait à faire, par pur plaisir du divertissement, de voir ces individus grouiller, s’aimer, se haïr, se réjouir et souffrir.

Nüll l’aimait par-dessus tout.

 

Il fit un signe de main à la silhouette qui disparut pleinement, rongée jusqu’à la dernière braise. S’il avait pu l’afficher, un large sourire de satisfaction aurait orné son visage.

 

*

 

Elle tapota nerveusement du pied, dissimulant à peine son impatience. Un coup d’œil bref lancé en direction de la montre au bracelet de cuir noué à son poignet lui indiqua qu’elle avait encore deux minutes d’avance sur l’heure du rendez-vous. Et regarder de nouveau les fines aiguilles dorées courir sur le cadran blanc ne les faisait pas accélérer, bien au contraire.

Devant elle, l’eau de la fontaine jaillissait ; lorsque sonnerait l’heure pile, les geysers se feraient encore plus beaux. La sculpture animale qui trônait en son centre serait bientôt au centre d’un merveilleux spectacle aquatique, où les gouttelettes formeraient de véritables spectres d’eau dans l’unique but de la sublimer un peu plus, avant de disparaître et de s’apaiser de nouveau.

Au-dessus de sa tête, collée sur la façade du bâtiment auquel elle était adossée, une vieille affiche aux couleurs un peu passées trônait, à demi déchirée, collée au mur. Ce devait être un poster pour un film quelconque, passablement intéressant, qui évoquait visiblement plus de la pornographie qu’une histoire prenante et à l’intrigue construite, au vu de la silhouette féminine inutilement dénudée représentée dessus.

Et elle, elle l’attendait, postée en-dessous de ce vieux poster. Serait-il à l’heure ? Elle l’espérait.

 

Sa main passa négligemment dans ses cheveux, les recoiffant rapidement avant qu’un coup de vent n’envoyât tout son travail en l’air. Elle se maudit de ne pas avoir pensé à prendre de quoi se les attacher ; un élastique ou une pince aurait fait le travail, mais évidemment elle avait tout laissé sur le rebord du meuble de la salle de bain dans sa précipitation.

Une mèche châtain lui tomba dans l’œil. Foutues boucles indomptables. Elle n’avait pas eu le temps de lisser tout ça avant de partir en cours ce matin. Tant pis. La prochaine fois, elle se lèverait plus tôt. Ou bien elle ferait en sorte de se coucher moins tard la veille.

 

Midi sonna. Les jets d’eau ondulèrent, formèrent de belles cascades, tournoyant pour le plus grand plaisir des yeux. Une brise fit voltiger quelques minuscules gouttes jusqu’à elle ; elle en sentit la fraîcheur sur son visage, et l’essuya d’un revers de manche. Elle observa pendant un instant leur ballet, captivée par le spectacle, avant que la sonnerie de notification de son téléphone, trois petites notes de musique, ne vînt la tirer hors de sa contemplation.

C’était un message qui venait de Thomas. Il lui demandait si elle était libre le soir-même – très certainement pour passer du temps ensemble. Un sourire aux lèvres, elle tapa sa réponse du bout des pouces sur l’écran tactile. Elle ne dirait non à sa compagnie pour rien au monde.

À peine eut-elle fini d’écrire sa réponse et de l’envoyer qu’un bruit de pas lui fit lever la tête, ayant attiré son attention. Elle reconnut sans mal la silhouette qui se rapprochait, et ses lèvres s’étirèrent un peu plus. Ses yeux, d’un bleu-vert éclatant, se plissèrent, pétillant de joie.

 

Elle avait l’impression de ne pas l’avoir vu depuis une éternité, bien qu’elle fût venue chez lui quelques jours auparavant. Un sentiment de manque profond l’habitait, pour être chassé par la joie de le retrouver, enfin.

Son téléphone glissa dans une poche de son sac en bandoulière. Elle fit quelques pas dans la direction du nouveau venu, avant de l’enlacer aussi fort qu’elle le pouvait, humant son parfum, profitant de l’instant.

 

« Ça faisait longtemps, murmura-t-elle, son menton posé sur l’épaule de l’homme.

– Deux jours, à peine, rit-il en retour. Pas de quoi appeler ça une éternité ! Je t’ai tant manqué ?

– Tu n’as même pas idée… »

 

Ils s’éloignèrent l’un de l’autre, mettant fin à leur étreinte, avant de commencer à marcher ensemble, longeant la fontaine qui s’était apaisée.

Valentine y plongea nonchalamment les doigts, comme lorsqu’elle était enfant. Elle ne put s’empêcher de rire, et sa voix se joignit à la sienne. Comme c’était agréable.

 

« Où tu veux déjeuner ? finit-il par demander.

– Là où tu voudras, sourit-elle en tournant son visage vers le sien. Tout me va.

– Prends tes responsabilités ! Agis en adulte, et choisi ! » gronda-t-il en riant, adoptant cet air faussement agacé qu’elle trouvait si amusant, même après tant d’années.

 

Elle secoua négativement la tête, et se contenta de passer sa main autour de son bras, s’y accrochant de la même manière que quand elle était petite, quand il la tenait dans ses bras, contre lui.

 

« À l’occasion, souffla-t-elle, il faudra que je te présente quelqu’un.

– Ne me dis pas que tu m’as trouvé un gendre. Non, pire, une bru ? C’est que c’est sérieux entre vous si tu veux faire les présentations ! »

 

La jeune femme partit dans un fou rire incontrôlable. Elle peinait à reprendre son souffle tant elle était secouée par cette remarque bien trop drôle, au ton si parfait. Cette étrange sensation ne la quittait pas, mais elle était plus qu’heureuse de le retrouver. Elle avait ce drôle de sentiment, l’idée d’avoir vécu de longues journées, voire même plusieurs semaines, au fond d’un gouffre obscur, seule avec ses pensées.

Une petite voix la hantait toujours, mais elle était incapable de savoir à qui elle appartenait. C’était probablement le fait de son imagination. Mais cela ne faisait en rien disparaître l’impression que son père avait disparu pendant ce qui lui avait paru être une éternité, sans savoir d’où cela lui venait. Sûrement un cauchemar qui revenait la hanter. Rien de bien méchant.

 

Lorsque sa respiration revint à la normale, elle essuya les larmes de rire qui perlaient aux coins de ses yeux, avant de murmurer, en se rapprochant un peu plus de lui.

 

« Tu m’as énormément manqué. Je t’aime, papa. »



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* 『ポルノ映画の看板の下で ずっと誰か待ってる女の子』


「ポルノ映画の看板の下で」- amazarashi

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