Sous l'affiche d'un film pornographique

Chapitre 2 : Chapitre II

4045 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/04/2021 21:52

Chapitre II



La jeune fille attend toujours quelqu'un,

sous l’affiche d'un film pornographique.

Même si elle porte en boucles d'oreilles ses souvenirs innocents,

ces jours atones ne feront rien d'autre que de l'abandonner. *

Sous l'affiche d'un film pornographique – amazarashi



Une semaine s'était écoulée depuis l'examen de compréhension écrite, et les élèves attendaient plus ou moins impatiemment leurs copies, sans comprendre ce qui pouvait prendre autant de temps dans la correction. Madame Bustier avait beau leur expliquer que la tâche revenait à son assistante, et que celle-ci était en convalescence, ils refusaient de prendre leur mal en patience.

De son côté, Marinette n'était pas mécontente que cela prît autant de temps. Elle sentait une mauvaise note arriver, et plus elle mettait de temps à lui parvenir et mieux elle se portait.

 

Étrangement, cette semaine avait été banale.

 

Cela faisait bien longtemps désormais que Marinette ne vivait plus une vie des plus ordinaires. Se battre parfois quotidiennement contre le Papillon en secret, bien qu'exposée médiatiquement aux yeux de tous, relevait parfois du surhumain tant c'était épuisant. Heureusement, elle avait Chat Noir sur qui compter, ainsi que parfois d'autres alliés. Il y avait Rena Rouge, au Miraculous du Renard, qui n'était autre qu'Alya, ainsi que Carapace, dont la véritable identité n'était autre que celle de Nino, une fois en possession du Miraculous de la Tortue. Elle leur prêtait de temps en temps, lorsque la situation devenait compliquée.

Il y avait bien aussi Queen Bee, alias Chloé Bourgeois, l'excentrique fille du maire de Paris. Celle sale peste se pensait supérieure aux autres, et croyait qu'Adrien lui revenait de droit, sous prétexte qu’ils se connaissaient depuis leur plus tendre enfance. Le Miraculous de l'Abeille était entré par pure malchance en sa possession, et tout le monde connaissait sa véritable identité, si bien que c'en était trop dangereux de le lui prêter.

 

Et malgré cette solide et efficace équipe, ils ne parvenaient à mettre la main sur le Papillon.

 

Pire encore. Il avait lui-même en sa possession plusieurs Miraculous. En plus de celui du Papillon, qui lui permettait de donner naissance à un héros en attribuant temporairement à sa cible des pouvoirs, il avait la possibilité de faire appel au Miraculous du Paon, en la personne de Mayura. Cette mystérieuse femme possédait le pouvoir de rendre matérielles les émotions des humains sous la forme d'une créature à demi consciente. Et comme pour les personnes manipulées par le Papillon, le seul moyen de mettre fin à ses agissements était de détruire l'objet habité par le maléfice. C'était si simple... et pourtant...

 

Elle désespérait.

 

Depuis ce qui s'était passé avec Chat Noir, ils ne s'étaient pas reparlés. Son moral était si miné qu'elle mettait de la distance avec ses amis. Même Adrien s'éloignait d'elle. Elle avait d'ailleurs remarqué que l'adolescent non plus n'était pas en forme ces temps-ci. Peut-être qu'en lui remontant le moral, elle-même se sentirait un peu mieux.

 

Elle soupira.

 

Affalée sur son bureau, elle laissait son crayon de papier aller et venir sur la feuille blanche qui se trouvait devant elle. L'inspiration lui manquait. Elle n'avait aucune idée pour ce maudit exposé, et aucune inspiration ne lui venait pour dessiner des modèles ou bien coudre de nouveaux vêtements. C'était le vide absolu.

 

« Marinette, ne te laisse pas abattre, lui souffla la voix fluette de son kwami. Il faut que tu parles à Chat Noir, que tu t'excuses. Et tout rentrera dans l'ordre !

– Tikki, je ne l'ai pas vu depuis. Et même si je le voulais, je lui dirais quoi ? "Pardon d'avoir été violente, j'ai eu vraiment peur de te mettre en danger ?" Il va rien croire. Il est tellement fou de moi, jamais il n'acceptera cette raison.

– Dans ce cas tu peux lui écrire une petite lettre, un petit poème ? Et le faire passer par Maître Fu ! Ce pourrait être un début.

– Je vais essayer... mais je t'avoue n'avoir aucune idée... »

 

Elle resta songeuse un instant. Que lui écrire ? Un poème ? Une lettre ? Il ne fallait pas que ce soit trop personnel, mais il fallait aussi qu'elle restât sincère. Elle tira une nouvelle feuille, et gribouilla quelques mots qui formèrent, au fil des ratures et des corrections, une lettre.

 

« Cher Chat Noir,

 

Je sais bien que tu aurais préféré que je te présente des excuses de vive voix. Tu as après tout toujours préféré le contact physique plutôt que de passer par des intermédiaires. Pardonne-moi de ne pas savoir quoi te dire lorsque tu es à mes côtés. »

 

« Ça ressemble presque à une lettre d'amour, grimaça Marinette en se relisant. Je vais renfoncer le couteau dans la plaie avec ça... »

 

 « Je regrette sincèrement ma réaction de l'autre jour. J'étais tout simplement terrifiée à l'idée de te mettre en danger en connaissant ton identité.

La moindre des choses serait de te révéler la mienne, mais je ne pense pas être prête à faire une telle chose, bien que je te fasse aveuglément confiance.

 

Si tu le veux bien, je souhaiterais te revoir. Ma seule condition est que toi comme moi portions nos costumes.

 

Transmets-moi ta réponse par Maître Fu.

 

Je l'attends avec hâte.

 

Ladybug »

 

« Eh bah ! Ça sort du fond du cœur !

– Je pense qu'il faut qu'on se revoie. À trop attendre la situation s'envenimera forcément. Il faut que je crève l'abcès. C'est de ma faute après tout, non ? »

 

La petite créature acquiesça doucement, un sourire dessiné sur ses lèvres. Elle s'en alla dans le tiroir du bureau de la brunette – elle était dotée d'un pouvoir d'intangibilité lui permettant de traverser à volonté les surfaces – et l'ouvrit de l'intérieur en tenant tant bien que mal entre ses pattes le set de correspondance de Marinette, l'incitant à réécrire au propre son courrier et à la transmettre au plus vite.

 

Une demi-heure plus tard, Marinette était dans les transports en commun afin de se rendre chez le dénommé Maître Fu, afin de lui transmettre le fameux courrier. Le vieillard lui ouvrit la porte de son petit appartement avec un grand sourire, heureux d'avoir de la visite.

Cet homme, dont le réel nom était Wang Fu, bien que Tikki et Marinette le surnommassent Maître Fu, était ce que l'on appelait un Gardien. C'était à lui que revenait la dure tâche de protéger les Miraculous dormants. Cependant, suite à une erreur de jeunesse dont seul lui avait connaissance des détails, et qui avait mené à la perte des Miraculous du Papillon et du Paon – désormais entre les mains de celui qui se faisait appeler Papillon à juste titre – il passait le plus clair de son temps à tenter de remettre la main dessus. Après la première apparition du Papillon, la seule solution qu'il avait trouvée fut de remettre à Marinette le Miraculous de la Coccinelle, et à Adrien celui du Chat Noir, bien que tous deux ignorassent la réelle identité de leur compagnon d'armes. Il arrivait que les deux adolescents vinssent lui rendre visite, en civil ou sous leur autre identité, pour maintes raisons.

Il était de petite taille et petite stature ; la vieillesse faisait rapetisser, et il en était la preuve du haut de ses cent quatre-vingt-six ans, bien que ce fût presque inhumain de vivre aussi vieux et en aussi bonne santé. Il ne faisait aucun doute qu'il fût d'origine chinoise, cela se voyait clairement sur son visage. Ses petits yeux en amande de couleur similaire à ce fruit sec brillaient d'une certaine malice que peu de personnes à l'âge avancé conservaient. Sa calvitie avait contraint ses cheveux argentés à fuir son front, tandis qu'une barbe van Dyke – à l'image du peintre flamand Anton van Dyck, qui se laissait pousser une barbiche ainsi que des moustaches – grisonnait paisiblement au bout de son menton. Jamais Marinette ne l'avait jamais vu porter d'autres vêtements que sa fidèle chemise rouge aux motifs hawaïens et son bermuda beige.

 

« Marinette ! Quel bon vent t'amène ? »

 

En quelques instants à peine, sitôt les salutations faites, Marinette se retrouva assise au sol, face à une table basse chinoise, une tasse de thé entre les mains.

 

« Je trouve ça très imprudent de la part de Chat Noir de révéler son identité aussi facilement. Je sais qu'avec toi, son secret est bien gardé, mais tout de même...

– Le danger que cela représente est beaucoup trop important. Déjà que je connais votre identité et votre adresse, je vous mets vous aussi en danger...

– Ne t'en fais pas, j'ai toujours un plan de secours au cas où les choses dégénèrent. Et donc ? As-tu revu Chat Noir depuis ? »

 

Le visage de la brunette rougit brusquement ; elle cacha sa gêne en sirotant une gorgée de thé brûlant.

 

« Justement, je venais vous voir pour ça... »

 

Tikki, qui était partie rendre visite à ses camarades enchâssés dans divers Miraculous, et que le Gardien conservait dans une boîte en forme de gramophone dont l'ouverture secrète était protégée par un code, sortit à ce moment-là de sa cachette pour répondre à la place de sa camarade.

 

« Elle souhaite laisser un message pour Chat Noir ! Est-ce que vous pourriez le contacter pour qu'il vienne vous voir afin que vous lui remettiez cette lettre ? »

 

Elle s'aventura dans le sac à main que portait Marinette en bandoulière pour en ressortir avec l'enveloppe délicatement fermée, qu'elle tendit fièrement au vieil homme.

 

« Je vois, sourit-il. Si ce n'est que ça, ça ne me pose aucun problème. Ça me fera de la visite, et il me tiendra un peu compagnie. Si tu veux je t'enverrai un message pour te dire quand je la lui aurai transmise. »

 

Le visage de Marinette s'illumina aussitôt, pour rapidement s'assombrir lorsqu'elle reçut un message de la part de son amie Alya ; celle-ci la prévenait de l'attaque d'un akumatisé – une personne possédée par un akuma du Papillon – qui avait lieu dans le quartier où elle vivait. S'inquiétant aussitôt pour ses parents, elle échangea un bref regard avec le Gardien. Elle ordonna à Tikki de la changer en son alter-ego, avant de sortir à toute vitesse par la porte d'entrée, et de s'élancer sur les toits.

 

 

« Pas possible... »

 

Assise à une table proche d'une vitre donnant sur la rue d'un café qu'elle affectionnait particulièrement, l'Anticafé, Valentine resta un instant abasourdie à la vue de Ladybug sortant d'une résidence quelconque. Elle qui était venue se détendre en tentant d'avancer sur sa correction de copies, elle ne se doutait pas qu'elle tomberait nez à nez – enfin, façon de parler – avec l'héroïne envers laquelle elle vouait une haine particulière. Voilà qu'elle apprenait quelque chose ; cette peste avait un quelconque lien avec cette maison. Elle esquissa un sourire, cela était plaisant, et même très plaisant, d'avoir une quelconque piste pouvant la mener à cette incapable.

 

Un rapide tour les réseaux sociaux lui apprit qu'une attaque avait lieu. Elle haussa les épaules. Une fois l'attaque finie, elle reviendrait sûrement chez elle – si toutefois c'était là qu'elle résidait – et elle n'aurait qu'à tenter de voir qui se cachait sous ce masque, si la chance était de son côté.

 

Un sourire satisfait aux lèvres, elle alla rapidement commander une boisson au comptoir, et reprit paisiblement la correction de ses copies, de la musique issue de la bande originale d'un vieux film étranger émanant des écouteurs qu'elle avait enfouis dans ses oreilles.

 

Lorsque, une heure et quelques plus tard, elle reçut une notification avertissant la fin de l'attaque et le sauvetage rendu possible grâce aux deux héros habituels, elle commença à guetter le moindre mouvement de l'autre côté du trottoir. Pourtant, après de longues minutes perdues à observer cette rue, elle ne vit aucune trace de Ladybug, ni même d'une personne en civil lui ressemblant.

Jusqu'à ce qu'elle vît Adrien Agreste sonner à la même porte que celle par laquelle Ladybug était sortie plus tôt. Elle vit un vieillard chinois lui ouvrir, et l'accueillir dans la maison. Étrange... Si ce n'était pas la demeure de Ladybug, alors qui vivait là-bas ? Et quel lien y avait-il entre Adrien et elle, et cet homme ? Les coïncidences étaient trop étranges pour n'être que de simples hasards.

De là d'où elle se trouvait, elle ne pouvait rien voir de ce qui se tramait là-bas. Et cela lui déplaisait. La question hantait son esprit. Quel lien entre Adrien et Ladybug peut-il bien y avoir ? Cela tournait en boucle dans sa tête, l'empêchant de penser à quoi que ce fût d'autre. Il fallait qu'elle trouvât en quoi cette maison, et cet homme qui devait en être le locataire, unissait ces deux personnages.

Peut-être pouvait-elle tenter de rencontrer elle aussi cet homme ? Mais comment faire ? Elle ignorait qui il était, elle avait juste vu à son apparence qu'il était d'origine asiatique. Pouvait-elle prétexter une étude de terrain pour les cours, qui nécessiterait de rencontrer des personnes inconnues ? C'était un peu gros, pouvait-elle réellement prétexter quelque chose de tel ?

Elle envoya un message à un « ami » ; bien que leur relation fût particulière, il était parfois de bon conseil. Elle espérait juste qu'il ne trouverait pas cela bizarre lui aussi.

 

« Salut. Dis-moi, tu vas peut-être trouver ça un peu chelou, mais j'ai besoin d'aborder un parfait inconnu. En gros, il a peut-être des infos qui m’intéressent, mais c'est un parfait inconnu. Comment je peux faire ?

– Ok, c'est grave chelou, mais bon. T'es où ? C'est dans la rue ou chez lui ?

– Je suis dans un bar, il habite à côté. Si je sonne chez lui et prétexte un entretien pour un cours random ça passe tu penses ?

– Du genre ? T'as des cours qui feraient que t'as besoin de parler à des inconnus ?

– Ok laisse je vais improviser. »

 

Elle posa durement le poing sur la table, frustrée de ne pas pouvoir trouver de solution satisfaisante. Alors qu'elle fulminait, un dernier message la tira de ses pensées.

 

« Ça te dit qu'on se voit ce soir ? »

 

Décidément, il ne perdait pas le nord celui-là. Elle lui répondit prestement, et retourna à sa réflexion, le regard posé sur cette porte d'entrée qu'elle rêvait de franchir.

 

La vue d'un passant tenant dans ses mains une boîte de pâtisseries digne des boulangeries lui donna une idée. Se faire passer pour une voisine venant d'emménager pouvait être une bonne idée. Un gâteau n'était pas cher payé pour des informations aussi cruciales pouvant la mener à Ladybug, et par extension, à sa vengeance.

Elle guetta l'instant où Adrien quitta la résidence pour commencer à rassembler ses affaires tranquillement, rangeant minutieusement ses copies dans son sac à dos. Elle se rendit au comptoir, où elle régla ses consommations et, une fois hors du café, elle se dirigea vers la boulangerie la plus proche, où elle acheta une tarte au citron meringuée, une valeur sûre. Un coup d’œil dans une vitre lui assura qu'elle était présentable – quoi qu'un peu fatiguée, vu les cernes qui berçaient ses yeux – avant qu'elle n'allât sonner à la porte de l'individu, non sans jeter un œil à la boîte aux lettres afin de connaître son nom.

 

Ce fut le même vieillard que celui qu'elle aperçut plus tôt qui lui ouvrit. Il parut étonné, et semblait être quelque peu sur la défensive. Valentine joua de son plus beau sourire pour lui inspirer confiance.

 

« Bonjour, je suis votre nouvelle voisine, j'ai emménagé il y a quelques jours dans l'appartement en face, au-dessus du café. Je m'appelle Caroline. Je voulais faire la connaissance de mes nouveaux voisins, c'est toujours un avantage de se connaître. »

 

Il réagit en affichant un petit sourire, quoi qu'un peu gêné. Cependant, il lui répondit d'un air aussi accueillant qu'il semblait pouvoir se permettre.

 

« Enchanté, je m'appelle Fu, Wang Fu.

– Oh, vous êtes d'origine chinoise ?

– Oui. Est-ce que je vous offre quelque chose à boire ?

– Ce serait bien trop gentil de votre part ! Je vous ai amené un petit gâteau. Je m'excuse, je ne sais pas très bien cuisiner, j'ai préféré en acheter un plutôt que de risquer de vous empoisonner accidentellement. »

 

Elle laissa s'échapper un petit rire afin de détendre l'atmosphère, ce qui réussit ; lui aussi esquissa un sourire. Bien, cela semblait fonctionner.

Il s'écarta quelque peu de la porte, lui donnant accès au couloir d'entrée. Il lui indiqua de se rendre dans son salon, qu'elle découvrit recouvert de tapis tressés. Il était vrai que les cultures asiatiques, telles que celle de Chine ou du Japon, faisaient usage de ces tapis en guise de sol. Elle ôta machinalement ses chaussures avant d'y mettre les pieds ; si ses cours de civilisation chinoise lui avaient appris de nombreux aspects du quotidien chinois, celui-ci était primordial. Son geste surprit quelque peu son hôte, mais il ne releva pas.

 

« Je suis désolé, c'est un peu le bazar, je n'ai pas l'habitude de recevoir des invités.

– Ne vous en faites pas, je comprends.

– Vous devez bien être la première de mes voisins à venir se présenter à ma porte. »

 

Elle étudia patiemment la pièce tandis que le vieillard apportait un service complet à thé ainsi que de quoi servir le gâteau avec lequel elle était venue.

Le style semblait authentiquement chinois. Le sol était ainsi tapissé de tatami, les murs étaient sobrement décorés, quasi nus, à l'exception d'un parchemin sur lequel un proverbe était inscrit en sinogrammes, dont la calligraphie était compliquée à déchiffrer, et le mobilier était très épuré. Il n'y avait que la table basse devant laquelle elle était assise – elle ignorait d'ailleurs qu'elle se trouvait au même endroit que celui où s'était tenue Marinette un peu plus tôt – et les petits coussins qui servaient de sièges, ainsi qu'une commode sur laquelle était posé un gramophone qui semblait avoir traversé les âges. Il n'y avait rien de plus qu'une plante verte placée sur un petit tabouret afin de ne pas abîmer les tapis.

 

« C'est une belle pièce que vous avez là. On se croirait au pays...

– Je vous remercie, répondit-il en apportant un plateau sur lequel il avait disposé une théière en fonte ainsi que deux tasses dans le même style.

– Ce proverbe inscrit sur ce parchemin... Il se lit bien "xiǎo dòng bù bǔ, dà dòng chī kǔ," n'est-ce pas ? Excusez mon accent, cela fait un moment que je n'ai pas sérieusement parlé chinois. »

 

Il la fixa avec stupéfaction. Il ne s'était pas attendu à ce qu'elle pût déchiffrer l'inscription ; lui-même avait parfois du mal à lire les calligraphies.

 

« "Un trou non raccommodé à temps ne deviendra que plus difficile à réparer," traduisit-il en versant du liquide chaud infusé aux herbes dans les tasses. Mais vous l'aviez sûrement déjà compris, non ?

– À vrai dire, j'ai beaucoup de mal à comprendre les tournures en si peu de mots. Mais cela me rappelle quelque chose... Ésope, dans L'Hirondelle et les Oiseaux, non ? "Quand on prévoit l'avenir, on échappe naturellement aux dangers." »

 

Il lui tendit chaleureusement sa tasse de thé, qu'elle accepta en tendant les deux mains devant elle. Elle remarqua à ce moment-là un bracelet peu commun qu'il portait autour du poignet ; une simple petite pierre hexagonale de couleur émeraude sur laquelle cinq pierres plus petites et plus claires pointaient vers une marque arrondie. De loin, ce bijou rattaché au poignet du vieux par une maigre ficelle noire lui évoqua une tortue. Peut-être avait-il bien des racines hawaïennes, tout du moins un grand attachement pour cette île et sa culture.

 

« Eh bien, c'est plaisant de savoir que je suis entouré de personnes cultivées ! Mais je préfère voir ce proverbe dans le sens d'il faut se dépêcher de corriger ses erreurs, ou cela empirera rapidement.

– Ce n'est pas très gai cette manière de penser. Vous avez des choses à vous reprocher ? »

 

Elle n'hésitait pas à exploiter les failles qu'elle trouvait. Pourtant, ce vieillard lui sembla plus futé qu'à première vue.

 

« Tout le monde a des remords et des regrets, non ? » fit-il en plissant les yeux et en souriant à pleines dents.

 

Il y eut un blanc entre eux. Il se contenta de couper le gâteau et de lui en servir une part.

 

« Que faites-vous dans la vie, Caroline ? Vous parlez très bien chinois, vous étudiez cette langue ?

– Je suis actuellement en recherche d'emploi. Et ce n'est pas grand-chose, j'ai appris le chinois quand j'étais au lycée. Ça remonte un peu maintenant... »

 

Mentir était devenu une habitude pour elle ; elle ne voulait pas que ce vieillard la retrouvât à l'avenir. Et s'il parlait d'elle à Ladybug ou bien à Adrien ? Elle sentait que cela pouvait se retourner contre elle si elle baissait sa garde. Peut-être se trompait-elle. Elle préférait ne pas prendre de risque.

 

« Je vois. »

 

Il jeta un œil derrière lui, en direction du gramophone. Valentine crut apercevoir quelque chose remuer à l'intérieur du dispositif d'amplification en forme de pavillon. Elle cligna des yeux à plusieurs reprises, mais parvint à la conclusion qu'elle avait eu une légère hallucination. Mais alors pourquoi avait-il soudainement observé son vieil appareil ? Quelque chose ne tournait pas rond.

 

« Avez-vous de la famille dans le coin ? risqua-t-elle après avoir enfourné un morceau de tarte au citron dans sa bouche, espérant que cela lui permît de comprendre son lien avec le fils Agreste.

– Non, et ce n'est pas plus mal. Je préfère la tranquillité d'une vie sans remous.

– Je vous comprends. »

 

Ils se posèrent mutuellement diverses questions, qui menèrent à des réponses plus ou moins conséquentes. Une heure passa, au cours de laquelle Valentine n'apprit que des banalités au sujet de ce vieillard. Et ce gramophone l'intriguait toujours autant, sans qu'elle ne pût tirer la moindre information à son sujet.

 

Lorsqu'elle prit congé, prétextant avoir une course à faire, elle le remercia longuement, toujours avec le sourire. Il la salua longuement alors qu'elle prenait la route de la supérette du coin qu'elle avait repérée avec le temps à force de prendre cette rue pour se rendre au café.

 

Bien. Elle avait un début de piste.

 

Elle sentait que cet homme lui cachait quelque chose – ce qui était logique étant donné qu'elle était une parfaite inconnue – et elle voulait creuser cette découverte. Elle n'aurait pas d'autre choix que de continuer à observer sa résidence et à guetter le moment où Ladybug, ou encore Adrien, en passerait le seuil.

 

Une fois dans les transports en communs, elle enfonça ses écouteurs dans ses oreilles, et sortit son téléphone afin de lancer une playlist. Ce fut en déverrouillant son écran qu'elle remarqua la dizaine de messages non lus qu'elle avait reçus, tous de la part de la même personne. Elle sourit légèrement. Parfois, il pouvait être attentionné.

 

« Je t'invite à boire un verre. RDV à 18h30 au Dickens. Tu n'as pas d'excuse, je veux connaître la suite de ton histoire ! »



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* 『ポルノ映画の看板の下で ずっと誰か待ってる女の子

ふざけた思い出を ピアスにして飾っても

無表情な日々は 立ち去るばかり』


「ポルノ映画の看板の下で」 - amazarashi

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