Miyuki ( d'Après le manga de Mitsuru Adachi, 1980)

Chapitre 25 : Au pied du mur

4106 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 02:06

- Pardonne-moi Miyuki-chan !

 

 

Immédiatement je lui ais sorti ces mots tandis qu’elle me regardait suffoquer d’un œil perplexe. Eprouvé par ma course, je me suis lourdement laissé tomber sur la chaise qui m’attendait. Le serveur est arrivé à ce moment là. Sans perdre de temps, il m’a demandé ce que j’allais consommer. Dans la précipitation, j’ai réclamé un café.

 

 

-Est-ce que çà va ?

 

-Oui…j’ai couru. Je suis vraiment désolé Miyuki-chan, j’avais complètement oublié l’heure !

 

-C’est ce que je me suis dit oui.

 

Elle n’avait pas l’air de m’en vouloir. Dans le fond, je ne savais pas si je devais m’en réjouir. J’avais peine à retrouver mon souffle.

 

-Tu es sûr que tout va bien ? m’a-t-elle demandé avec une réelle inquiétude.

 

-Oui oui, je t’assure ! J’étais juste distrait ! Tu me connais, une vraie passoire…

 

-Oui, je te connais. Mieux que beaucoup de personnes. Tu es quelqu’un de maladroit et d’étourdi, je le sais mais…Depuis que nous sommes ensemble, quelque soit le jour, jamais çà ne t’ais arrivé de manquer un rendez-vous.

 

-C’est vrai, je le regrette…Vraiment.

 

Je me suis excusé cent fois sans toutefois lui expliquer la raison de cet oubli. Comment le pouvais-je ? Et quelle utilité sinon lui donner des idées ? Je me disais que j’avais vraiment assez de soucis comme çà.

J’y repensais autant de fois que le mot « pardon » sortait de ma bouche : Je pensais que ce n’était qu’une blague.

 

 

Pour prolonger la soirée, nous avons un peu marché à la lumière de la lune. La nuit était calme et claire ; une occasion que les amoureux saisissent pour se lancer de doux regards, s’enlacer étroitement sur un petit banc et rêver d’avenir. Mais on ne se regardait pas, on ne s’embrassait pas. Nos mains seules étaient liées, mais je sentais une transpiration sur ses doigts qui ne lui était pas naturelle. Le plus étrange, c’est que je lui renvoyais cette nervosité. Je ne me sentais pas dans mon assiette, agité, comme si quelqu’un nous épiait derrière un mur dans l’intention de nous poursuivre.

 

Brusquement, j’ai serré la main de Miyuki-chan et je l’ai entraîné dans une marche rapide, presque une course.

 

«  Mais…Mais qu’est ce que tu fais ? Masato-kun ! »

 

Elle avait peine à me suivre et bien évidemment, elle ne comprenait rien. Je ne prenais pas non plus la peine de lui expliquer, ce que je n’aurais d’ailleurs pas pu faire. Je parcourais le quartier sans réfléchir où j’allais, sans réfléchir où je l’emmenais. On pouvait croire qu’une mouche m’avait piqué.

 

-Masato-kun ! S’il te plait, arrête-toi ! Masato-kun !

 

 

      Seulement à ce moment là, j’ai pu entendre sa voix. Seulement à ce moment là je me suis arrêté. Enfin j’étais désolé. Nous n’étions plus capables d’avancer.

 

 

-Mais…Mais qu’est ce qui te prend ?  Tu m’as vraiment fait peur !

 

 

J’ai tourné le dos au mur de pierre qui me faisait face et là, je l’ais regardé intensément.

 

-Miyuki-chan, c’est une impasse…

 

 

 

 

 

Les jours suivants ont été pour moi un calvaire. Pas un jour où l’envie de dormir me prenait, pas une fois où la pensée du mariage ne me laissait en paix. Miyuki avait finalement accepté la demande de Yuichi. Ce fut sans surprise. Tout le monde s’y préparait, se languissait de cette décision. Anna et papa rayonnaient de bonheur tandis que moi, j’affichais un visage heureux mais intérieurement, aussi horrible que çà puisse paraître, je n’en éprouvais aucune joie. Je devais feindre jubilation et sérénité durant chaque dîner, chaque instant où l’on accueillait mon meilleur ami à la maison, jusqu’à ce qu’on se décide à parler de la robe, des invités et des préparatifs.

 

N’ayant pas d’autre famille que nous deux, Miyuki tenait à inviter tous les amis qui lui étaient chers. Dieu sait qu’il y en avait. Je peux le dire, c’est moi qui me suis proposé de faire les cartons d’invitation. Je ne prenais peut-être pas de réel plaisir à l’évènement, mais je voulais imposer ma présence et participer ; montrer que dans tout çà je n’étais pas qu’un simple camarade de la future épouse, mais son frère aîné.

 

En écrivant le nom de chaque ami, chaque proche sur les petits cartons bleus, je me les imaginais tous assis à une place étiquetée, savourer le poisson et lever leur verre à la santé de l’heureux couple. Je me voyais au milieu de ces gens, bien entouré mais pourtant si loin, comme toujours à ruminer de sombres pensées, le cœur serré par ce sentiment que j’ai déjà éprouvé par deux fois, celui de perdre l’amour et la présence d’un être cher.

 

 

Pourquoi tout va si vite ? Je n’aime pas çà…

 

 

Pour ajouter au malaise, devinez qui a refait surface pile à cette période ? Masaki Ryuichi, bien sûr ! Les choses n’étaient pas assez compliquées, fallait qu’on en rajoute. Depuis un an et demi, il avait déserté les lieux pour aller dans sa propre université y continuer ses études. Mais un cancre reste un cancre et nous avions souvent appris par sa mère qu’il n’était pas brillant et que ma sœur lui manquait. Sûrement, après avoir reçu le carton d’invitation de Miyuki à la cérémonie, il avait vu rouge et venait dans l’intention de me réduire en miettes avec la seule idée de contester cette union par pure jalousie. Nos –tant regrettées- retrouvailles se déroulèrent au café Dragon. Une confrontation avec lui que j’avais bien l’intention de dominer, cette fois.

 

 

-C’est vraiment dingue ! Elle est pas drôle cette blague franchement ! S’est t-il emballé.

 

-J’aurais préféré que c’en soit une. T’inviter au mariage de ma sœur, rien que l’idée me fait mal. J’ai eu toutes les peines du monde à écrire ton prénom sans faire un trou dans le papier.

 

-Ce n’est pas possible ! C’est une machination ! Ce mec la manipule !

 

-Ce « mec » comme tu dis, est déjà bien plus droit, bien plus honnête et bien plus fréquentable que toi.

 

-Y a un truc ! Jamais Miyuki-chan ne pourrait vraiment craquer pour un type comme çà !

 

-Tu crois peut-être que c’est toi son genre ?

 

-Elle t’a dit une fois que je lui plaisais !

 

-Ca remonte à votre première rencontre. L’eau a coulé sous les ponts depuis. Dieu soit loué, elle a cherché ailleurs.

 

Comme autrefois, Ryuichi m’a saisi par le col de ma chemise en me lançant ce regard qui a force de l’avoir croisé, ne m’intimidait plus.

 

-Bon sang mais fais quelque chose ! Tu es son frère ! Si j’étais à ta place, jamais je ne l’autoriserais à épouser le premier venu !

 

Je me suis brutalement dégagé de son emprise. Mes yeux lui lançaient des éclairs lorsque j’ai protesté :

 

-Que veux-tu que j’y fasse ?! Je suis son frère et alors ? Elle fait ce qu’elle veut, çà ne me donne pas le droit de décider de sa vie !

 

-Dans notre pays, le frère a son mot à dire quant à l’éducation de sa sœur comme pour son mariage. Si tu n’es jamais capable de lui dire quoi que se soit, tu ne lui sers à rien. Tu ne joue aucun rôle ! Je pensais que tu réagirais plus que çà. Toi qui a toujours eu l’air d’un frérot-poule, je me disais que tu allais farouchement t’y opposer. Mais non ! Tu restes là les bras ballants à écrire les noms de ceux qui devront la regarder bécoter ce gars devant l’autel ! Tu me dégoûtes à agir aussi hypocritement ! Ca te convient vraiment ?

 

-Parfaitement ! Yuichi est mon meilleur ami et c’est un garçon bien ! Je lui donnerais mille fois la permission d’épouser ma sœur plutôt qu’elle ne finisse entre tes mains !

 

-Moi mis à part, çà te rend vraiment heureux de la laisser se marier ? Et par là je veux dire, vivre avec ce mec et te quitter ?

 

-Même si çà ne me plaisait pas, je ne pourrais rien y faire. Il fallait s’y attendre, nous savions que nous ne sommes pas destinés à vivre ensemble.

 

-Je ne pensais pas que c’était possible d’être aussi faux jeton mais tu m’épates, tu as réussi ! Moi je sais bien que çà te crève de voir çà. Tu le caches, mais je sais que sans difficultés, tu peux être égoïste. Jamais tu n’accepteras vraiment que ta sœur ne sorte avec un autre garçon que toi !

 

-Quoi ?

 

-T’as bien entendu ! Tu joues le mec compréhensif sachant rester à sa place et garder ses distances, mais tu n’as jamais pu t’empêcher de la fliquer. Tu n’acceptes pas qu’elle soit entourée d’une autre présence masculine que la tienne. Par moment, je trouvais çà même assez malsain... Je me sentais con parfois à te considérer comme un rival. Je comprends qu’aujourd’hui, ton acceptation n’est qu’un prétexte pour mieux cacher tes sentiments. Tu n’étais déjà pas très haut dans mon estime, mais à descendre aussi bas, tu ne m’inspires rien d’autre que de la pitié !

 

-LA FERME ! LA FERME !

 

 

    Aussi incroyable que cela pouvait le paraître, c’était moi cette fois qui tenait fermement Ryuichi par son tee-shirt. Ce dernier ne put cacher sa stupéfaction sachant que jusque là, jamais je ne m’étais risqué à lui porter la main dessus. Tout simplement, j’étais fou de rage en réalisant que ce crétin avait aussi la faculté de comprendre. Après Kosaka, il fallait que ce soit lui qui s’amuse à percer mes émotions. Je ne lui demandais rien pourtant, juste qu’il se mêle de ses oignons, qu’il se taille ; là d’où jamais il n’aurait du revenir.

 

Ryuichi ne s’est pas aussi facilement dégagé de ma poigne. Jamais la colère ne m’avait apporté une telle force, une résistance assez grande pour laisser la brute des brutes sans voix quelques instants. Lorsqu’il serra mon bras à m’en couper la circulation du sang pour se libérer, il reprit sa place de vrai dur en me lançant un regard brillant de menace.

 

-Il faut toujours te pousser à bout pour que tu réagisses enfin, soupira t-il d’un air las, tu n’es qu’un pauvre type. Aucun amour propre et aucune valeur. Durant ces quatre années, tu n’as fait que vieillir sans rien changer à ton caractère. Mais c’est bien, continue. C’est comme çà que je te déteste.

 

 Avec une réelle violence, il tapa du poing sur la table tout en renversant sa tasse de café et la mienne. Sa mère qui jusque là ne souhaitait pas intervenir dans notre prise de bec s’est finalement décidé à réprimander son fils, ne cessant de lui répéter qu’il paierait le prix de la casse. Il ne lui accorda aucun regard.

 

-Si ce n’était pas ma sœur qui avait insisté pour que tu sois là, dis-je avec froideur, je me serais fait un plaisir de te laisser te faire oublier. Il te faudra venir à l’heure. Fais le pour elle, moi je m’en fiche.

 

Ryuichi sortit le carton bleu d’invitation qu’il avait reçu par courrier. Il souffla avec mépris en le parcourant des yeux.

 

 

-Ce n’est qu’une énorme blague. Puisque tu es incapable de te remuer, c’est moi qui parlerai à Miyuki-chan. Elle ne pourra que se rendre compte de l’erreur qu’elle est en train de commettre.

 

-Va-y, elle se fera une joie de t’envoyer balader ! ais-je crié en quittant les lieux, sans me rendre compte que je n’avais pas payé l’addition…

 

      Ma prévision s’avérait être juste. Le jour même où il était venu discuter avec Miyuki, celle-ci s’emporta au bout de cinq minutes de conversation et lui comme moi, avait peine à la reconnaître.

 

 

-Maintenant çà suffit Ryuichi ! Depuis le temps, j’avais pensé que tu aurais renoncé mais je commence vraiment à te trouver lourd de t’accrocher comme çà ! Si tu n’acceptes pas mes choix, si tu ne les respectes pas, non seulement je refuserai que tu viennes à la cérémonie mais en plus on ne sera plus amis ! Tu choisis, te contenter du peu que tu as ou tout perdre, libre à toi maintenant !

 

Peu après avoir lâché ses paroles on ne peut plus crues, elle le mit à la porte sans écouter un seul instant les plaintes que le malheureux idiot tentait d’exprimer.

 

J’ai regardé ma sœur et j’ai souri : « Pourquoi tu n’as pas fait çà plus tôt ? »

La réponse était que comme moi, Ryuichi l’avait poussé jusqu’à ses limites.

 

 

Pas besoin d’être futé pour comprendre que Miyuki se sentait nerveuse. Nous avions tous un peu les nerfs à fleur de peau, chose normale à mon avis. Mon père n’en était que plus insupportable. Il s’excitait comme une puce à chaque coup de téléphone que lui adressait un ami. La communication durait des heures, temps bien trop court pour raconter à chaque collègue toute notre vie mais largement suffisant pour faire exploser la facture…

 

Je me disais en le voyant tout gaga : Qu’est ce que ce sera lorsque l’un de nous sera parent…

     

 

Il était impératif que tout soit réfléchi et préparé bien à l’avance. Une cérémonie de mariage ratée ne se rattrape pas et c’est avec cette sage pensée en tête que chacun mettait la main à la pâte. Papa utilisa de vieilles économies qu’il gardait au cas où l’on venait à rencontrer des difficultés - pour çà, il aurait fallu que la banque coule avec son capital tout entier…- et Anna acheta tout un tas de manuels sur la cuisine traditionnellement servie durant l’évènement. Elle s’occupait également de rassembler toute la vaisselle et les nappes nécessaires, vigoureusement aidée par la mère de Yuichi qui avait l’expérience du mariage, ayant déjà assisté par deux fois de proches connaissances. Des amis de son fils m’ont été présenté ; tous de grands et gentils gaillards, la façon dont ils lui ressemblaient était troublante. Je reconnus parmi eux quelques uns de ses coéquipiers au football. Tous s’étaient engagés à nous apporter leur aide. Tout partait bien, très bien…

 

Un soir où je restais enfermé dans ma chambre, je m’acharnais à écrire, réécrire le discours que j’allais prononcer devant tous les témoins en temps que frère de la mariée. Je ne sais pourquoi, je m’abrutissais dessus. J’y mettais une volonté de fer rare et je déchirais pour la huitième fois ma feuille de papier. Autour de moi sur la moquette, les boulettes commençaient à s’entasser. Une rédaction demandée pour les cours m’aurait apporté moins d’embarras. Je n’ais jamais été très doué pour m’exprimer à l’oral, mais à l’écrit c’était encore pire. A l’intérieur de ma tête, mes neurones brûlaient et je me sentais chaud, suant comme si je sortais d’un sauna.

 

Yuichi qui séjournait chez nous pour le week end à ce moment là entra sans frapper, ce qu’il n’avait pourtant jamais coutume d’oublier.

 

-Tu es encore là-dessus ? Dit-il avec effarement tandis que je me refusais à interrompre ma concentration.

 

-Oui, je veux que tout soit parfait. J’aurais l’air de quoi si je prononçais des phrases mal construites où si je balbutiais en plein discours ?

 

-Tu n’as qu’à dire ce qui te passe par la tête, tout naturellement. Plus c’est spontané, plus çà fait son effet en général. Enfin, c’est mon avis.

 

       Il fallait reconnaître que je me faisais bien trop de mal avec ce texte. Le plus simple aurait été de reconnaître qu’il avait raison, mais je me bornai à répéter :

 

-Je veux que tout soit parfait.

 

       Il n’ajouta rien pendant quelques instants jusqu’à ce qu’intrigué par son silence, je me décide à lever le regard vers lui. Je vis à cet instant précis que quelque chose le contrariait.

 

-Est-ce que çà va ? lui ais-je demandé.

 

-Moi oui, mais pas tout le monde.

 

-Ah ? Pourquoi ?

 

-Ta sœur a pleuré hier soir.

 

-Ah bon ? Mais pourquoi ? Tu le sais ?

 

La nouvelle m’a étonné. Miyuki n’était pas le genre à pleurer si facilement. Elle devait avoir un bon motif et pour une fois, je délaissais complètement mon texte.

 

-Vous vous êtes disputés ?

 

-Non, pas du tout ! m’assura vivement Yuichi. Elle était dans sa chambre en train de se brosser les cheveux quand je lui ais un peu parlé. Elle me semblait déjà triste quand je suis entré mais lorsque je l’ais enlacé pour la consoler, j’ai vu qu’elle pleurait.

 

-Elle est probablement stressée à cause du mariage.

 

- Oui peut-être…

 

Je disais çà mais je n’en savais vraiment rien. Ma sœur comme tout le monde avait ses secrets.

 

Yuichi n’est pas resté longtemps après ces aveux.

 

-Ne te prends pas trop la tête avec ce fichu discours, m’a-t-il dit avant de se retirer sur un « bonne nuit » un peu amer.

 

 

Vers 22h30, mes yeux se fermaient et j’entrai alors dans une somnolence profonde due à l’immense effort qu'il m'avait fallu produire pour rédiger deux paragraphes dans un langage soutenu. Je ne pouvais lutter, j’étais comme cloué sur mon lit.

 

      Je ne sais combien de temps plus tard, je sentis la chaleur d’une main se poser délicatement sur la mienne. Çà ne dura que quelques minutes avant que j’ouvre les yeux, trop tard pour apercevoir davantage que le pan d’une robe dépasser de la porte avant de se refermer.

 

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