Deux ombres

Chapitre 1 : Le banquet

4026 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 20/07/2021 20:32

Chapitre I — Le banquet


_



Le temps était glacial.

Le ciel couvert était voilé de nuances de gris là où d’ordinaire triomphait un sublime azur.

Chaque être qui respirait voyait s’élever une volute de fumée blanche de ses narines, lèvres, babines, ou tout autre dénomination de l’orifice duquel s’échappait l’air expiré.

Avancer devenait rapidement pénible dès lors qu’il fallait traverser des hautes nappes de neige poudreuse et éviter les plaques de verglas qui s’amusaient à faire chuter les imprudents.

Les nez étaient rougis, les doigts engourdis ; les yeux pleuraient lorsqu’une bourrasque gelée frappait les visages.

Quelques chanceux pouvaient rester à proximité des torches et autres sources de chaleur – la forge, la cantine, le vaporium en étaient trois parmi tant d’autres – tandis que les autres se frottaient vigoureusement les mains dans une vaine tentative de les réchauffer.

Dans l’effervescence, certains sifflaient un air en canon, les sopranos menant la danse, suivis par les ténors et les basses. Tous n’étaient pas toujours justes dans leurs notes, mais le rythme entraînant les aidait à oublier – n’était-ce que temporairement – le froid.

Un banquet se préparait. Ce soir-là, on célébrait l’Étoile de Saphir, ce chasseur ayant courageusement combattu ce monstre surnommé « la vouivre immortelle », le shara ishvalda, mettant un terme aux dérèglements des écosystèmes du Nouveau Monde.

 

Seliana débordait de joie, cela ne faisait aucun doute. La nouvelle ville – si l’on pouvait la qualifier ainsi – n’avait jamais connu de telle agitation en ses quelques mois d’existence.

 

Dylis remonta quelque peu le col de son manteau. Elle observa avec détachement ses camarades affairés, et se dirigea d’un pas pressé vers les quartiers communs. Elle préférait la tranquillité de sa chambre à cette activité bouillonnante. Le froid de Seliana ne l’avait jamais dérangée, bien au contraire, et ce peu importaient les températures incroyablement basses et les engelures qui les accompagnaient.

Elle secoua ses vêtements recouverts d’une fine couche de neige, et pénétra dans l’immense bâtiment.

Une bouffée de chaleur, en provenance de l’âtre, vint la frapper au visage, et la différence de température la sortit brusquement de sa torpeur. Ici aussi l’effervescence était présente ; quelques-uns de ses compagnons de la Cinquième Flotte s’agitaient. Certains se demandaient quelle tenue ils allaient revêtir pour la célébration – ne soyez pas idiots, vous porterez la tenue habituelle que vous mettez lorsque vous n’allez pas en expédition – et d’autres commençaient déjà à préparer leurs corps pour l’ivresse qui s’annonçait. Elle vit d’ailleurs une chasseuse engloutir une chope dérobée, alors qu’il restait encore tant à faire. Un des compagnons felyns la vit, mais ne pipa mot lorsqu’elle lui tendit une petite gourde dans laquelle il trouva sûrement à son tour quelques gorgées de boisson.

 

Se faisant la plus discrète possible, Dylis longea les murs et rejoignit les chambres. Le bâtiment semblait immense, et ce n’était pas complètement faux ; lorsque l’expédition avait mené les hommes sur ces terres, il avait fallu prévoir un quartier général pouvant accueillir une bonne centaine d’hommes, et presque autant de felyns. Bien que ces petites créatures bipèdes fussent plus petites – au moins de moitié – qu’un homme adulte, il leur fallait à elles aussi un véritable nid douillet. Après tout, c’était une espèce particulièrement capricieuse lorsqu’on parlait de repos.

Dylis, elle, n’en avait jamais eu pour compagnon. Pas besoin de palico, lorsqu’on ne partait pas à la chasse. Elle aimait beaucoup la compagnie de ces chats, et adorait les entendre ronronner lorsqu’elle passait ses doigts sur leur fourrure, mais aucun d’entre eux ne désirait vouer sa vie aux plantes. Ils préféraient construire, cuisiner, ou chasser, pour la plupart.

 

Et à vrai dire, la solitude lui plaisait.

 

Elle était arrivée dans le Nouveau Monde avec le reste de la Cinquième Flotte. Elle ne connaissait pas grand-monde parmi les chasseurs, mais faisait équipe avec les biologistes d’Astera lorsqu’elle s’y trouvait encore, ce qui lui convenait amplement. Sa famille, restée dans l’Ancien Monde, s’était spécialisée dans l’agriculture, mais sa mère, autrefois médecin, lui avait appris tout ce qu’il y avait à savoir sur les plantes, des plus bénéfiques pour la santé aux plus néfastes. Elle savait se débrouiller sur la plupart des domaines ; poisons, onguents, soins aux blessés, il n’y avait rien qu’elle ne sût pas faire, mais rien qu’elle sût parfaitement faire non plus.

Ce n’avait pas été son choix que de prendre part à cette expédition. On l’y avait un peu poussée, en disant que cela ferait honneur à la famille, que leur nom serait connu, et que cela avait été le rêve de feu son grand-père, qui aurait pu prendre part à la première vague d’explorateurs s’il ne s’était pas malencontreusement fait dévorer sa jambe par un monstre lors d’une chasse. Le jour du départ du bateau, ses parents n’avaient même pas daigné lui dire au revoir ; apparemment il y avait eu un incident à la ferme, et ils avaient été contraints d’y rester. Tant pis, s’était-elle dit, elle n’avait pas vraiment désiré d’adieux déchirants qui finissaient en larmes non plus.

 

Et à présent, elle faisait partie de l’équipe de médecins et guérisseurs ; il y avait aussi bien des Humains que des Wyvériens, mais ces derniers gardaient souvent leurs distances, bien trop gênés par la courte espérance de vie de leurs camarades. Il était vrai que lorsqu’on pouvait vivre quelques centenaires sans trop en souffrir, il devenait rapidement embarrassant de voir ses collègues vieillir de plus en plus vite.

Pour elle, au contraire, c’était de les savoir immortels en comparaison de son espèce qui la gênait. Mais elle faisait avec. Il fallait se concentrer sur le travail. Avec le déchaînement des dragons anciens à cause de la vouivre immortelle, les blessures s’étaient rapidement accumulées, et il avait fallu incinérer quelques valeureux combattants tombés lors d’une traque bien trop périlleuse.

Et tout cela était fini grâce à lui. Le fameux, le seul, l’unique, l’Étoile de Saphir. Elle grommela. C’était comme si un culte lui était voué. Cet homme était sorti de nulle part et avait gravi les échelons comme nul autre, à croire qu’il était surhumain. Il était déjà tombé au combat, puisque Dylis l’avait aperçu dans l’aile médicale des baraquements à quelques occasions, mais il s’était toujours remis et ne gardait de séquelles que les cicatrices qui marquaient sa peau. C’était d’ailleurs étonnant, il était à la fois respecté et détesté par ses camarades, à la fois admirateurs et envieux de son succès. Dylis, quant à elle, n’avait aucune opinion à son égard. Il faisait son travail, et elle aussi. Moins elle ils se voyaient et mieux ils se portaient.

 

Elle atteignit enfin les chambres. Les occupants étaient six par pièce, et les meubles étaient assez pauvres : un lit et un coffre, rien de plus. Les chasseurs avaient aussi droit à un support sur lequel ranger leur armure ainsi que leurs armes. Mais elle, pauvre guérisseuse de son état, n’avait que ce misérable coffre où étaient rangés avec le plus grand soin ses vêtements. Ses ingrédients étaient soit entreposés dans sa sacoche, soit dans un autre coffre de l’aile médicale.

 

Il lui restait quelques heures à perdre en attendant le début de la fête. Par chance aucun de ses colocataires ne reviendrait là avant la fin des festivités, aussi se permit-elle de s’étendre sur sa couche, et de fermer les yeux. Une petite sieste lui était bien méritée, avec ce froid qui lui avait gelé les os. Elle plongea son visage dans l’oreiller à la senteur de lavande, et ferma les yeux.

 

Lorsqu'elle rouvrit les yeux environ une heure plus tard, quelqu'un se trouvait dans la pièce et semblait fouiller, à la recherche de quelque chose.

Ses yeux à demi clos et son esprit encore embrumé, elle eut un peu de mal à la reconnaître ; cela lui parut comme une évidence lorsqu'elle vit qu'il s'agissait de Sadie, l'une de ses colocataires, assistante d'un chasseur de la Cinquième.

 

« Excuse-moi, Dylis, souffla-t-elle, je ne voulais pas te réveiller.

– Ça devait arriver de toute façon. Avec le bruit dehors, je n'aurais pas dormi encore bien longtemps.

– Puisque tu es là... Tu veux bien m'aider à choisir ? »

 

La jeune femme acquiesça, bien que le cœur n'y fût pas.

Ce n'était pas qu'elle n'aimait pas cette femme. C'était juste... qu'elle n'aimait pas cette situation.

 

« J'hésite entre cette tenue-là... et celle-ci. Et je ne sais pas comment me coiffer, ni si je devrais me mettre un peu de poudre... Ou sinon je pourrais mettre ces vêtements...

– La première ira très bien, sourit-elle. Crois-moi. Tu n'as pas besoin de te dévêtir pour lui plaire.

– Et mes cheveux ? Si je les lâche, ça cachera mon visage... Un chignon, peut-être ?

– Lâchés, ça ira très bien. Tiens, attends. »

 

Dylis se leva difficilement et avança en titubant jusqu'à sa camarade, saisissant au passage dans son coffre une pince à cheveux qu'elle vint accrocher au niveau de la tempe de son amie, retenant une mèche brune de ce fait.

 

« Tiens, regarde-toi, ajouta-t-elle en lui tendant son miroir de poche. Tu vois ? Tu as à la fois les avantages des cheveux détachés et ceux des cheveux attachés. Deux en un. »

 

Elle la remercia chaudement, retenant quelques gémissements ravis, et se dépêcha de troquer ses vêtements contre une tenue plus festive. Dylis détourna le regard, avant de se remettre sur son lit. Elle aussi devait peut-être commencer à se préparer...

 

« Apparemment tout le monde est convié, l'informa-t-elle en boutonnant son haut. Même ceux restés à Astera. Il paraît que même le Miaousse Cuistot est venu pour aider à la préparation du dîner.

– Tout ça pour un simple chasseur ? C'est dingue.

– Ne parle pas de lui comme ça ! Il nous a sauvés en affrontant ce monstre.

– N'importe qui aurait pu.

– Il faut toujours que tu sois médisante. Arrête d'être jalouse un peu.

– Tu n'es pas jalouse que ce ne soit pas ton chasseur qui l'a abattu ? »

 

Silence. Elle avait fait mouche.

 

« Áedán n'est peut-être pas aussi bon que l’Étoile de Saphir, mais il a son charme, se défendit la brunette, qui fulminait. Et je compte bien le lui faire comprendre ce soir...

– Alors comme ça c'est vraiment le grand soir... »

 

Dylis resta songeuse.

 

« J'espère pour toi que ça ira. Mais il n'y a aucune raison pour que ça se passe mal. »

 

Elle afficha un large sourire, qui se dissipa dès lors que sa colocataire avait quitté les lieux. Elle retourna à la monotonie.

 

Il fallait bien se préparer. Elle n'avait pas le cœur à rejoindre cette fête, mais son absence serait vite remarquée si elle ne s’y présentait pas. Et elle avait bien envie de déguster de bons aliments et de bonnes boissons. Cela serait une excellente occasion pour passer du bon temps avec ses camarades, avant que la routine ne reprît le dessus sur leur quotidien d'explorateurs du Nouveau Monde. Mais qu'y avait-il encore à explorer ? Elle se le demandait bien. Cependant, ce n'était pas comme si elle faisait partie de ceux qui allaient faire ces magnifiques découvertes. Elle se contentait de cueillir herbes et plantes lui permettant de soigner les diverses blessures et maladies de ses camarades. Ah, il fallait penser à refaire ses stocks. Elle arrivait à court de remèdes.

 

Dylis se releva, et avança jusqu'à son coffre. Quelle tenue revêtir ? À coup sûr nul ne porterait de vêtements frivoles, ce n'était pas du genre des chasseurs. D'autant plus que la fête aurait lieu dans la grande salle, et donc à moitié en extérieur. Il fallait donc penser à prendre avec elle une épaisse cape.

Elle ôta ses vêtements salis par la terre, et les échangea contre une longue robe bleutée. L'épaisseur du tissu lui tenait au corps, et sa douceur le rendait suffisamment confortable pour qu'elle aimât la porter. Elle enfila en plus de cela un épais collant de laine qui lui garantirait ne pas avoir froid. Une fois ses bottines fixées à ses chevilles, elle brossa distraitement ses cheveux blonds, avant de les ramener en une queue de cheval basse qui retombait sur son épaule droite. Son miroir lui renvoya un reflet blafard aux cernes foncés, preuve de sa fatigue, mais elle n'en tint pas compte. Elle serait uniquement présente par obligation, et s’échapperait à la première occasion.

 

La jeune femme avait ajouté à sa parure une épaisse écharpe afin de couvrir son cou ; la capuche de sa cape lui recouvrait le visage, et la protégeait des flocons de neige qui tombaient du ciel couvert alors qu’elle quittait les quartiers pour pénétrer dans la grande salle. Bâtie sur deux étages dans un solide bois foncé et d’épaisses pierres, elle était pleine de monde. On avait sobrement décoré de rubans les poutres et les rambardes des escaliers ; sur chaque table trônait un plateau où étaient disposés des amuse-gueule en attendant les plats de résistance. Des fûts d’alcool, bière d’orge et hydromel pour ne citer que ces deux-là, étaient pris d’assaut par de nombreux felyns occupés à remplir les choppes pour les nouveaux arrivants.

Dylis se joignit à eux, et en demanda une. La petite créature à la robe isabelle lui tendit de ses deux pattes aux coussinets roses un verre bien rempli, plus qu’à raison, et la remercia dans un miaulement hybride duquel émanait un ronronnement convivial. Elle répondit par un sourire, qui sembla ravir le chat.

 

Elle entrevit au loin Sadie, aux côtés de son chasseur. Elle prenait le travail d’assistante très à cœur, sûrement en partie à cause des sentiments qu’elle nourrissait pour son partenaire. C’était souvent la conclusion des aventures des chasseurs de monstres venus avec la Cinquième ; ils finissaient par épouser celle qui les avait assistés pendant tout ce temps. Il était vrai que de telles aventures finissaient par rapprocher. Dylis l’enviait quelque peu. Elle n’avait aucun compagnon de route envers qui nourrir de tels sentiments. Mais elle n’en voyait pas l’utilité. La seule postérité que cela pourrait lui apporter serait la transmission de son savoir, mais un apprenti pouvait en faire de même. Et elle ne voulait pas non plus d’apprenti pour le moment.

 

Après quelques instants passés à siroter en silence sa boisson, elle aperçut le commandant de Seliana, accompagné par les autres têtes des opérations.

Máel était un jeune homme à peine plus vieux que Dylis d’une paire d’années ou deux. Il était né à Astera, comme toute une génération des individus qui résidaient au Nouveau Monde, et commandait les opérations à Seliana. C’était un type formidable, qui n’avait pas froid aux yeux, et il l’avait déjà prouvé à plusieurs occasions. Bien qu’il fût le petit-fils du commandant de la Première, et aussi commandant à Astera, il ne portait que peu de ressemblances avec lui. Son teint mat et ses cheveux bruns étaient typiques des gens venus des provinces centrales de l’Ancien Monde. Il arborait, comme la plupart des hommes partant au front, des cicatrices sur chaque partie du corps où il était possible de se blesser, dont le visage. Dylis ignorait qui était le guérisseur s’étant occupé de lui, elle enviait le bon travail et l’habileté avec laquelle il avait soigné ses plaies qui n’affichaient désormais qu’une fine ligne rosée partant du haut de son front jusqu’à la joue.

 

« Mes chers camarades, lança-t-il de sa puissante voix. Veuillez accueillir notre héros, l’Étoile de Saphir, Uthyr ! »

 

Les voix s’élevèrent alors que tous criaient en son honneur. Des applaudissements retentirent, et quelques chopes s’entrechoquèrent dans un bruit tout aussi fort.

Aux côtés de Máel, son grand-père, le commandant Gareth, laissa place à l’hôte de cette soirée. Dylis, imitant ses camarades, applaudissait en cognant la paume de sa main gauche contre le dos de sa main droite, celle-ci étant serrée autour de la poignée de sa chope. Elle observa de loin l’homme qui gardait le visage à demi-baissé, visiblement peu ravi d’être le centre de l’attention.

Comme tous les autres convives de cette soirée dont l’occupation première était de chasser des monstres, il avait revêtu sa tenue des jours de repos. Les manteaux et capes étaient gardés dans un coin de la pièce sur les portemanteaux, si bien qu’il paraissait au final peu vêtu en comparaison du temps extérieur. L’âtre et les flambeaux qui éclairaient la pièce réchauffaient les corps autant que l’alcool et la nourriture ingérés.

Elle distingua au loin son visage aux traits durs, ainsi que quelques cicatrices qui lui donnaient un air peu commode. Ses cheveux foncés tombaient par ailleurs sur ses yeux, lorsqu’ils n’étaient pas attachés en une queue de cheval. Il n’avait pas non plus emmené ses armes, il n’y en avait pas l’utilité en ces lieux.

À ses côtés avançait un palico, trottinant sur ses pattes arrière, les pattes avant recourbées sur son buste. Lui aussi avait ôté son armure, et on pouvait distinguer son poil noir uniforme, ainsi que ses coussinets et son museau rose. Il semblait ravi d’être le compagnon de l’Étoile de Saphir, qui salua l’assemblée en levant le bras, mais sans prononcer le moindre mot.

 

« En honneur à Uthyr ! À la vôtre ! »

 

Les choppes trinquèrent, et les cris reprirent de plus belle. Dylis sourit, et vida la sienne, avant de s’installer dans un coin et d’écouter ce qui se disait.

 

À quelques pas de la table où elle s’était installée, et où elle dévorait quelques plats, elle entendit par mégarde la conversation des supérieurs. Le commandant d’Astera, celui de Seliana, ainsi que leurs subalternes et amis – l’amiral Cornell et la chasseuse expérimentée Heulwen – discutaient avec Uthyr, son palico et son assistante – quel était son nom déjà ? Efa ? Quelque chose comme ça –, de son combat contre la vouivre immortelle. L’assistante, à la voix aigüe et irritante, chanta les louanges de son acolyte, répétant encore et encore qu’il fût formidable qu’il l’eût vaincue seul. Si l’on mettait de côté le fait que celui qui l’avait vraiment achevée était en réalité un nergigante enragé.

 

« C’est fantastique, partenaire, lui glissa-t-elle avec un large sourire. Tu es fantastique. »

 

Il détourna les yeux, préférant visiblement avaler quelques gorgées d’hydromel plutôt que d’entendre des compliments.

Lorsqu’il reposa sa choppe vide, on lui en apporta une autre ; il ne fallait surtout pas que le principal invité manquât de quoi que ce fût ! Bientôt, au fil des discussions et des choppes, sa tête commença à tourner.

Il était rare qu’un homme de son acabit succombât autant aux effets de l’alcool. Pourtant, lorsqu’il voulut se lever afin d’aller prendre un peu l’air – alors que la table où il se trouvait était située sur le balcon, et manquait d’être recouverte de la fine neige qui tombait – sans que l’on ne vît ni comprît par quel moyen, il se retrouva à embrasser le sol assez violemment.

 

Dylis eut à peine le temps de le voir debout qu’il était déjà affalé par terre, cognant dans un bruit sourd les lattes de bois. L’assistante se leva aussitôt, hurla son surnom, et fonça sur lui, pour constater que le pauvre homme s’était brutalement heurté la tête à l’une des barrières qui empêchaient les saouls de tomber par-dessus bord. En passant sa main dans ses cheveux, elle constata un filet de sang sur ses doigts, et le teint à présent blafard de Uthyr n’était pas seulement dû au trop-plein d’alcool.

 

« Chef, cria-t-elle afin qu’il l’entendît malgré le brouhaha qui n’en cessait plus, il a perdu connaissance !

– Comment ça ? »

 

L’homme s’approcha en vociférant, inquiet pour l’un de ses meilleurs éléments, et observa avec impuissance l’état dans lequel il se trouvait.

 

« Bon sang, ça ne va pas. Appelez les guérisseurs.

– Tout de suite, répondirent en chœur l’amiral et la vieille exploratrice, avant de s’éloigner à la recherche d’un des spécialistes absents à la soirée, et qui devaient encore être affairés à soigner les trop nombreux blessés.

– Il faut l’emmener dans ses quartiers, souffla Máel en tentant de soulever le corps inerte de son subordonné. Aide-moi, Efa. »

 

L’assistante hocha la tête lorsqu’elle entendit son nom, et se plaça à gauche de son compagnon de chasse, tentant tant bien que mal de le redresser pour avoir de meilleures prises.

 

« Dylis ? »

 

Ah. Grillée.

 

Elle qui avait fait de son mieux pour épier sans se faire remarquer, voilà que Máel venait de l’apercevoir. Elle grommela quelques mots avant de s’approcher, bien qu’elle n’eût aucune envie d’être mêlée à tout ça.

 

« Heureusement que tu es là ! On a besoin de toi. Tu vas t’occuper de lui, le temps qu’il se remette sur pied. C’est dans tes cordes ?

– Bien sûr, souffla-t-elle, incapable de refuser. Si vous me laissez le temps d’aller chercher ce qu’il faut… »

 

Efa la coupa soudainement.

 

« J’irai chercher ça pour toi. Je te confie mon partenaire. S’il te plaît, prends soin de lui ! »

 

Elle n’eut pas d’autre choix que de suivre la petite troupe qui emmenait le corps évanoui de Uthyr. Son palico couinait à côté, et ronronnait en espérant pouvoir ainsi se calmer, et rassurer les autres.

Ils étendirent le corps du chasseur sur son lit, dans ses quartiers privés. Dylis remarqua par la même occasion qu’il était bien traité, allant jusqu’à disposer d’une demeure privée assez luxueuse. Mais son travail la rattrapa, et elle dut se concentrer de toutes ses forces sur son nouveau patient. Elle prononça quelques jurons lorsqu’elle se retrouva enfin seule.

Une intuition lui disait que cette histoire n’allait pas être qu’une partie de plaisir.

Laisser un commentaire ?