Chroniques d'un Cor de chasse

Chapitre 6 : La Mort jouait du ukulélé sur sa tête

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Dernière mise à jour 17/11/2021 11:10

La Mort jouait du ukulélé sur sa tête


Un doux parfum de thym et de menthe s'élevait depuis l'aile médicale. Derrière d'épais murs blancs, bien à l'abri du froid, onguents et potions colorées décoraient les salles de soin. Au centre, les urgences et les plaies étaient traitées par quelques érudits soucieux dans le plus grand calme. Il y avait, plus loin dans le bâtiment, des pièces réservées au repos et au réveil. Elles étaient peu accueillantes, presque froides. Ni bannières de la commission, ni passages répétés de guérisseurs. Seulement quelques lits alignés, le mobilier strictement nécessaire et des patients endormis. À quoi bon égayer un lieu si ses occupants ne pouvaient le voir ? Les érudits veillaient soigneusement à déplacer très rapidement les patients qui se réveillaient. Les wyvériens l'avaient très souvent répétés : "Vous n'êtes pas ici pour vous détendre et profiter de nos attentions ! Allez dans vos quartiers !".


C'était dans l'une de ces salles que reposaient Hans et Quiver. Depuis leur aventure dans le labyrinthe de glace, ils n'avaient pas repris connaissance. Quiver avait subi des soins intensifs pour son dos et son empoisonnement. De son côté, Hans avait eu le droit à un traitement ciblé et une remise en place de son fémur. Visiblement, le barde n'avait pas relevé l'état de la jambe avec laquelle il avait couru, et il avait empiré les choses.

"C'est pour bientôt, ne cessaient de dire les soigneurs. Ils sont sur la bonne voie." C'était une certitude, les deux chasseurs étaient hors de danger. L'eau et le chaud avaient déjà beaucoup aidé les deux hommes à prendre le chemin de la guérison.

Lotus et Rush, rongés par l'inquiétude et le poids de la promesse qu'ils s'étaient faite, avaient passé deux jours entiers à leur chevet. Ils n'avaient pas quitté l'infirmerie depuis leur retour et portaient toujours sur eux leurs armures. Un wyvérien insista lourdement avant de les convaincre de prendre un bain chaud et de se changer.

« Je veille sur eux en attendant. Ne vous inquiétez pas, vous serez là à leur réveil. Ils vont encore dormir à cause des herbes que nous avons utilisées. En plus, ils seront certainement affamés à leur réveil, pourquoi ne pas leur prévoir quelque chose ? »

Les jeunes chasseurs hochèrent faiblement la tête avant de s'exécuter. Un repas provenant de l'extérieur de l'infirmerie permettrait sans doute à leurs camarades un réveil moins ronchon.


Un petit passage dans les sources chaudes de leurs quartiers, le temps d'enfiler des vêtements plus secs et moins encombrants et ils étaient déjà sur le chemin du retour avec une petite préparation du miaître cuisinier. C'était une forme de pain fourré à la viande séchée et aux épices, quelque chose de fort en goût, mais aussi plein de protéines. L'idéal pour des chasseurs en pleine récupération.

En arrivant, Rush s'arrêta dans le couloir blanc, demandant une énième fois des précisions sur l'état de ses deux acolytes. Lotus, quant à elle, poursuivit le chemin vers le fond de la pièce. Quiver et Hans n'avaient pas bougé d'un pouce. Ils étaient tous deux allongés sur le dos et semblaient bien paisibles. Leurs peaux avaient repris de belles couleurs, loin de la pâleur et du bleu glacé. Tout ce qui leur manquait, c'était du temps et du calme pour émerger.


La jeune femme voulut s'installer sur le vieux tabouret auprès du barde — comme à son habitude — lorsqu'elle aperçut un curieux changement dans ce paysage familier.

Il y avait une forme, couverte de fourrure, allongée sur Hans. Au vu de sa taille, Lotus ne prenait aucun risque à supposer qu'il s'agissait là d'un palico. Peut-être celui du barde ? Elle était curieuse. Personne dans l'équipe ne l'avait encore aperçu. Comment était-il ? Jovial et maladroit comme son maître ? Ou était-ce une petite teigne bagarreuse ?

Voilà un mystère qu'elle devait éclaircir. Elle s'approcha un peu plus, le bras tendu pour caresser la boule de poils. Elle avait toujours eu un bon contact avec les palicos, alors il n'y avait aucune peur en elle, simplement un besoin de réponse.

Le pelage du palico était assez unique. Une fourrure blanche, courte mais épaisse, lui recouvrait le dos, à l'exception de quelques poils noirs, plus long, vers la queue. Ces derniers formaient une démarcation très nette. De plus en plus intriguant ! Malheureusement, la jeune femme ne voyait rien de plus. Le petit être était recroquevillé sur lui-même, à l'abri des regards.

« Bonjour toi, murmura-t-elle en douceur. Allez, montre-moi ton visage. »

Sa voix, aussi faible soit-elle, réveilla le compagnon de Hans. Le petit être manqua de sursauter et se retourna face à la chasseuse blonde.

La peau rose de Lotus pâlit très vite et adopta la teinte des murs. Ce n'était pas une boule de poils. Cette fourrure à la robe atypique était un vêtement. Ce qui se tenait face à elle était tout, sauf un palico. 

La petite créature portait un épais manteau de fourrure blanche surmonté d'un col de poils plus longs et plus sombres. Cette tenue ostentatoire cachait son corps grâce à une fermeture en chaîne à maillons d'or. Le regard de Lotus se posa ensuite sur le couvre-chef que portait l'animal — s'il en était vraiment un. Il s'agissait d'une forme de toque, de fourrure également. Elle était noire et, encore plus étrange, était entourée d'un ornement doré. Il était sculpté à sa base et encerclait entièrement le volume. Ce n'était pas un simple chapeau. Non, avec une pierre bleue finement incrustée dans le métal brillant, c'était une couronne. Une couronne d'or et de fourrure parfaitement assortie à un petit sceptre argenté, surmonté de quelques joyaux émeraude, fermement tenu par la créature.


Mais le choc ne s'arrêta pas là. Peu importait la tenue royale de cette chose. Lotus fixa ses yeux sur le visage devant elle. L'être n'en avait pas.


La jeune femme sentit un frisson parcourir son dos. Elle faisait face à deux grandes orbites vides. Ce n'était pas une tête, mais un crâne blanchi et usé qui supportait cette couronne. Deux petites pointes blanchâtres se dressaient sur le dessus, telles des oreilles sculptées dans l'os. Et sous les orbites creuses, on pouvait deviner les restes d'un petit museau accompagnés de quelques crocs bien entretenus.

Ce n'était pas un palico, c'était le squelette d'un palico. Vêtu de cette façon, il était angoissant. Une parure sombre et royale, un corps d'os… Lotus ne chercha pas plus loin. Apeurée et sous le choc, elle oublia sa raison et fit une conclusion hâtive : c'était l'incarnation de la Mort. Pourquoi la faucheuse avait-elle choisi de leur rendre visite ? Annonçait-elle la mort du barde ? Celle de Quiver ? Un mauvais présage ? D'innombrables questions se bousculaient sans logique. Lotus n'y trouva ni réponse, ni réaction adéquate. Alors elle hurla, tout simplement. Face à ces ossements vivants, elle cria aussi fort que ses poumons le lui permettaient.

« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! »

Une alarme qui engendra le chaos. Tout d'abord la réponse de la cause. Le petit être fit un bond sec, puis flotta rapidement vers la fenêtre en miaulant comme si sa vie en dépendait.


La Mort pouvait-elle mourir ?


Puis Hans. Le barde était bien trop près de la jeune femme lorsqu'elle avait hurlé. Son réveil fut précipité et il se redressa net. Le buste droit et les yeux écarquillés, il donna à son tour de sa voix — et quel coffre il avait ! Celle-ci résonna jusqu'à Rush qui entrait à peine dans la pièce. Sous la surprise, il ne put s'empêcher de donner vie à son choc.

« AAH ! » s'écria-t-il.

Un sursaut qui relança Lotus — la pauvre n'avait pas senti la présence de Rush avant son cri — encore tremblante, dans une nouvelle crise. Hurlant à nouveau à la mort, elle se retourna vers son chef d'équipe en agitant les bras inconsciemment. Ainsi, elle réveilla la dernière personne calme de cette pièce.

Quiver quant à lui, s'exprima en deux temps. D'abord, il joignit sa voix, tel un chœur, à cette cacophonie. Puis la surprise se transforma en souffrance et il descendit dans les graves, laissant quelques gémissements lui échapper.

Les trois hommes, bouches et yeux ouverts, tendus de la tête pieds et presque en sueur fixèrent Lotus, cherchant dans son regard la clef de ce non-sens. Mais la jeune femme n'avait pas de réponse à donner. Toujours blême, elle resta de marbre face à ses camarades, ignorant les râles des érudits derrière eux face à ce vacarme.

La promesse de Rush et Lotus fut partiellement respectée. Les deux rescapés s'étaient réveillés face aux visages effrayés de leurs amis et non sous le regard d'inconnus. La situation s'inversa et ce retour à la réalité s'opposa à ce qu'avait imaginé le jeune chef d'équipe.

« Est-ce que tout va bien, Lotus ? » s'inquiéta le barde.

Il tendit lentement les bras, ajustant sa position assise afin d'être plus à l'aise et attrapa la jeune femme tétanisée par la main. Sans effort, il la força à s'asseoir sur le tabouret voisin, pendant que Rush lui apportait un verre d'eau.

« Tu es bien pâle, murmura ce dernier. Veux-tu que j'aille chercher de l'aide ? »

Elle resta silencieuse. Mais que faisait-elle ? Pourquoi ses amis étaient là, s'occupant d'elle, alors que deux d'entre eux venaient d'échapper à la mort ? Elle secoua la tête, dans l'espoir de chasser les images qui hantaient son esprit. Elle n'aurait jamais dû veiller autant, le wyvérien avait raison. Avec Rush, ils auraient dû se reposer. La fatigue avait des effets désastreux sur l'esprit et elle venait d'en faire les frais.

« Lotus ? l'appela faiblement Quiver, la voix cassée.

— Je… Je vais bien. Un peu de fatigue. Mais vous !?! Qu'est-ce qui vous a pris ! »


C'était un coup traître. Voilà ce que pensèrent immédiatement les deux hommes dans leurs draps de lin. Faire croire à un instant de faiblesse pour mieux les attaquer ensuite, tout à fait digne d'une stratégie version Lotus.

« Quiver ! Je t'avais prévenu pour la météo ! Le vent était annoncé ! 

— Mais…

— Je ne veux rien savoir ! Peu importe ces Barioths ! Tu n'aurais jamais dû partir dans un premier temps ! Les érudits n'étaient pas sûrs, mais tu aurais pu attendre plus de nouvelles du temps. Tu as été imprudent ! »

Rush n'osa pas prononcer un mot. Lotus était une petite flamme, un petit feu de camp maîtrisé et bien entretenu. Seulement, lorsqu'elle s'inquiétait, son esprit jetait continuellement de nouvelles branches sèches dans le brasier. Mais elle ne se permettait jamais de céder à ses émotions. "Elles sont un frein lors d'un sauvetage", disait-elle toujours. Ainsi, le feu grandissait de minutes en minutes et elle s'efforçait de le contenir. C'était toujours comme ça. Lorsqu'elle laissait retomber toute cette pression accumulée, les flammes devaient se consumer librement. Pour une fois, Rush était simplement heureux de ne pas être la cible de son courroux. Si seulement il avait eu le temps de prévenir le barde de ce comportement explosif…

« Ne sois pas si dure avec lui. À sa place, j'y serais allé aussi. Vraiment, sans ces Barioths… commença le barde pour défendre son compagnon.

— OH ! Et toi ! Toi ! »

Lotus se releva instantanément, le doigt pointé sur le centenaire sans défense et les yeux pleins de colère.

« Je te promets que si tu quittes encore une fois la colonie sans signer le moindre papier, sans prévenir quiconque ! N'importe qui ! Même Poogie si tu veux ! Je te préviens, je te rase la tête ! »

Hans ne répondit rien. Pour la première fois, le barde avait perdu sa voix. Menaçait-elle vraiment ses cheveux ? Il glissa lentement dans son lit et regarda Rush et Quiver dans l'espoir d'y trouver quelque chose de rassurant. Peut-être une preuve qu'elle ne pensait pas réellement ses paroles ? Mais non, Rush lui répondit d'une triste mine en hochant la tête.

Le barde se retourna alors vers le jeune femme toujours furieuse face à lui et déglutit. Il acquiesça lentement. "Message compris", disaient ses yeux écarquillés.


À bout de souffle, Lotus soupira finalement avant de prendre Hans, puis Quiver dans ses bras. Elle n'avait jamais perdu de compagnon, et ça ne devait jamais arriver.

« Comment vous vous sentez ? demanda Rush calmement.

— Bien mieux, affirma Quiver malgré une voix un peu faible. Ils font des miracles ici. D'ailleurs, il n'y a pas qu'eux. »

Le lancier observa Hans, quelque part, il tenait à le remercier pour ce qu'il avait fait dans la grotte. Mais il sentait très bien que c'était une conversation qu'ils devraient avoir entre eux. Peut-être plus tard, dans un cadre plus agréable et autour d'une boisson mousseuse.

« Je suis effrayé, bégaya le barde.

— Hein ? s'étonna Rush, assez surpris par cette réponse.

— Elle est toujours comme ça ? Et c'est moi, que vous hésitiez à garder dans l'équipe ?

— Hans… grogna Lotus avec un regard de braise.

— Elle serait capable de faire pâlir un Kezhu, vous savez ? Un Kezhu !

— HANS ! »

Quiver rit joyeusement en se tenant le ventre, l'autre main dans le dos. C'était douloureux mais fort plaisant. Rush partagea son engouement et laissa Lotus donner une pluie de petits coups sur l'épaule du barde qui gloussait, encore. Ce triste événement serait bien vite derrière eux. En tant qu'ami, il était heureux de voir qu'aucun d'eux ne semblait avoir perdu quelque chose au fond du dédale de glace. En tant que chef d'équipe, il était rassuré de voir à quel point ses camarades étaient solides.


« Silence ! Silence ! Silence ! »


Un wyvérien peu agréable entra en tapant des pieds dans la pièce. Il avait le regard rouge et la mâchoire crispée.

« Ceci est une infirmerie ! Cessez donc de crier ! Et sortez ! Allez vous reposer dans vos immenses quartiers ! »

Une aide-soignante arriva pour calmer son supérieur. Elle assura à ses deux patients joviaux, qu'ils ne seraient pas expulsés ainsi. Cependant, ils allaient en effet quitter les lieux dans la journée. D'ici là, elle leur suggéra de profiter silencieusement du repas apporté puis s'excusa.

Le petit groupe s'installa alors, parlant désormais à voix basse. En donnant le pain à Quiver, Rush demanda :

« C'est quoi un Kehzu ? »

Personne ne répondit. Ils n'étaient pas certains de vouloir manger avec cette image en tête, aucun d'entre eux. Mais au fond, ils étaient amusés de savoir que leur chef d'équipe ne connaissait pas le monstre. Ils avaient là, tous les trois, une belle porte ouverte pour un futur mauvais tour.


Manger ce pain à la viande après leur aventure donna l'impression à Quiver et Hans d'être à un véritable festin. Ils mangèrent lentement, savourant la préparation, puis tombèrent bien vite de fatigue. Leurs corps affaiblis digéraient sans doute mieux ainsi. Leurs deux équipiers les laissèrent donc et partirent en direction de l'intendance. Il y avait une affaire qu'ils tenaient à régler.

Ils y retrouvèrent Aiden, qui prit immédiatement des nouvelles des deux hommes, soucieux de leur état, avant de leur tendre de nombreux documents.

« C'est arrangé, annonça-t-il en donnant d'autres feuilles à l'intendante avec eux. Vous êtes certains de votre choix ? »

Les deux chasseurs hochèrent la tête. C'était désormais une évidence et ils ne changeraient pas d'avis.

« Vous savez à quoi vous vous engagez ? Et où cela vous mènera ?

— Tu veux dire, face à qui, ça nous mènera ? » rectifia, Lotus.

Le rouquin soupira. Oui, visiblement, ils savaient parfaitement dans quoi ils s'engageaient. Il sentait très bien que les deux chasseurs n'avaient pas encore percé tous les mystères du barde. Mais cela n'allait plus tarder. Pas parce que Hans avait décidé de leur faire confiance. Non, cette confiance, ils l'avaient gagnée tous les trois le jour où ce dernier avait accepté de les accompagner, cor de chasse à la main. Mais parce qu'ils avaient choisi de poser leurs questions et de faire du barde un membre de leur famille.

« Très bien, dans ce cas, tout est en ordre. Ce sera un honneur de combattre à vos côtés, » affirma-t-il.

Lotus sourit, Aiden venait d'éclaircir plusieurs de ces questions. Le savait-il ? Peut-être. Elle était convaincue qu'elle venait de faire un pas de plus en direction de "Az", car elle venait de trouver la femme en bleu.

« Nous nous reverrons pour le "Balafré" alors, » sourit-elle avec fierté.

Et le roux acquiesça simplement, confiant. Cette fois, ils vaincront, Hans s'était trouvé de nouveaux danseurs.


Une fois le reste des documents traités avec l'intendante, Rush et Lotus se dirigèrent tout enjoués vers l'aile médicale. Ils avaient une excellente nouvelle à annoncer à leur camarade musicien. Quelque chose qui allait vraiment les aider !

Mais à leur grand désarroi, ils ne trouvèrent que deux lits vides à l'infirmerie. Ni lancier épuisé, ni barde insupportable. Dans un élan de panique, Rush se précipita vers l'aide-soignant le plus proche.

« Les deux chasseurs qui étaient en réveil ? Bien sûr. Ils sont partis, il y a environ une demi-heure. Ils leur faudra un peu de repos à domicile, mais ils n'ont plus besoin de nos services. »

Le jeune chasseur était persuadé qu'il allait en perdre sa mâchoire. Vraiment ? Partis ? D'eux-mêmes ? Évidemment, Quiver était déjà capable d'un coup pareil, mais avec Hans à ses côtés, c'était pire ! Ils devaient être sous surveillance permanente…


Ils quittèrent les lieux, mais ne prirent aucune direction. Rush sauta sur place de toutes ses forces, donnant des coups de pieds dans la neige devant lui. Il libéra une flopée de jurons et quelques menaces que Lotus préféra ignorer. Le jeune brun détestait deux choses plus que tout : les imprévus et les compagnons disparus. Malheureusement pour eux, les fugitifs venaient de réaliser un combo gagnant.

Rush pestiféra un peu plus, il était heureux de partager son agacement avec Lotus. Depuis l'arrivée de Hans, il se rangeait de plus en plus souvent du côté de la jeune femme, afin de maintenir au mieux un équilibre entre la sagesse et le chaos au sein du groupe.

« Lotus ? Lotus est-ce que tu m'écoutes ? »

Non, visiblement, cette dernière était perdue très loin dans ses pensées.

« As-tu écouté ne serait-ce qu'un seul des mots que je viens de dire ? C'étaient des compliments, tu sais ? »

Une belle mais vaine tentative. Lorsque la jeune femme décida de s'adresser à son camarade, ce n'était même pas pour lui répondre.

« Nous devrions les retrouver. Ils ne sont pas en grande forme et… Et un accident est vite arrivé. J'ai un mauvais pressentiment. »

Sa voix tremblait légèrement, une intonation qui surprit son ami. Elle ne pouvait pas lui avouer, mais si cette apparition glaçante dans l'infirmerie était un présage, elle ne devait pas l'ignorer. Où pouvaient-ils bien être ? Si le danger était proche, où pourrait-il le croiser ? Ooooh… Oui. Tout était devenu limpide.

« Les scarabombes et pyrocrapauds, murmura Lotus inconsciemment. Évidemment, la menace, ce sont les quartiers de Hans ! »

Le visage effrayé, elle se retourna vers Rush avant de partir à grandes enjambées.

« Vite vite ! Je sais où ils sont !

— Lotus ! Attends ! Pourquoi te presses-tu comme ça ? »

Des paroles dans le vide. La chevelure blonde s'éloignait déjà et le capitaine n'eut d'autre choix que de la suivre à toute vitesse. 


À travers ses foulées hâtées, Rush découvrit le chemin dans les pas de son compagnon d'armes. L'intendance et le poste de commandement dépassés, il devina aisément que leur course les mènerait aux quartiers d'habitations. Les panneaux fantômes, blanchis et rouillés, bordant les allées de noms légendaires ne leur laissaient plus qu'une destination : le domicile du barde. 

Ils ne firent aucune pause. À quoi bon ? Comme toujours, la porte ne serait pas verrouillée. Mais passé le seuil, quelque chose les arrêta.


Trois notes. Douces et aigües, elles planaient avec légèreté, propulsées par un accord joué sur l'octave inférieure. Elles s'envolaient, avant de retomber délicatement. La suivante, toujours plus basse que la précédente. Trois feuilles fragiles, couvertes de glace et de neige, soufflées par une brise fraîche qui entament leur descente vers le sol et disparaissent à l'horizon. Ces sonorités apportaient beaucoup de réconfort, un étrange sentiment d'apaisement.

Quelque chose qui força Rush et Lotus à ralentir le pas, instinctivement. Comme si leur démarche précipitée risquait de perturber la danse délicate qui se déroulait à l'intérieur. Le jeune capitaine hésita malgré lui à avancer, il demeura silencieux sur le palier et laissa la jeune femme aller de l'avant, seule.

Lotus sentit tout d'abord la chaleur accueillante du foyer, le maître des lieux avait sans aucun doute allumé un feu de cheminée. Une idée sage avec le climat local et leur faible état. En s'approchant des escaliers pour rejoindre la pièce principale, elle aperçut les fameuses flammes et le crépitement sauvage accompagna la mélodie qui régnait.


Quiver était allongé, torse nu, sur une fourrure à même le sol. Les bras en étoile, il avait les yeux fermés et semblait totalement détendu. Un sourire sur les lèvres, la musique l'emportait dans un lieu des plus agréable loin de tout danger.

"Danger". Le mot résonna dans l'esprit de Lotus, elle était censée trouver les menaces potentielles et protéger ses camarades. Mais il n'y avait rien de tel ici. 

Le barde était assis en tailleur à côté du lancier. Torse nu également, il affichait quelques cicatrices le long de son buste qui faisaient écho à celles de son ami étendu. La vie de chasseur laissait toujours des traces, mieux valait les porter au grand jour que six pieds sous terre. Quelque part, elles étaient le symbole de votre survie. Il tenait dans ses mains un luth bleu, orné d'écailles plus claires aux pointes d'argent. Une aura glacée entourait l'instrument et ses cordes épaisses. C'était sans aucun ici de la peau de Legiana, un animal à l'image de la mélodie : aérien et fragile. Avec ses immenses ailes à la palmure fine, ce dernier profitait des courants d'air chauds qui s'extirpaient du sol pour prendre son envol sans effort. Une vitesse impressionnante et un corps à la fois frêle et élégant.


Le regard de Lotus se perdit ensuite dans le feu à la gauche du barde. Les flammes étaient parfaitement contenues entre les épaisses pierres grises, une source de chaleur agréable et… Sans danger ? Non, c'est là que le Lotus les aperçut. Les scarabombes. Ces fameux bousiers explosifs se prélassaient près du feu. Le désastre était inévitable ! 

La jeune femme brisa la sérénité du lieu. De ses pas secs et déterminés, elle descendit la première marche, bien décidée à éloigner ses animaux de la cheminée et à sermonner Hans. 

Mais c'est alors qu'elle entendit une funeste mélodie.


Un instrument à cordes jouait un rythme léger et entraînant. Le son des rêves éloignés et des plages ensoleillées. Un chant régulier composé de quatre notes presque étouffées. Comme si ces dernières n'osaient pas déranger les accords délicats et silencieux qui les accompagnaient. 

C'était une musique rassurante. Quelque chose qui vous relaxe au point de fermer les yeux face à la Mort elle-même.

"La Mort.", cette idée fit pâlir la femme aux cheveux d'or alors qu'elle entamait la seconde marche de l'escalier. Oui, c'était bien la musique du passeur, celle de la fin d'une vie. La relaxation finale, le repos absolu.

Les yeux inquiets, une goutte de sueur sur la tempe, elle osa détourner les yeux de l'âtre. Son regard se porta alors sur Hans et sa chevelure d'argent. Il y avait quelque chose assis au milieu du chaos capillaire. Lotus se figea dans le temps, médusée.


Face à elle, une vision d'effroi. La Mort était là, à nouveau. Assise sur la tête du barde, elle jouait du ukulélé de ses mains décharnées. 

Sortant de sous son épais manteau, de petites pattes d'os s'activaient et dansaient. Les pointes que formaient ses phalanges griffues grattaient habillement les cordes fines du petit instrument et sa tête, sa tête couronnée aux orbites vides se balançait en rythme.


Quelque chose se brisa, ou du moins, brisa la jeune femme. Bouche bée et immobile, la gravité l'emporta et ce fut la chute. Elle percuta tout d'abord la rambarde de bois. Peut-être était-ce pour elle ? Et si la Mort était venue lui rendre visite, à elle ?

Puis son dos l'emporta de marches en marche. Et si c'était là son œuvre ? La dernière chute de celle qui avait toujours volé trop haut ? Roulant comme une pierre, Lotus n'avait ni force ni volonté. Elle se laissa dégringoler jusqu'au sol lui-même en silence, les yeux vitreux.

Derrière elle, une voix hurla et le silence s'imposa, la douce mélodie s'était enfuie. La vision trouble et l'esprit déconnecté, elle resta étendue, le dos collé contre le sol froid. Son regard était uniquement dirigé vers la chevelure de Hans. 

Une larme glacée glissa le long de sa joue. Le temps de sa chute, la Mort s'en était allée. Une pression sur son épaule la ramena lentement à la réalité. Elle reprit conscience de son corps et fit face à trois visages soucieux, perchés au-dessus d'elle. Avec le halo de lumière floue derrière leur tête et la piètre vision de Lotus, les trois chasseurs étaient de véritables présences divines. Même Quiver, précédemment allongé et en convalescence était venu, alarmé par sa violente et improbable cascade.


Ensemble, ils aidèrent la jeune femme à se relever et l'assirent sur la fourrure sombre au centre de la pièce. Sans la quitter du regard, ils s'installèrent en tailleur à ses côtés. 

« Hey, Lotus ? Ça va ? Tu es aussi pâle qu'un fantôme. »

"Fantôme.", voilà désormais un mot qui avait bien plus de sens pour Lotus. Elle était la raison, la logique et la recherche acharnée. Que pourrait-elle bien graver dans l'encre sur les pages de son carnet ? "Rencontre avec la Mort, un palico mort-vivant" ? Jamais elle n'oserait écrire de tels mots, ce serait avouer l'impossible.

« Lotus ? »

Un appel inquiet de Hans. Jamais il n'avait vu la chasseuse dans cet état.

« Je… Je vais bien, tenta-t-elle de les rassurer. J'ai juste raté la marche… »

Si elle se référait aux regards posés sur elle, cette réponse n'était pas très convaincante. Alors, elle fit un nouvel essai.

« J'étais absorbée par la musique. Et puis… Puis j'ai vu ces scarabombes ! Hans ! Près d'un feu !?! 

— Mais ils ont froid, rétorqua le barde. Vous ne comprenez pas, je les ai trouvés au grive ! Grelottants !

— Ils sont explosifs ! s'emporta Lotus, déterminée à oublier sa vision.

— Ils sont frileux ! »


Il n'y avait plus aucun doute, Hans était bien un centenaire, il en avait l'obstination. Une force de conviction épuisante pour Rush et Lotus… Une source de fou rire inépuisable pour le lancier, très friand de ce caractère.


« Bon, bon… Et si tu nous parlais plutôt de ça ? souffla Rush en pointant le luth du doigt.

— Aaaah, ça, commença le barde en souriant. Je vous présente mon givre hurlant. Ses cordes sont merveilleuses, des sons qui…

— Qui apaisent, le coupa Quiver. Quelques notes à peine et je voguais déjà au-dessus des nuages loin du Nouveau Monde. »

Hans contempla son ami avec bonheur et fierté, voilà une belle façon de présenter son bien-aimé instrument. Quiver avait une excellente affinité avec la musique et quelque part, le barde avait longtemps eu besoin de retrouver un équipier comme lui.

« Et concrètement, qu'apportent ses chants ? » demanda Lotus. 

Retourner dans le réel, poser des questions simples, avoir des réponses concrètes, voilà ce qui comptait.

« Ses chants… Ils sont un baume, annonça-t-il à voix basse, craignant de briser la fragilité des notes qu'il commençait à jouer. Cette relaxation intense, elle soigne le corps et l'esprit. Vos muscles lâchent prise, les nerfs se délassent et le sang circule comme un ruisseau sans remous. Cette musique m'a toujours aidé à guérir.

— Elle est exceptionnelle, acquiesça Rush en se laissant porter par la mélodie.

— Je suis convaincu que ses propriétés vont bien au-delà. »


Il laissa son esprit dériver vers le petit chemin qui contournait les bains chauds de ses quartiers. L'arbuste qui se tenait là fut secoué délicatement par le vent, un hochement de tête, comme un signe d'autorisation : le barde pouvait poursuivre son récit.

Intérieurement, il lutta contre la nostalgie, il ne voulait pas quitter l'instant présent. Pas cette fois. Dans sa barbe, il murmura : "Tout à l'heure, nous nous verrons tout à l'heure…" Un sourire en coin et une épée sur l'épaule, la figure végétale disparut avec la brise suivante en saluant son aîné d'un grand geste de la main. Hans poursuivit ses explications sans regrets.

« Nous étions certains que ces cordes pouvaient ralentir la progression du poison. Malheureusement, l'ironie ne m'a jamais permise de l'avoir avec moi quand nous en avions besoin. Mais cette détente, cette circulation sanguine qui ralentit, ça peut marcher.

— Euuuh, tu m'en voudras pas, mais je ne serais pas le premier sur la liste pour tes essais musicaux ! » rit Quiver.

Le groupe se laissa porter par sa bonne humeur et tout le monde oublia à la fois la chute dans les labyrinthes azur et celle de Lotus dans les marches de bois.


Après plus de mélodies et de boissons, une cloche résonna dans l'esprit de Rush.

« Lotus ! Nous avons oublié ! »

Le silence prit place. Oublié ? "Quoi donc ?" demanda le regard surpris de Quiver. Oublié ? "Vous êtes capables d'oublier quelque chose ?" s'étonnèrent les yeux écarquillés du barde.

« Oui ! » s'exclama la jeune femme en se redressant.

Elle fouilla un instant dans sa sacoche de cuir et en tira deux parchemins légèrement froissés.

« Hans, Quiver. Nous allons partager le groupement d'habitations. »

Ne laissant aucune chance à ses camarades de prononcer un mot, elle tendit une feuille à Hans.

« Si bien sûr, tu acceptes de céder l'habitation voisine, dont tu as eu la garde totale, à l'un d'entre nous. »


Le centenaire posa son luth et regarda le papier devant lui. Effectivement. Selon l'accord, il garderait l'annexe à son terrain qui longeait les bains, mais céderait la maison jumelée à la sienne. Laisser partir le domaine des cieux ? Abandonner les aurores qui dansent sur les vitres et les oiseaux saphirs ?

« Qui… Qui y serait installé ? balbutia le barde, à moitié dans ses pensées, à moitié dans la conversation.

— Tant que ces scarabombes résideront autour du feu ? Pas moi ! gloussa Lotus.

— Ça me plairait beaucoup, avoua Quiver. Et puis, les explosions, c'est un peu ma passion ! »

Quiver ? Le lancier étincelant en armure d'argent dans la demeure de la reine des cieux ? Hans étudia un instant la question en silence, sans prêter attention à ce qui l'entourait. Le jeune homme, comme elle, partageait cette gentillesse et cette affection pour la musique. Une douceur - que Quiver n'avouerait jamais - en faisait des cœurs généreux et bienveillants. Après tout, quel meilleur successeur pour prendre soin de ce qu'elle avait bâti ? Une dernière vérification s'imposait.

« Quiver, l'interpella le barde d'un ton sérieux et mélancolique, as-tu la main verte ? »

Voilà bien une chose que personne n'avait jamais demandé au brun. Des anciens camarades de chasse, des partenaires lors de ses débuts l'avaient questionné sur ses goûts en armes, ses plats préférés, ses techniques phares. Quel était son monstre préféré, son climat favori ou son environnement idéal, ou encore l'armure qu'il appréciait le plus. Mais jamais personne ne l'avait encore jugé sur son amour ou non pour le jardinage.


Le jeune homme avait grandi dans un village reculé de l'Ancien Monde, auprès de sa grand-mère, il avait passé de nombreuses journées à entretenir de nobles bonsaïs comme de petites fleurs colorées et très répandues. Il avait un véritable amour pour la nature. Il n'était peut-être pas capable de distinguer l'empreinte d'un Rathalos de celle d'un Dodogama, mais il savait quand porter son attention sur une feuille en manque d'eau et quand laisser une fleur faner pour une saison suivante plus radieuse.

« Je ne laisserai aucune plante mourir sous ma garde, affirma finalement Quiver avec conviction.

— Alors c'est entendu. Je te ferai visiter ! Mais pas aujourd'hui… Non, plutôt demain. »

Comme bien souvent, le barde était animé par un entrain et une légèreté déconcertante. Il passait si aisément de la nostalgie apparente, le regard plein de tristesse dans le vide, à la joie de l'instant présent et vice-versa. Une attitude que comprenait de plus en plus Lotus grâce à ses recherches.


Cette dernière cachait difficilement son excitation. À travers cette demeure, elle allait entrevoir la personnalité de la femme vêtue de bleu. Celle qui avait harcelé le forgeron local avec des commandes aux couleurs vives et répétitives. Celle qui avait ravi les jeunes chasseurs à la recherche de quelques recettes et potions finement concoctées. Celle qui avait épaulé les autres tout simplement, sans ne rien attendre en retour. Voilà, ce que sa quête de "Az" lui avait fait découvrir. Une chasseuse, vêtue d'une armure de plaques argentées aux reflets glacés et d'une cape du plus noble des bleu roi, avait fait partie de la Commission. Arrivée avec la 5ème flotte, tout comme Hans, cette femme avait marqué par sa gentillesse. Mais elle n'était pas une piètre combattante pour autant. Non, les rumeurs et archives parlaient d'une petite femme accompagnée de son marteau.

« Demain !?! soupira Quiver. Oooooh, tu sais depuis combien de temps je me demande ce qu'il y a dans cette seconde habitation que tu gardes ? »

Il fit une pause, bras croisés sur le torse et les yeux plissés vers Hans.

« Tu ne vas pas cacher tous tes secrets d'ici demain, n'est-ce pas ?

— Rassure-toi, sourit le barde, rien ne bougera avant ton arrivée. »


Soulagé, Quiver s'allongea à nouveau sur le dos pour reposer ses muscles. Il laissa à Hans le soin de raconter leurs aventures glacées accompagné de quelques notes.

Si Rush fut impressionné par leurs péripéties, peut-être même au point de regretter de ne pas y avoir participé, Lotus, elle, désespéra complètement.

« La stratégie de la tortue ? Pour briser la glace sous vos pieds vers… Vers vous ne saviez même pas quoi ?!?

— C'était la meilleure technique, défendit Quiver. Écoute…

— Une "technique" ? Tu appelles ça une "technique" ? Ce n'est ni stratégique, ni technique, c'est simplement…

— Du génie ? » l'interrompit Hans.

Non. Ce n'était pas absolument pas le mot que Lotus avait à l'esprit. Son visage décomposé et son regard électrique en étaient la preuve. Le chef d'équipe adorait quand elle était poussée à bout. Alors il éclata joyeusement de rire avec ses deux camarades masculins. 


Intérieurement, elle bouillonnait. Si seulement elle avait à ses côtés son fidèle carnet de cuir pour les calmer tous les trois d'une bonne tape sur la tête ! Elle n'allait pas se laisser faire. Elle prit une grande inspiration et s'apprêta à démontrer l'absence totale de raisonnement dans la solution employée par ses amis.

Elle voulut former son premier mot, lorsqu'un son aigu et distant l'interpella. Quatre notes montantes. Un rythme simple et entraînant.

Instinctivement, elle regarda les mains du barde. Non, il jouait encore les mêmes accords, bien éloignés de cette petite mélodie. Était-elle seule à l'entendre ? Rush et Quiver discutaient de leurs fortes voix. Hans, lui, était totalement absorbé par sa propre musique.


À moins que ce ne soit à nouveau un rêve ? Un frisson descendit le long du dos de la jeune femme. Mal à l'aise, elle se leva et secoua ses épaules. Sans un mot, elle se dirigea vers le petit étang à l'arrière de la demeure.


Ses yeux se posèrent sur un petit carillon taillé dans de vieux os qui pendait sur l'une des poutres extérieures. Se pouvait-il ? Non, il n'y avait presque aucun vent et cet instrument produisait un son bien trop différent. Cette conclusion l'angoissa presque autant que l'absence soudaine de l'intrigante mélodie. Peut-être Hans avait-il seulement un voisin musicien ? Elle chercha une nouvelle fois à se rassurer, des explications rationnelles et surtout, aucun lien avec l'apparition furtive qu'elle avait déjà croisée ce jour-là.

Sa mémoire défila comme des images. Les chemins et l'entrée, les plaques re-gravées… Sa demande à l'intendance. Malheureusement pour elle, Hans n'avait à ce jour plus aucun voisin. Elle frissonna et inspecta son environnement, aussi soucieuse que lors d'une chasse. Seulement cette fois, elle avait l'impression d'être la proie.

Ses compagnons n'avaient pas bougé. Elle aperçut même une bouteille de bois mouillée passer entre leurs mains. Après tout, ne disait-on pas que la boisson était le meilleur remède ? Elle espérait simplement que cette fois, ils sauraient ne pas en abuser.


Assise près de l'eau, elle contempla le ciel depuis le petit ponton de bois. C'était une vision reposante, quelque chose qu'elle appréciait beaucoup dans sa vie à la colonie des glaces. Oui, à Seliana. Malgré la neige, le vent, les dangers et l'éloignement, il y avait une chaleur au sein de cette colonie, une famille et une agréable sensation qui donnaient envie de rester.

Ses pensées l'emportèrent et elle voyagea dans le Givre éternel accompagné par le chant étouffé de Hans.

« Le chant de Hans ? » murmura-t-elle.

Non, le barde jouait, récitait des contes et légendes, mais jamais il ne fredonnait doucement. Ses pupilles s'écarquillèrent lorsque le luth de Legiana se tut et que la mélodie continua. La seconde, celle qui était moins forte mais plus rythmée.

Alerte, Lotus se redressa en tremblant. Les secondes passaient et la musique se rapprochait lentement d'elle. La sueur au front, elle fit quelques pas. Cherchant à identifier la source de ce malheur. Ses craintes empirèrent quand les notes enjouées ralentirent. Le rythme entraînant se transforma en une lente ballade, toujours composée des quatre mêmes notes. Ces quatre notes lugubres qu'elle avait entendues plutôt. La musique l'appelait à la relaxation mais elle n'avait jamais été aussi tendue.


Avant le drame, il y eut un silence pesant. Un long moment où Lotus n'arrivait plus à respirer. La Mort avait cessé de jouer. Pourquoi ? Avait-elle tué ? La blonde regarda à l'intérieur de la pièce principale. Ses trois camarades étaient toujours là, vivants et riant avec passion.

« Que veux-tu !? »

Les mots échappèrent à la jeune femme sous la pression. Elle questionna l'air devant elle avec ardeur et frayeur. Peu importait le nombre de fois où elle posait ses questions, elle n'eut aucune réponse.

Abattue, elle se laissa tomber au sol et demeura accroupie, la respiration saccadée. 

C'est alors que l'apparition lugubre daigna lui faire un signe. À quelques mètres seulement d'elle, quelqu'un fredonna à nouveau et joua cette musique qui hanterait désormais les nuits de la jeune femme.


Livide, Lotus se tourna vers l'annexe de Hans, celle où il rangeait sa collection d'instruments. Elle fit deux pas hésitants, ce n'était plus elle qui contrôlait ses mouvements, mais un mélange de peur et de désespoir. Plus elle avançait vers la structure, plus elle parvenait à distinguer son cauchemar. Elle en était désormais certaine. Ce musicien macabre n'était pas humain. Il ne chantait pas comme un humain, pas dans leur langue.

He bien, soit. Si la fin était proche, elle y ferait face dignement. Lotus ignorait tous les messages de son corps qui l'incitaient à fuir. Totalement possédée par la mélodie, elle marchait, le regard vide.

Face au mur de bois, elle se contenta de lever la tête telle une poupée désarticulée. Sur le toit en pente de la remise, se tenait la Mort avec son ukulélé et sa couronne. Son col de fourrure remontait jusqu'à ses orbites, protégeant ainsi ses os du froid. Avait-elle seulement froid ? 

Lotus reste figée devant elle et cette fois, elle ne cria pas. Elle écouta la musique de cette apparition, laissant sa raison mourir en elle. Comme pour répondre à son attraction, le palico squelettique ne bougea pas, il se contenta de continuer sa musique, les yeux levés vers le ciel.


Pendant deux longues minutes, les deux êtres vécurent à l'extérieur du monde et du temps. Il n'y avait plus rien autour d'eux. Ni colonie, ni chasseurs braillards, seulement la Mort et son instrument face à une jeune femme apeurée.

« Est-ce mon requiem ? » demanda Lotus à voix basse.

Si cela devait être la mélodie de son départ, et bien, elle devait avouer qu'elle était très belle. Pure et fascinante.

Ses paroles, malgré le murmure qu'elles avaient été, brisèrent le lien entre l'être mort et celui qui vivait encore.

Le squelette animé rangea son instrument dans son dos, solidement attaché à une lanière de corde joliment tressée. Puis il s'approcha de Lotus, plaçant ses deux grandes orbites vides face aux yeux effrayés de la jeune femme.

Après avoir levé sa patte décharnée, il posa ses doigts secs sur les longs cheveux d'or de son admiratrice. Le soleil du soir apportait de doux reflets orange à la chevelure de Lotus. D'un geste délicat, il caressa quelques-unes de ses mèches flamboyantes, puis miaula tristement.

Le jeune femme en perdit pied. Elle chancela en arrière très lentement, son corps hors de contrôle. Comme si quelqu'un venait de couper les cordes qui la maintenaient unie. Et elle termina son voyage dans l'étang voisin, sans un bruit. Un simple éclaboussement, chant de l'eau secouée, résonna jusqu'aux oreilles des trois chasseurs. Seul indice de la mésaventure de Lotus qu'ils reçurent.


De son côté, celui que la Lotus avait perçu comme la Mort se jeta vers elle, pattes en avant. Emporté par son élan, son manteau de fourrure s'écarta, laissant apparaître son corps frêle et ses côtes au grand jour. Le palico squelettique acheva son envol au même endroit que sa victime. Il se retrouva ainsi dans l'eau chaude des bains, sur le torse de Lotus, fermement agrippé à sa veste. La jeune femme, trempée jusqu'aux os, saisit instinctivement la forme sur elle. Quelque part, elle avait trouvé ce petit être, sous ses vêtements ostentatoires, faible. Elle avait la sensation que la Mort derrière sa parure était une petite chose fragile qui pourrait se briser comme de la simple porcelaine.

Alors elle l'entoura ses bras avec tendresse, tentant, autant que possible, de la protéger. De quoi ? Elle ne le savait pas. Elle resta immobile dans l'eau, tremblante de peur jusqu'à l'arrivée de ses trois camarades. 


La vision qu'ils eurent fut assez déconcertante. Lotus, complètement mouillée, assise, tenant dans ses bras une créature étrange, un crâne usé à la place de la tête.

Les yeux vitreux, la jeune femme regarda ses compagnons ahuris et demanda :

« Suis-je morte ? J'ai vu la Mort… »

Rush et Quiver haussèrent les épaules en se regardant. Que diable racontait-elle ? Ses mots n'avaient aucun sens. Hans avait peut-être une idée ? Ils se tournèrent, avec espoir, vers le centenaire, uniquement pour le voir se plier en deux de rire.

Le barde riait aux éclats en tapant du poing sur le mur voisin. Durant quelques secondes, il reprenait son souffle, avant de poser à nouveau les yeux sur la jeune femme et sa trouvaille, la "Mort". L'instant d'après, il repartait de plus belle, sans échanger le moindre mot avec ses amis.

Les yeux plissés et les joues tendues, il approcha de l'eau. Pour aider la jeune femme à se lever ? Non, uniquement pour sortir le squelette vivant de ses bras. Le petit être se blottit contre lui et le barde essora le manteau de fourrure qu'il portait avec des gestes délicats et attentionnés. Il récupéra ensuite le ukulélé de bois et le vida de l'eau qui s'y était infiltrée, avant de le rendre à son propriétaire. Ce dernier miaula joyeusement en retour.


Lotus resta une spectatrice silencieuse de cette scène. Lorsque Rush lui tendit une main pour se relever, elle l'attrapa automatiquement, sans vraiment réfléchir à ses mouvements. Elle ne pouvait détacher ses yeux des deux grandes orbites vides posées sur l'épaule de Hans. Malgré cette funeste apparence, cette… chose, avait l'air pleine d'affection et de vie.


« BOULE DE POILS ! »


Quiver hurla sans crier gare. Tout venait de prendre du sens. Il chercha une confirmation dans le regard du barde hilare et ensemble, ils partirent dans un véritable fou rire. Rush et Lotus, déjà médusés devant la scène, n'en furent que plus troublés.

« Vous voulez bien vous expliquer à la fin les rigolos ! » s'exaspéra Rush.

Il n'eut aucune réponse, ni aucun soutien de la part de sa camarade. Lotus se contenta de se rapprocher de cette créature dont elle avait tant eu peur. Son existence défiait toute logique. Si elle n'était pas la Mort ? Qui était-elle ?

Hans approcha son précieux camarade d'os près de ses partenaires de chasse. Il grattait gentiment l'arrière du crâne de son compagnon à quatre pattes lorsqu'il le présenta.

« Ce petit gars s'appelle Nightwish, c'est mon palico, annonça-t-il fièrement.

— Ton… Palico ? répéta Rush, comme s'il doutait de la véracité de ces propos.

— Alors… Ce n'est pas un mauvais présage ? balbutia Lotus avec honte.

— Et ce n'est pas une boule de poils ! s'enjoua le dernier membre en riant.

— Non ! c'est un… C'est un sac d'os ! s'exclama Lotus. Comment est-ce possible ? »

Elle avait vu beaucoup de dragons, de monstres, mais jamais rien qui ne ressemblait à ça.


Son palico dans les bras, Hans regarda la jeune femme avec beaucoup d'amusement. Intérieurement, il souhaitait l'aider et lui répondre. Mais l'occasion était beaucoup trop belle.

« Et donc… Tu l'as pris pour… La Mort ? Venue t'annoncer la fin ? 

— Ne te moque pas ! Il… Il m'a fait peur ! Il y avait cette musique fantôme et …

— Hohohoho ! Lotus ! Tu t'es surpassée. Même moi, je n'aurai pas fait mieux !

— Quiver, j'ai vraiment eu peur ! 

— Mais comment as-tu eu peur de ça ? »

Pour illustrer ses propos, Hans porta son palico à bout de bras et plaça sa tête blanche juste sous le regard de la jeune femme. Elle contempla un instant les orbites, les tempes blanchies, les pointes sur la tête et cette couronne. Soudainement le palico miaula de ses petites dents pointues et Lotus aperçut à travers sa mâchoire le début de ses côtes. C'en était trop, la jeune femme tourna de l'œil et tomba dans les bras de Rush, qui l'attrapa de justesse.


À son réveil, elle était dans ses quartiers personnels. Il y avait quelque chose entre ses mains. Un poil rugueux et emmêlé, assez large et des oreilles pointues abîmées. Elle sourit simplement en reconnaissant là son fidèle palico : Tungstène. Sa présence l'aida à se calmer, elle reprit lentement ses esprits avant d'ouvrir pleinement les yeux.

Tous ses camarades étaient à ses côtés, chacun d'entre eux tenant dans ses bras sa boule de poils — même si cela s'appliquait difficilement au fameux Nightwish— et attendant patiemment qu'elle leur parle.

« J'vais bien, j'vais bien, s'empressa-t-elle de leur dire. Nous sommes chez moi ?

— Oui, on a pensé que ce serait plus rassurant pour toi. Tu sais, la sécurité tout ça, » affirma Rush.

Elle inspecta le décor familier, la multitude d'oiseaux colorés sur les poutres au-dessus d'eux et souffla. C'était effectivement une excellente idée. Caressant continuellement son propre compagnon, elle prit une grande inspiration avant de fixer celui de Hans.


Le palico squelettique était sur la cuisse de son maître, qui était assis en tailleur. Il faisait dos au petit groupe présent dans le salon de Lotus et s'était même enroulé dans la longue écharpe verte du barde. Visiblement, il n'était pas du tout à l'aise. "Peut-être à cause de son apparence… pensa Lotus. À moins que lui aussi n'ait peur ?"

Rassemblant son courage. Elle continua de le regarder un moment en silence. Autour d'elle, Quiver chahutait avec son fidèle Korak — ce dernier portait sur la tête le chapeau plumé de Hans, visiblement, il ne l'avait jamais rendu — et Rush présentait au barde son acolyte : Mirabelle. C'était une palico à la fourrure exemplaire. Un pelage, long, couleur caramel et soyeux avec de beaux reflets d'or. Elle incarnait l'entretien parfait de sa personne, ce qui pouvait être étonnant vu son habilité à la chasse. Sa queue était très touffue et finissait en une petite pointe blanche très reconnaissable. C'était une partenaire calme mais très curieuse. Elle ne cessait de regarder dans la direction de Nightwish, visiblement intriguée par ce camarade différent.

Quiver riait souvent de Rush et Mirabelle, en réalité, il se demandait si lui et Lotus n'avaient pas échangé leurs palicos par erreur. Mirabelle était tout l'inverse de Tungstène. Ce palico aux poils gris mal léchés et fortement grincheux détonnait complètement avec l'élégance de Lotus. Il avait sur la tête deux grands épis noirs et des oreilles marrons qui partaient totalement de travers, mais le pire était son regard. Un œil entrouvert, l'autre clos et jamais il ne cessait de dévisager la personne en face de lui. Une véritable teigne.


Le lancier était heureux de présenter enfin le reste de l'équipe à Hans et en retour, il était surpris et très enjoué à l'idée d'en savoir plus sur le timide palico qui l'accompagnait.

« Avait-il des poils avant ? demanda-t-il sans aucune retenue.

— Oui, répondit Hans, tout son clan en avait… Je pense.

— Et où tu l'as trouvé ? Il ne vient pas du Nouveau Monde, je n'ai jamais vu de palico comme ça.

— Et pourtant si Rush, il vient bien d'ici. De l'ancienne forêt pour être exacte. Ce pauvre Nightwish, comme les siens, était au mauvais endroit au mauvais moment. Je chassais avec cet homme venu d'ailleurs… »

Il marqua une pause en se remémorant le visage marqué et la chevelure d'argent de l'homme. Il avait des yeux jaunes et des pupilles uniques. Quel était son nom déjà ?

« Geralt de Riv ? Le voyageur qui est venu par un portail à Astera ? Tu as chassé avec lui ? s'exclama Quiver.

— Oui ! c'est ça ! Geralt ! Un homme charmant, j'aurais aimé qu'il reste un peu plus longtemps. »


L'arrivée de ce voyageur avait fait couler beaucoup d'encre à la commission. Un sorceleur, capable de manier le feu d'une seule main, à la poursuite d'un arbre vivant. C'était assez inédit, même pour des chasseurs de dragons ! Sa quête achevée, il avait pu retourner dans son monde. Il n'était pas resté plus de quelques jours à Astera et peu de chasseurs avaient pu le fréquenter.

« C'est lui qui a transformé Nightwish ? demanda Rush, pressé de connaître l'histoire.

— Quoi ? Noooon, rit Hans. Mais ce jour-là, Geralt poursuivait son Leshen alors que je m'occupais de distraire un Vaal Hazak qui s'était joint à notre chasse. »

Le Vaal Hazak était le dragon ancien de la putréfaction. Véritable charognard, il empestait à des lieues et puisait dans l'énergie vitale des autres monstres qui avaient le malheur de le croiser. Le Leshen, quant à lui, avait la réputation de prendre le contrôle des créatures par la force de son esprit.

« Je n'avais jamais pensé qu'un arbre pourrait prendre possession d'un Vaal Hazak, pourtant, le Leshen avait essayé. Cette tentative avait plongé le dragon dans un état quasiment léthargique. Malheureusement, avant cela, il avait commencé à absorber l'énergie de petits animaux. Oiseaux, amerinsectes et le clan de ce palico avaient été affectés. Mais à l'instant où le Vaal a perdu le contrôle, il a laissé ses victimes en suspens. Leur énergie quittait leurs corps, mais n'avait plus de destination. Nous avons combattu nos adversaires et à sa mort, l'arbre a disparu dans un grand silence. Le Vaal Hazak a repris conscience avant d'avoir achevé les créatures qu'il avait pompées. »


Il reprit son souffle, avant de finir son récit.


« Le pauvre Nightwish était dans un sale état, sa peau avait commencé à partir en lambeaux, mais Geralt,... Geralt a fait plusieurs mouvements de ses mains et lui aussi, pendant un bref instant, a réussi à prendre le contrôle du Vaal Hazak, le dragon avait encore l'esprit tout embrumé ! Il n'a pas pu libérer l'énergie vitale substituée, mais il a arrêté le processus et a forcé le monstre à fuir. »

Cet homme aux cheveux blancs avait une maîtrise étonnante de ce qu'il nommait "signe". Hans se rappelait très bien le jour où le voyageur était parti. Il avait laissé au barde une pierre gravée, lui disant qu'il l'avait imprégnée d' "Igni", le signe du feu. Le barde n'aimait pas utiliser la pierre, assez inquiet de voir les flammes qu'elle pouvait libérer. Mais il la gardait précieusement, véritable trophée de cette aventure inoubliable.

Le signe employé sur le Vaal Hazak s'appelait "Axi", c'était un contrôle mental redoutable et Hans était plus serein de savoir que ce genre de chose n'était pas présente dans le Nouveau Monde.

« Nightwish a survécu aux portes de la mort. Quelques soins et onguents offerts par Geralt l'ont beaucoup aidé. Au fil des jours, ce qui restait de son pelage ou de sa chair est tombé. Tout était flétri, pourri par le dragon. Son clan, malgré tous nos efforts, n'a pas survécu. Le pauvre petit gars s'est retrouvé très seul. Je n'ai pas pu l'abandonner. En plus, une nouvelle rencontre avec un Vaal Hazak ou un autre monstre aurait pu tourner à la tragédie. Il n'a vraiment plus aucune force en lui. »

Il passa calmement sa main sur le manteau de fourrure dans le dos de son palico, pour l'apaiser et le rassurer car il le sentait tremblant comme une feuille. Nightwish avait peur des gens, des autres palicos, du monde en général. Un rien pouvait l'achever et il n'aimait pas les cris qu'il provoquait si souvent.

« Je l'ai pris avec moi. Je lui ai offert un manteau à la couleur de ses anciens poils, pour qu'il n'ait plus peur de se briser en chutant. Puis je lui ai fait fabriquer un sceptre et une couronne, il n'avait pas besoin d'un clan, il était le seigneur de notre groupe, avoua Hans avec fierté. Et enfin, je lui construis un ukulélé à sa taille et j'ai tressé une corde pour qu'il ne le perde pas. Il n'y a rien qui rend plus vivant que la musique. Et… il faut avouer qu'il est devenu très doué ! »


Entre musique, boissons et rigolades, il fallut une bonne heure avant que Nightwish n'accepte de sortir de sa cachette vestimentaire et que Lotus arrive à le toucher. Les trois autres palicos acceptèrent leur nouveau camarade sans trop d'effort, rassurés par le comportement de leurs maîtres respectifs. Nightwish avait trouvé de nouveaux sujets. Miaulant sans pause — sans doute des histoires plus extraordinaires les unes que les autres — et agitant son petit sceptre de la patte, il avait réussi à convaincre les autres de donner de leurs voix. Ainsi, formant un petit cœur pelucheux, les quatre palicos miaulaient dans une cacophonie exemplaire sur un rythme entraînant de ukulélé.


Le palico squelettique avait trouvé une suite à son histoire. S'il avait tout d'abord été attiré par les reflets orangés de Lotus, lui rappelant la chevelure rousse de celle qui lui avait fait découvrir le Givre éternel grâce aux nombreuses plantes qu'elle avait rapportées, il avait adopté ce nouveau groupe et avait laissé sa nostalgie de côté.


Un pas que Hans peinait à faire. Le barde se tenait debout près du feu de cheminée, il observait minutieusement l'habitation de sa camarade. Lotus avait une décoration très soignée, non loin de la sortie pendaient de grands étendards bleus ornés d'une étoile. S'ils étaient censés rappeler l'étoile de Saphir, veillant sur ses chasseurs, Hans n'y aperçut rien d'autre qu'une amie. Encore une fois, une femme vêtue de bleu se tenait devant lui.

Avait-il le droit ? De céder son domaine ? De tourner cette page ? Il avait l'étrange sentiment de les laisser tomber. Malgré le cèdre bleu derrière l'étang, malgré ses chants et la préservation de l'écosystème bleu, il était persuadé qu'amener son nouveau groupe face au Balafré effacerait définitivement leurs visages de sa mémoire. 

La femme bleue dansait lentement, suivant le mouvement du drapé. Elle lui faisait des signes, elle lui souriait, après tout, elle souriait toujours. Mais elle ne lui donnait aucune réponse. Alors, Hans se risqua à faire le premier pas.

« Il a la main verte tu sais… Il prendra soin de tout, murmura-t-il au vide. Et puis… il faut que je prenne soin d'eux, tu les as vus ? Ils sont encore moins doués que moi… Je pense qu'ils pourront aller loin, sans doute plus loin que nous. Mais tu sais, sans vous je… »

Une brise se leva et le tissu s'agita, coupant le vieil homme dans son élan. La femme secoua la tête, non. Il était temps pour le barde d'aller de l'avant. Au loin, la cime d'un arbre pencha et le chasseur à la crête arriva. D'une tape sur l'épaule, il signala sa présence à la femme en bleu.

Hans pourrait jurer avoir entendu sa voix, une dernière fois.


« Tu viens ? Il est temps, murmura l'ombre. Elle nous attend à notre table.

— Demain, annonça Hans à demi-voix face aux images floues. Demain, je leur montrerai le logement, mais aussi le cèdre. Je vais leur conter votre légende. Je ne vous laisserai jamais mourir complètement, c'était ma promesse. »

Un dernier souffle puis le silence et les ombres s'en étaient allées.


Merci à BakApple pour la relecture


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