Le Chant de la Diva
Chapitre 1 : Le Chant de la Diva
6840 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 14/07/2025 12:14
Le Chant de la Diva
Pour Astrée et Sen.,
Votre chaleur n’a d’égale
que la joie qu’elle me procure.
Le crissement des seikrets se fit entendre peu de temps après le tambour de leur galop. Reconnaissant les cris des petites wyvernes rapaces généreusement cédées par le peuple de Kunafa aux membres des unités Avis et Astrum, Nata se précipita à leur rencontre. Répartis sur cinq montures, les huit membres de la Guilde approchaient du campement érigé en bordure du lieu sacré des résidents du village wyvérien de Suja.
L'apprenti chasseur natif des Terres Interdites accompagna ses compagnons d'aventure, proposant de tenir les rênes des seikrets pour les aider à descendre. Gemma ne refusa pas cette proposition, et fut la première à se contorsionner pour poser le pied à terre avant de s'étirer de tout son long. Alma, quant à elle, retrouva le sol en un rien de temps, réajustant machinalement les lunettes rondes trônant sur le bout de son nez, puis tendit les bras vers le palico qui appréciait tant s'accrocher à son dos lors de leurs virées sur les terrains de chasse.
Le dernier membre de l'unité Avis, Elenaril, fut la dernière de ce quatuor à descendre de sa selle. Caressant tendrement l'encolure de son seikret, elle lui murmura quelques félicitations qui semblèrent ravir la wyverne, laquelle parut presque roucouler de plaisir, à l'unisson avec le tintement d'un gri-gri à grelot suspendu au fusarbalète de sa cavalière.
« Nous voilà enfin rentrés, soupira Olivia, chasseuse émérite de l'unité Astrum, dans le dos de laquelle luisait le métal d'un marteau de guerre impressionnant, tandis qu'elle guidait sa monture vers l'enclos où les seikrets pouvaient paître. J'ai bien cru que nous devions ériger un campement provisoire ce soir encore.
— Ça ne m'aurait pas dérangé, répondit Erik en époussetant son long manteau vert pâle, sali par quelques nuages de poussière soulevés par leurs galops. Tant que nous avons du feu pour nous réchauffer, toute nuit sur le terrain est bénéfique aux recherches. »
L'assistant de l'unité Astrum sauta d'un bond allègre et tendit la main à son passager qui, d'un air renfrogné, refusa son aide et tenta tant bien que mal de descendre par ses propres moyens du dos de la bête à plumes qu'il n'aimait guère chevaucher. Manquant presque de rater son atterrissage, il retint un juron entre ses dents et feignit l'indifférence, recoiffant nonchalamment ses cheveux maintenus en une courte queue de cheval, bien que quelques mèches vinssent lui gêner malgré tout les yeux. Un ronronnement amusé parvint malgré tout à ses oreilles depuis le dos du seikret d'Olivia où Athos, son fidèle palico dont l'épaisse fourrure immaculée n'avait pour seule tache qu'un trio de griffures marquant son œil droit, remuait les moustaches.
« Je pense que vous avez mérité une bonne nuit de repos, leur sourit Nata en aidant tout un chacun à débarrasser les montures des attelages et des chargements. Il me semble qu'il est prévu que la Diva nous honore de sa présence ce soir. C'est, en tout cas, ce qu'ont laissé entendre les rumeurs. »
Elenaril posa ses yeux dorés sur le visage enfantin marqué d'une cicatrice sur la joue droite perpendiculaire à sa mâchoire arrondie. Ce petit était parti de rien et, en l'espace d'une poignée d'années, maîtrisait la langue commune à merveille. Il avait appris étonnamment vite, grâce à l'aide d'Alma, et s'exprimait comme un natif, si ce n'était même mieux que l'un d'eux. Le regard du jeune garçon croisa le sien, et il lui adressa un sourire ravi. Il était difficile d'ignorer l'angoisse qui avait dû l'habiter tandis que les deux unités combattaient sur le terrain, mais le soulagement qui remplaçait désormais cette inquiétude irradiait de toute sa personne.
Pour sûr, il avait grandi depuis leur première rencontre. Elenaril ne pouvait s'empêcher de se retrouver en lui.
« Nous pourrions nous reposer un peu et nous retrouver pour dîner en contrebas, proposa Alma avec la douceur que tous lui connaissaient. Enfin, de nous toutes et tous, Erik et moi sommes les moins à plaindre...
— Ne dis pas ça. Votre travail d'analyse et d'étude est tout aussi primordial que le nôtre, corrigea Elenaril en tirant de sa sacoche deux friandises, qu'elle tendit à son seikret ainsi qu'à son palico.
— Et puis, renchérit Gemma en resserrant l'élastique qui maintenait sa queue de cheval d'un blond presque blanc, Werner et moi n'avons fait que disposer nos prototypes de pièges pour aider Olivia et Elenaril. Le gros de notre travail était déjà réalisé en amont.
— N'allez pas vous battre pour éviter les louanges. Nous méritons tous un temps de repos, peu importe combien nous jugeons l'importance de notre contribution. Nous avons tous joué un rôle pour mener à bien cette chasse, et c'est le plus important. »
La douceur d'Olivia ponctuée par une joie communicative acheva le semblant de débat qui avait gagné ses compagnons d'expédition et, dans un salut bref, leur promit de les rejoindre plus tard dans la soirée pour partager un délicieux festin.
Les deux unités s'en allèrent rejoindre la tente dont chacune disposait, constituée d'autant de chambres qu'il n'y avait de personnes à loger — à l'exception des chasseuses et leurs palicos qui partageaient les leurs — afin de se reposer un peu avant les retrouvailles. Dans l'espace dédié à l'unité Avis, et peut-être bien aussi pour l'unité Astrum dans son propre repaire, Nata avait préparé tout le nécessaire pour se rafraîchir ; peut-être avait-ce été pour lui la seule façon de s'occuper l'esprit en guettant leur retour.
« Ah, qu'est-ce que je ne donnerais pas pour prendre un bon bain ! soupira Gemma en se passant un coup d'eau et de savon sur le visage, essuyant la marque de suie laissée par ses lunettes de protection. J'ai l'impression que ça fait des lustres que je n'ai pas fait trempette !
— Si tu avais été envoyée à Astera, je crois que tu aurais passé plus de temps dans les bains qu'à la forge, rit Elenaril en rangeant soigneusement son lourd fusarbalète sur le socle d'arme à l'entrée de sa chambre. Crois-moi, ils valaient le détour. Et je ne parle pas de ceux de Seliana...
— J'ai tendance à oublier que tu as fait partie de la Commission de Recherche. On dirait que tu as vécu plusieurs vies en une seule ! »
Un timide sourire s'afficha sur les lèvres d'Elenaril à cette remarque. Il était vrai que, dans un sens, elle avait vu bien plus de choses que tout être humain de ce monde. Elle ne relança pas le sujet, préférant disparaître derrière le rideau faisant office de porte, se coupant du reste de son unité. Tandis qu'Alma et Gemma racontaient avec enthousiasme leur expédition à un Nata avide de détails, Elenaril ôta son épaisse armure de métal et alla s'étendre sur son hamac, rapidement rejointe par son palico qui en avait fait de même.
« Nous avons tous bien des souvenirs d'avant les Terres Interdites, murmura-t-elle en caressant d'un air distrait le pelage calicot de son acolyte felyne. Pas vrai, Mésange ? »
Un ronronnement d'approbation lui répondit, et toutes deux s'assoupirent, profitant de cette accalmie dans leur quotidien effréné pour récupérer un semblant de repos bien mérité.
Lorsque la chasseuse parvint à la table où patientaient déjà Olivia, Athos, Nata, Alma et Erik, elle remarqua du coin de l'œil que Gemma quittait la forge où, aux côtés du forgeron de légende qui avait posé ses bagages dans les environs de Suja, elle avait travaillé sur quelque projet secret. Elle n'avait cessé, durant le voyage retour, d'interroger les chasseuses sur son prototype de piège et de réfléchir aux différentes manières de l'améliorer. Au vu de la sueur qui perlait encore sur ses tempes, elle avait consacré tout le temps dont elle disposait à bricoler près du feu pour mettre en œuvre ses idées.
Mésange se précipita aux côtés d'Athos, qui lui laissa une place de choix sur le banc sur lequel elle s'était assise. Elenaril s'installa quant à elle sur un tabouret laissé vacant entre Alma et Erik, qui venaient d'achever leur conversation sur les rapports à rédiger pour la Guilde sous l'œil attentif de Nata. Ne manquait plus que...
« Tu n'aurais pas croisé Werner en descendant ? » interrogea Olivia, qui avait troqué son armure de cuir et de métal contre une tenue bien plus légère et confortable.
Elenaril secoua légèrement la tête de droite à gauche, juste assez pour que ses longs cheveux blondis par le soleil ondulassent dans sa nuque.
« J'aurais dû ? demanda-t-elle en retour.
— Il n'a pas répondu lorsque je l'ai appelé un peu avant de quitter la tente. Je le soupçonne de s'être endormi.
— Il a mobilisé toute son énergie pour tenir sur mon seikret, j'en suis sûr ! rit doucement Erik en couvrant ses lèvres de ses doigts repliés. Ou alors il a décidé d'aller se cacher pour éviter la foule de ce soir. »
Du peu qu'elle avait fréquenté le forgeron de l'unité Astrum, ce qui équivalait à une infime fraction du temps qu'Olivia, Athos et Erik avaient passé à ses côtés, Elenaril approuvait la seconde théorie de l'assistant. Werner n'était pas du genre extraverti, et préférait de loin l'intimité des petits comités. Il semblait tolérer la présence de l'unité Avis, puisqu'ils avaient à plusieurs reprises collaboré ensemble lors de leurs recherches et leurs traques, mais l'idée que tous les chasseurs et Wyvériens qui peuplaient les environs vinssent s'amasser près de l'immense estrade rocheuse où allait, disait-on, chanter la Diva ce soir-là avait très probablement eu raison de lui.
« Je vais dire que je ne suis pas vraiment mieux, renchérit le jeune homme aux cheveux cendrés. J'étais parti voir la marouette géante, et j'ai bien failli m'assoupir dans son nid entre deux de ses oisillons. À peu de choses, j'arrivais en retard à notre rendez-vous, voire je le ratais complètement !
— Cela m'étonne à peine de toi, » rit Elenaril en masquant le bas de son visage du bout de ses doigts.
Malgré les années, certaines formes de politesse de sa contrée natale persistaient. Elle avait déjà, par le passé, remarqué combien les individus de ce monde étaient sincères et masquaient à peine leurs émotions, mais elle ne parvenait à se mêler entièrement à la foule. Malgré la dizaine d'années passées sur ces terres, elle restait une étrangère à ce monde.
« Bon, fit Athos dans un bâillement dévoilant ses redoutables crocs, je m'en vais le chercher...
— Non, attends, l'interrompit la chasseuse, je vais y aller. Vous semblez toutes et tous épuisés par le voyage. Reposez-vous, je n'en aurai pas pour bien longtemps. »
Olivia approuva d'un hochement de tête, et lui adressa un sourire ravi. Elle semblait plus que contente de pouvoir rester assise à sa place, et de ne pas avoir à mobiliser ses jambes fourbues par les efforts incessants des derniers jours.
« Je te le confie, lança-t-elle. Tente de ne pas trop le brusquer, sinon il va ronchonner pendant des jours.
— Merci du conseil, » rit Elenaril avant de rapidement saluer le reste du groupe, leur promettant d'être rapidement de retour à leurs côtés.
La tente commune de l'unité Astrum avait été installée à quelques pas de celle de l'unité Avis qui, elle-même, faisait partie des installations les plus proches du Grand-Camp. En remontant la colline, on trouvait successivement les tentes des autres équipes, parmi lesquelles celles des unités Rubrum et Turris, dont les chasseurs respectifs, Rosso et Alessa, avaient à quelques reprises demandé à Elenaril un peu d'aide pour certaines traques spécifiques. Elle aperçut plus loin Griffin, de l'unité Ferrum, qui sortait de son quartier général, probablement pour rejoindre lui aussi ses compagnons attablés en attendant la prestation tant attendue de la Diva. Elenaril le salua rapidement, avant de s'engouffrer sous la toile tendue, non sans avertir de sa présence en amont.
Le silence lui répondit. Cela confirmait les suspicions d'Olivia ; le forgeron s'était tout bonnement octroyé le doux repos d'une sieste qui se transformait peu à peu en nuit réparatrice. Était-ce prudent de venir le déranger de la sorte, surtout après un voyage aussi éreintant ? Elenaril hésita un instant à tourner les talons, songeant à rejoindre Alma, Gemma et les autres, et laisser ainsi Werner se reposer. Mais le murmure du doute vint l'assaillir, et il eut rapidement raison de la tranquillité de sa conscience.
« Werner ? appela-t-elle toutefois en s'approchant de la seule chambre dont le rideau était tiré. Est-ce que vous êtes là ? »
Un grognement à demi étouffé lui parvint. Il était difficile à dire quel était réellement le message qu'il était supposé transmettre, mais si toutefois cela fût une demande pour qu'on laissât l'homme seul, la chasseuse brava l'interdit en tirant légèrement le tissu et en passant sa tête à travers l'ouverture ainsi créée.
Werner gisait sur le sol, le corps à demi enroulé sous une couverture et la tête enfoncée dans un oreiller. Le sol froid semblait être un excellent lit, tout du moins cela devait lui convenir en dépit du bazar qui régnait dans l'espace personnel du forgeron, y compris sur le matelas abandonné dans un coin. Divers outils, croquis et carnets avaient été éparpillés çà et là, ainsi que quelques vêtements qu'il avait vaguement pris la peine de rassembler dans un coin. Son épais veston cuirassé et sa tassette d'écailles d'un bleu sarcelle qui avait perdu de sa superbe, roussie le long de la cuisse par les flammes de la forge, avaient été eux aussi abandonnés, non loin de leur propriétaire toutefois.
« Est-ce que tout va bien ? Vous vous sentez mal ? »
Un autre râle étouffé fit office de réponse, avant que l'homme ne relevât son visage hors du coussin dans lequel il avait été enfoui, et de se tourner lentement vers la perturbatrice de sa solitude. Ses paupières plissées et ses sourcils froncés assombrissaient ses yeux cernés qui tentaient d'identifier la personne qui venait à lui. Il extirpa sa main gauche de son cocon de tissu et frotta ses yeux dissimulés par quelques mèches châtain rebelles, s'appuyant sur son coude droit pour redresser son buste. Ses lèvres formèrent un rictus l'espace d'une infime seconde lorsqu'il sembla reconnaître Elenaril, avant de laisser échapper un soupir.
« Ah, lâcha-t-il, c'est toi...
— Les autres s'inquiétaient de ne pas vous voir arriver, alors je suis venue aux nouvelles, » expliqua-t-elle en risquant de faire un pas et de pénétrer dans l'antre du forgeron sans y avoir été invitée.
Elle resta debout sur le seuil, coincée entre une lampe à huile et une gourde aussi vides l'une que l'autre, guettant la réponse de son interlocuteur peu loquace qui ne semblait pas vouloir venir. Werner pinça l'arête de son nez entre son index et son pouce aux ongles courts, rongés et salis par le travail manuel.
« Je passe mon tour pour ce soir, grommela-t-il, tu peux me laisser là et rejoindre les autres.
— Quelque chose ne va pas ? Vous paraissez pâle... »
Le teint blafard du forgeron était en effet un peu plus blême qu'à l'accoutumée, creusant un peu plus encore ses joues décharnées. Des conversations qu'elle avait entendues entre Athos et Olivia ou encore Erik, Werner n'était pas le genre d'homme à prendre soin de lui. Il avait la fâcheuse manie de se plonger à corps perdu dans son travail et ses réflexions quitte à en oublier de dormir ou de manger, jusqu'à ce que son corps ne le rappelât à l'ordre. Il suffisait de voir l'état dans lequel il se trouvait pour comprendre que ce soir-là n'était pas une exception ; au moins il avait pris le temps d'enlever les vêtements qui pouvaient le gêner dans son repos avant de s'enrouler telle une chenille dans son cocon. Ses cheveux décoiffés et une trace d'oreiller sur la joue témoignaient de sa tentative de sommeil.
« C'est rien, c'est rien. Juste la fatigue. »
Son semblant de protestation ne convainquit aucunement Elenaril, qui s'approcha de lui en évitant les obstacles disséminés ici et là sur son chemin. Werner s'était redressé en position assise en la voyant approcher et avait remonté le bout de sa couette jusqu'à son menton, comme s'il avait souhaité cacher son buste dont on pouvait apercevoir la peau dans l'ouverture du col de sa chemise ample. La chasseuse s'agenouilla à sa hauteur, et vint plaquer le dos de sa main gauche sur son front afin de jauger sa température corporelle. Comme pour garder un comparatif, elle plaça sa main droite sur le sien, entre deux mèches rebelles, et ses sourcils se froncèrent.
« Je me permets, » s'excusa-t-elle rapidement avant de coincer le visage de Werner entre ses paumes et de coller son front à celui de l'homme, qui eut un mouvement de recul qu'elle restreignit sans peine.
La différence était maigre, mais elle sentait un début de fièvre qui prenait le forgeron ; cela ne faisait aucun doute qu'il avait couvé cela durant l'expédition des derniers jours et s'était effondré en revenant chez lui à cause de l'épuisement.
« Franchement, y en a pas un pour rattraper l'autre dans ton unité, marmonna l’homme lorsqu’elle se recula, non sans baisser le nez.
— Ce serait plutôt à moi de dire ça. Vous êtes tous les trois inconscients, allant jusqu'à ignorer la voix de votre raison alors que vous poussez vos corps à bout. Si Athos n'était pas là pour vous surveiller... »
Elenaril ne finit pas sa phrase, s'interrompant brusquement au souvenir qu'elle déclenchait chez elle. Au lieu de cela, elle lâcha un soupir et se redressa.
« Je ne peux pas vous laisser seul comme ça. Rhabillez-vous, je vous prie, nous allons prendre l'air. »
Werner leva vers elle un regard aussi impassible que secrètement interrogateur. Ses minces lèvres légèrement pincées et ses cernes violacés ajoutaient un semblant de mépris à son expression, bien qu'Elenaril prît cela comme une simple communication du désir de solitude qu'éprouvait l'homme. Elle ne put s'empêcher de sourire en le voyant ainsi, et lui tendit la main pour l'aider à se relever. Werner observa un instant sa paume, puis y glissa la sienne.
« J'te jure... Opportuniste comme une corneille, murmura-t-il en laçant nonchalamment son col.
— Dans ce cas, nous formons un bon trio d'oiseaux, » rit Elenaril en se saisissant d'une couverture avant de la glisser sur les épaules du forgeron.
Une mésange, une pie et une corneille. L'idée l'amusait grandement. Son prénom, dans sa langue natale, renvoyait à l'idée d'un beau présage et avait, à ses yeux, trouvé tout son sens le jour où son premier compagnon de route, chasseur de son état, lui avait partagé la symbolique de la corneille dans l'imaginaire collectif des peuples de l'Ancien et du Nouveau Monde. Que Werner y fît aussi allusion l'amusait grandement, autant que cela ne fît naître en elle un sentiment de profonde nostalgie à l'égard d'une époque révolue. Un soupir de l'homme l'arracha à sa rêverie.
« Bon. Et où on va ?
— Dans ma tente. »
Werner, qui gardait la tête baissée et les yeux rivés sur le sol, releva subitement son visage. Un air d’incompréhension trahissait le tumulte des pensées qui lui traversaient l’esprit sans qu’il ne pût formuler la moindre question afin d’apaiser tout ce vacarme. Sans plus attendre, autant pour rectifier tout malentendu que pour apaiser la conscience de l’homme qu’elle se devait de ménager afin de ne pas aggraver son état fiévreux, elle compléta sa phrase, non sans se remémorer un quiproquo similaire duquel elle avait été à l'origine, une dizaine d'années auparavant.
« Je vais vous préparer un remède et veiller sur vous.
— Je peux me débrouiller seul.
— Et oublier de manger ou de dormir jusqu’à ce que vous fassiez un malaise ? Permettez-moi d’alléger vos camarades d’unité pour cette fois. »
Il maugréa et traîna du pied, mais ne protesta pas davantage, suivant à petites foulées le pas leste de la chasseuse. Le crépuscule tombait sur les Terres Interdites, et les flammèches qui éclairaient le chemin au travers des lampions de papier se reflétaient dans les yeux cuivrés. Le brouhaha des nombreux individus rassemblés près de l'estrade où apparaîtrait la Diva au plus profond de la nuit leur parvenait. Même la forge s'était tue ; pour une fois, le Grand Camp tout entier s'était uni comme un seul esprit pour assister à la divine apparition qui leur avait été promise. De quoi pouvaient discuter les autres membres des unités Astrum et Avis, tandis qu'Elenaril allumait un feu de camp dans le foyer aménagé devant sa tente ? Mésange prenait-elle du bon temps avec le reste de l'équipe ? Les pensées d'Elenaril allaient et venaient tout en se concentrant de temps à autre sur les tâches qu'elle s'était attribuées.
Une fois le feu parti, elle proposa à Werner de s'asseoir près de celui-ci, et s'absenta une seconde ou deux pour ramasser une théière remplie d'eau fraîchement puisée, quelques ingrédients et son matériel d'alchimie. Assise à gauche du forgeron, elle mit l'eau à bouillir tandis qu'elle écrasait dans un mortier, à l'aide d'un pilon, quelques ailes de papillons qui, ainsi réduites en poudre, donnaient presque l'air de graines de pollen apportées par la brise printanière. Il la regarda faire sans dire un mot, simplement en observant ce geste aussi précis que l'ingrédient n'était étrange, retenant vraisemblablement les questions qui naissaient dans ce cerveau qui réfléchissait à toute allure. Peut-être cette information n'était-elle pas suffisamment intéressante pour ses recherches et ses innovations, après tout. Contrairement à d'autres auparavant, il ne s'enquérait pas de comprendre ce qu'elle faisait.
Elenaril versa un peu d'eau dans une casserole, à laquelle elle mêla la poudre d'ailes de papillon, et remua paisiblement la mixture qui prenait peu à peu la forme d'une pâte onctueuse sous la chaleur du feu. En parallèle de cela, elle mit à infuser des fleurs de lavande qu'elle avait faites sécher après leur cueillette ainsi que des fleurs bleues récoltées par les Wyvériens sur les pentes de Suja et de ses environs montagneux. Certes, ces ingrédients disposaient de moins de puissance alchimique, ils n'en étaient pas dépourvus pour autant. L'extraction du jus d'une baie soin fut la dernière étape avant le dosage de chaque préparation et le mélange qui, elle l'espérait, saurait faire son effet.
Werner se saisit, non sans un air inquisiteur, de la tasse de céramique que lui tendait Elenaril, de laquelle émanait une légère fumée ainsi qu'un arôme fleuri. Pour peu, il aurait été difficile de croire qu'il s'agissait d'une mixture alchimique plutôt que d'une simple infusion mais, ayant été témoin de la préparation de la boisson, il ne pouvait ignorer l'utilisation d'ailes de papillon ; Elenaril était entièrement consciente du caractère étrange que cela pouvait revêtir.
« Buvez, invita-t-elle, ça vous aidera à vous remettre d'aplomb. Regardez, ça n'est pas toxique. »
Tel un parent qui tentait de faire apprécier à un jeune enfant un légume à l'air peu ragoûtant, Elenaril se servit une rasade de la potion ainsi préparée et l'engloutit d'une traite. Elle n'en avait pas tellement besoin, mais si cela pouvait rassurer le forgeron...
« T'es vraiment un drôle de numéro, fit Werner avant de boire cul sec la tasse encore fumante.
— On me l'a souvent dit, oui. Je crois que c'est normal, lorsqu'on est une étrangère où qu'on aille, comme moi... »
Elle poussa du bout du tisonnier une bûche qui semblait s'échiner à s'éloigner du foyer où brûlait le cœur du feu.
« Une étrangère, hein ? C'est pas un peu ce que nous sommes tous, ici ? »
La réflexion de Werner la fit sourire. Dans un sens, il n'avait pas tort...
« Disons que je viens de loin, de très, très loin, mais je me sens bien plus à ma place dans ce monde-ci.
— On croirait entendre un de ces philosophes wyvériens, répondit-il en posant la tasse à présent vide près du mortier, sur une pierre plate voisine. Comme si t'avais voyagé bien plus que tous nos hommes réunis, alors que tu es seulement allée explorer le Nouveau Monde avec la Cinquième avant de revenir dans l'Ancien. »
Elenaril acquiesça doucement, ne relançant pas le sujet. Il était vrai que peu de personnes ici pouvaient comprendre, ou devaient comprendre. Celles qui avaient été dans le secret n'avaient eu que des bribes de celui-ci, après tout.
Comme si ces vieux souvenirs ressassés réveillaient les blessures autant du corps que de l'âme, elle sentit la pointe de la dague de verre lui lacérant le cou. Par habitude, elle toucha la vilaine cicatrice qu'on lui avait laissée là, uniquement pour constater que la plaie s'était refermée, et qu'elle ne saignait plus.
« Blessure de guerre ?
— On peut dire ça, en quelque sorte. Ça a été ma punition pour avoir voulu prendre une autre voie que celle qu'on a voulu m'imposer.
— Je vois. T'es une corneille originale, toi.
— Si vous le dites, » sourit Elenaril en s'enfonçant un peu plus dans le siège de campement où elle s'était assise.
Werner ne la quittait pas du regard, en dépit de la fatigue qui animait son corps. Ses yeux d'un bleu cobalt pénétrant semblèrent s'écarquiller un instant lorsque la chasseuse vint replacer une mèche blonde derrière son oreille pointue. D'ordinaire, elle les masquait systématiquement à l'aide du casque de son armure ou en stylisant ses cheveux mais, défaite sous l'effort, sa coiffure n'était plus aussi soignée que plus tôt dans la soirée, et peut-être la pointe anguleuse avait-elle surpris le forgeron.
Il eut un semblant de rictus, avant que sa poitrine ne se soulevât et qu'un éclat de rire à peine retenu ne lui secouât le corps. Elenaril le dévisagea avec étonnement. Elle n'avait jamais entendu Werner rire auparavant.
« C'est bien la première fois que vous riez depuis que nous sommes dans les Terres Interdites.
— Personne n'a tenté de me rouler dans la farine avec autant d'ambition auparavant, répondit-il avant de reprendre son souffle et de se calmer. Ça explique bien des choses à ton sujet, si t'es une Wyvérienne.
— Ce n'est pas... »
Elenaril se mordit la lèvre inférieure. Elle n'avait ni la force ni l'envie d'expliquer les tenants et aboutissants de l'histoire qui l'avait menée jusqu'ici. Seulement, elle devrait une fois encore être affublée d'une étiquette qui ne lui correspondait pas. Comment faire comprendre simplement que l'homme se trompait, et qu'elle était théoriquement plus proche des Humains que des Wyvériens en dépit de ses oreilles pointues de Haute Elfe ? Il avait interprété, comme tous avant lui, ses paroles comme synonyme d'un coin reculé des terres connues par la Guilde. Personne ne pouvait croire qu'elle venait de plus loin encore, d'un monde duquel elle seule provenait et duquel elle avait dû s'échapper car elle n'y avait plus sa place...
« C'est un secret, confia-t-elle presque honteusement en réajustant machinalement le col de sa tunique. Ni Alma ni même Mésange ne sont au courant.
— Je vois que la confiance règne.
— J'imagine bien que vous aussi avez des histoires que vous n'aimeriez pas raconter. Tout le monde en a, après tout, chasseurs comme forgerons. Combien de fois les ai-je entendus, à Astera, se maudire de ne pas avoir forgé d'armures assez résistantes pour prémunir toutes les blessures et les morts sur le terrain ?
— Tu as vu juste. T'es vraiment futée. Une corneille, je te dis. »
Il se râcla la gorge et passa un coup de langue sur ses lèvres pâles et sèches. Elenaril s'empressa de retourner dans sa tente chercher quelques feuilles de thym séchées qu'elle mit à infuser dans la théière nouvellement remplie d'eau fraîche. Près d'elle, un pot de miel et sa cuillère arrondie patientaient en vue du moment où ils seraient appelés pour sucrer et parfumer davantage encore la délicieuse boisson qui se préparait.
« Pour quelqu’un qui n’a que faire des informations qui ne concernent pas son travail, renchérit-elle d'un air faussement indigné en se rasseyant, vous vous intéressez drôlement à vos camarades d’expédition en-dehors de votre unité. Vous m’étonnez, Werner, à m'interroger autant à mon sujet. »
Il lui retourna son sourire malicieux. La curiosité de l'ingénieur avait été piquée. En dépit de la fièvre, qui avait assurément baissé grâce à la potion de soin qu'elle lui avait concoctée, Werner n'avait en rien perdu de sa superbe et semblait prêt à discuter avec elle toute la nuit durant. Pourtant, lorsque l'elfe vint lui servir une tasse de tisane aromatisée, celle qui lui rappelait de merveilleux souvenirs d'Astera et des compagnons rencontrés là-bas, il fronça les sourcils et lui posa une question sur un ton grave et sérieux.
« Pourquoi tu fais ça ? »
L'envie de taquiner le forgeron acariâtre qui semblait enfin s'être ouvert aux individus étrangers à son unité était tentante, mais Elenaril se contenta de répondre en lui tendant la tasse de céramique remplie du liquide fumant. Ses yeux concentrés sur le récipient s'arrêtèrent un instant, imprimant sur leurs rétines le creux des mains calleuses du forgeron.
« Parce qu'un ami m'a autrefois dit qu'il était de notre devoir, en tant que chasseurs, de veiller sur ceux qui ont besoin de nous.
— Il parlait de ceux qui, comme moi, ne peuvent pas brandir une arme face aux monstres, fit Werner en soufflant sur sa boisson dans le vain espoir de la faire tiédir plus rapidement.
— Peut-être bien. Mais j'aime à penser qu'il nous faut aider quiconque ayant besoin d'une épaule sur laquelle s'appuyer. »
L'elfe tourna son visage vers le ciel. Les constellations se dessinaient sur la toile opaque. Malgré toutes ces années passées à l'observer, elle ne parvenait à s’habituer à ce ciel, et peinait à reconnaître les dessins célestes qui y avaient été peints par la nature. Pourtant, on avait déjà tenté de lui apprendre tout cela...
« Voilà pourquoi je veille sur vous ce soir. Pendant qu'Olivia, Erik et Athos se détendent là-bas, je prends soin du quatrième membre de leur équipe de choc afin que vous puissiez tous bénéficier du repos que vous méritez.
— Hm. Je vois. »
Werner se tut et but la tisane sans un bruit autre que celui de sa gorge qui se contractait pour laisser passer le liquide salvateur. Pourtant, dans ce regard qu'Elenaril osait croiser et appréciait observer, le tumulte de ses pensées était parfaitement lisible. Quelles théories s'imaginait-il donc ? Il avait assurément lu entre les lignes et compris qu'elle n'était pas d'origine wyvérienne, mais venait de bien plus loin encore. Peut-être envisageait-il d'utiliser les ressources nouvellement découvertes dans l'Est dans l'espoir d'entrevoir cet autre monde duquel l'elfe venait ? Elle priait afin que ce ne fût pas le cas, et qu'il cogitât plutôt au sujet de leur expédition et des expériences qu'il avait menées durant celle-ci.
Le murmure de Suja s'était tari, comme envoûté. Les lumières s'étaient éteintes, les flammèches des bougies balayées par une brise aussi légère qu'éphémère. Au loin, sur l'estrade centrale du Grand-Camp, les feux resplendissaient, leurs hautes flammes semblant presque lécher le ciel et atteindre les étoiles dessinant le firmament.
« La voilà, souffla Werner. Erik sera content d'avoir gagné son pari. »
Au centre de la scène, la silhouette de la Diva apparut. Nimbée d'une lumière qui semblait provenir d'un monde aussi divin qu'intangible, sa longue robe cérémonielle immaculée comme les neiges des Gorges du Monde, elle semblait irréelle. Une apparition née des fantasmes et des désirs. Son corps même n'avait pas d'âge et affichait l'intemporel de sa figure. Ses longs cheveux blancs ondulaient autour de son visage et formaient une cascade de fils d'argent dans son dos. Les rubans coulant le long de ses bras et ses avant-bras ruisselaient comme une pluie de diamants avant de se mêler aux couches de tissu étendues sur la pierre, véritable traîne de princesse éthérée.
Elenaril ne put détacher ses yeux de cette silhouette qui, au loin, ondulait dans sa prière adressée à quiconque désirait l'entendre. Lorsque la voix entonna son chant, la mélodie parvint jusqu'au duo assis près du feu d'une façon aussi nette que s'ils s'étaient trouvés près d'elle. Même les crépitements des bûches consumées s'était estompé, honteux de troubler ce moment hors du réel.
Comment décrire l'afflux d'émotions que faisait naître ce chant qui résonnait dans sa poitrine ? Aucune langue ne possédait de mot pouvant exprimer cette nostalgie d'un temps à venir emprunte de regrets du futur et d'espoirs du passé. Comme si la Diva elle-même comprenait tout des sentiments des individus venus l'écouter, elle paraissait entendre le murmure de leurs cœurs et embrasser ces secrets pour les transmettre aux astres à la vibration de sa voix aussi douce que puissante.
Les lèvres entrouvertes, un murmure suspendu à celles-ci et incapable de franchir ce seuil charnel, Elenaril retenait son souffle. Son âme toute entière vibrait au tempo de la mélodie dont elle ne parvenait à saisir qu'un infime fragment des paroles. Ce chant en langue ancienne la captivait intensément, comme nulle autre incantation.
« C'est si beau, » souffla-t-elle si bas qu'elle crut avoir gardé cette pensée pour elle-même.
Werner tourna son visage dans sa direction ; elle l'aperçut du coin de l'œil. Intriguée, elle lui retourna son regard, et resta un instant muette face à la lueur qui brillait au creux de ses iris bleutés. Elle y décalait pour la première fois une adoration telle que celle qu'il portait à son art de l'ingénierie, mais adressée à une autre entité, tout aussi intangible. Une légère brise vint soulever les mèches châtain empreintes d'argent de l'homme, et ôter à la vue d'Elenaril ces miroirs où se reflétait l'âme passionnée du forgeron.
Sans un son, ni parole ni grognement, il leva son index à hauteur du coin de la paupière droite. Elle comprit le signe, et l'imita. Une perle de rosée s'était posée sur son doigt, née sous la vague de souvenirs et d'émotions déferlant sur son esprit.
Visiblement ravi d'avoir accompli son devoir, l'homme se pencha un peu plus en arrière, le nez tourné vers le ciel infini et les mains jointes sur son abdomen. Ses paupières de refermèrent peu à peu, tandis qu'il s'abandonnait à la prière qui résonnait.
« Étonnant que tu comprennes l'ancien wyvérien, se permit-il toutefois d'ajouter. Même les anciens de Suja ont perdu le sens de ces paroles, apparemment. »
Il était bien trop tard et bien trop difficile d'expliquer à l'homme la raison de l'étrange plurilinguisme de la chasseuse ; elle se contenta simplement d'acquiescer en silence, et de porter de nouveau son attention à la Diva. Un jour, peut-être, confierait-elle à autrui la véritable raison de sa présence dans ce merveilleux monde...
La prière se fit plus intense encore. Le vibrato de la Diva ondulait comme le courant des rivières en période d'accalmie. Les notes finales, aiguës et soutenues, conclurent ce moment suspendu hors du temps où les Terres Interdites toutes entières s'étaient figées pour écouter ce chant de bénédiction.
Les feux s'éteignirent. La scène devint noire.
La lune solitaire éclairait faiblement la silhouette recroquevillée dans une salutation cérémonieuse adressée aux individus, Hommes comme Wyvériens, chasseurs comme villageois, venus l'écouter. Puis, en un battement de cil, sa figure disparut des regards, avant que les lampes du Grand-Camp ne retrouvassent leur éclat et n'illuminassent de nouveau les chemins.
Le silence laissa peu à peu sa place aux bruits habituels du Grand-Camp. Le feu de camp crépita timidement avant de s'éteindre, étouffé par ses propres cendres.
« Vous savez, Werner, commença Elenaril, à Astera... »
Le forgeron, visage tourné vers le ciel, s'était assoupi. Sa respiration profonde semblait imperturbable. L'elfe se retint de poursuivre son histoire et d'évoquer ses souvenirs d'Astera où l'attendait son ami. Il résiderait là-bas pour toujours, et ne reviendrait jamais dans le Vieux Monde. Au souvenir de son visage, Elenaril se promit de lui rendre visite et de lui partager toutes des découvertes des terres orientales dès qu'elle le pourrait. Il aurait sûrement eu des difficultés à aborder Werner, mais aurait aussi très certainement apprécié ce sérieux et cette dévotion du forgeron pour son art. Ils auraient pu discuter longuement des subtilités du feu de wyverne et de ses nombreuses déclinaisons sur le terrain. Ils auraient pu...
Elle chassa ces pensées qui la détournaient de la tâche qu'elle s'était attribuée pour ce soir-là, et se concentra à nouveau sur l'homme endormi. Elle rangea rapidement dans l'entrée de sa chambre, et un peu en bazar, le matériel sorti afin de préparer la boisson et le remède, avant de se pencher vers le forgeron et de discrètement le faire léviter à l'aide d'un petit tour de magie. Afin de camoufler ses traces, elle passa le bras gauche de l'homme derrière sa nuque, et fit mine de l'aider à avancer jusqu'à rejoindre sa tente, puis sa chambre. Une fois hors des regards, elle se permit d'ordonner un peu la pièce et d'allonger Werner convenablement sur son lit, avant de le recouvrir d'une couette pour le maintenir au chaud.
Un dernier contact entre son front et celui du forgeron lui confirma que sa potion lui avait été bénéfique. Rassurée, elle s'assit en tailleur près de lui et veilla sur son sommeil paisible. Elle attendrait le retour du reste de l'unité Astrum pour les informer de ce qui s'était passé, et rejoindrait sa propre demeure une fois son compagnon nocturne entre de bonnes mains...
La respiration lente et régulière de Werner l'apaisait. Ses souvenirs du temps passé à Astera s'étaient adoucis et lui permettaient de revenir dans cet instant présent où d'autres personnes comptaient sur elle désormais. Dans un sourire, elle fredonna l'air de la prière, et resta aux côtés du forgeron, tous deux bercés par le chant et la prière de la Diva.