Tôya aux mains de feu

Chapitre 1 : Tôya aux mains de feu

Chapitre final

6251 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/10/2020 00:22

Ce texte rentre dans le cadre du défi "Il était une fois dans l'Ouest" du forum de fanfictions.fr.

Non, je ne suis pas en retard, je respecte juste le traditionnel quart d'heure français


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On l'appelait Touya aux mains de feu pour deux raisons. La première lui venait de la fâcheuse manie qu'il avait développée, au fil des années, à couvrir ses traces par les flammes ; depuis qu'il avait quitté le nid familial, il avait réduit en cendres plus de ranches, saloons et autres banques qu'il ne pouvait en compter. Partout où il passait, il semait l'incendie.

La deuxième, beaucoup l'ignorait, était qu'il portait sur toute la paume de ses deux mains la marque écarlate des âmes soeurs. Les anciens parlaient d'un signe des dieux, les nouveaux arrivants y voyaient de la sorcellerie. Touya, lui, l'avait souvent ressenti comme une rassurante fatalité. Plus jeune, il avait rêvé au jour où il croiserait celle dont les marques correspondaient aux siennes. Les âmes soeurs portaient cette marque couleur argile au premier endroit où leur autre moitié les toucheraient. Mais jamais Touya n'avait croisé quiconque dont les marques se superposaient aux siennes ; et ensuite, le destin l'avait emmené sur un autre chemin. Parfois, il laissait la nostalgie l'emporter et se plongeait dans ses marques, se demandant ce que pouvait bien faire sa promise.


Il arriva en ville alors que le soleil se couchait à l'horizon. La poussière ocre répandue au sol avait taché ses getas et la plante de ses pieds. Comme le loueur de chevaux refusait de prêter des bêtes aux Japonais, il avait fait le chemin par ses propres moyens depuis le matin. La faim lui tiraillait l'estomac et il aurait vendu père et mère pour une gourde d'eau fraîche. Il lui tardait de trouver un coin tranquille où passer la nuit et se restaurer. Son informateur lui avait parlé d'une échoppe où il serait bien reçu, privilège rare dans cette ville tombée aux mains des Américains des années auparavant.

Il réajusta son stetson sur le haut de sa tête et en profita pour y dissimuler sa queue de cheval. Pour le moment, il n'était pas d'humeur à se battre. Si ses getas, son hakama et le sabre qu'il portait à la ceinture le faisaient indéniablement passer pour un original auprès des Blancs qu'il croisait, il n'y avait guère que les samouraïs pour porter les cheveux longs désormais. Et si sur le papier, même les Japonais les plus traditionalistes avaient le droit de vivre leur vie comme il l'entendait, le nouveau maître des lieux voyait d'un mauvais oeil ceux qui ne se pliaient pas à son mode de vie.


Tout en parcourant les rues de la ville, Touya ne put s'empêcher de remarquer à quel point elle était laide. Ce qui avait été à peine une décennie plus tôt un paisible petit village de fermiers avait eu tôt fait de se transformer en une informe fourmilière quand on avait trouvé un filon d'or dans la montagne non loin. Les Yankees n'avaient pas traîné pour monter leurs bâtiments, construire le chemin de fer et évider les collines à la recherche du précieux métal jaune. Les quelques Japonais qui vivaient encore là se tuaient dans les mines pour un salaire de misère et les plus chanceux avaient tout de même le droit de tenir les magasins ou de servir dans les maisons. Bien sûr, ces messieurs appréciaient la compagnie docile des femmes de l'Est, aussi on trouvait des quartiers de plaisirs même dans des coins reculés comme celui-ci. La tête baissée, dans l'espoir qu'on le prendrait pour un journalier venu chercher un peu de travail, Touya cherchait le salon de thé que lui avait décrit Giran. Il était hors de question qu'il se rende dans un saloon crasseux et qu'il se mêle à l'immonde populace qui y grouillait.

Il le trouva finalement, au fin fond d'une ruelle qui s'était trouvé épargnée par les Occidentaux. Sur les rues pavées, il retrouvait enfin le sentiment de se trouver chez lui, dans un pays qu'il connaissait et chérissait. Il arracha son portrait du panneau des avis de recherches, le plia et le glissa dans sa longue manche. Tout le pays connaissait déjà son visage, il n'y avait pas besoin d'en rajouter. Après un rapide coup d'oeil à droite, puis à gauche pour s'assurer que personne ne l'avait suivi, Touya souleva le rideau et se glissa à l'intérieur du bâtiment.




Tom acheva d'attacher le licol de son cheval sur la barrière prévue à cet effet. Il était enfin de retour dans la ville qui l'avait vu naître, après de longs mois d'absence. Déjà, il ne la reconnaissait plus. Les constructions poussaient dans le sable comme des champignons dans la mousse et toujours, de nouveaux Américains en quête de richesse accostaient. Ils venaient tamiser les rivières ou creuser les mines dans l'espoir d'empocher ni vu ni connu une petite pépite d'or. On ne voyait jamais les mêmes visages d'une semaine sur l'autre. Pourtant, il n'arrivait pas à se sentir nostalgique. La vie qu'il avait toujours menée était derrière lui désormais. Il avait abandonné jusqu'à son nom.


— Tu viens, mon garçon ?


Tom hocha la tête et rejoignit All Might, qui avait déjà bien avancé. Depuis la mort du Seigneur Shigaraki, il l'avait pris sous son aile et avait fait de lui un chasseur de prime déjà renommé malgré son peu d'expérience. Comme beaucoup d'entre eux, All Might était le fruit d'une union métisse. Il était né dans une maison close, d'une mère Japonaise et d'un père d'origine inconnue, sans doute un Américain ou bien un Néerlandais, puisqu'ils aimaient eux aussi faire commerce dans la région. Pour ces enfants de personne, chasser la vermine était souvent le seul moyen de ne pas venir grossir leurs rangs. Ils choisissaient un pseudonyme et laissaient leur ancienne vie dans un passé où elle resterait pour toujours. Tom, même s'il en avait longtemps voulu à son nouveau maître de l'avoir arraché à la maison de son enfance, avait fini par lui en être reconnaissant. Sans lui, il se balancerait probablement au bout d'une corde.


Quand on leur avait signalé qu'un criminel particulièrement dangereux se dirigeait vers cette ville, ils n'avaient pas hésité une seule seconde à s'y rendre à leur tour, avec l'idée de l'y devancer. Ils avaient chevauché une nuit et un jour entiers sous la chaleur écrasante de l'été, qui ne les laissait pas sereins même après le coucher du soleil. Tom resserra son foulard autour de son visage. Ses cheveux blancs étaient déjà suffisamment voyants, pas besoin de se montrer au grand jour et d'être reconnu par tout le monde.


— Séparons-nous, proposa All Might en lui tendant un avis de recherche comme référence. Les natifs te feront plus confiance si je ne suis pas avec toi.


Tom ricana. Si les nouveaux arrivants n'avaient aucune idée de son identité, ce n'était pas le cas des autochtones, parmi lesquels il était connu comme le loup blanc — sans mauvais jeu de mot. Le terrible règne de la famille Shigaraki avait longtemps écrasé le peuple, qui se contentait sans doute bien mieux de l'occupant actuel. C'était d'ailleurs avec une immense surprise qu'il avait aperçu sa maison entre les arbres sur la colline. Il aurait mis sa main à couper que des villageois revanchards auraient profité de son départ pour y mettre le feu.


Tandis qu'All Might faisait son chemin de son côté, Tom errait dans la vieille ville. Dans ces rues, où vivaient tous les Japonais, les maisons frisaient l'insalubrité, jamais entretenues faute de moyen. Les pavés éparses manquaient à certains endroits et des impacts de balles avaient été réparés à la va-vite dans les murs fins des façades. L'endroit devait grouiller de traditionalistes, ces conservateurs purs et durs qui se croyaient toujours au temps des samouraïs et refusaient catégoriquement de voir que le monde avait changé. Les affrontements devaient être monnaie courante.


Il croisa une femme, ployée sous le fardeau d'un fagot de petit bois qui était presque aussi grand qu'elle. Il s'avança pour l'aider mais le regard qu'elle lui lança l'en dissuada aussitôt. On n'efface pas son ardoise si facilement, songea-t-il. Il s'arrêta devant un panneau couvert d'avis de recherche. La plupart des criminels qui s'y trouvaient avaient été arrêtés, voire exécutés depuis bien longtemps. Pourtant, il n'y trouva aucun trace de celui qu'il venait chercher. Le haut d'une feuille de papier récente pendait encore sur le tableau, preuve qu'un avis de recherche bien plus frais y était accroché peu de temps avant. Serait-il possible que… ? Dans ce cas, deux hypothèses s'affrontaient : soit il avait de la concurrence, soit le principal intéressé était passé par là et avait arraché lui-même son portrait.


Le salon de thé que jouxtait le panneau était éclairé et des éclats de voix s'en échappaient. Tom s'y glissa sur la pointe des pieds, prenant garde à ne pas heurter le linteau avec la carabine qu'il portait dans le dos, cadeau d'All Might quand Tom avait accepté de le rejoindre.


Dissimulé dans un recoin que lui offrait le vestibule, il fit de son mieux pour calmer sa respiration et écouter ce qui se disait à l'intérieur. Un bref coup d'oeil le renseigna sur les clients : il y avait trois hommes et une femme. Celui qui se tenait derrière le comptoir, Tom en avait déjà entendu parler. C'était un homme à la peau de charbon et au regard de lave que son maître américain avait amené avec lui sur la route de la fortune ; la légende ne racontait pas comment il s'en était affranchi. Les gens d'ici n'avaient jamais appris son véritable nom, aussi était-il de coutume de le nommer Kurogiri. L'autre homme, dont Tom ne distinguait que la silhouette massive et les cheveux clairs, était assoupi sur sa table, près de deux bouteilles de saké renversées.


La femme portait un yukata jaune pâle, d'une facture plutôt correcte pour le quartier, mais avait décoloré ses cheveux en blond, comme aimaient le faire les Japonaises qui pensaient ainsi se rendre plus familières aux yeux des Occidentaux. Elle était accoudée au bar, un sourire mutin aux lèvres, en grande conversation avec le dernier invité assis à table, un peu plus loin. Quand il le vit, Shigaraki ne put s'empêcher de sourire à son tour. Il l'avait trouvé ! Les dieux du hasard s'étaient montrés bien généreux de l'avoir ainsi placé sur sa route.


Toujours caché dans leur angle mort, Tom écoutait leur conversation, autant pour recueillir autant d'informations que possible que pour se donner le temps de calmer son coeur affolé. Ce ne serait pas sa première arrestation, mais jamais il n'avait eu affaire à un criminel avec une telle réputation.



Touya souffla un long panache de fumée blanche puis tira de nouveau une longue bouffée sur son kiseru. Le bout de la pipe commençait déjà à lui brûler les doigts, mais il n'en avait cure. Pour l'instant, tout ce qui lui importait était de se restaurer après son long voyage. Il aurait aimé profiter des bains thermaux qui faisaient jadis la gloire de la région, mais la plupart avaient été détournés vers les mines, laissant le sol sec et les baignoires d'un vide déprimant.


— Qu'est-ce que tu viens chercher par là ? demanda Kurogiri, en posant devant lui une bouteille de saké que la jeune Toga s'empressa d'emmener au client endormi.


Touya souffla de nouveau, vida d'un coup sec le bec du kiseru dans le cendrier posé sur table et but une gorgée de thé. Ce genre de plaisirs se faisaient rares dans cette partie du pays. Les Occidentaux y avaient tout construit à leur sauce et préféraient le tintamarre enfumé des saloons à un peu de calme bienvenu.


— Qu'est-ce qui te fais dire que je viens chercher quelque chose ?

— On n'aime pas trop les traditionalistes dans ton genre ici et le coin grouille de chasseurs de prime. J'ai entendu parler de toi, tout le monde dit que tu es un grand malade. Mais je te crois pas assez frappé pour venir te jeter dans la gueule de tous les loups du pays sans une très bonne raison.


Touya ricana. C'est qu'il pouvait être clairvoyant, celui-là.


— J'ai entendu dire qu'il y avait pas mal de blé à se faire.

— Tu vas aller tamiser la rivière comme tous ces Blancs qui débarquent ici ?


Cette fois, Touya éclata d'un rire sincère. S'imaginer accroupi dans cette eau vaseuse, courbé sous un soleil de plomb, à remuer son tamis dans l'espoir d'y voir briller une minuscule pépite d'or était le comble de l'hilarant. Bientôt, Toga le rejoignit dans son fou rire, suivi du tas de muscles avachi sur la table, qui se secoua quelques secondes en émettant un glougloutement amusé.


— Aucun risque, tu peux me croire. Non, j'ai toutes les raisons de penser qu'il y a un joli petit paquet de pognon caché dans les parages.


Quand il était remonté un peu plus au nord, il avait croisé la route de Giran qui, à défaut d'être un sympathique personnage était au moins un très bon croque-mort et un informateur encore meilleur. Il revenait justement de cette ville de malheur et lui avait dit, son grand sourire édenté aux lèvres, que s'y trouvait quelque chose qui ne pouvait que l'intéresser. Et Touya ne s'intéressait qu'à deux choses : l'argent et tuer des Américains. Pour les Américains, il n'y avait pas à dire, il était servi. Mais il se doutait que Giran avait une toute autre idée en tête.


— Ah oui, demanda Toga, où ça ?

— Dans la maison du Seigneur Shigaraki.


Tous les regards se tournèrent vers lui. Même le grand blond leva la tête pour le dévisager, et Touya put voir la large cicatrice qui lui barrait le visage. Il ne leur en dis pas plus. C'était son coup, pas le leur.


En chemin, il s'était renseigné sur cette fameuse ville et avait vite découvert que, peu de temps avant la mort d'un nobliau local, un convoi des orpailleurs de la compagnie des Amériques avait été attaqué et dépouillé de sa cargaison. Le Seigneur Shigaraki, que les Yankees surnommaient All for One en référence à la quantité astronomique de petites frappes qui obéissaient au moindre de ses ordres, s'était retrouvé accusé du méfait, sans pour autant qu'on ne retrouve le butin ni chez lui, ni ailleurs. Un procès expéditif plus tard, le bougre se retrouvait devant le peloton d'exécution, pas tant pour le punir que pour montrer l'exemple. Toute cette histoire n'avait prouvé qu'une chose à Touya : il était sûr et certain que l'or se trouvait encore dans la maison, laissée à l'abandon depuis.


— Si tu le dis, ricana Kurogiri. De toute manière, s'il y a quoi que ce soit là-bas, ça appartient à son fils, ça m'étonnerait qu'il te laisse le voler sans rien dire.

— Quel fils ? répliqua Touya avec un tic agacé.

— Un immonde cancrelat albinos du nom de Tomura. Le genre petit prince pourri gâté, qui ne sortait que pour mener la vie dure aux petites gens. Il a disparu juste après la mort du Seigneur Shigaraki, mais à ce qu'on dit, il veille quand même sur ses terres.


Que de charmants épithètes, songea Touya avec un sourire en coin. Il s'apprêtait à répliquer, quand il vit le rideau bouger dans l'entrée. La première fois, il avait cru au vent, la seconde à un passant indécis, mais désormais, il en était sûr : quelqu'un les écoutait. Il posa sa pipe sur la table et, d'un geste souple, se jeta vers l'entrée. Dans la pénombre, il attrapa l'indiscret et le retourna dans une clé de bras, la main fermement plaquée sur sa bouche pour l'empêcher de crier. L'autre se débattit, mais c'était peine perdue : la poigne de Touya lui interdisait tout mouvement.


— Alors, on écoute aux portes ?


Seul un grognement étouffé lui répondit. De la façon dont il se tenait dans son dos, Touya ne voyait qu'une masse de cheveux blancs, mais le poignet qu'il serrait dans sa main ne lui semblait pas être celui d'un vieillard.


— Oh, mais ne serait-ce pas notre petit Seigneur ? chantonna-t-il, enjoué.


Il fallait croire que Dame Fortune lui souriait. Il n'aurait pas pu rêver mieux pour le mener droit vers ce qu'il désirait. Le gamin était bien frêle dans son emprise ; il ne devait pas avoir beaucoup plus de vingt ans. Il resserra un peu plus sa clé de bras, arrachant une plainte à Tomura.


Mais le gamin avait plus de hargne à revendre qu'il n'y paraissait. D'un coup de talon dans le tibia, il força Touya à lâcher prise et, après avoir réajusté son foulard autour de son visage, s'élança à l'extérieur. Sans réfléchir, Touya se précipita à sa poursuite. Il ne compris que trop tard qu'on l'avait attiré dans un traquenard.


Devant lui, se tenait trois chasseurs de prime aguerris, dont deux qu'il avait déjà affrontés par le passé. Le premier, devenu depuis sheriff mais qui avait tout de même conservé son pseudonyme de Gran Torino, avait beau n'être plus qu'un vieux croulant, Touya savait qu'il devait se méfier de lui. L'autre était la redoutable Midnight, dont la beauté n'avait d'égale que sa férocité. Elevée par un cowboy pur et dur arraché à son Texas natal par l'appât du gain, elle maniait le lasso comme personne. Elle avait pour habitude de ramener ses proies vivantes comme on ramène le bétail au ranch, mais n'hésitait pas une seule seconde à presser la détente si le rodéo s'avérait trop risqué.


Le troisième, il ne le connaissait que de nom : All Might. On racontait un tas de choses à son sujet, à tel point qu'il devenait difficile de distinguer le vrai du faux. Tout ce qu'on savait pour sûr, c'était qu'il était le chasseur de primes le plus efficace du pays. Dès qu'il se mettait en chasse, du plus petit malfrat au plus grand truant, personne ne lui échappait. Touya fit claquer sa langue quand il vit le fils se réfugier près de ce type. Alors c'était ainsi, lui aussi n'était qu'un lâche et un vendu…


— Rends-toi, Touya Todoroki, ordonna Gran Torino. Par égard pour ton pauvre père, nous ferons preuve de clémence si tu es coopératif.

— Comme si ce sale traître à son pays avait la moindre pensée pour moi. Il est bien trop occupé à jeter sa fille dans les bras de tous les Blancs qui passent.


Ils se regardèrent en chien de faïence, personne n'osant tirer le premier. Touya aimait ce petit jeu, ces quelques secondes avant l'assaut, quand le silence pesait autant que le soleil de juillet au-dessus de leur tête et qu'on entendait plus que le vent qui soulevait le sable. Bientôt, le métal sifflerait, l'odeur de la poudre emplirait les narines. Le sang viendrait tacher les vêtements puis le sol, on donnerait du travail au fossoyeur. Touya compta. Une, deux, trois, quatre tombes bien fraîches à creuser dès ce soir.


— Eh, All Might, lança-t-il puisque personne ne semblait décidé à bouger. Tu dois reconnaître ça.


Il retira le stetson qu'il portait et le balança dans la poussière devant lui. Ça n'était qu'un misérable chapeau troué et élimé par des années de bons et loyaux services, mais pour quelqu'un qui avait côtoyé son porteur pendant tant d'années, il était reconnaissable entre mille.


— Comment… ? demanda All Might, les dents serrées.

— Je me suis permis de l'emprunter. Je me suis dit qu'il n'en aurait plus besoin, vu qu'il n'a plus toute sa tête.


Du bout du doigt, il traça une ligne sur sa gorge et tira la langue. Eraserhead avait été un adversaire coriace, à n'en pas douter, mais il avait fini par avoir le dessus. Et contrairement aux chasseurs de primes, Touya ne faisait jamais de quartiers. Tous ceux qui passaient sur son chemin repartaient les pieds devant. Il ne pouvait pas s'offrir le luxe d'avoir des poursuivants. Son regard croisa celui de Midnight, qui lui montrait ses dents de louve, prête à bondir. C'était le moment.


Touya, d'un geste calculé, descendit sa main vers son sabre. Comme au ralenti, il vit les quatre autres s'emparer de leurs armes. Au dernier moment, plus rapide que l'éclair, il extirpa de sa manche un lourd revolver à la crosse argentée. Le stetson n'était pas le seul souvenir qu'il avait rapporté de son duel dans les montagnes. La sensation du métal froid entre ses mains lui arrachait toujours le même dégoût, mais s'il voulait survivre, il n'avait pas d'autre choix que de se mettre au niveau de l'ennemi.


Il tira quatre coups.


Gran Torino s'effondra le premier, suivi de Midnight. Il n'avait pas touché le fils Shigaraki. All Might resta debout, malgré l'impact de balle qui déchirait son poncho. Ainsi, la légende disait vrai, il portait vraiment une plaque de métal à la poitrine pour arrêter les balles. Tant pis, le prochain coup serait le bon. Il leva de nouveau le bras, prêt à faire feu. Une douleur cuisante l'en empêcha. Au niveau du biceps, le tissu blanc de son hakama se teintait de rouge à mesure que le sang coulait.


Alors qu'il fuyait à travers les ruelles, les balles filaient dans son dos, certaines le frôlaient. Mais il faisait de son mieux pour l'ignorer. Tout ce qui comptait pour le moment, c'était survivre.



Touya décolla le tissu de sa manche, englué de sang séché, de la plaie. La balle n'avait fait que l'effleurer, il frissonna en songeant aux dégâts qu'elle aurait causé en le touchant de plein fouet. Les revolvers de ces chiens d'Américains n'avaient rien à voir avec la camelote qu'ils refourgaient aux autochtones. Il l'avait su face à Eraserhead, il avait compris qu'il n'avait dû son salut qu'à ses prodigieux réflexes et au soleil dans son dos d'en ressortir vivant. Ce All Might était d'un tout autre niveau, il y perdrait bien plus qu'un peu de peau s'il le sous-estimait.


Il grimaça au contact de l'eau froide, mais continua de nettoyer sa blessure. Ici, en amont de la montagne, la rivière demeurait pure. Loin des placers aurifères, la foule boudait ces ruisseaux glacés dont on voyait le fond caillouteux et dans lequel on trempait à peine les genoux. Touya suivit du regard les carpes qui dansaient au gré du courant. Le repas serait maigre, mais au moins, il aurait de quoi manger. S'il avait de la chance, il dégoterait une anguille ou deux, qu'il pourrait faire griller. Il pourrait même s'introduire dans les vergers un peu plus au sud, qui appartenaient à des Occidentaux, et s'offrir le luxe de croquer dans une pêche bien mûre ou de gober une poignée de cerises.


Il se coucha dans l'herbe brûlée par le soleil, un brin d'herbe entre les dents. La lumière lui brûlait les yeux et il en vint presque à regretter le vieux stetson mité de l'infortuné Eraserhead, qui lui aurait au moins offert un peu d'ombre. Tout en séchant, il fit le point sur la situation. Il ne fallait pas compter sur le jeune Shigaraki pour lui ouvrir les portes de son domaine, encore moins maintenant qu'il était passé à l'ennemi. Mais qu'à cela ne tienne, il trouverait bien cette foutue cache tout seul.


Il fut interrompu dans ses pensées par un canon froid qui vint à la rencontre de son front. Il entrouvrit un oeil, pour apercevoir à contre-jour une silhouette connue, dont le visage était couvert d'un foulard brun.


— Bouge pas.


Touya esquissa un sourire. A qui croyait-il faire peur avec sa misérable pétoire ?


— Quand on veut tuer un homme, on vise au coeur.


Constatant que le garçon ne lui avait pas encore fait sauter la cervelle, Touya prit cela pour le signe qu'il n'avait encore jamais tué personne et qu'il hésiterait bien plus que ses petits camarades à la gâchette facile. De son éternelle nonchalance, Touya se redressa et fit quelques pas en arrière dans la rivière, histoire d'instaurer une distance respectable entre eux.


— Allons bon, Petit Seigneur. Quel bon vent t'amène ?

— On t'a vu t'enfuir l'autre soir. Tous les chasseurs de prime de la région battent la montagne à ta recherche.


Ça, Touya s'y attendait. Il n'avait fui par là qu'en désespoir de cause mais comptait bien trouver une meilleure planque, où il serait bien plus tranquille. Et vu ce que lui disait Shigaraki, il ferait mieux de ne pas traîner.


Touya se demanda ce que Shigaraki pouvait bien penser. Difficile de déchiffrer ses expressions quand la moitié de son visage était dissimulé par ce fichu bout de tissu. Sans doute que le soleil réussissait peu à une peau si claire pour qu'il soit obligé de s'enturbanner ainsi. Mais malgré son apparence, il était bel et bien japonais, tout comme Touya. Le même sang coulait dans leurs veines. Alors pourquoi ?


— Tu es vraiment de leur côté ?

— Bien sûr. Les traditionalistes comme toi ne savent que s'opposer au progrès inévitable et vous allez finir par tous disparaître. Ici, c'est s'adapter ou mourir. Moi, je m'adapte.

— Quitte à vendre ton âme au diable ?


Shigaraki, qui le tenait en joue, avança encore d'un pas vers lui, les mains serrées sur la crosse de sa carabine. Un instant, Touya crut qu'il allait tirer mais il n'en fit rien.


— Allons, du calme, Petit Seigneur.

— L'annonce disait « mort ou vif ». Tu préfères quoi ?

— A choisir, je préfère vif.


Avec un sourire narquois, il leva les mains au-dessus de sa tête, paumes vers l'avant.


— C'est quoi sur tes mains ?

— Une tache de naissance.


Shigaraki resta interdit un instant. Il ne faisait aucun doute qu'il comprenait de quoi il s'agissait. Tous les Japonais le savait. Sans doute que ses amis d'Outre-Pacifique avait eu le temps de lui laver le cerveau avec leurs histoires de diableries. Touya s'en trouva vexé. S'il avait arrêté d'inspecter toutes les jolies filles qui passaient sur son chemin à la recherche de deux marques de mains, il n'avait pas pour autant abandonné l'idée de tomber sur son âme soeur au détour d'un braquage, dans les bas-fonds crasseux où il se retrouvait bien trop souvent où, pourquoi pas, dans le palais de l'empereur. Que quelqu'un qui partageait avec lui toutes ces légendes et ces douces histoires amours éternelles envers et contre tout ne comprenne pas la beauté de ces marques lui donnait des envies de meurtre.


Pourtant, ce n'était pas du dégoût qu'il voyait sur le visage de Shigaraki, ni même la peur sourde que l'on ressentirait face à un oni fraîchement sorti des entrailles de l'Enfer. Ce que Touya lisait dans ses yeux tenait plus de la surprise et de la confusion. Il n'eut pas le temps de lui en demander plus que Shigaraki s'était déjà enfui à toutes jambes.


Curieux garçon.



Assis à une table au saloon, Tom réfléchissait. Il n'avait rien dit à All Might de sa rencontre avec Touya aux mains de feu, un peu plus tôt dans la journée. Comme tous les autres, il avait prétendu revenir bredouille et avait décidé, en accord avec son mentor, de rentrer pour la nuit. Le loup finirait bien par sortir du bois, et il avait sur eux l'avantage de connaître le pays et d'avoir la sympathie des villageois des campagnes reculées. Dans ces hameaux, qui n'avaient pas profité de l'incroyable expansion américaine, on ne voyait l'arrivée de ces étrangers que comme un désagrément dans un quotidien bien rangé. Certes, ils perdaient du terrain d'année en année mais ils restaient encore farouchement attachés à leurs traditions, ce qui en faisait des gens dangereux.


Tom ne savait que faire. Le bon sens lui disait de ne pas faire cas de ces états d'âme et d'accomplir sa mission pour toucher le pactole. Il vivrait confortablement de la récompense pendant quelques mois puis repartirait à l'aventure. Trouverait pourquoi pas une femme dont le visage ne se tordrait pas de dégoût quand elle le verrait démasqué. Mais voilà, ce Touya l'avait touché.


Il tenta autant que faire se peut de se changer les idées. Joua une partie de dés avec deux travailleurs journaliers descendus du dernier bateau, un blondinet qui aidait à creuser les galeries à coup d'explosifs et son ami aux cheveux d'un roux presque rouge. Ils échangeaient dans un anglais aux inflexions étranges, que Tom comprenait à peine. Il parvint finalement, au bout de longues minutes de pénibles échanges qu'ils venaient d'une ville appelée Dublin mais ne put rien en tirer de plus.


Le pianiste, un grand maigre aux longs cheveux blonds, donnait de la voix sur un ragtime déchaîné — et plutôt faux — tandis qu'une jeune Japonaise aux cheveux courts l'accompagnait au banjo. Elle en jouait comme on joue du shamisen, avec un large plectre en ivoire, ce qui donnait un son étrange mais dont personne ne semblait se soucier. Conformément à une coutume que l'on ne suivait plus guère que dans une poignée de bourgades rétrogrades, on lui avait depuis l'enfance percé puis allongé les lobes d'oreille à l'aide de plateaux de plus en plus grands, si bien qu'ils lui arrivaient désormais à la mâchoire. Elle semblait bien s'amuser, ce qui plaisait manifestement au fils du patron, un jeune Japonais aux cheveux teints en blond mais dont une seule mèche noire avait échappé au traitement décolorant. Son regard croisa celui de Shigaraki et elle détourna immédiatement la tête, gênée.


— Qu'est-ce qui te tracasse, Tom ?


All Might l'observait, perplexe. Tom ne s'étonnait pas qu'il ait deviné tout de suite que quelque chose ne tournait pas rond. Ils vivaient côte à côte depuis des mois maintenant, il n'avait plus de secret pour lui. Du moins, presque plus.


Il ne pouvait pas tout dire à All Might. Ce serait avouer qu'il hésitait, avouer qu'il n'était pas digne de confiance. Et dans ce milieu, la confiance était vitale. La perdre, c'est ce retrouver avec une balle en plein coeur ou pire. Même si la cause des tranditionalistes le touchait, même s'il aurait lui aussi voulu revenir à ce Japon de conte folklorique, il devait choisir son camp. S'il voulait survivre, Tom devait sacrifier Touya Todoroki. Il le fallait.


— J'ai peut-être une idée.



Tom franchit la porte du salon de thé, retira ses chaussures et s'avança pieds nus sur le tatami. A cette heure, seuls Kurogiri et Toga étaient encore présents. La jeune fille lui adressa un large sourire, mais il put la voir empoigner quelque chose sous la manche de son yukata. Il faudrait se méfier d'elle.


— J'ai rien pour toi ici, petit, lança Kurogiri.

— Je voudrais parler à Touya aux mains de feu.


Kurogiri et Toga échangèrent un regard, avec d'éclater de rire de concert.


— Tu crois vraiment qu'il serait revenu ici après ce qui s'est passé l'autre jour ?

— C'est ce que j'aurais fait, moi.


Kurogiri cessa tout de suite de ricaner.


— Ce serait le dernier endroit où on penserait me chercher. Personne ne me penserait aussi bête.


De toute manière, que Touya soit là ou non n'avait aucune importance. Tom savait que le message passerait, d'une façon ou d'une autre. Il n'avait aucune idée de ce qu'il ferait ensuite, l'hésitation lui étreignait toujours le coeur, mais il devait poursuivre. Il n'avait pas le choix.


— Dites-lui simplement que s'il y a de l'or chez mon père, je sais où il peut se trouver. Mais en échange, je veux venir avec lui pour récupérer mon katana. Qu'il me retrouve au lever du soleil devant la porte de la maison.



Touya arriva devant la maison Shigaraki aux aurores, avec la sale impression d'être tombé dans un traquenard. Cette invitation était trop belle, elle cachait quelque chose, c'était évident. Mais d'un autre côté, comment résister à une telle tentation ? Pourtant, aucun comité d'accueil ne l'attendait lourdement armé à l'entrée. Seul Shigaraki se tenait sur le pas de la porte, comme promis.


Sans un mot, il le guida à travers les couloirs de la bâtisse, laissée à l'abandon depuis des mois. A chaque intersection, il portait la main au revolver qu'il avait coincé à sa ceinture, persuadé qu'on surgirait des ténèbres pour l'attraper. Mais il n'en fut rien. Ils avancèrent sans relâche jusqu'à la pièce principale. Là, Shigaraki s'accroupit et souleva le coin d'un tatami. En dessous, se trouvait une trappe, qu'il ouvrit avant de s'effacer pour laisser passer Touya.


— Après toi.

— Vas-y le premier.


Shigaraki lui lança un regard mauvais mais obtempéra et se glissa dans l'interstice. Une fois que Touya fut certain qu'il ne s'agissait pas d'un piège, il le suivit. Il se retrouva dans une pièce à peine assez grande pour qu'il s'y tienne debout. A la faible lueur de la lanterne que tenait Shigaraki, Touya ne put distinguer que du vide. La pièce était vide.


— Tu t'es foutu de moi ! s'écria-t-il en se jetant sur Shigaraki.

— Je te l'ai dit, je n'étais pas sûr qu'il était là ! Quand le Maître est mort, ils ont retourné toute la maison. C'est le seul endroit qu'ils n'avaient pas fouillé.


Il le fixa dans les yeux jusqu'à s'assurer qu'il disait bien la vérité et ne dut qu'à son sens du patriotisme de ne pas le descendre sur place. Il avait fait tout ça, il s'était donné tout ce mal et pour rien ! Il ravala sa colère et sortit de la pièce d'un pas rapide. Il devait s'éloigner à tout prix de cette ville de malheur avant qu'on le retrouve. Giran entendrait parler du pays s'il avait le malheur de se trouver de nouveau sur sa route. Shigaraki suivait sur ses talons, le souffle court.


Quand il franchit la porte d'entrée, on l'attendait. All Might. Seul. Il se maudit intérieurement. Il aurait bien dû s'en douter. Pourtant, quand il avait entendu Shigaraki parler de son sabre, il lui avait paru si sincère, si authentique dans sa demande qu'il avait voulu se prendre au jeu. Il avait préféré à la sécurité parier sur le fait que tout n'était pas mort chez Shigaraki.


Tout à son face à face avec All Might, il entendit à peine Shigaraki s'approcher dans son dos et arracher le revolver de sa ceinture. Avant même qu'il ait eu le temps de réagir, le garçon s'était réfugié derrière la montagne de muscles qui lui servait de protecteur. Ainsi, le voilà désarmé. Devant le spectre de la grande nuit, il ne parvint pas à paniquer. Tout ce qu'il ressentait, c'était de la déception.


— Allons, rends-toi, mon garçon. Mettons un terme à tout cela.


Il empoigna son sabre et le dressa devant son ennemi. Bien sûr, il n'avait aucune chance dans un duel aussi inégal, mais s'il fallait mourir, autant mourir debout.


— Je préfère encore que tu me tues ici.


Il ferma les yeux, se prépara à la fin. Sa toute dernière pensée alla à son âme soeur, qui se réveillerait sans les marques qui l'avaient accompagnée toute sa vie. Que penserait-elle, en apprenant ainsi sa mort ? Verrait-elle cette remise à zéro comme une délivrance des caprices du destin ou bien pleurerait-elle toutes les larmes de son petit corps jusqu'à ce que n'en subsiste qu'un coeur brisé par cet amour avorté ?


La détonation retentit.


Touya ouvrit les yeux. Il n'était pas mort.


Devant lui, All Might gisait au sol dans une mare de sang. Un impact de balle lui trouait le dos.


Tomura lâcha son arme, qui tomba au sol dans un claquement sec. Les yeux fixés sur ceux de Touya, il commença par relever sa manche gauche, puis tira sur son foulard, révélant son visage.


La marque autour de son poignet ressemblait à s'y méprendre à une brûlure, écarlate sur la peau claire. Couvrant sa bouche, tout le bas de sa figure était peint d'une marque en forme de main.


Une marque couleur argile.


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